Aux sources du sionisme 

par Jean-Luc Landier

Walter LAQUEUR, Histoire du sionisme, Titre original : A History of Zionism (1972),Traduit de l’anglais par M. Carrière, Paris, Calmann-Lévy, 1973. Repris dans la Collection Tel chez Gallimard en 1994.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe qui, au XXème, s’est imposé, comme essentiel dans le droit international : les populations qui avaient été dominées ou colonisées ont pu, dans leur grande majorité, assumer leur propre destin, souvent au terme d’un combat mené par un mouvement de libération nationale. Au seuil de la grande ère des décolonisations consécutives à la Seconde Guerre mondiale, le sionisme politique qui œuvrait pour l’émancipation du peuple juif, est parvenu à ses fins avec la création de l’État d’Israël.
Et pourtant, il n’y a, sans doute, aucun autre mouvement de libération dont la légitimité ne soit, quotidiennement, remise en cause par des détracteurs déterminés à le déconsidérer, à le condamner. L’étude des sources du sionisme et des conditions historiques de son développement est donc toujours nécessaire. L’Histoire du sionisme de Walter Laqueur demeure une contribution essentielle pour comprendre la formation de l’idée sioniste dans la plupart de ses nombreux développements.

Au sein de la riche bibliographie consacrée à l’histoire d’Israël, cette somme continue d’occuper une place importante. Bien qu’elle ait été publiée en 1972 et se limite à la période qui s’est achevée le jour de la déclaration d’indépendance d’Israël, le 14 mai 1948, elle garde toute sa pertinence (et son actualité…) car elle documente avec rigueur l’histoire des idées, hommes et mouvements politiques en rappelant les conditions d’émergence de sujets, thèmes ou problèmes qui se sont avérés permanents comme, entre autres, l’hostilité au peuple juif, le refus arabe, et la complexité des relations entre Israël et la Diaspora.
Walter Laqueur dans un premier temps (p.15-231) recense les sources du mouvement sioniste et décrit le terreau nourricier sur lequel il s’est épanoui : le judaïsme européen, émancipé au XIXème siècle qui demeure partagé entre un fort désir d’assimilation au sein du milieu majoritaire et la conscience tragique que l’antisémitisme ne désarme pas. Le sionisme politique porté par Theodor Herzl est apparu quand la certitude de l’assimilation heureuse dans un monde de progrès s’est estompée.
Dans un second temps (p.232-476), l’historien décrit les premières étapes de la construction du foyer juif en Palestine ainsi que les obstacles qu’il rencontre sur sa route : l’insoluble conflit avec le mouvement national arabe, le scepticisme de la puissance mandataire, l’intérêt limité des Juifs de la Diaspora pour le projet sioniste, et les conflits politiques très vifs au sein du mouvement.
La troisième partie de l’ouvrage (p.477-632) relate les moments les plus tragiques de l’histoire du peuple juif dans sa marche vers la résurrection de l’Israël moderne : la rupture entre le mouvement sioniste et la Grande-Bretagne, suspendue par la guerre, la solitude du peuple juif voué à l’extermination nazie, le conflit ouvert avec la puissance mandataire et avec les Arabes, l’internationalisation de la question palestinienne qui conduit au plan de partage du pays et à la proclamation de l’État d’Israël.

Pour l’amour de Sion 

Le sionisme politique est apparu à la fin du XIXème siècle en Europe Centrale, à un moment où les Juifs, émancipés depuis quelques décennies, se heurtèrent à une hostilité forte des sociétés dans lesquelles ils occupaient souvent des positions éminentes.
À la suite de la Révolution française, les murs des ghettos derrière lesquels les Juifs étaient relégués depuis le Moyen-Âge s’effondrèrent. Dans tous les pays d’Europe occidentale et centrale, les Juifs devinrent des citoyens égaux en droits, et gravirent rapidement les échelons de la promotion sociale. « Au cours de cet aggiornamento rapide et radical, les éléments messianiques et nationaux de la religion juive furent abandonnés », p.20. Nombre de Juifs, en Allemagne en particulier, s’éloignèrent du judaïsme ou même se convertirent, le baptême étant le billet d’entrée pour accéder à la société européenne, comme l’indiquait Heinrich Heine. Le judaïsme réformé, apparu en Allemagne au milieu du XIXème siècle, recommandait l’abolition de nombreuses pratiques religieuses et de toute référence à une nation juive. A partir de 1870, tous les pays d’Europe occidentale avaient accordé aux Juifs la pleine égalité des droits. En quelques décennies, ils occupèrent une place éminente au sein des élites économiques et culturelles. Mais l’anti-judaïsme traditionnel, d’origine religieuse, fit, dès les années 1880, place à une nouvelle vague d’antisémitisme, à caractère racial. En Allemagne et en Autriche, les Juifs furent victimes d’exclusions multiples et de campagnes de haine dans la presse. En France, l’audience des écrits antisémites de Drumont, puis l’affaire Dreyfus, montrèrent les limites de l’assimilation. « Le mouvement antisémite français était le pionnier de l’idéologie anti-juive moderne », p.46. Toutefois, l’identification des Juifs de France à leur pays restait totale, et leur patriotisme sourcilleux. L’affaire Dreyfus était perçue par nombre d’entre eux comme un traitement injuste infligé à un innocent, et non comme une nouvelle persécution anti-juive. En dépit de l’apparition de l’antisémitisme à caractère racial, les Juifs d’Europe occidentale, à la fin du XIXème siècle, continuaient à croire pleinement en leur assimilation au milieu majoritaire : « L’assimilation était le destin inévitable d’un peuple sans patrie qui était depuis longtemps en état de décadence culturelle, et qui, dans une grande mesure, avait perdu sa conscience nationale », p.53.
La Terre d’Israel n’avait toutefois jamais cessé d’occuper une place centrale dans la pensée, les prières et les rêves des Juifs. C’est vers Sion que les Juifs se tournent, debout et silencieux, pendant la solennelle prière quotidienne des Dix-Huit Bénédictions/תפילת שמונה עשרה/Tefilate Chemoné Essré, dont la septième bénédiction appelle au retour des exilés en Israël. Le lien, pour ainsi dire, charnel des Juifs de la Dispersion avec la Terre d’Israël n’a jamais été interrompu. Au Moyen-Âge, des communautés juives importantes étaient présentes à Jérusalem, Safed, Naplouse et Hébron. Après l’expulsion des Juifs d’Espagne, de nombreux érudits s’installèrent à Safed et à Tibériade. Les communautés juives dépendaient des quêtes effectuées dans la Diaspora par les émissaires chargés de collecter les contributions (la חלוקה/ Halukkah ). La Terre sainte restait toutefois un pays désolé et dépeuplé, « reflet de la décadence de l’Empire ottoman depuis son apogée des XVème et XVIème siècles », p.57.

Juifs devant le Mur Occidental du Temple/Jerusalem/1900-1920/Librairie du Congrés

Au tournant du XIXème siècle, la vision d’un retour des Juifs sur leur terre ancestrale devint un thème d’inspiration romantique, en particulier dans le monde anglo-saxon, imprégné de culture biblique, où le « sionisme chrétien » a des racines aussi anciennes que la Réforme. Daniel Deronda, œuvre de la romancière anglaise George Eliot, mit l’accent sur la reconstitution d’un foyer juif en Palestine. Ce « protosionisme chrétien » nourrit plusieurs ouvrages de réflexion, mais ne franchit jamais les frontières de l’utopie.

Les aspirations à une renaissance

Plusieurs penseurs juifs se penchèrent sur le thème d’une renaissance politique de leur peuple. La réflexion la plus approfondie fut entreprise par Moses Hess, philosophe socialiste, qui prit conscience de l’importance de l’antisémitisme, et de l’urgence de l’émancipation nationale des Juifs qui, comme tous les autres peuples, pouvaient légitimement y aspirer. Dans Rome et Jérusalem (1862), il développe sa vision d’un État juif socialiste en Palestine, où la terre serait propriété collective.
La même année, le rabbin allemand Tsvi Hirsch Kalisher écrivit une brochure intitulée Derichate Zion/À la recherche de Sion, dans laquelle il  souligne que la rédemption des Juifs ne viendra pas du Ciel, mais des Juifs eux-mêmes, en Terre d’Israël. Il fut à l’origine de la création de l’école d’agriculture Mikveh Israel, au sud-est de Jaffa.
À la fin du XIXème siècle, la majorité des Juifs vivaient en Europe orientale, dans les limites de l’Empire russe, dans des conditions d’extrême précarité : enfermement dans la zone de résidence des provinces de l’Ouest, interdictions professionnelles, numerus clausus à l’université, misère absolue du plus grand nombre au sein d’une société violemment antisémite où les pogroms, fréquents après l’assassinat du tsar Alexandre II, étaient tolérés, voire encouragés par la police. Les Juifs vivaient pour l’essentiel dans des bourgades où ils étaient majoritaires, sous l’autorité de rabbins souvent formés par le hassidisme, dans une atmosphère où la ferveur religieuse permettait d’oublier la misère et l’oppression. Une élite intellectuelle adepte de la Haskalah, les Lumières du judaïsme, s’est toutefois constituée au cours du XIXème siècle ; à la différence de la Haskalah allemande, ce mouvement a réfuté l’assimilation et a réaffirmé l’identité juive, renouvelant la littérature hébraïque. Plusieurs écrivains maskilim comme Abraham Mapou, Yehouda Leib Gordon ou Peretz Smolenskin ont mis l’accent sur l’identité nationale du peuple juif, et envisagé la perspective d’un État juif en Palestine. Moché Leib Lilienblum et Eliezer Ben Yehouda acquirent la conviction que le peuple juif devait redevenir une nation vivante par la pratique de l’hébreu.

Elizer Ben Yehouda dans ses dictionnaires.

En 1882, Léon Pinsker, médecin d’Odessa, fit paraître Auto-Emancipation, une brochure dans laquelle il soulignait la permanence de l’antisémitisme, et la nécessité absolue d’accorder une patrie au peuple juif. Sa pensée inspira la création en Russie d’associations encourageant à l’émigration des Juifs.  La vague de pogroms de 1881 amplifia le mouvement.

L’association des Amants de Sion se constitua lors du congrès de Katowitz (1884) et étend son influence dans toute l’Europe orientale. A la même période, un groupe d’étudiants de Kharkhov fonda le mouvement Bilou et partit immédiatement en Palestine où il s’établit à Gedera. Plusieurs colonies furent fondées au cours de cette période comme Rishon Le Tsion (1882), Yesoud Hama’ala (1883), Mishmar HaYarden (1884), puis au cours de la décennie suivante Rehovot, Motsa, Hadera, Metulla et Hartouv. Rosh Pinna et Zikhron Yaacov avaient peu auparavant été fondées par des pionniers de Roumanie.
Ces premières tentatives d’implantation furent toutefois très vite vouées à l’échec, en raison de l’inexpérience des pionniers, de l’aridité des sols et de la dureté du climat. « Pour sauver les colonies, le rabbin Mohilever et un Anglais, chrétien ami de Sion, Sir Lawrence Oliphant, sollicitèrent l’aide du baron Edmond de  Rothschild et du baron Maurice de Hirsch, deux célèbres philanthropes juifs », p.95. L’aide du baron de Rothschild fut déterminante dans la survie des implantations, mais transforma les premiers pionniers en propriétaires-exploitants employant de la main d’œuvre arabe. Les tentatives des Amants de Sion furent donc vouées à l’échec tant sous l’angle politique que du point de vue économique.

Du rêve au projet politique

A la fin du XIXème siècle, tous les projets de retour des Juifs dans leur terre ancestrale relevaient du domaine de l’utopie. Theodor Herzl sut transformer le rêve en projet politique. Auteur dramatique et journaliste viennois de renom, Herzl, convaincu de la permanence de l’antisémitisme, publia, en février 1896, une courte brochure « Der Judenstaat/L’État des Juifs », dans laquelle il souligne la nécessité d’un État qui accueillera tous les Juifs victimes de l’antisémitisme. Il imagine une société moderne et progressiste, non soumise à la religion, qui pourra se constituer en Palestine dès lors qu’une charte validée au plan international lui sera accordée. L’ouvrage fut accueilli avec froideur par la communauté juive de Vienne et par des militants comme Ahad Ha’am. Mais Theodor Herzl était aussi un homme d’action, et pour employer un langage contemporain, un communiquant hors pair. Son premier objectif politique fut de tenter de convaincre la Turquie de faire preuve de bienveillance, les Juifs pouvant contribuer à trouver une solution au problème de la dette ottomane. Herzl, appuyé par quelques amis comme David Wolfsohn ou Max Nordau sut, presque seul, organiser le premier congrès sioniste à Bâle, le 29 août 1897.

Portrait de Theodor Herzl par Hermann Struck/ Berlin/Circa 1920 / Leo Baeck Institute.

Le congrès adopta le principe d’un foyer national juif juridiquement garanti et reconnu par les puissances. Herzl rencontra à deux reprises le Sultan mais se heurta à l’hostilité de la Turquie qui doutait de sa représentativité. Il rencontra d’autres souverains et dirigeants européens, mais subit leur scepticisme, ainsi que celui des principaux dirigeants juifs. Il souleva en revanche l’enthousiasme des masses juives d’Europe de l’Est, qui virent en lui le porteur d’un message d’espérance. Déçu par l’échec de ses démarches diplomatiques concernant la Palestine, il envisagea, en 1903, une solution de repli en Ouganda, avec la bienveillance du gouvernement britannique. Cette proposition fut rejetée par les militants sionistes russes, fermement attachés à la Terre d’Israël. Épuisé par une mission qui l’a consumé physiquement et moralement, Herzl s’éteignit à 44 ans, en juillet 1904. Il avait compris que l’antisémitisme était une menace mortelle pour les Juifs d’Europe et avait réussi à transformer un petit mouvement philanthropique en une force politique reconnue

Après Herzl

Après la mort de Herzl, le mouvement sioniste vécut un long interrègne où son audience auprès des communautés juives s’accrut, sans toutefois progresser sur le terrain politique. En Palestine, les colonies juives connaissaient un développement significatif, avec l’arrivée des milliers de jeunes immigrants de la seconde Alyah (1905-1914), imprégnés d’idéologie socialiste. Parmi eux, David Gryn, qui changera son nom en David Ben Gourion. Ils entrèrent en conflit avec les fermiers juifs issus de la première Alyah, celle des Hovevei Zion et des Bilouim, qui préféraient employer la main d’œuvre arabe bon marché plutôt que ces jeunes Juifs russes exigeants et indociles. Des coopératives agricoles furent créées, l’usage de l’hébreu se généralisa et la première ville entièrement juive, Tel Aviv, fut fondée en 1909.
Au début de la Première Guerre mondiale, le mouvement sioniste chercha tout d’abord à préserver sa neutralité. Mais le poids croissant des sionistes américains et l’activité politique inlassable de Haïm Weizmann, qui résidait en Grande-Bretagne depuis 1904, placèrent les puissances anglo-saxonnes au cœur de la stratégie du mouvement. Weizmann comprit que les projets britanniques d’expansion à l’est de Suez et la sensibilité des dirigeants anglais à la Bible offraient une opportunité historique au mouvement sioniste.

Chaïm Weizmann devant le micro (premier émission radiophonique en langue hébraïque) célébrant l’inauguration d’une forêt (25 arbres !) pour le Jubilé du roi George V /Colonie juive de Nahalal/1935

L’accord franco-anglais Sykes- Picot de mai 1916 plaçait la Palestine dans la zone d’influence britannique. Weizmann réussit à triompher de l’hostilité des institutions juives anglaises, qui redoutaient l’accusation de double allégeance, et sut convaincre Lloyd George, Premier ministre, et Balfour, secrétaire au Foreign Office, de la nécessité d’une déclaration politique, dans laquelle la Grande-Bretagne se déclarerait favorable à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. La déclaration Balfour du 2 novembre 1917 mentionnait un projet de foyer national, et non un État, pour ménager les aspirations nationales des Arabes, alliés de la Grande-Bretagne dans sa guerre contre l’Empire ottoman. « Après la publication de l’État juif de Herzl, la déclaration Balfour constitua le second grand tournant de l’histoire du sionisme politique. Ce n’était pas la rédemption immédiate, mais seulement le début d’une nouvelle phase d’une lutte difficile», p.231.

Le sionisme et le refus arabe

La Conférence de San Remo, en avril 1920, attribua le mandat sur la Palestine à la Grande-Bretagne, avec la mission d’y établir un foyer national pour le peuple juif.À ses débuts, le mouvement sioniste, conscient de la présence d’une population arabe majoritaire en Palestine, a fait le pari du développement économique qui aplanirait les différends. Toutefois, les achats de terres et l’arrivée des premiers colons juifs ont nourri un vif ressentiment de la population rurale arabe, et l’insécurité s’est accrue. L’arrivée de la seconde Alyah et d’un prolétariat agricole juif aggrava les tensions. Si nombre de responsables sionistes, en particulier Epstein, Kalvarisky et Ruppin, souhaitaient un accord avec les Arabes, ils ne savaient pas clairement ce qu’ils pouvaient proposer. La grande majorité des terres furent acquises auprès de propriétaires non exploitants (les effendis), mais peu de fellahs furent dépossédés. Les Juifs veillèrent à indemniser ceux qui risquaient de perdre leur exploitation, et à leur trouver une activité de remplacement.
Les immigrants juifs n’avaient aucune animosité à l’égard des Arabes, mais n’étaient pas conscients de l’émergence d’un mouvement national parmi eux. Les Arabes, pour leur part, comprirent rapidement que le projet sioniste avait un objectif politique. La question de savoir à qui appartenait le pays restait sans réponse. Les premiers signes d’un conflit entre deux mouvements nationaux inconciliables apparurent très rapidement. L’hostilité des Arabes au sionisme prit une forme politique dès qu’ils prirent conscience des conséquences possibles de la déclaration Balfour : des émeutes sanglantes éclatèrent dans tout le pays en 1920-21, en particulier à Jérusalem, à Jaffa (assassinat du poète Yossef Haim Brenner) et en Galilée, où Yossef Trumpeldor perdit la vie à Tel Haï. Après ces émeutes, le mouvement sioniste, imprégné de valeurs libérales, tenta une démarche de réconciliation sous la direction du jeune Haim Arlosoroff. Des socialistes comme Berl Katznelson ou David Ben Gourion estimaient que le mouvement national arabe n’avait pas de bases sociales véritables et qu’il fallait trouver un chemin de dialogue vers les ouvriers arabes. Ben Gourion avait dit que « le sionisme n’avait pas le droit de faire le moindre mal à un seul enfant arabe, même si cela devait lui permettre de réaliser toutes ses aspirations », p.277. Un groupe d’intellectuels qui ne résidaient pas toujours en Palestine, fonda le mouvement Brit Chalom, autour du rabbin Judah Magnes et de Martin Buber, afin de créer les bases d’un État bi-national judéo-arabe, dans lequel l’immigration juive pourrait être limitée. En fait, les dirigeants sionistes ne comprenaient pas que le mouvement nationaliste arabe pouvait n’être ni libéral ni démocratique.
Les tensions s’aggravèrent quand le haut-commissaire britannique Herbert Samuel nomma Hadj Amine Al Husseini Grand Mufti de Jérusalem. De graves émeutes éclatèrent à Jérusalem en 1929, et se propagèrent dans toute la Palestine, en particulier à Hébron où l’antique communauté juive fut attaquée et massacrée dans des conditions atroces.

Une maison pillée où résidait le fils du Rabbin d’Hebron/Au mur, un portrait de Theodor Herzl.

De nouvelles démarches de conciliation furent tentées par Arlosoroff, Ben Gourion et Shertok au début des années 1930 auprès du parti modéré Istiqlal, sans succès. Même l’éternel idéaliste Judah Magnes, fondateur du mouvement Brite Chalom et défenseur infatigable d’un État bi-national judéo-arabe écrivit, en 1941, qu’il n’ « existait aucune possibilité au cours des dix ou quinze prochaines années de conclure un accord avec un responsable arabe, si ce n’est sur la base d’un statut de minorité dans ce pays », p.294.

Vers un État souverain

L’arrivée d’Hitler au pouvoir, en 1933, rendit inconcevable tout compromis sur l’immigration juive, et renforça le caractère insoluble du conflit. En avril 1936, une révolte arabe générale éclata dans toute la Palestine, sous la direction du Haut Comité arabe présidé par Hadj Amine Al Husseini, avec l’appui occulte mais réel de l’Italie fasciste. Les implantations juives furent systématiquement attaquées, ainsi que les institutions britanniques, qui réagirent avec vigueur, mettant en œuvre, sous la direction du brillant et surprenant capitaine Orde Wingate et avec l’aide de commandos de la Haganah (Plugot Sadeh/compagnies de terrain), une stratégie efficace de contre-insurrection. Au terme de cette insurrection sanglante, la majorité des responsables du mouvement sioniste, en particulier les dirigeants travaillistes, conclurent que la perspective d’un État bi-national judéo-arabe n’avait plus de sens, et qu’il était indispensable de s’orienter vers un État juif indépendant et souverain. « La conviction s’accrut chez les sionistes que s’il était impossible de concilier les aspirations nationales des juifs et des Arabes,les leurs devaient passer d’abord, ne fût ce que parce que les Juifs d’Europe étaient menacés d’extermination », p.297.

Édifier le Yichouv, envers et contre tout

En trois décennies, le courant travailliste devint la principale composante du mouvement sioniste. Le socialisme russe, qui exigeait de ses militants qu’ils mettent leur vie en accord avec leurs idées, eut une influence déterminante sur les premiers sionistes socialistes. Ceux-ci, choqués par l’indifférence des socialistes russes à l’égard du sort des Juifs, comprirent qu’il fallait créer un mouvement socialiste juif indépendant, sans suivre la direction du Bund, qui prônait l’autonomie juive dans l’empire russe. La pensée de Ber Borokhov, soucieux d’inverser la « pyramide » sociale des Juifs en développant sa base productive, sert de référence doctrinale au sionisme socialiste.
Les pionniers de la seconde Alyah (1904-1914), imprégnés d’une admiration populiste pour le travail manuel, furent mal accueillis par les agriculteurs juifs, qui leur préféraient la main d’oeuvre arabe. Ils se partageaient en deux courants, le Hapoel Hatsaïr, sous l’inspiration de Aharon David Gordon, apôtre du travail  agricole, pacifiste  de tradition tolstoïenne, et le Poale Zion, marxiste, qui promouvait le thème de la «  conquête par le travail » et la réalisation concrète du projet sioniste. Le Poale Zion crée ainsi les premières petites communautés agricoles  de Kinneret, Degania, Merhavia. Elles eurent des débuts difficiles et connurent une crise de confiance pendant la Première Guerre mondiale en raison de l’arrêt de l’immigration et de l’hypertrophie du collectivisme. Les fondateurs du mouvement travailliste, et plus tard de l’État d’Israel (Ben Gourion, Ben Zvi, Kaplan, Katznelson, Shazar), étaient tous issus de la seconde Alyah.

Bannière du Poale Zion

Les pionniers de la troisième Alyah (1919-1922), mieux formés et arrivés en groupe, voulurent créer leurs propres implantations dans l’esprit de leurs mouvements de jeunesse en Russie. Le « bataillon du travail »/G’dud haavoda avait le projet de créer des kibboutzim, et dans l’attente d’obtenir des terres s’investit dans la construction de routes, de voies ferrées ou  d’immeubles. Le mouvement de jeunesse, La Jeune Garde/Hachomer Hatsaïr avait un fort fondement idéologique reposant à la fois sur les théories de Marx, Freud, Nietzsche et Martin Buber. Il créa les premiers kibboutzim, en particulier dans l’Emek Yisreel, et la fédération du kibboutz Haartsi vit le jour en 1927. Les premiers mochavim, villages coopératifs non collectivistes, furent créés dans la même région à cette période.
La quatrième Alyah (1924-1926) avait une structure sociale très différente. Elle venait principalement de Pologne, où la discrimination antisémite incita des milliers de Juifs à partir en Palestine pour s’installer en ville, en particulier à Tel Aviv dont la population atteignit 40.000 habitants en 1926. L’économie palestinienne restait fragile, et seul le mouvement ouvrier était capable de réaliser un projet national. C’est dans ce cadre que la Histadrout/la Fédération générale  des travailleurs fut à l’origine de projets industriels et d’infrastructures (entreprises Koor, Solel Boneh, Mekorote, Banque Hapoalim)  qui devinrent des outils majeurs du développement du pays. Le mouvement ouvrier obtint 29 % des voix aux élections sionistes de 1929 et 44 % en 1933.Il devint la composante dominante du sionisme pour longtemps, et ses dirigeants, parmi lesquels David Ben Gourion, prirent le contrôle des organes exécutifs. Le Parti Travailliste d’Israël (Mapaï)  avait été créé en 1930.
La nouvelle société juive et l’État en devenir devaient être défendus face à l’insécurité du pays et à l’irréductible rejet arabe. La Haganah fut créée en 1920 à Jérusalem pour défendre les quartiers juifs de la ville. Rattachée à la Histadrout, elle devint, à partir de 1936, une force armée organisée de milliers de volontaires à temps partiel.

Entraînement aux armes légères sous la supervision d’un officier britannique/Beit Oren/1941.

Pendant la révolte arabe de 1936-39, de nombreux kibboutzim (notamment Hanita, Ein Gev, Shaar HaGolan, Dan, Revivim) furent créés sous la protection des hommes de la Haganah sur des terres achetées par des institutions sionistes.

Débats et conflits internes

Dés la fin de la première guerre mondiale, un courant d’opposition à la ligne politique de la direction du mouvement sioniste prend une place croissante dans les débats. L’exécutif sioniste est accusé de faiblesse et de complaisance envers la Grande-Bretagne.
Vladimir Zeev Jabotinski dirige ce courant. Brillant intellectuel imprégné de culture russe, orateur de génie et admirateur du Risorgimento, le mouvement de l’unification italienne, il est convaincu de la nécessité de créer une armée juive. Ainsi, il fonde en Égypte, pendant la Première Guerre mondiale, le corps des muletiers de Sion, qui, au sein de l’armée britannique deviendra la Légion juive. Après la guerre, estimant que la Grande-Bretagne ne remplissait pas ses obligations découlant de la déclaration Balfour, il s’est opposé à Weizmann, qu’il juge trop timoré, et s’est engagé dans la création du mouvement révisionniste, avec l’objectif de transformer toute la Palestine, y compris la Transjordanie, en un État juif. Il estimait que l’hostilité arabe au sionisme était logique et normale. Seule une « muraille d’acier », c’est-à-dire une force armée juive puissante, les convaincrait de la vanité de leur opposition. Jabotinski se prononçait donc pour la création rapide d’un État juif sur les deux rives du Jourdain, qui serait édifié grâce à une immigration massive et dans le cadre d’une économie libérale. Il pressentait l’imminence de la catastrophe européenne, et exigeait la levée immédiate de toutes les restrictions à l’immigration imposées par la Grande-Bretagne.

Vladimir Jabotinsky/Mabatim

Sous l’influence de Jabotinski, un mouvement de jeunesse – qui prit le nom de Brit Trumpeldor (Alliance de Trumpeldor/Betar) –  fut constitué en 1923 en Lettonie, et se développa rapidement, en particulier en Palestine où il s’engagea résolument vers la création  d’un État juif. Le mouvement adopta des pratiques militaristes que ses adversaires qualifièrent de fascistes. Jabotinski était toutefois un penseur libéral, plus proche des valeurs du Risorgimento italien que de celles de Benito Mussolini.
Hostile à la politique de prudence du mouvement sioniste, il s’en sépara formellement en 1935 en créant sa propre organisation, en cherchant à s’affranchir des procédures d’immigration de l’Agence juive, et en poursuivant des démarches diplomatiques en Europe afin d’accroitre par tous les moyens l’Alyah, gage de la survie du judaïsme européen. Une organisation militaire inspirée par sa pensée, l’Irgoun Zvai Leumi (organisation militaire nationale, Etsel en acronyme) avait été créée dés 1931 après une scission de la Haganah.
Pendant la révolte arabe de 1936-1939, elle procéda à des représailles à la suite des attentats commis contre les Juifs, mais y mit fin lors de l’entrée en guerre de la Grande- Bretagne. L’Irgoun connut alors une scission avec la création du groupe Lohamei Herout Israel (Combattants pour la liberté d’Israel, Lehi en acronyme), dirigé par Abraham Stern, qui refusait toute idée de trêve avec la Grande- Bretagne et entendait, en dépit de la guerre, poursuivre la lutte contre son impérialisme.
Jabotinski mourut subitement, aux États-Unis, en août 1940. « Il avait prévu l’État d’Israël, mais à sa mort le but semblait aussi lointain que jamais. (…). Il fut un des architectes du mouvement qui conduisit à la fondation de l’État, idée qui avait été son seul guide pendant tant d’années », p.419.
Un courant religieux, très minoritaire au départ, participa au mouvement sioniste dés sa création, sous l’inspiration du Rav Yaakov Reines, fondateur du mouvement Mizrahi (acronyme de Merkaz Ru’Hani/centre spirituel). Le Mizrahi chercha à concilier l’édification d’une nouvelle société en Eretz Israel et le strict respect des lois religieuses. A l’instar des mouvements socialistes, il créa des institutions spécifiques (mouvement de jeunesse du Bné Akiva, coopératives du Hapoel Hamizrahi). Le Mizrahi, clairement sioniste, se distinguait du courant majoritaire du monde orthodoxe, représenté par le parti Agoudat Israel, et dont la doctrine, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, reposait, tant en Palestine que dans la Diaspora, sur une opposition radicale au sionisme.

La catastrophe et la lutte

Les années 1930 ont confirmé qu’une menace existentielle pesait sur le judaïsme européen avec la venue au pouvoir des nazis, et l’extension rapide de leur autorité ou de leur influence sur l’ensemble du continent. Au cours de la même période, les tensions entre Juifs et Arabes en Palestine ne cessèrent de s’aggraver. A la suite de la révolte arabe de 1936, les autorités britanniques tentèrent un effort de conciliation avec les conclusions de la commission Peel (1937) qui recommanda pour la première fois un partage de la Palestine mandataire en deux États. Ce plan, qui limitait l’État juif à une bande côtière et à une partie de la Galilée mais excluait Jérusalem, fut accepté à contre-cœur par le mouvement sioniste  mais refusé par la partie arabe. La commission Woodhead en réduisit fortement la portée, et proposa trois plans de partition, inacceptables pour chacune des parties. Le gouvernement britannique, dans le contexte de l‘aggravation de la situation internationale et du soutien affirmé de l’Allemagne nazie à la cause arabe, réunit une conférence à Londres en février 1939, qui ne put que constater le caractère irréconciliable des thèses juives et arabes. Il publia alors, le 17 mai 1939, un Livre blanc qui semblait mettre définitivement fin au projet d’un foyer national juif en Palestine: limitation drastique de l’immigration à 75.000 personnes pendant une période de 5 ans après laquelle elle serait soumise à l’agrément arabe, restriction stricte des ventes de terres, octroi de l’indépendance dans un délai de 10 ans. Le Livre blanc mettait ainsi un terme définitif à l’engagement pris par la Grande-Bretagne devant la communauté des nations lors de la déclaration Balfour.

David Ben Gourion, Chaïm Weizmann et Moshé Sharett consternés à l’annonce du Livre Blanc lors d’un Congrés Sioniste/Mai 1939

Le mouvement sioniste, tragiquement isolé, s’opposa comme il le put face à cette trahison, en particulier en développant l’immigration clandestine (Alyah Bet, ou Ha’apala, escalade). Mais la marche inexorable vers la Seconde Guerre mondiale conduisit le mouvement sioniste à soutenir la cause de la Grande-Bretagne face à l’ennemi mortel du peuple juif qui se dressait en Europe. Ben Gourion, qui dirigeait l’Agence juive depuis Jérusalem, prit un ascendant déterminant sur Haïm Weizmann à la tête du mouvement. Il n’eut de cesse de réclamer à la Grande-Bretagne la création d’unités militaires juives, et n’eut gain de cause qu’en août 1944 avec la création de la Brigade juive. Tous les dirigeants du mouvement étaient désormais convaincus de la nécessité de créer un État juif souverain à la fin du mandat britannique. Ce projet, soutenu par les sionistes américains, fut officiellement adopté lors de la conférence de l’hôtel Biltmore, à New York, en mai 1942. L’influence du judaïsme américain sur le mouvement sioniste devint déterminante, sans toutefois engager fortement la diplomatie américaine, qui resta plus que prudente sur ce dossier jusqu’à la fin de la guerre.
La nécessité absolue d’un État juif maître de son destin fut, s’il en était encore besoin, confirmée par l’arrivée dans le Yichouv d’informations concordantes sur l’extermination des Juifs d’Europe occupée par les nazis. Désormais majoritaire au sein du judaïsme américain, le mouvement sioniste, par la voix du rabbin Silver et de militants révisionnistes, exigea la levée des restrictions à l’immigration et la mise en œuvre du projet de foyer national, sans remettre encore en question l’immobilisme prudent des autorités.
En Palestine, où la déception se transformait en désespoir, le Lehi rompit la trêve respectée par la Haganah et l’Irgoun depuis le début de la guerre en assassinant au Caire, en novembre 1944, le haut commissaire britannique, Lord Moyne. L’Irgoun, désormais dirigée par Menahem Begin, reprit également l’action armée contre la Grande-Bretagne, s’opposant ainsi à la politique de l’Agence juive qui cherchait à préserver sa relation avec la puissance mandataire. Les Alliés avaient été informés de l’ampleur du génocide dés 1942, mais les rares et timides tentatives de sauvetage auxquelles le mouvement sioniste avait été associé, comme le projet d’échange de Juifs hongrois contre des camions, restèrent lettre morte.
La découverte des camps d’extermination confirma l’ampleur du désastre. « Pour le peuple juif, cette paix était celle du cimetière… Pourtant la question d’un État juif devint plus actuelle que jamais auparavant », p.605. Dans l’Europe de l’Ouest dévastée, des centaines de milliers de rescapés du génocide et de réfugiés fuyant l’Europe de l’Est s’entassaient dans les camps de « personnes déplacées », dans l’attente d’un avenir  qui pour la majorité ne pouvait se réaliser qu’en Eretz Israel.
Aux États-Unis, le président Truman, successeur de Roosevelt, se prononça, en été 1945, pour l’octroi immédiat de 100.000 visas d’immigration. Le gouvernement travailliste britannique, pour sa part, entendait s’en tenir à l’application stricte du Livre blanc de 1939, et engagea une épreuve de force avec le mouvement sioniste, dont certains dirigeants furent internés. La Haganah et sa troupe de choc, le Palmah, développèrent sur une grande échelle l’immigration clandestine (l’évasion des rescapés de la Shoah), dont l’acmé fut l’odyssée de l’Exodus, en juillet 1947. L’Irgoun et le Lehi poursuivirent leur combat sans merci contre la Grande-Bretagne (attentat de l’hôtel King David de Jérusalem en juillet 1946).
La crise en Palestine attirait désormais toute l’attention de l’opinion internationale, particulièrement sensible au sort des rescapés du génocide. La puissance mandataire, dépassée par le conflit, fit en février 1947 appel à l’ONU dont une sous-commission de l’assemblée générale (UNSCOP) se pencha sur le dossier palestinien. A la différence des États-Unis, réservés, et de la Grande-Bretagne, hostile à une telle issue, l’Union soviétique se prononça clairement, en mai 1947, en faveur des aspirations nationales du peuple juif. Le rapport de l’UNSCOP recommanda le partage de la Palestine mandataire en deux États. Les Juifs se voyaient attribuer la plaine côtière, la Haute Galilée et le Negev, Jérusalem devant être soumise à un statut international. C’était l’option la plus favorable au mouvement sioniste, dont les dirigeants, en particulier Haim Weizmann, avaient plaidé avec éloquence devant la commission. Le 29 novembre 1947, l’assemblée générale de l’ONU approuva, par 33 voix contre 13, le plan de partage de la Palestine.
Dés le lendemain, les hostilités entre les forces juives et arabes se déchaînèrent, dans la perspective d’un contrôle du territoire avant la fin du mandat britannique, le 16 mai 1948. La Haganah, faiblement armée, devait faire face aux forces irrégulières des Arabes de Palestine et se préparer à l’entrée dans le conflit des armées des pays arabes voisins. Les États-Unis, constatant le chaos qui régnait dans le pays, prenaient leurs distances avec le plan de partage. En mars-avril 1948, la Haganah et le Palmah réussirent à desserrer l’étau des forces arabes, dans un contexte d’extrême violence et de départ des populations arabes (destruction du village arabe de  Deir Yassin par l’Irgoun, suivi par le massacre des médecins et infirmières du convoi médical juif du Mont Scopus). « La lutte armée devenant plus violente, les Juifs combattaient le dos au mur, alors que les Arabes pouvaient se réfugier dans les pays voisins. Les Arabes prétendent que les Juifs les y  ont contraints …, alors que les Juifs soutiennent que les Arabes de Palestine  ont répondu à l’appel de leurs dirigeants, et étaient convaincus de revenir bientôt. », p.630.
L’approche de la fin du mandat britannique amena les organisations juives à créer les institutions du futur État juif. L’opportunité de proclamer l’État dés la fin du mandat donna lieu à un ultime débat, que David Ben Gourion trancha.

Défilé/Indépendance/Photographie de Robert Capa/14 mai 1948

Le 14 mai 1948, il proclama l’État d’Israël, dix-neuf siècles après la chute du dernier pouvoir juif.
Dés le lendemain, le pays fut attaqué de tous côtés par les pays arabes voisins.

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A History of Zionism de Walter Laqueur a été achevé il y a cinquante ans. L’auteur a pris le parti d’arrêter son récit au jour de la création de l’État d’Israël, et n’avait pas l’objectif d’en décrire les premiers pas. L’ouvrage s’en tient à l’histoire des idées politiques, en analysant les sources et les différents courants d’un des rares mouvements nationaux ayant atteint pleinement ses objectifs.
« Le but essentiel du sionisme était double : rendre aux Juifs le respect d’eux-mêmes, et leur redonner une dignité aux yeux des non-Juifs ; rebâtir un foyer national pour que les Juifs pussent ‘’vivre en hommes libres sur leur propre sol, mourir paisiblement dans leurs propres maisons’’ (Herzl). La création de l’État juif a été le plus grand moment de deux mille ans d’histoire juive, et elle a exercé une profonde influence sur la vie juive dans le monde entier », p.645-646.
L’ouvrage décrit avec lucidité les racines du conflit israélo-arabe, qui oppose, pour la possession d’une même terre, deux mouvements nationaux irréductibles. Bien qu’il soit daté, son analyse des sources du conflit reste très pertinente, et continue à en éclairer la compréhension. Les courants qui aujourd’hui structurent le mouvement sioniste sont en revanche plus difficiles à déceler dans une œuvre écrite au début des années 1970 et qui s’achève le jour de la création d’Israël : le sionisme religieux, resté très minoritaire jusqu’à la Guerre des Six jours, n’occupe qu’une place marginale dans l’ouvrage (la figure du Rav Kook est à peine évoquée), comme les partis ultra-orthodoxes, hostiles au sionisme par vocation, qui se résignèrent à un compromis avec lui après la création de l’État et finirent par le rallier. L’audience ancienne et pourtant très significative du sionisme dans les communautés séfarades d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient est à peine évoquée. Il en est de même pour l’Alyah des Juifs du Yémen, pourtant contemporaine de la première Alyah ashkénaze, et qui apporta elle aussi une contribution déterminante à la construction du Yichouv
L’histoire du sionisme, depuis, n’a cessé de s’enrichir de nouveaux apports.