Note de lecture

Rédigée par Stéphane Gödicke

Antonio MUÑOZ MOLINA, Séfarade, Titre original : Sefarad, Traduit de l’espagnol par P. Bataillon, Éditions du Seuil, 2003.

Séfarade, c’est la patrie des exilés, des apatrides, des gens qui ont perdu leur pays, leur famille, ou leurs illusions dans le grand laminoir du XXème siècle. Dans ce récit, Antonio Muñoz Molina fait entendre la voix de dix-sept personnes « séfarades », non pas au sens usuel du terme, mais dans un sens très élargi. Ils ont en commun d’avoir perdu leurs illusions, d’avoir été chassés de leur pays ou de leur vie, d’avoir été persécutés. Certains de ces exilés sont connus, comme Primo Lévi, Jean Améry ou Milena Jesenská, d’autres le sont moins, comme Willi Münzenberg, et d’autres enfin sont anonymes, voire peut-être fictifs.
Ce qui les relie, c’est qu’ils sont tous des expulsés, des bannis, des persécutés. Au gré de dix-sept chapitres réunis par un jeu d’échos et tissés de motifs similaires, on suit les pas de Margarete Buber-Neumann dans le wagon qui l’emmène à Ravensbrück ou d’un soldat espagnol de la légion Azul en Estonie. On accompagne Willi Münzenberg dans ses pérégrinations, traqué à la fois par les fascistes et les sbires de Staline.
Car le destin est volage et se retourne vite. « Chacun peut devenir le Juif d’un autre », affirme l’auteur.
C’est avec un sentiment de profonde mélancolie qu’on suit le destin des persécutés du fascisme ou du stalinisme, des perdus, des exilés de leur vie, mais aussi avec une grande reconnaissance à l’auteur de nous faire découvrir ou redécouvrir ces gens, en nous restituant tout cela avec une profonde humanité.
Est-ce un roman ? Un recueil de nouvelles ? Une succession de récits ? Peu importe, puisque toutes les histoires sont reliées par un même thème et unies par un même style, des phrases amples et souples qui portent le lecteur comme des vagues. Il faut rendre hommage à la belle traduction de Philippe Bataillon.
On ne peut que recommander cette magnifique « encyclopédie de l’exil«  qui réunit la mémoire de tous les exilés.