120 ans !

De 1948 à la fin du XXème siècle (2/2)

par Marie – Laure Rebora

Anita SHAPIRA, Israel : A History, Traduit de l’hébreu par A. Berris, Waltham/Massachussets, Brandeis University Press, 2012.

Années de transformations :

De 1948 aux années 1960

Le vote de l’ONU

Un vote historique eut lieu le 29 novembre 1947 à l’assemblée générale de l’ONU qui entérina la fin du mandat britannique en Palestine et l’établissement d’un État juif.
Ce fut un soir de fête pour les Juifs partout en Palestine : ils inondèrent les rues des villes et des kibboutzime en chantant à tue-tête « David roi d’Israël vit pour toujours« , en agitant les drapeaux bleu et blanc avec leurs enfants. On entendit retentir le psaume Hallel dans les synagogues de tout Eretz Israel au milieu de la nuit afin de remercier le Créateur à l’annonce du vote décisif des Nations Unies.

Moshe Sharett, Abba Eban et David Hacohen /, New York/1947

Cette reconnaissance des nations avait été obtenu de haute lutte ! Elle venait après des années d’actions dangereuses comme celles menées par les organisations juives clandestines, notamment en faveur de l’immigration juive massive grâce à l’action du Hamossad Le’aliya Bet, organe de la Haganah. Immigration accentuée après la guerre par les pogroms auxquels furent confrontés… les Juifs qui avaient échappé à la mort dans des camps ; on connaît surtout en Pologne le pogrom de Kielce durant lequel 40 rescapés furent assassinés.
Des combats acharnés furent aussi livrés à l’intérieur du pays par les trois grandes organisations paramilitaires (Haganah, Irgoun et Le’hi), pour résister à l’occupant britannique !

Fin du Mandat britannique

Outre son opposition au retour des Juifs sur leur terre qui le rendait ennemi aux yeux des Juifs de Palestine et à ceux qui souhaitaient s’y installer, le Mandat britannique avait été perçu de manière d’autant plus négative que les maigres allocations qu’ils fournissaient pour la santé, l’éducation et le bien-être étaient principalement allouées aux Arabes.
Si bien que le Yichouv avait dû créer son propre système parallèle, grâce à l’immigration de cadres de la classe moyenne, lors de la quatrième ‘aliyah (1924-1929). Ceux-ci contribuèrent également à l’urbanisation de la Palestine autour de Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem. Mais son système éducatif était déjà extrêmement performant : entre 90 et 97% des enfants du Yichouv bénéficiaient de neuf années de scolarité contre quatre au maximum pour les enfants du système d’éducation arabe. Les services de santé étaient aussi très performants grâce à l’immigration des médecins juifs allemands hautement qualifiés de la cinquième ‘aliyah. Par ailleurs, les Britanniques n’appliquèrent jamais l’article 6 de leur déclaration de mandat qui stipulait l’établissement d’une zone dense de peuplement juif, de sorte que toutes les terres possédées par les Juifs furent acquises par eux à un prix élevé.

1948 – Année des miracles

Aux yeux du peuple juif, l’année 1948 apparut comme l’année des miracles et, dans l’esprit de l’immense majorité des Juifs, notamment ceux de Palestine, résonnait la phrase de ‘Hanoukah : נֵס גָּדוֹל הָיָה שָׁם /nesse gadol haya cham /un grand miracle eut lieu là-bas. Mais ce miracle n’était plus un miracle appartenant à l’histoire millénaire de leur peuple sur leur terre ; désormais, cette histoire, ils la vivent et l’écrivent « en direct » par le retour de la souveraineté juive sur Eretz Israel, avec l’approbation du concert des nations, suivant les prophéties bibliques. Contrairement aux attentes britanniques, aussi bien le bloc de l’Est que le bloc de l’Ouest votèrent pour l’établissement d’un État juif, les Soviétiques souhaitant ainsi saper le pouvoir britannique et hâter leur expulsion du Moyen-Orient.

Mais très vite, le nouvel État à peine reconnu par les nations du monde, proclamé par David Ben Gourion le 14 mai 1948/5 Iyar 5708, doit faire face à l’hostilité du monde arabe qui persiste à nier le droit du peuple juif à exister en souverain sur sa terre. En effet, le 30 novembre 1947, soit au lendemain même du vote de l’ONU, se produisent des violences arabes massives : au cours de « protestations » massives dans le nouveau centre commercial de Jérusalem, des Arabes déchaînés se livrent au pillage des magasins juifs. Depuis leurs villages, ils attaquent également les routes reliant les lieux de peuplement juifs entre eux, si bien que la seule route sûre est la route Tel Aviv-Haïfa. Quelque 250 Juifs sont ainsi assassinés, ce qui représente environ la moitié des Juifs tués durant les trois années de la révolte arabe de 1936-1939.

Guerre de souveraineté, guerre de libération

Voilà donc Israël contraint de mener une guerre dès ses débuts, la guerre d’Indépendance (1947-1949), restée dans les mémoires comme « la guerre de souveraineté ». David Ben Gourion l’avait nommée ainsi, car plus encore que d’indépendance, il s’agissait de parachever l’établissement de la souveraineté juive sur Eretz Israel.

Guerre d’indépendance. Sur la photo, des soldats de Tsahal défendent Katamon, à Jérusalem.

Pour les jeunes combattants du Palmach, cette guerre est une « guerre de libération », anticoloniale, menée par le peuple autochtone contre les occupants de sa terre en vue de se libérer d’un joug étranger. Cette longue guerre a duré de décembre 1947 à mars 1949. Elle fut menée par l’État hébreu pour son existence même, au cours de laquelle périrent 6 000 Israéliens (1% de la population juive) et qui vit la destruction complète et l’abandon de 14 villages juifs ainsi que la destruction et l’occupation de quelques autres.
Israël ne dut son succès qu’à la mobilisation totale du peuple juif, au sacrifice sans fin des combattants, au prix même de leur vie, pour leur terre et la terre de leurs pères : pour reprendre les mots de Ben Gourion dans son journal intime, « son avenir (l’avenir d’Israël) réside entre les mains des forces de sécurité », p. 169. De fait, fut mis en pratique l’esprit de l’ordre Tel ‘Haï, à savoir qu’aucun village ou lieu de peuplement juif ne devait être abandonné et que femmes et enfants ne devaient être évacués que sur ordre du commandement local, consignes qui furent généralement suivies à l’exception de quelques cas pressants. On dénombrait quelque 60 000 réfugiés juifs, les immeubles de Tel-Aviv étaient remplis de familles ayant dû quitter leur habitation. Certains Juifs aisés, saisis de peur, préférèrent quitter le pays pendant les combats, tandis que d’autres, fraîchement débarqués, suivant les mots écrits par la jeune Tzipporah Borowsky (Porath) à ses parents restés à New York, ressentirent « un sens très puissant d’appartenance à la terre et le fait d’être nécessaire et d’être demandé, un engagement dont on ne saurait se défaire » – témoignage cité par A. Shapira, p. 159.
Initialement, les Juifs se trouvent clairement en position d’infériorité et sur la défensive face aux armées des pays arabes environnants qui bombardent par ailleurs lourdement Jérusalem et Tel-Aviv ; les forces juives subissent de lourdes pertes, notamment dans le Goush Etzion où les convois envoyés depuis Jérusalem afin de porter secours aux habitants juifs assiégés ne parviennent pas à empêcher la chute tragique du bloc ; ils ne peuvent non plus s’opposer au massacre des habitants survivants à Kfar Etzion : ce crime fut, perpétré, dans des conditions atroces, par l’armée jordanienne et les Arabes des villages alentour, le 13 mai 1948, soit la veille de la proclamation de l’État d’Israël.
Mais rapidement, les forces juives prennent l’initiative d’offensives décisives qui leur permettent de prendre le dessus en peu de temps : en avril 1948, la première de ces offensives, l’opération Na’hchone, est lancée sur la route reliant Tel-Aviv à Jérusalem, ce qui permet à la Haganah de prendre et de détruire les villages arabes situés des deux côtés de la route. L’opération implique une brigade de 1 500 hommes armés grâce à des équipements militaires parvenus par voie aérienne de la Tchécoslovaquie, si bien que pour la première fois, chaque soldat est équipé de son arme personnelle : cette opération montre la professionnalisation des groupes combattants juifs en Palestine desquels émergera l’armée de défense d’Israël (Tsahal). Au cours de cette opération, les forces de la Haganah s’emparent de Ramla et surtout de Qastel, site stratégique surplombant la route de Tel-Aviv à Jérusalem, tuant par la même occasion le commandant terroriste arabe Abd al-Kader Al-Husseini. La Haganah met également fin aux violences perpétrées par les villageois arabes du Carmel aux portes de Haïfa, ville reprise par les forces juives, tandis que beaucoup de ses habitants arabes décident de partir d’eux-mêmes, malgré la visite de Golda Meir, dépêchée pour les persuader de rester. Ce choix des Arabes, qu’ils considèrent comme temporaire, le temps de la guerre, s’explique par l’assurance qu’ils avaient de gagner, de revenir, de récupérer leurs biens et, ayant réduit à néant la population juive de Palestine, de s’emparer de ceux des Juifs. 300 000 Arabes fuient ainsi délibérément avant le 15 mai 1948.
La période qui suivit, du 15 mai au 11 juin, communément appelée « le mois de combat », fut la plus difficile et la plus dangereuse de l’ensemble de la guerre, en raison de l’armement léger à disposition d’Israël, encore en attente des équipements américain et européen. Ce dénuement les rendait incapables de répondre efficacement aux bombardements et attaques aériennes. 1 600 Juifs furent tués au cours de cette période, soit un quart des victimes juives de la guerre. Les Syriens furent les premiers à être arrêtés grâce au sacrifice héroïque de nombreux habitants, de sorte que les combats se concentrèrent rapidement sur Jérusalem, assiégée par la Légion arabe du roi de Jordanie. Une bataille emblématique de ces combats, restée mythique dans la mémoire israélienne, fut la bataille de Latran, fort situé sur la route vers Jérusalem ; les villages arabes au sud de cette route furent pris par la Haganah et une route alternative vers la capitale juive fut ouverte, la route Burma, afin de transporter de l’équipement et des vivres dans la ville. Les kibboutzim du Néguev, essentiellement fondés en 1946, tinrent tête aux Égyptiens dont l’objectif étaient d’attaquer Jérusalem depuis les collines de Hébron, tandis que la brigade Guivati bloquait leur avancée vers Tel-Aviv. Les colonnes égyptiennes furent finalement bloquées au pont Ad Halom. Malheureusement, le quartier juif de la Vieille Ville de Jérusalem finit par tomber entre les mains de la Légion arabe le 29 mai. Michmar HaYardène, un mochav de la rive occidentale du Jourdain, fut conquis par les Syriens la veille du cessez-le-feu. Au total, treize villages juifs furent pris et détruits par les Arabes. Mais le tout nouvel État hébreu parvint à arrêter les trois armées d’invasion et, grâce à une suite d’opérations, à prendre le contrôle de la Galilée occidentale, Ramla, Lod et Nazareth. Les 50 000 habitants arabes de Lod et de Ramla, acquis aux idées de la Légion arabe qu’ils rejoignirent, furent expulsés, car il fut jugé dangereux pour la sécurité nationale de laisser une si forte concentration arabe près de l’axe Tel Aviv-Jérusalem. Sur ordre de l’armée, à partir de l’été 1948, afin d’empêcher le retour des Arabes hostiles à Israël et dont ils souhaitaient l’anéantissement, un certain nombre de villages arabes furent détruits et on usa de la force de dissuasion contre les habitants volontairement partis. Ces Arabes ne furent pas complètement absorbés par les pays arabes des alentours dont ils étaient originaires et dont ils grossirent les rangs contre l’État hébreu.
Le 15 octobre, l’opération Yoav, l’une des plus ardues de cette guerre, permit de briser les lignes égyptiennes et d’ouvrir une voie vers le Néguev. Le 21 octobre 1948, Tsahal avait repris Beer Sheva. Malgré quelques échecs précédemment, l’armée israélienne, nouvellement constituée, se montrait capable de battre une armée régulière. Fin octobre, Israël avait également récupéré la vallée de Jezréel et, à la fin de la guerre fin décembre 1948, Tsahal prit le contrôle de la péninsule du Sinaï. Le dernier objectif, la souveraineté sur le port d’Eilat, fut atteint le 10 mars 1949, à l’issue de l’opération à plus grande échelle accomplie au cours de la guerre d’Indépendance.
Tsahal émergeait désormais comme l’armée la plus forte de la région. Par ailleurs, Israël avait étendu ses frontières, n’étant pas tenu de respecter le plan de partition rejeté par les Arabes qui, de plus, avaient déclenché la guerre et l’avaient perdue ! Mais Ben Gourion, ne souhaitant pas provoquer les puissances occidentales, accepta des accords avec la Jordanie et la Syrie en vue d’éviter d’autres actions militaires.

Après la guerre de 1948/Carte établie par la BBC

Création du modèle démocratique israélien

Parallèlement à la guerre, 1948 et les années qui suivent voient également la création du modèle démocratique israélien, Israël étant la seule démocratie du Moyen-Orient. Il convient de rappeler qu’aucun transfert officiel de pouvoir n’a été effectué entre les autorités mandataires britanniques et le gouvernement juif en raison de l’opposition arabe. En avril 1948 sont constitués deux organismes fondamentaux : le conseil du peuple, parlement embryonnaire, et l’administration du peuple, gouvernement embryonnaire. Leurs membres font partie de l’Agence juive et sont élus par le Congrès sioniste, avec la participation des révisionnistes, de la Agoudate Yisrael et du parti communiste.
La démocratie israélienne repose sur les principes énoncés par la Déclaration d’Indépendance qui énonce la connexion éternelle du peuple juif à la Terre d’Israël et la reconnaissance internationale du droit des Juifs à leur terre, notre droit naturel et historique d’établir un État juif sur notre terre. Cet État est aussi défini comme démocratique, garantissant des droits sociaux et politiques à l’ensemble de ses citoyens, mais l’accent est mis sur le caractère juif de l’État et sur l’immigration juive qu’il favorise. Suivant l’avis du parti Mizra’hi qui déplorait un manque de références religieuses, à l’exception des prophètes d’Israël, la Déclaration d’Indépendance se conclut par une référence à la providence divine qui guide la destinée d’Israël : plaçant notre confiance dans le Rocher d’Israël. De surcroît, après la lecture de la Déclaration par David Ben Gourion, le Rav Yehuda Leib Fishman-Maimon récita la prière chéhé’hyanou en guise de remerciement au Créateur.


David Ben Gourion signe la Déclaration d’indépendance le 14 mai 1948 /Assis à côté de lui Rabbi Yehuda Leib Maimon /Photo Hans Pinn

La structure et l’idéologie politique en Israël se précisent également. Face au pouvoir des kibboutzim et de la Histadrout, des « corps intermédiaires », Ben Gourion définit la centralité de l’État et la primauté des intérêts nationaux sur les intérêts de groupes.
Le système parlementaire, avec une représentation proportionnelle, est adopté, car il convient le mieux à la pratique des congrès sionistes. La première élection de la Knesset se déroule le 25 janvier 1949 et inaugure un long règne travailliste, car, pendant quinze ans, c’est le Parti travailliste qui, obtenant 1/3 des sièges, formera tous les gouvernements israéliens. La Knesset ne ratifie aucune constitution mais des lois fondamentales, comme dans le système britannique.
Sur le modèle de la constitution américaine est créée une Cour suprême, inaugurée le 15 septembre 1948, qui dispose du pouvoir de déclarer anticonstitutionnelles les lois passées à la Knesset. Il est intéressant de relever que Ben Gourion était hostile à ce concept de la Cour Suprême, jugeant qu’elle outrepassait le désir de la majorité démocratique et restreignait les capacités de décision du gouvernement démocratiquement élu. Néanmoins, contrairement à la procédure actuelle qui remonte seulement à la réforme du juge Aharon Barak dans les années 1990, les juges de la Cour suprême, à ses débuts, étaient nommés par le système politique : la sélection se voulait équilibrée et représentative de toutes les forces politiques, comprenant des religieux et le centre laïc.
En outre, Ben Gourion introduisit l’arrangement du statu quo avec la Agoudate Yisrael le 29 novembre 1947, système encore appliqué de nos jours, qui régit la relation de l’État à la religion juive.

Il se construit autour de l’idée d’un respect pour le judaïsme et par la non-incitation de l’État à la profanation de la halakha/la Loi juive : le Sabbat est donc une journée publique de repos, respectée généralement dans les transports publics, les cuisines publiques, notamment à l’armée, dans les bureaux publics et les universités, répondent aux normes de la cacheroute. Il existe des écoles publiques religieuses autonomes mais reconnues par l’État qui comportent le socle commun des études profanes, tandis que des cours de Bible sont dispensés dans les écoles publiques laïques, les étudiants des écoles talmudiques non sionistes religieuses et les jeunes filles qui se déclarent religieuses sont exemptés de service militaire mais peuvent faire un service civique à la place.

Ben Gourion faisait montre de tolérance voire même de révérence à l’égard des partis religieux, non seulement par calcul (le Mizra’hi était membre de sa coalition), mais par conviction personnelle et question de principes, comme le souligne même Anita Shapira : Ben Gourion était attaché aux « traditions historiques », bien qu’il les considérât sans doute comme « dépassées ».

La Loi du Retour

La Déclaration d’Indépendance place également au centre des intérêts du nouvel État le droit des Juifs à retourner sur leur terre, faisant du retour des exilés (קיבוץ גלויות ֹ/Kibboutz Galouyote) son objectif principal, en réponse directe à la politique britannique de restriction massive de l’immigration juive en Palestine. Israël est défini comme l’État juif, la maison et la patrie de tous les Juifs. La célèbre Loi du retour est ainsi votée en juillet 1950 : elle juxtapose l’identité juive et l’immigration en Israël, garantissant à tout Juif le droit inconditionnel d’obtenir la nationalité israélienne au jour de son arrivée et de son installation en Israël, à moins d’avoir un casier judiciaire, des activités criminelles ou de mettre en danger la sécurité et le bien-être du peuple juif.
Se pose dès lors la question de savoir qui est Juif et peut donc bénéficier de ce droit inaliénable. Dans les années 1948-1951, au cœur des années d’immigration massive tout juste avant la renaissance d’Israël, aucune enquête sur la judéité des nouveaux arrivés n’était menée et leur seule déclaration suffisait comme preuve de leur identité juive ; ce n’est qu’en juillet 1958 que la question suscita de profonds débats au sein de la Knesset entre Ben Gourion, partisan d’une vision d’appartenance au peuple juif plus large que les seuls critères halakhiques et le Mafdal, les sionistes religieux, attachés à la Loi juive comme seul critère de judéité. Les ministres du Mafdal démissionnèrent même en signe de protestation, si bien que Ben Gourion décida de consulter cinquante sages juifs en Israël et en diaspora, majoritairement religieux, afin de recueillir leur avis, lequel satisfit complètement les sionistes religieux et religieux plus généralement. Ils décrétèrent en effet que seul un individu juif d’après la halakha, c’est-à-dire né de mère juive ou bien ayant accompli une conversion orthodoxe, conforme à la halakha, pouvait être considéré comme juif. Le ministère de l’Intérieur, chargé de ces questions, fut ainsi confié à un religieux qui mit en vigueur ces règles d’identification nécessaires. La Loi du retour connut un amendement en 1970, lequel précisa qu’un individu né d’une mère juive mais appartenant à une autre religion ne pouvait être reconnu par l’État d’Israël, comme juif et candidat à la ‘aliyah. On fermait ainsi la porte à une source de danger potentiel pour la majorité juive et le caractère juif de l’État. Mais les enfants et petits-enfants de Juifs, même seulement d’ascendance paternelle, furent inclus. Un autre thème associé à l’identité juive et qui souleva des débats dans les années 1960 fut l’établissement ou non d’un mariage civil, qui fut rejeté, le rabbinat d’Israël étant la seule autorité reconnue dans l’établissement des contrats de mariage et les seuls mariages reconnus, pour les Juifs ainsi que les non Juifs, étant les mariages religieux.
Ainsi, toutes les structures d’un État démocratique sont déjà sinon en place, du moins conçues et réfléchies avant même la proclamation de l’Indépendance. Un accord a été trouvé qui permet la stabilité des institutions. Cela ne diminue cependant en rien l’intensité des conflits politiques.

Tensions politiques : l’Affaire Altalena

Sur le plan des partis politiques, les tensions entre sionistes de gauche et sionistes révisionnistes, membres du Mapaï et de ‘Héroute, antérieures à cette période, se trouvent encore exacerbées en 1948 par l’affaire de l’Altalena : L’Irgoun, comme le Le’hi, avait rejoint la Haganah pour former Tsahal mais ses unités conservaient une certaine autonomie à Jérusalem ; ainsi l’Altalena – un navire de l’Irgoun transportant des armes et des immigrants-, était arrivé sur les rivages israéliens. Tout avait été préparé avant l’absorption de l’Irgoun dans Tsahal. Cependant, le gouvernement de Ben Gourion avait garanti à l’ONU qu’il n’importerait pas d’armes pendant le cessez-le-feu et comptait par ailleurs détourner le navire de Tel-Aviv vers Kfar Vitkin afin d’échapper à la vue des observateurs de l’ONU mais surtout dans l’espoir que la Haganah pût récupérer elle-même les armes.

Ce bateau que l’Irgoun utilisait pour importer clandestinement des armes, incendié par l’Armée de défense d’Israël le 22 juin 1948 sur ordre de David Ben Gourion./France Inter

L’Irgoun tenta de négocier afin que ses unités, principalement celles de Jérusalem, pussent recevoir les armes en priorité mais le gouvernement refusa de voir en l’organisation rivale de la Haganah un partenaire de négociation. S’ensuivirent des affrontements sur la plage de Kfar Vitkin qui entraînèrent des morts dans les deux camps, l’Altalena mit les voiles et s’échoua à Tel-Aviv à la vue de la presse mondiale. Mena’hem Begin, alors dirigeant de l’Irgoun, monta à bord du navire et, dans un appel à la radio, exhorta les membres de l’organisation à venir décharger les cargaisons de l’Altalena. Les anciens membres de l’Irgoun désertèrent alors Tsahal et se précipitèrent sur le rivage où de nouveaux affrontements eurent lieu. Yigal Allon, le commandant du Palmach, donna l’ordre d’arrêter à tout prix le déchargement des cargaisons si bien que des coups de canon furent tirés depuis le camp de Yona au nord de Tel-Aviv. L’Altalena, touché, se mit à brûler, beaucoup de membres de l’équipage furent tués ou gravement blessés et les membres de l’Irgoun furent forcés de se rendre. L’attitude de Begin fut, en ces circonstances, exemplaire : tandis que le navire partait en fumée, Begin demanda à ses hommes de cesser le combat afin d’empêcher une guerre civile, pensée qui lui était insupportable. A. Shapira, pourtant plutôt de parti-pris contre Begin, ses combats et ses valeurs, doit elle-même reconnaître qu’il apparaît alors « comme un dirigeant prêt à assumer sa responsabilité pour le bien-être de la nation dans son ensemble », p. 188. Si A. Shapira voit dans l’action de Ben Gourion et d’Allon la preuve de la souveraineté israélienne qui, pour imposer son exercice, n’hésite pas à recourir aux armes, dans l’esprit israélien, le sort de l’Altalena rappelle plutôt les ravages de la désunion et de la haine fratricide, atténués par l’action salvatrice de Begin.
Un autre épisode qui marqua une rupture entre le gouvernement et les révisionnistes fut l’assassinat, le 17 août 1948, du comte Folke Bernadotte, médiateur de l’ONU, par d’anciens membres du Le’hi : le gouvernement décida alors d’arrêter les membres du Le’hi et de l’Irgoun et ôta leur indépendance aux unités de l’Irgoun à Jérusalem. Parallèlement, Ben Gourion démantela le Palmach en septembre 1948.

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Les années d’immigration massive (1950-1960)

Les « Orientaux »

La fin des années 1940 et les années 1950-1960 restent également, dans la mémoire collective, comme des années d’immigration massive : aux Juifs européens rescapés des camps nazis succèdent les Juifs yéménites, arrivés en Israël en 1949-1950 grâce au pont aérien de l’opération Tapis volant, les dizaines de milliers de Juifs tunisiens, turcs et libyens qui s’entassent très vite dans les camps d’immigrants, dont le plus célèbre est Cha’ar Ha’Aliyah, aux portes de Haïfa.

Réfugiés juifs yéménites évacués vers Israël lors de l’opération Tapis volant (1949-1950).

Les problèmes de logements furent pour partie résolus en logeant 130 000 immigrants à Haïfa, Jaffa, Tibériade et Ramla ; leurs conditions de vie sont bien différentes des Juifs bulgares, par exemple, qui, arrivés quelques années plus tôt, sont installés dans des fermes dans le centre du pays, à proximité des lieux d’emploi et des écoles.
En mars 1950, ce sont de 30 000 à 40 000 Juifs irakiens, issus d’une communauté florissante et bien intégrée, qui rejoignent les nouveaux immigrants après l’annonce du gouvernement irakien que les Juifs pouvaient émigrer en Israël s’ils renonçaient à leur citoyenneté. Grâce à l’opération Ezra et Ne’hemia, c’est la quasi-totalité des Juifs irakiens qui monte en Israël, avec un fort esprit sioniste, sans tri des autorités israéliennes selon leur qualification ou leur état de santé, dans des circonstances difficiles, puisqu’en mars 1951, les Irakiens décident de confisquer les biens des Juifs, si bien que les dirigeants de la communauté, une fois en Israël, se retrouvent être des réfugiés sans le sou, sans parler des plus pauvres.
La situation dans les camps d’immigrants devenant vite intolérable, en raison du nombre d’immigrants excédant de loin les capacités d’accueil, les Israéliens se mettent à construire les célèbres ma’abarote/des camps de transit pour les nouveaux immigrants, dans les faits des cabanes en bois précaires, voire de simples tentes, pour chaque famille, sans eau courante ni électricité, avec des toilettes partagées, en attendant la construction de maisons permanentes. Fin 1951, ce sont 220 000 personnes qui vivent dans ces habitations insalubres.
Face aux difficultés d’absorption des nouvelles vagues d’immigrants, l’Agence juive introduit à partir de novembre 1951 une immigration sélective. Cette immigration massive de Juifs en provenance des pays arabes entraîne un changement de taille dans la composition de la population israélienne : en 1950, pour la première fois dans l’histoire du retour moderne des Juifs à Sion, la majorité des immigrants proviennent du monde arabe et non plus de l’Europe, comme les premiers pionniers du Yichouv. Par ailleurs, ces derniers sont les plus nombreux à endurer une vie rude : 62% des habitants des ma’abarote sont des Mizra’him/Orientaux, terme utilisé pour désigner aussi bien les Juifs orientaux que marocains sans distinction et qui, dans la bouche de beaucoup d’Israéliens ashkénazes, était connoté très péjorativement. Ces nouveaux arrivants se heurtent en effet très vite à des comportements racistes de la part de ceux qui, en qualité d’Israéliens de plus longue date, croient avoir fondé une « élite ashkénaze » à protéger à tout prix des gens ignorants et primitifs, qu’il est impossible de changer, pour reprendre les charmants qualificatifs prêtés par Aryeh Gelblum, journaliste à Haaretz, aux Juifs sépharades et orientaux, plus particulièrement aux Marocains, sa bête noire (p. 230-231).
Pour faire face au nombre d’immigrants et les répartir dans tout le pays, les autorités israéliennes adoptent le plan Sharon qui dirige les nouveaux immigrants vers Jérusalem, le corridor de Jérusalem et le Néguev avec la création de 500 nouveaux centres d’habitation ainsi que de villes de taille moyenne, les « villes de développement », telles que Or Yehuda près de Lod, Kiryate Shmona et Kiryate Shlomi en Galilée et Yeru’ham dans le Néguev. Israël reçoit un nouvel afflux de 70 000 Juifs marocains avec l’Opération Du bateau au village en 1954 et 1956 au moment de la fin du protectorat français sur le Maroc. Ces immigrants marocains sont envoyés en grand nombre dans le district de Lakhich, autour de Kiryate Gat, au nord du Néguev, ou encore à Ofakim, près de la bande de Gaza. Avec les immigrants yéménites et irakiens, ils peuplent aussi les quartiers populaires de Kerem haTeimanim près du marché Carmel de Tel-Aviv, Neve Tsedek et Neve Shalom à la périphérie de Jaffa ainsi que le quartier de Hatikvah au sud de Tel-Aviv.
L’adaptation à la société israélienne ne se fait pas sans heurts, d’autant plus lorsque les jeunes de la seconde génération, nés en Israël, ayant servi dans Tsahal, se heurtent au même racisme que leurs parents de la part de « l’élite ashkénaze ». Des émeutes de jeunes Marocains éclatent ainsi en 1959 dans le quartier de Wadi Salib à Haïfa, quartier où 30% des habitants étaient marocains. Mais, bien que les Marocains blâmassent « les Polonais », terme englobant tous les Ashkénazes, pour le plafond de verre auquel ils étaient confrontés dans leur quête d’une vie meilleure, ils ne cessèrent jamais de rester optimistes, patriotes et fidèles à l’État juif au développent duquel ils ne cessèrent d’œuvrer.
Par ailleurs, beaucoup finirent par s’assimiler au reste des Israéliens, certains subissant même une « ashkénazisation » (התאשכנזואיט /hitashkenazoute) en vue de faire oublier leurs origines jugées basses, car le propre d’Israël est bien d’être un « pot de טשאָלנט /tcholent » (p. 240) dans lequel langue, école et armée jouent un rôle unificateur.

Pot de Tcholent

Néanmoins, là aussi, les nouveaux immigrants, souvent plus religieux, à l’image des Yéménites, rencontrèrent une certaine hostilité de la part des éléments anti-religieux très présents notamment dans le système éducatif : des enfants furent ainsi mis de force dans des écoles non religieuses ; leurs enseignants travaillistes exigèrent qu’ils coupassent leurs pe’ote/papillotes et ne portassent plus la kippa, attitude perçue comme coercitive par les partis religieux qui en tinrent rigueur au Mapaï. Un compromis fut trouvé : les enfants yéménites furent éduqués seulement par des enseignants ayant des connaissances religieuses. Malgré l’arrogance d’une bonne partie des Israéliens à laquelle ces nouveaux arrivés furent confrontés, qui ne les voyaient pas forcément comme des frères revenus sur leur terre commune, leur intégration fut effective grâce au partage d’une même culture, de mêmes cérémonies de souvenirs pour les Juifs assassinés pendant la Shoah, les soldats tombés, les victimes civiles du terrorisme arabe, la célébration de l’Indépendance d’Israël qui unissaient tous les Juifs venus en Terre d’Israël, aussi différents fussent-ils.

Une décennie de guerres (1960-1970)

Bien que des confrontations régulières se soient produites entre Tsahal et l’armée égyptienne en bordure de Gaza et dans la péninsule du Sinaï au cours des années 50, lors de la campagne du Sinaï, les deux décennies suivantes sont véritablement marquées par deux guerres de survie majeures dans l’histoire d’Israël qui mirent à l’épreuve la capacité collective et nationale de résistance à l’adversité : la Guerre des Six Jours en 1967 et la guerre de Kippour en 1973. Dans les deux cas, il s’agit de guerres non voulues par Israël, qui le prennent par surprise et lui imposent de lourds combats.

1967

Le 15 mai 1967 (5 Iyar 5727), au cours de la parade annuelle à Jérusalem en l’honneur de Yom Ha’Atsmaoute /Jour de l’Indépendance, Yitzhak Rabin, alors chef de l’état-major, tout juste informé de la catastrophe, fait passer une note au Premier ministre Levi Eshkol : les unités égyptiennes sont entrées dans le Sinaï. Les trois semaines qui suivent sont une longue période d’attente, les autorités israéliennes croient encore en une possible réponse diplomatique ou une opération militaire de petite envergure. Mais les Arabes ne l’entendent pas ainsi : le 23 mai, Nasser bloque les détroits, se présentant comme le cavalier du panarabisme qui éradiquera Israël et les Juifs. Dans toutes les rues de par le monde arabe retentissent alors des cris de ralliement à Nasser et des chants de haine exigeant de lui, sans aucune ambiguïté, de « jeter tous les Juifs à la mer ».

Le 30 mai, le roi Hussein de Jordanie signe un pacte de défense mutuelle avec Nasser, plaçant son armée sous le contrôle de l’Égypte et permettant à l’armée irakienne de traverser son territoire. Israël se retrouve alors seul face à l’ensemble des pays arabes : de Gaulle, ayant opté pour une politique pro-arabe, décide d’un embargo sur les armes vendues à Israël et les États-Unis tâchent avant tout d’empêcher Israël d’attaquer.
Les seuls alliés du jeune État sont les Juifs du monde entier qui, entendant du matin au soir la presse arabe vociférer des menaces d’extermination totale, ont à l’esprit le risque réel d’une nouvelle Shoah, cette fois en Terre d’Israël. On pense aux mots terribles du Rav Abraham Joshua Heschel : « Y aura-t-il un autre Auschwitz, un autre Dachau, un autre Treblinka ? ». La mobilisation des Juifs de la diaspora fut donc exceptionnelle, comme jamais depuis 1948. La guerre des Six-Jours est la guerre la plus courte et la plus remarquable, jusqu’à ce jour, pour ses succès et son bilan humain : Israël, parti en guerre pour son existence même, finit les combats avec le contrôle entier sur la bande de Gaza, la péninsule du Sinaï et le canal de Suez, comme le soulignent les célèbres photographies de soldats israéliens s’y baignant, parues dans la presse américaine. En seulement trois heures, l’armée de l’air israélienne détruisit les forces égyptiennes : cette victoire aérienne fut décisive pour le reste de la guerre. Du côté du front jordanien, l’armée jordanienne bombarda Jérusalem ; Israël fit savoir au roi que si les Jordaniens cessaient les bombardements, Israël serait prêt à un armistice mais, comme ils intensifièrent leurs frappes, visant même la base aérienne de Ramat David, les Israéliens ripostèrent, assurant d’abord l’accès au Mont Scopus, enclave israélienne en territoire occupé par la Jordanie depuis 1948, puis élargissant leurs opérations à l’ensemble des quartiers est de Jérusalem et à la Judée-Samarie, tombées aux mains des Jordaniens en 1948. L’ONU exigea un cessez-le-feu mais ce dernier fut refusé par les Arabes. Finalement, l’armée israélienne prit aussi possession du Golan, après des combats qui ne durèrent que deux jours ! Israël était véritablement devenu une puissance régionale. L’idée du Grand Israël, vœu que les frontières inachevées de 48 soient finalement complètes, portée par la droite de Mena’hem Begin et les kibboutznikim du parti HaKibboutz Hameou’had (le kibboutz uni) mené par Yitzhak Tabenkin portait ses fruits : la reconquête de Jérusalem, priorité de Begin, entré dans le gouvernement d’union comme ministre sans portefeuille, et d’Yigal Allon, pour des raisons non seulement politiques mais historiques et émotionnelles, se réalisait sous les yeux des légendaires parachutistes qui, bien que n’étant pas religieux pour beaucoup, se trouvaient à pleurer au Kotel et sur le Mont du Temple, saisis d’un élan mystique, à l’annonce bien connue de Har haBaïte beyadeinou /le Mont du Temple est entre nos mains. Les prophéties bibliquesse réalisaient et ils avaient le privilège d’en être les témoins et les acteurs.

Réjouissances devant le Kotel/Jérusalem/1967

Néanmoins, en vue de conclure des accords de paix avec leurs voisins arabes, les autorités israéliennes se prononcèrent en faveur du retrait du Sinaï et du Golan, sans inclure Jérusalem et la Judée-Samarie, mais les Arabes refusèrent pour le simple motif que la reconnaissance de l’État d’Israël, nécessaire à toute négociation entre deux parties, leur était insupportable. La résolution 242 du conseil sécuritaire de l’ONU, souvent citée à tort dans la presse, votée le 22 novembre 1967 exigeant d’Israël le retrait des « territoires occupés » et des Arabes l’arrêt immédiat de leur état de guerre permanent contre Israël ainsi que le respect de la souveraineté de l’État juif et de son droit à vivre en paix au sein de frontières reconnues et sûres fut pareillement rejetée par tous les États arabes, ce qui la rendit de fait caduque et inapplicable.
La victoire jugée miraculeuse d’Israël ainsi que ses exploits militaires hors normes furent célébrés à travers le monde par les Juifs ainsi que des non Juifs. Elle suscita une ‘aliyah de dizaines de milliers de Juifs en provenance des pays occidentaux, émigration motivée par l’élan messianique de cette guerre au cours de laquelle le peuple juif avait renoué avec son histoire et ses origines profondes par le retour à Jérusalem réunifiée et en Judée-Samarie, où se situent l’essentiel des lieux historiques juifs (le Mur dit des Lamentations, le caveau des patriarches, les tombeaux de Rachel et de Joseph par exemple).
Après 1967 se développe en URSS le mouvement des « Juifs du silence », la revendication de l’identité juive et l’enseignement de l’hébreu et des fondements du judaïsme étant interdits par le régime soviétique ; c’est le début du long combat public des Juifs soviétiques pour obtenir le droit d’immigrer en Israël. Cette lutte héroïque commence par la création de groupes secrets d’étude de l’hébreu, de la tradition juive et de l’histoire du peuple juif afin de renforcer la conscience nationale juive.

Près de 400.000 Juifs ­quittèrent l’URSS au cours des années 1970.Ici, une arrivée à l’aéroport Ben-Gourion/Photographie de . Israel Simionsky

Par ailleurs, haut symbole de la résilience israélienne, le Gouch Etzion est rebâti par des fils et des filles des survivants des massacres arabes de 1948. La Knesset passe une loi reconnaissant la réunification de Jérusalem et, en 1981, le plateau du Golan est officiellement soumis à la loi israélienne. Moshe Dayan, le chef d’état-major, apparaît comme la grande figure de la guerre des Six-Jours, admirée tant en Israël qu’à l’étranger ; sa photographie apparaît sur les magazines du monde entier.

Moshe Dayan Ministre de la Défense durant la Guerre des Six jours

Mais, afin d’assurer, selon lui, le contrôle israélien sur les zones plus densément peuplées d’Arabes en Judée-Samarie par des intérêts économiques, c’est lui qui est à l’origine de la rupture avec l’idéologie du travail juif prônée par le Yichouv, car il fait venir des dizaines de milliers de travailleurs arabes de Gaza (sous contrôle égyptien entre 1948 et 1967) et de Judée-Samarie sur les chantiers d’Israël.
Partout en Israël et parmi les Juifs de la diaspora, l’heure est à l’euphorie après 1967 : plus encore qu’après 1948, se dessine la figure de l’Israélien comme étant le Juif fort et fier, pour reprendre les mots qu’adressa à sa petite amie Ofer Feniger, tué au cours de la bataille des parachutistes pour reprendre Jérusalem (p. 313), un Juif sans peur, plein de bravoure, qui ne craint pas la défaite bien qu’en infériorité numérique flagrante face à la multitude des voisins arabes et à la férocité de leurs menaces d’extermination totale, toujours prêt à se battre pour défendre son pays, quitte à sacrifier sa vie. L’ethos israélien s’est véritablement formé, endurci par des décennies d’épreuves. Le symbole le plus emblématique en est le succès que connaît la légendaire chanson de Naomi Shemer, chantée par Shuli Natan, Yerushalayim chel zahav/Jérusalem d’or/ ירושלים של זהב, chanson commissionnée avant la guerre par le maire de Jérusalem, Teddy Kollek et qui, rappelant le lien immémorial unissant le peuple juif à sa capitale éternelle, fiancée en désolation attendant son fiancé, revêtit des accents prophétiques lors de la victoire fulgurante d’Israël et fut entonnée en chœur par les parachutistes au pied du Kotel.
Le retour progressif d’Israël sur ses frontières bibliques, processus opéré grâce à la guerre des Six-Jours, se traduit également par une plus grande pénétration des idées sionistes religieuses au sein de la société israélienne, grâce au rayonnement de la Yechivate Merkaz haRav, yechiva historique du Rav Kook, alors dirigée par son fils, le Rav Zvi Yehuda Kook, guide spirituel et dirigeant de la jeunesse sioniste-religieuse. Ainsi, plusieurs soldats interviewés par Avraham Shapira (qui trouve leurs propos « choquants » !) expriment leur intime conviction, partagée par beaucoup, que les jours de la rédemption messianique (Guéoulah/Délivrance finale) sont à portée de main et que les événements inédits du retour dans Jérusalem réunifiée et d’autres parties d’Eretz Israel marquent « l’aube de la rédemption » et l’action indéniable de la main de Dieu dans cette révélation du dessin divin. Cette profonde aspiration nationaliste et messianique est à l’origine de la création du Gouch Emounime/Bloc des fidèles, fondé entre autres par Hanan Porat, qui y joua un rôle de premier plan. En septembre 1967, un manifeste est également publié par le Mouvement pour le Grand Israël qui se prononce pour l’intégrité de la Terre d’Israël et énonce qu’aucun gouvernement israélien n’a le droit de mettre en péril cette intégrité par des cessions de territoire : Nous sommes tenus par loyauté à l’intégrité de notre pays. Ce manifeste est d’autant plus intéressant et fait d’autant plus sensation que tous les signataires sont des figures intellectuelles de premier plan, liées à la création de l’État et, pour beaucoup, à la vieille génération travailliste des kibboutzime : on retrouve ainsi les noms d’Uri Zvi Greenberg, Chai Agnon, Chaïm Gouri, Moshe Shamir, ancien membre d’Hachomer Hatsa’ir, sans parler de l’initiateur du manifeste qui n’est autre que Nathan Alterman, le grand poète du Yichouv, qui s’attirera par là à jamais les foudres de la gauche israélienne.
Un autre personnage essentiel du mouvement est Yigal Allon, du Kibboutz Hameou’had, qui préconise le concept de frontières défendables, les frontières de la ligne verte n’étant précisément pas sûres pour l’avenir d’Israël.

Il convient donc d’établir un contrôle israélien sur le Golan, la vallée du Jourdain, la zone de Rafah, le sud du mont Hébron, ainsi qu’une présence juive sur ces territoires qui, selon Yigal Allon, doivent être maintenus même après des accords de paix. C’est ainsi qu’est créé le plan Allon qui sert de base, jusqu’en 1977, à la réinstallation d’anciens villages juifs et à la création de nouveaux en Judée-Samarie. Des avant-postes de l’unité Na’hal sont établis sur le Golan, dans la vallée du Jourdain et la zone de Rafah, aux côtés d’installations civiles, la ville de Yamit est fondée, au nord de la péninsule du Sinaï (elle sera évacuée après la cession du territoire à l’Égypte en 1979), le retour dans le Gouch Etsion est entériné ainsi que la création de deux nouveaux et vastes quartiers à l’est de Jérusalem : Guilo et Ramote. Les tout premiers groupes installés sont des kibboutzim et mochavim non religieux, mais bientôt s’y ajoutent des Juifs religieux, comme ceux qui, conduits par le Rav Moshe Levinger, célébrèrent la Pâque à Hébron et refusèrent de quitter la ville sainte. Soutenus par des avocats politiques du Gahal (successeur de ‘Herout, qui donnera ensuite naissance au Likoud), du Mizra’hi mais aussi du Mapaï, ils restent dans la ville et constituent le premier noyau dur de Juifs œuvrant pour le retour à Hébron après le pogrom sanglant de 1929. Le succès du Gouch Emounime et sa grande importance dans la société israélienne s’expliquent par la force mentale et l’esprit de résistance persévérante de ses membres dans une société parfois déboussolée ainsi que par la continuité du modèle de peuplement d’Eretz Israel qu’il promeut, en dehors de la ferveur religieuse et de la stricte observance des lois qui lui sont propres, dans la droite lignée des mouvements des premiers pionniers travaillistes avec lesquels il partage le même franc-parler et la même démarche directe dans ses actions. Ceci explique sans doute son succès parmi la « vieille garde » des pionniers.
Parallèlement, les Israéliens doivent faire face à l’intensification des attaques de terroristes organisées par l’OLP (Organisation de libération de la Palestine, créée en 1964 au sommet arabe du Caire), dirigée par Yasser Arafat, dont la plus célèbre est la prise d’otage et le massacre des athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972. Pour y faire face, Tsahal mène des opérations dans les villages qui abritent des terroristes de l’OLP, notamment en Jordanie, comme l’opération Karameh en mars 1968 dans un petit village jordanien qui abritait le QG d’Arafat, protégé par l’armée jordanienne que les soldats israéliens doivent affronter. Les villages juifs de la vallée de Beit Che’an se retrouvent ainsi à devoir faire face à des bombardements massifs en provenance de Jordanie, pendant des années. Mais c’est aussi à cette époque qu’émerge en Israël un groupe radical à gauche qui, s’il est extrêmement minoritaire, peut compter sur les médias, le Matzpen qui regroupe des Israéliens remettant en cause la légitimité même de leur État qui, selon eux, se fonderait sur une « injustice envers les Palestiniens ». Leurs héros sont Che Guevara, Fidel Castro et Ho-Chi Minh et ils identifient les « Palestiniens » à « un peuple opprimé combattant l’impérialisme occidental ». Dans la même veine, Ya’akov Rotblit compose le « Chant pour la paix » qui, interdit par le commandant central de Tsahal, devient l’hymne du mouvement pacifiste israélien. Toutefois, ces idées restent très marginales au sein de la société israélienne qui approuve la politique du gouvernement et est prête à se battre pour son pays dans des guerres qui sont imposées à Israël pour son existence même.

1973

Le 6 octobre 1973, c’est une autre guerre qui éclate tandis que, partout en Israël, les sirènes retentissent. Cette guerre changea le regard que les Israéliens portaient à leur pays : ils se sentaient en parfaite sécurité, grâce à leur armée invincible, auréolée de la gloire de 1967. Malheureusement, nul ne s’attendait à une attaque d’une telle ampleur, car de 1970 à 1973, la frontière israélo-égyptienne fut parfaitement calme. Certes, les Égyptiens déployèrent des SAMS le long du canal, ce qui suggérait des intentions belligérantes, mais l’état-major de l’armée israélienne estima que ce n’était pas là le signe de préparatifs en vue d’une attaque ou que c’étaient les préparatifs d’une simple attaque que les forces régulières de l’armée pourraient facilement contenir, l’armée égyptienne étant bien inférieure à Tsahal. En avril 1973, les Égyptiens firent des entraînements, ce qui mit l’armée israélienne en état d’alerte ; il s’avéra par la suite qu’il s’agissait de faire diversion afin d’attaquer plus efficacement le jour de Kippour, sans éveiller les soupçons. Malgré l’arrivée massive de forces égyptiennes le long du canal de Suez et syriennes le long du Golan, les services secrets maintinrent leurs estimations d’une « guerre peu probable ». Lorsque le cabinet se réunit le vendredi avant Kippour, après des informations annonçant une guerre dès le lendemain à six heures de l’après-midi (l’attaque eut lieu, dans les faits, à deux heures de l’après-midi), le chef d’état-major demanda la mise en œuvre d’une action aérienne préventive mais le cabinet refusa.

Guerre de Kippour/ Au centre : Ariel Sharon/ et Moshe Dayan/1973

Un nombre limité de réservistes furent néanmoins appelés et une brigade armée additionnelle fut aussi déplacée vers le Golan. Ces quelques mesures ne suffirent toutefois pas à empêcher la catastrophe du 6 octobre 1973 : Israël dut faire face à un nombre de victimes sans précédent (au moins 2 300 morts dans les premiers jours), 300 prisonniers et une perte de contrôle au sein des plus hautes sphères militaires en raison de fortes dissensions entre les généraux, notamment entre Shmuel Gonen, chef du commandement du Sud, qui manquait de discernement tactique et son prédécesseur et désormais subordonné Ariel Sharon qui, refusant d’obéir aux ordres, dirigeait lui-même les opérations de ses divisions. Lacontre-offensive israélienne du 8 octobre sur le front sud, fondée sur des informations non vérifiées des services secrets, fut sans doute le moment le plus difficile de la guerre, car elle provoqua la destruction de tanks, d’avions et la disparition de pilotes. Golda Meir, premier ministre d’Israël, s’adressa au Président Nixon qui accepta de fournir un équipement militaire aérien à l’État juif, tandis que les pays européens lui refusent tout soutien. Les contre-offensives des 11 et 14 octobre sont, quant à elles, couronnées de succès : sur le front nord, Tsahal se retrouve aux portes de Damas tandis qu’au sud, les troupes israéliennes franchissent le canal et parviennent au Caire. Le 17 octobre, les États arabes annoncent un embargo du pétrole en forme de protestation à la victoire israélienne éclatante ; les prix du pétrole ne cessent de monter dans le monde.

Accords de paix

Sous les auspices du secrétaire d’État américain Henry Kissinger, un accord est signé le 18 janvier 1974 à Genève entre Israël et l’Égypte, premier pas selon lui vers d’autres accords de paix entre Israël et les pays arabes : sont conclus un échange de prisonniers, la fin du blocus égyptien du détroit de Bab-el-Mandeb et le retrait d’Israël de l’ouest du canal.
Le 31 mai 1974 est signé un accord entre Israël et la Syrie : la Syrie réduit ses forces à la frontière, tandis qu’Israël se retire de la ville fantôme de Kuneitra. Bien que la guerre s’achève sur une victoire clairement israélienne, la confiance en les dirigeants de l’armée et le Mapaï n’en sort pas indemne : la guerre éclate au moment de la campagne électorale, les élections sont donc repoussées en décembre 1973 et voient une avancée significative du Gahal et des autres partis de droite, mais le Mapaï reste au gouvernement grâce à une coalition avec les sionistes religieux, et ce malgré l’opposition du Gouch Emounime, hostile aux accords avec l’Égypte et la Syrie promus par les travaillistes. La commission indépendante Agranat, présidée par la Cour suprême, prononce la culpabilité du chef d’état-major, du chef des renseignements militaires et du chef du commandement du sud, mais elle innocente le commandement civil. Cependant, face aux manifestations massives, Golda Meir finit par démissionner le 11 avril 1974 ; cela traduit un changement profond dans la société, car, moins de trente ans plus tôt, il aurait été inconcevable que Ben Gourion démissionne après la guerre d’Indépendance. C’est Yitzhak Rabin qui prend sa place. Mais, en décembre 1976, le premier avion F-15 arrive en Israël, accueilli par une cérémonie nationale, un vendredi après-midi ; la cérémonie se prolongeant, le gouvernement ainsi que l’état-major se retrouvent à profaner le Sabbat, ce qui conduit les partis ultra-orthodoxes à proposer, avec succès, une motion de censure. De nouvelles élections sont alors annoncées pour le 17 mai 1977 : elles entraînent la fin de l’hégémonie travailliste avec l’arrivée en tête du Likoud (44 sièges contre 32 pour les travaillistes) et l’élection de Mena’hem Begin.

Mena’hem Begin premier ministre : la fin de l’hégémonie travailliste

L’arrivée au pouvoir en 1977 de Mena’hem Begin, avocat et ancien chef de l’Irgoun, marque un tournant définitif dans l’histoire du pays, car, pour la première fois, la droite, volontairement tenue à l’écart par l’establishment travailliste, est à la manœuvre ; Ben Gourion méprisait tellement Begin qu’il parlait de lui comme de « l’homme assis près du Dr. Bader », en référence à sa place dans la Knesset. Il dirige à présent le pays. Encore de nos jours, l’expression utilisée par beaucoup au sein de la gauche israélienne pour désigner la victoire démocratique de Begin est le mahapakhe/bouleversement, mot employé par le journaliste Chaïm Yavin sur la chaîne 1, tout juste après les élections.

Menahem Begin

Le style de Begin constitue, il est vrai, une nouveauté : lors de la cérémonie officielle d’intronisation, il porte un costume, contrairement aux vêtements volontairement plus négligés de ses prédécesseurs, ainsi que la kippa, il entonne une bénédiction, et remercie sa femme, ses enfants et petits-enfants pour leur soutien sans faille. Par ailleurs, il reste fidèle à ses idées de l’Irgoun et continue de mentionner le territoire historique d’Israël sur les deux rives du Jourdain, prônant « l’intégrité de la patrie ». Il visite ainsi les habitants juifs d’Elone Moreh, en Samarie, prédisant qu’« il y aura beaucoup d’autres Elone Moreh » et affichant son soutien à la présence juive en Judée-Samarie. Il se prononce systématiquement contre l’emploi du terme « territoires occupés » ou « contrôlés », arguant de l’héritage immémorial du peuple juif. Son élection traduit non seulement la fin du statut d’éternel opposant de la droite israélienne mais aussi la fin de la marginalisation politique et sociale des vétérans de l’Irgoun et du Le’hi qui, pendant toutes ces années, s’étaient vus refuser par le Ministère de la Défense des pensions et allocations comparables à ceux de la Haganah, discrimination rapportée par Anita Shapira.
Sa victoire montre également les changements qui s’opèrent dans la société israélienne post-Kippour, de plus en plus attachée aux traditions religieuses, ainsi que l’émergence des Mizra’him, nombreux à faire entendre leur voix à travers le vote Likoud, que beaucoup, à gauche, désignent par l’onomatopée offensante de « Tchachtchachime » à l’origine réservée aux Marocains mais élargie aux électeurs de Begin). De fait, c’est avec les sionistes religieux et l’Agoudate Yisrael qu’il forme sa coalition (les libéraux progressistes du Dash les rejoindront plus tard), une coalition tout aussi historique que sa victoire, puisque c’est la première fois depuis 1952 qu’une coalition comprend des membres ultra-orthodoxes. Cela correspond à la personnalité de Mena’hem Begin qui revendique son observance des traditions juives, suscitant sympathie et respect pour la religion juive, souvent décriée comme « dépassée » par les hommes politiques laïques ; ainsi, Begin n’hésite pas à recourir à des versets bibliques dans ses discours qu’il conclut par la formule be’ezrat Hachem/par l’aide de Dieu, suivant l’usage orthodoxe.
Il ne parle jamais des « Israéliens » comme d’un groupe détaché, moderne, nouveau, ainsi que les décrivent les tenants de la gauche israélienne, mais bien des « Juifs ». De cette manière, il met l’accent sur le caractère juif de l’État et de la majorité de ses habitants dont il montre la continuité historique, Israël étant haï des nations du monde, de même qu’Esaü déteste Israël dans la pensée juive, pour reprendre des discours de Begin. Acceptant les requêtes de ses partenaires ultra-orthodoxes, Begin est également à l’origine de la fin des vols d’El Al, la compagnie aérienne nationale, le jour du Sabbat, ainsi que de l’augmentation des allocations pour les yeshivote et d’un élargissement du nombre de leurs étudiants exemptés du service militaire. Cet intérêt qu’il accorde, dans sa politique, au judaïsme et au monde de la Torah lui vient sans doute de ses origines : contrairement à ce que son physique et son comportement plein de houtzpa/de toupet pourraient laisser penser, Begin n’est pas un sabra/Juif né en Israël mais un Juif polonais dont toute la famille fut exterminée dans les camps de la mort. Il ressent donc les menaces d’annihilation du peuple juif de manière particulière et, contrairement à ses prédécesseurs, il rappelle sans cesse les horreurs de la Shoah afin de montrer la pertinence des opérations d’Israël contre ses ennemis, comme Arafat qu’il nomme « le nouvel Hitler ». Begin est ainsi le premier à placer la Shoah au centre du discours israélien, alors que ce passé d’oppression était volontairement refoulé dans les déclarations nationales.
Begin reste également associé à deux actions majeures : tout d’abord, l’accueil de réfugiés vietnamiens, rejetés de toute part, entre 1977 et 1979, en souvenir des réfugiés juifs refusés dans les ports américains et européens à la fin des années 30, mais surtout les accords de Camp David signés le 17 septembre 1978 avec le président égyptien Anouar el-Sadate, sous les auspices des États-Unis, qui aboutissent au retrait d’Israël de la péninsule du Sinaï et la zone de Rafah, sous la condition qu’elle soit une zone partiellement démilitarisée, sous contrôle égyptien.

Begin,Carter et Sadate à Camp David/1978

En échange, l’Égypte devient le premier État arabe à normaliser ses relations avec Israël et ouvre le canal de Suez aux navires israéliens. Néanmoins, Begin accepte cette concession avec le cœur lourd, d’autant plus qu’il reçoit beaucoup de critiques au sein de son propre camp, car il revient sur le principe de Tel ‘Haï, le principe de Trumpeldor, cher au camp du Grand Israël, à savoir que l’on ne donne pas ce qui a déjà été construit. Malgré tout, en l’absence d’alternative, les députés sionistes religieux finissent par voter en faveur des accords qui sont ratifiés par la Knesset. Mais Begin ne change pas sa ligne concernant la Judée-Samarie et le plan d’Ariel Sharon, en appui au Gouch Emounime, concernant les installations juives au cœur de zones peuplées par des Arabes depuis 1948 est mis en vigueur. Sur le plan économique, en octobre 1977, le ministre des Finances, Simcha Ehrlich, introduit un nouveau plan qui entame la libéralisation de l’économie israélienne, auparavant régie selon un modèle socialiste : pour la première fois, les citoyens israéliens peuvent disposer de monnaies étrangères et d’un compte en banque à l’étranger, ils peuvent également voyager à l’étranger sans payer de taxes. Mais la demande en hausse pour la consommation de biens entraîne une inflation qui bondit de 42,8% à 132,9%. Le successeur d’Ehrlich, Yigal Horowitz, est à l’origine de la plus grande mesure économique pour le pays en réponse à l’inflation : il remplace la lire, monnaie héritée du mandat britannique, par le nouveau shekel.

La Guerre du Liban

Lors de la décennie suivante, la première guerre du Liban domine la situation politique et nationale : Israël soutient des milices phalangistes chrétiennes au Sud-Liban et doit faire face à des bombardements massifs des musulmans chiites du Liban contre la ville de Kiryat Shmona, si bien que les habitants de Galilée sont évacués. Le gouvernement décide alors d’une « guerre de choix », offensive, et Tsahal entre dans Beyrouth en août 1982. L’objectif d’Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, est de créer un nouvel ordre politique au Liban en faisant élire Bashir Gemayel, l’un des chefs chrétiens, au poste de président afin que le Liban soit le second État arabe à signer un accord de paix avec Israël, après avoir évacué les terroristes de l’OLP et leurs familles qui se sont installés sur le territoire libanais vers la Jordanie. Malheureusement, Gemayel est assassiné le 15 septembre 1982, Tsahal entre dans la partie ouest de Beyrouth pour prévenir des actes de vengeance mais les phalangistes commettent le massacre d’Arabes palestiniens dans les camps de Sabra et de Shatila en représailles des massacres commis par les chiites et leurs alliés de l’OLP. L’OLP se retire à Tunis, tandis que, dans le même temps, les chiites progressent au Liban par le biais du Hezbollah, organisation terroriste mondialement reconnue. Un traité de paix est conclu entre Israël et Amin Gemayel, frère de Bachir, élu président en mai 1983, mais il est immédiatement renversé par les Syriens, alliés des chiites. Israël débute son retrait progressif du Liban à partir de septembre 1983 jusqu’à 1985 ; le retrait du Sud-Liban est acté en 2000. La guerre, gagnée incontestablement par Israël sur le plan militaire, aura coûté la vie à 670 soldats israéliens contre 18 000 terroristes arabes.

Mais l’opinion internationale, ainsi que certaines organisations de gauche en Israël telles que Yesh Gvul /Il y a une limite et La paix maintenant qui incitent à la désertion de l’armée israélienne en pleine guerre du Liban, s’en prennent injustement à Israël, jugé seul responsable du massacre, ce qui suscitera une phrase mémorable de la part de Mena’hem Begin : « Des non-Juifs tuent d’autres non-Juifs et puis on blâme les Juifs ! » Une commission d’État, la commission Kahane, est créée pour enquêter sur les responsabilités dans le massacre ; elle déclare les phalangistes responsables, tandis qu’Ariel Sharon est indirectement responsable. Mais cela n’empêche pas la démission de Sharon à son poste de ministre de la Défense (il devient ministre sans portfolio) et, le 28 août 1983, la démission de Begin lui-même.

Les années 1980

Religieux vs anti-religieux
Sur le plan social, les années 1980 connaissent aussi de profonds changements parallèles en Israël qui vont dans deux sens complètement contradictoires. D’un côté, on constate le retour aux traditions religieuses de bon nombre d’Israéliens, notamment de ceux ayant des origines orientales, qui s’accompagne d’un mouvement plus général de techouva/retour à la pratique religieuse, grâce au Mizrachi Repentance Movement ou au Tnoua’te haTechouva/mouvement de retour, qui associent un mode de vie orthodoxe à une pensée sioniste religieuse ainsi que de la constitution de partis qui portent leurs revendications pour la société israélienne. Citons le Tami (Tnu’at Masoret Yisrael, mouvement pour l’héritage d’Israël) en 1981 qui devient le Shass/Hita’hdut HaSefaradim Ha’olamite Chomré Torah/Union mondiale des sépharades respectueux de la Torah en 1984.

En arrière plan, affiche du Shass représentant le Rav Obadia Yossef, inspirateur du parti Shass

Ce parti, fondé sur l’autorité de rabbins et de directeurs de yechivote, regroupe Juifs sépharades ultra-orthodoxes et même non religieux autour d’une identité commune, d’un statut social plutôt modeste, voire défavorisé, et d’une loyauté sans faille au rayonnement de la Torah, associant pratique religieuse, éveil religieux et sionisme contre la sécularisation et les risques de l’éloignement, voire de la perte, de l’identité juive, même en Israël.
Mais, de l’autre côté, une bonne partie de l’élite, principalement ashkénaze, renforce ses positions hostiles à la religion juive qu’elle perçoit comme « coercitive et antilibérale » et adopte un mode de pensée « progressiste » venu principalement des États-Unis : on retrouve cette position au sein de la Cour suprême qui augmente peu à peu ses prérogatives, autorisant par exemple la diffusion d’émissions de télévision le soir du Sabbat, déclarant l’avant-poste d’Elon Moreh « illégal et à évacuer en urgence » ou encore cessant d’approuver automatiquement les pétitions de l’armée concernant les détentions administratives de terroristes et allant même jusqu’à donner le droit à des résidents arabes, non citoyens de l’État d’Israël, de lui faire appel. Cela apparaît très clairement dans l’affaire du bus n°300 en 1986 à propos des terroristes interrogés puis tués par le Shin Bet ; sur ordre du procureur général et de la Cour suprême, Yitzhak Shamir, premier ministre, le député Shimon Peres et le ministre de la défense Yitzhak Rabin doivent comparaître, le procureur général est finalement forcé de démissionner. Auparavant, dans des cas similaires, il était directement licencié. Comme le reconnaît Anita Shapira elle-même, « la Cour suprême prit sur elle une ligne d’activisme judiciaire qui allait à l’encontre des usages précédemment établis dans le système judiciaire israélien », p. 404. Jusqu’aux années 80, elle n’était ainsi autorisée qu’à interpréter les lois dans le cadre des précédents judiciaires en conservant la lettre de la loi, à partir des années 1980, ses interprétations sont systématiquement nourries par « ce que les juges considéraient comme des valeurs normatives en Israël en tant qu’État juif et démocratique », p. 404. Sous l’influence américaine de ses membres qui ont essentiellement étudié dans les grandes universités américaines, la Cour suprême se mue donc en organisme activiste mû par un agenda libéral (p. 405) qui cherche à modeler le caractère et les valeurs mêmes de l’État, prenant le contrôle des décisions des pouvoirs exécutif et législatif.
Cette idéologie sert de base à la « révolution législative » (p. 405) promue quelques années plus tard par le juge Aharon Barak, président de la Cour suprême de 1995 à 2006, dont le mot d’ordre était : Tout est justiciable, laissant bien entendre l’expansion du domaine de compétence de la Cour. On voit donc se développer un ethos de provenance américaine, mais propre aux valeurs du libéralisme occidental, qui place l’individualisme au-dessus de l’intérêt collectif, même si, dans leur immense majorité, les Israéliens placent toujours la famille, la nation et la tradition au-dessus de leur intérêt particulier, d’après les sondages de l’époque.

Les années 1990-2000 

L’ère des négociations de paix

La décennie qui suit s’ouvre sur l’affrontement de ces deux grands camps face à une situation où violence et terrorisme sont quotidiens. En effet, la première intifada – traduite par Anita Shapira comme une « protestation massive »/mass rioting, sans précision sur le caractère violent et terroriste de l’intifada qui s’en prend à des civils ayant le « malheur » d’être israéliens-, éclate à partir de décembre 1987 : le Hamas, organisation terroriste fondée par le cheikh Ahmed Yassin à Gaza et dans les villes arabes de Judée-Samarie, présentée comme disposant d’ « un grand nombre d’organisations caritatives » par l’historienne (on peut être surpris par sa naïveté ou son aveuglement), apparaît alors comme un acteur-clé, aux côtés de l’OLP d’Arafat avec laquelle elle est en concurrence mais dont elle partage la haine d’Israël et des Juifs. Les deux organisations emploient également le même mode opératoire : ils mettent en avant des femmes et des enfants armés de pierres et de cocktails Molotov, faisant des civils de véritables combattants de leurs organisations. Ils bénéficient aussi du soutien d’Arabes israéliens qui transfèrent des fonds pour l’intifada via des banques israéliennes et aussi de Saddam Hussein qui, depuis l’Irak, lance des missiles sur Tel-Aviv ! L’armée israélienne, sous la direction de Rabin, intervient durement et efficacement par l’arrestation des terroristes, leur expulsion du sol national et la démolition de leurs maisons. Si cela suscite les critiques des organisations de la gauche radicale comme Yech Gvoul qui appelle de nouveau à la désertion, la majorité de la population approuve la ligne dure du gouvernement Shamir, dans la continuité de Begin, d’autant plus que le plan d’Arafat est on ne peut plus clair : en 1988, il se dit ainsi prêt à accepter une résolution de l’ONU mais comme un premier pas servant à la conquête de toute la Palestine du mandat britannique…
Mais la position de Shamir (« pas de territoire en échange pour la paix mais la paix en échange de la paix ») n’est pas celle que maintient son ancien ministre de la Défense, élu Premier ministre car auréolé des opérations militaires précédemment menées qui lui donnent le rôle du « M. Sécurité » israélien. Il se lança immédiatement dans un processus de paix aux conséquences pour le moins controversées : dès 1993, sont signés les accords de « reconnaissance mutuelle » d’Oslo avec Arafat, actant l’établissement d’une Autorité palestinienne autonome, mais, en réalité, Arafat exerça une très forte pression afin d’amender les clauses en sa faveur et il parut à la cérémonie officielle avec son keffieh qui, le souligne l’historienne, trahissait son idée d’une lutte armée.

Poignée de main historique lors de la signature des Accords d’Oslo sur la pelouse de la Maison-Blanche, le 13 septembre 1993 : encouragé par Bill Clinton, Yasser Arafat tend la main vers Yitzhak Rabin, qui la saisit après une brève hésitation. /Source Wikipedia

En mai 1994, un accord sur le sort de Jéricho fut signé, donnant cette cité entièrement à la nouvelle autorité, c’est-à-dire à l’OLP ; des membres du cabinet israélien de sécurité allèrent jusqu’à proposer l’évacuation des habitants juifs d’Hébron, mais Rabin refusa par peur de la droite qu’il accusa par ailleurs de « craindre la paix et ses effets ». Oslo n’acta pas du tout la paix tant espérée par la gauche : dès avril 1994 commença une nouvelle vague d’attentats-suicides dans l’ensemble du pays, ce qui affecta grandement la croyance des Israéliens dans la politique de paix de Rabin, mais beaucoup dans la gauche israélienne considérèrent les victimes comme « des victimes pour la paix », sans remettre en cause la politique menée. Les membres du Gouch Emounime manifestèrent contre Oslo, mais furent traités comme des « colons fanatiques » par Rabin lui-même, assassiné par un extrémiste le 4 novembre 1995, assassinat qui fut condamné par tous les bords politiques.
Le processus de paix entamé par Rabin se poursuit à partir de 1999 par l’action d’Ehud Barak, lui aussi ancien chef d’état-major devenu premier ministre, qui se présente véritablement comme le successeur de Rabin. Souhaitant un « grand geste » pour l’accord final, il acte le retrait unilatéral du Sud-Liban le 24 mai 2000, sans discussions préalables, ce qui apparaît comme une victoire pour le Hezbollah. Il se déclare en outre prêt à céder 92% de la Judée-Samarie, la bande de Gaza et le contrôle de la vallée du Jourdain ainsi que les quartiers à l’est de Jérusalem, les quartiers musulman et chrétien de la Vieille Ville et le Mont du Temple à l’Autorité palestinienne, mais ce n’était pas assez aux yeux d’Arafat. Ce dernier adopte la même attitude à Camp David, exigeant sans cesse davantage au fur et à mesure que Barak proposait des concessions, indiquant clairement qu’il n’était nullement intéressé par la paix. De fait, l’ascension sur le Mont du Temple d’Ariel Sharon le 28 septembre 2000, tout à fait prévue et coordonnée, se trouve vite brandie comme prétexte pour justifier le déclenchement de la seconde intifada en octobre, en Galilée et à Jaffa, zones où vivent un grand nombre d’Arabes sur le sol israélien. Le 12 octobre, deux réservistes israéliens égarés sont amenés au commissariat de police de Ramallah, lynchés et démembrés par la foule déchaînée ainsi que par des policiers de l’Autorité palestinienne qui jettent les organes par les fenêtres du commissariat, l’un d’eux exhibant fièrement ses mains rouges de sang. Mais la recherche de la paix à tout prix et l’idée selon laquelle nous n’avons pas fait assez continuent à mener les dirigeants israéliens : Ariel Sharon, élu après la dissolution de la Knesset en février 2001, allant tout à fait à contre-pied de son programme et de son personnage favorable à la présence juive en Judée-Samarie, ordonne aux soldats de mettre en œuvre le désengagement unilatéral en 2005 de la bande de Gaza ainsi que du nord de la Samarie.

Soldate en service de garde dans un abri à Shelach, dans la colonie de Nahal dans le Néguev/1956/Source Wikipedia

Un regard critique sur l’ouvrage

Rétrospectivement, Anita Shapira manifeste un enthousiasme débordant face à ces mesures… qui, loin d’avoir fait l’unanimité au sein du peuple, expulsèrent des familles entières de leurs maisons, en firent des réfugiés dans leur propre pays et eurent, pour le moins, des conséquences fâcheuses. Pourtant, elle prétend toujours que « l’idée des deux États pour deux nations, taboue dans les années 90, est à présent épousée par la majorité du public israélien », p. 448. Il est légitime de s’interroger sur la pertinence de ce credo.

C’est pourquoi il paraît essentiel, dans un dernier temps, d’avertir le lecteur, afin qu’il puisse se faire une idée, selon ses opinions, que le regard de l’historienne dans ce livre ne se veut pas véritablement objectif mais conforme à une certaine vision de l’histoire d’Israël, qui est celle de la gauche israélienne et de ses engagements, qui correspond à ses prises de position dans les débats actuels.
Plusieurs éléments qui vont à l’encontre d’une histoire objective et neutre méritent ainsi d’être relevés. Tout d’abord, le point de vue travailliste se trouve unilatéralement adopté dans le récit du meurtre d’Arlosoroff et Anita Shapira semble convaincue, suivant l’opinion de Ben Gourion, de la culpabilité des membres du parti révisionniste, pourtant doublement acquittés par le tribunal britannique, qui ne leur était pas favorable, et par la commission indépendante sous Begin. Elle ne mentionne pas, par ailleurs, les interventions pourtant décisives du Rav Kook et du Rav Natan Mileikowsky, grand-père de l’actuel Premier ministre Binyamin Netanyahu, en faveur des deux accusés.
De manière générale, elle fait preuve d’une hostilité non dissimulée pour le monde sioniste religieux, dont les membres sont tous présentés comme des fanatiques messianiques, surtout après la victoire de la Guerre des Six-Jours, et qui apparaît plusieurs fois caricaturé sous sa plume, comme lorsqu’elle affirme que les fondateurs du « Gouch Emounime font preuve d’une haine des Arabes et d’une totale indifférence à l’égard de leur situation critique et qu’ils rejettent la foi humaniste en l’existence d’un terrain d’entente entre Juifs et non Juifs », p. 316. Plus loin, elle poursuit en disant que le « Gouch Emounime ignore la réalité au profit d’une vérité plus haute » (p. 343), mais, en revanche, parle du « courage incroyable » (p. 444) d’Ehud Barak à propos de toutes les concessions qu’il était prêt à faire en faveur d’Arafat. Comme si cela n’allait pas à l’encontre de la réalité vécue par les Israéliens au début des années 2000.
Les ‘haredime, pourtant nombreux en Israël, paraissent dans son livre se limiter à la période pré-étatique et à Shas en toute fin d’ouvrage ; quelle que soit la position de chacun sur la société orthodoxe, force est de constater qu’elle a connu de remarquables évolutions depuis la période mandataire et fait bel et bien partie d’Israël, son poids ne faisant qu’augmenter ; elle mériterait  donc mieux que quelques lignes disséminées en deux endroits du livre.
Les mêmes jugements de valeur accompagnent les passages consacrés à Mena’hem Begin et à ses électeurs, systématiquement présentés comme haineux et violents envers la gauche, tandis que l’utilisation de termes offensants à l’égard des électeurs de Begin devient un geste « stupide » (p. 376), sans plus. Même si elle lui reconnaît parfois quelque valeur, Begin est présenté comme le dirigeant d’un gouvernement d’extrême-droite qui, aux dépens du pays et des habitants, « commença à actualiser la vieille vision du monde qu’il avait avant son arrivée au pouvoir » (p. 378), une vision extrémiste à en croire l’historienne. Ben Gourion, par comparaison, échappe à presque toute critique. Quelles que soient les opinions politiques personnelles de chacun, ces remarques ne sont sans doute pas pertinentes dans le cadre d’un ouvrage d’histoire.
Mais un point paraît plus grave et sujet à contestation. L’historienne reconnue et considérée comme spécialiste du sionisme recourt à une terminologie biaisée, sans fondement juridique ni historique et précisément hostile au sujet du livre, l’État d’Israël, mais très employée, il est vrai, par la presse internationale. Sans aucune note de bas de page, les Arabes habitant en Palestine, où vivaient aussi des communautés juives, au cours de la période mandataire deviennent brusquement des « Palestiniens », tandis que le bon sens veut qu’il s’agisse d’Arabes palestiniens, de même qu’il y avait des Juifs palestiniens, comme elle appelait les deux groupes en début de livre. Faut-il rappeler que le terme de « Palestiniens » appliqué aux Arabes est une invention récente d’Arafat, car, auparavant, comme le démontrent les cartes géographiques et postales ainsi que les récits de voyages, par défaut le terme « palestinien » était appliqué aux Juifs, dont les origines sont bien établies en Palestine ?
De plus, Anita Shapira cautionne la vision « progressiste » des « deux narratifs », des « deux nations » et des « deux camps », les plaçant systématiquement sur un pied d’égalité : elle remet en cause l’appellation par les soldats de la Haganah de la Guerre d’Indépendance comme d’une « guerre de libération », arguant que « c’était une guerre entre deux peuples aspirant au contrôle sur le même morceau de terre » (p. 156), comme si les revendications et l’ancrage des uns et des autres se valaient.
Elle reprend également, sans réserve, le mythe arabe de la « nakba » pour évoquer la création de l’État d’Israël. Plus loin, les terroristes de l’OLP font de la « résistance », terme employé sans guillemets (p. 320), deviennent des « combattants palestiniens » (p. 383) et le Hamas compte des « activistes palestiniens » (p. 416). Autre fait perturbant : la Judée-Samarie, suivant le code des médias, est toujours présentée comme « la Cisjordanie occupée », « les territoires occupés/contrôlés/annexés », des termes qui sont loin d’être neutres et révèlent le point de vue arabe ; le terme « Judée-Samarie » n’intervient que dans les passages consacrés à Begin et aux sionistes religieux et elle précise bien le refus du Premier ministre d’employer les autres termes afin de consolider le lien des Juifs depuis des temps immémoriaux (p. 360), comme s’il s’agissait seulement d’une tactique politique. Or, comme l’a bien montré l’avocate britannique en droit international Natasha Hausdorff, parler de « territoires occupés ou contrôlés ou annexés » est une aberration sur le plan historique et juridique actuel, non seulement biblique, car aucune autre entité politique et territoriale unanimement reconnue n’a exercé sa juridiction sur la région si ce n’est l’État d’Israël. Si l’on veut absolument être neutre, la seule appellation correcte serait « territoires contestés », mais sûrement pas occupés, car un État n’occupe pas des territoires placés sous sa juridiction. Ces imprécisions lexicales regrettables méritaient d’être portées à la connaissance du lecteur.

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Cependant l’ouvrage offre un panorama complet de l’histoire d’Israël ; il constitue, à ce titre, une ressource précieuse pour qui souhaite avoir une vision large du processus de renaissance de l’État hébreu et des faits qu’il a accomplis durant une soixantaine d’années.