Après…

par Janka Kaempfer-Louis


Mikolaj GRYNBERG 
Ocaleni z XX wieku/Sauvés du XXe siècle, Varsovie, Éditions Świat Książki, 2012.
Oskarzam Auszwitz, opowiesci rodzinne/J’accuse Auschwitz : Récits familiaux, Wolyniec, Éditions Czarne, 2014.
Ksiega wyjscia/Le livre de la sortie, Wolyniec, Éditions Czarne, 2018.


Ils vivent à New York, Washington, Tel Aviv, Varsovie. Ils sont juifs et polonais. Nés entre en 1949 et 1970, ils ont un point commun : leur origine ; ils sont les descendants de survivants de la Shoah. Tous, ils ont vécu dans un climat familial bien particulier. Pour la plupart, leurs parents n’évoquaient jamais leur passé. Dans leurs maisons, le silence pesait telle une chape de plomb décourageant toute tentative de questionnement. 
Mikolaj Grynberg, juif et polonais lui aussi, est allé à leur rencontre et les a fait parler ; sa tâche n’a pas été facile. Car si certains lui ont ouvert leur porte sans hésiter, il lui a fallu convaincre les réticents, ceux qui avaient appris à cacher leurs émotions, parfois même au sein de leur propre foyer ; désarmer leurs réticences et obtenir leur confiance ! Mais ces efforts furent couronnés de succès. Il en est résulté un recueil d’entretiens constitué une trentaine de récits, délivrés dans la douleur, parfois bouleversants, toujours émouvants et rassemblés sous le titre de J’accuse Auschwitz (2014).
Avec Sauvés du XXème siècle (2012) son ouvrage précédent, et Le Livre de la sortie (2018) qui le suit, J’accuse Auschwitz, est devenu, même si l’ auteur ne l’avait pas conçu au départ, comme un ensemble, une trilogie qui permet de pénétrer dans l’univers mental des Juifs polonais sur plusieurs générations : soit de victimes survivantes de la Shoah, soit de leurs descendants, enfants ou petits-enfants de rescapés. De cet ensemble cohérent se dégagent une histoire commune, suivant la ligne des générations qui va de la Pologne durant la Shoah jusqu’à nos jours.
Le trauma de la Shoah se perpétue, avec son cortège de souffrances qui passent d’une génération à la suivante…

Le parcours de Mikolaj Grynberg

En Pologne, 400 000 mille Juifs – sur plus de trois millions – ont survécu aux chambres à gaz et autres atrocités de la Shoah. Nombre d’entre eux ont fondé un foyer. Mikolaj, né en 1966, est issu d’une telle famille.

Mikolaj Grynberg

Ses parents, Marian et Daniela, ont vu le jour en 1940 et ne devaient donc pas avoir beaucoup de souvenirs directs. Mais sa grand-mère maternelle a survécu à Auschwitz et ses récits ponctuaient l’enfance de son petit-fils. À l’époque, en Pologne, les grands-parents vivaient toujours avec leurs enfants et petits-enfants. Et c’est par eux que passait la transmission de l’histoire familiale. Pour le meilleur et pour le pire…
C’est après le décès de sa grand-mère que son petit-fils a décidé d’aller interroger les descendants des rescapés. Comme si – il le reconnaît lui-même – sa disparition avait laissé un manque qu’il lui fallait combler.
Il est possible que la clairvoyance de Grynberg sur sa propre situation lui vienne, en grande partie, de son père qui, contrairement à bien d’autres, a eu le courage d’évoquer en public le passé de sa famille pendant la guerre. Professeur de physique à l’Université de Varsovie, c’est en s’adressant à ses nombreux étudiants, en leur lançant « un appel du survivant », que Marian Grynberg a raconté ce que sa famille a enduré pendant la guerre.
Voici le récit du père : Zygmunt, le grand-père de Mikolaj, était médecin. Avec son épouse, il a pu s’échapper du ghetto de Varsovie en 1942. Marian avait alors deux ans. Sous un faux nom, ils se sont rendus à Izabelin, un petit village situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Varsovie. Et ils ont commencé à faire le tour des maisons. Ils cherchaient un abri. Ce fut une recherche exténuante, personne n’avait de chambre à leur proposer.
Finalement, une femme, Klara Neugebauer, a accepté de les loger dans son garage.
Ce local possédait un poêle mais l’hiver de 1944-1945 était particulièrement froid, la température descendant jusqu’à moins vingt degrés. Pour sortir de leur habitation, les Grynberg devaient casser la glace de la porte avec une hache.
Klara Neugebauer était membre de l’Église protestante. Un jour, elle dit au père de Marian qu’il ressemblait à un médecin juif du quartier de Wola (Varsovie), à cette différence près que le docteur était un homme cultivé et pas un « plouc comme lui ». Les Grynberg en ont été mortifiés par cette remarque mais ils ne pouvaient pas s’en aller car ils craignaient d’être dénoncés.
À la Libération, lorsque les Grynberg quittaient les lieux, Klara leur avoua qu’elle avait reconnu le docteur Grynberg dès le premier jour car, avant la guerre, son mari était son patient. Son intention, lorsqu’elle l’avait traité de « plouc », était, par une délicatesse -si l’on peut dire- mal comprise, de le rassurer en lui faisant comprendre qu’on ne l’avait pas reconnu ou identifié comme juif…
Marian n’a jamais retrouvé la trace de Klara.
Il s’est livré à cette déclaration publique en 2009, au moment où Mikolaj était en train de recueillir des témoignages. Au point qu’on peut se demander qui, du père et du fils, a entraîné l’autre.

Descendre de survivants

Les descendants de ces survivants ont fini par reconstituer, tant bien que mal, la narration de leur passé familial, en dépit des terribles bouleversements vécus par les leurs. Mais le propos de J’accuse Auschwitz n’est pas de reconstituer historiquement leur histoire. De nombreux historiens, à l’aide de témoignages, ont déjà, accompli ce travail.

Ce qui intéresse l’auteur, au-delà même des souvenirs de la Shoah, c’est l’impact que ces « non-dits » ou « peu-dits » ont eu sur l’enfance de ses interlocuteurs. C’est l’ambiance particulière dans laquelle ont grandi des êtres, qui, écrasés par le poids du secret, avaient forcément le sentiment (insupportable pour un enfant), d’être différents, à part.
La plupart n’ont jamais connu leurs proches : ils n’ont eu ni oncles, ni tantes ni grands-parents. Dans le meilleur des cas, ils devaient se contenter d’une parentèle de substitution. Leur développement affectif a souffert de ce vide qui les entourait et dont les séquelles sont nombreuses.

Un intérêt vif mais récent

Il faut bien sûr rappeler que, dans les années de l’après-guerre, aider les rescapés des camps à panser leurs plaies était le dernier souci de la société polonaise ; et il en était de même partout ailleurs en Europe. Cette période a été une phase de reconstruction, économique et sociale. Les souvenirs douloureux et les blessures de l’âme ne faisaient pas partie du programme de redressement entrepris par les nations européennes. Bien au contraire, il fallait tourner la page. Personne alors ne soupçonnait les conséquences à long terme que pouvait avoir un climat familial délétère sur le psychisme des enfants de rescapés.
Le syndrome du survivant, qui exprime la culpabilité d’avoir survécu quand d’autres ont été assassinés, a été identifié, qualifié et décrit dès les années 1960 par le psychanalyste américain originaire de Prusse orientale, William Guglielmo Niederland. Cependant, l’intérêt porté à ceux qu’on appelle désormais « la deuxième génération » a tardé à se manifester. Ainsi par exemple, en Israël, l’association Amcha, qui apporte un soutien psychologique aux descendants des « survivants de l’Holocauste » n’a vu le jour qu’en 1999. De même, parmi diverses publications sur ce thème, pour se borner à la France, on note que ce n’est qu’en 1993 qu’est publié le premier travail d’envergure traitant de ce sujet, Enfants de survivants de l’ethnopsychiatre Nathalie Zajde.

Depuis, des travaux dans divers domaines du savoir (psychologie, histoire, sociologie, littérature…) se sont multipliés pour décrire, analyser, comprendre les répercussions du trauma dans la « seconde génération ».

Confidences « fraternelles »

Cependant, les entretiens rassemblés dans J’accuse Auschwitz (2014) sont singuliers ; ils ne ressemblent ni aux interviews de journalistes classiques ni aux entretiens menés dans le cadre d’enquêtes sociologiques traditionnelles. Ici, il y a très peu de distance et aucune froideur. Le tutoiement est d’ailleurs de mise et il indique d’emblée une proximité tout à fait exceptionnelle.
On imagine que c’est la combinaison de sa formation de psychologue et de photographe-portraitiste qui a donné à l’auteur une faculté d’observation et d’écoute hors normes. Son empathie est évidente et il maîtrise parfaitement l’art de poser les questions difficiles. Il sait aborder ses interlocuteurs avec tact et délicatesse mais n’hésite pas pour autant à recourir à une certaine brusquerie qui n’est jamais gratuite car il la manie à bon escient.
Ces entretiens ne sont pas « objectifs ». Grynberg ne se cache pas derrière un statut social et il ne camoufle pas ses sentiments personnels. S’il est plus jeune que la plupart de ses interlocuteurs, il n’en est pas moins, lui aussi, un descendant des survivants. Leurs propos trouvent donc chez lui une résonance intime et, loin de la gommer, il l’assume et en tire parti. Alors, pour mener à bien son projet, il accepte de payer de sa personne.

Lorsque ses propres souvenirs font écho aux propos des hommes et des femmes qu’il interroge, il les évoque sans réticence. Et il le dit clairement : « Ce qui nous lie, c’est le fait que nous sommes juifs et que nous ne devions pas exister puisque déjà nos parents n’auraient pas dû être là. Ce qui nous lie aussi, ce sont nos maisons placées à l’ombre d’un grand deuil. La tristesse en faisait inéluctablement partie, souvent hors de la sphère du langage parlé ».
Fort de ce lien qu’il ressent profondément, l’interviewer se transforme en interviewé et parvient à instaurer un véritable dialogue C’est aussi à ce prix-là que s’obtient la confiance : on ne peut recevoir sans donner. Certains interlocuteurs sont explicites. Comme Towa qui dit : « Je te parle parce que tu comprends ce que je te dis même lorsque je ne le dis pas. Tu comprends ? » Ou Doron et son frère Roger qui affirment : « Tu es notre frère ».
Liés par cette sorte de fraternité, les « enfants » peuvent se confier, parler plus librement  de leurs parents, de leur commun héritage du malheur. Ainsi, Towa, née en 1964 en Pologne et qui vit en Israël, livre un souvenir familial à propos de sa mère : « Elle a passé la guerre à Auschwitz, à Bergen-Belsen, Gross-Rozen, Mauthausen. Il est plus facile de dire où elle n’a pas vécu. Aujourd’hui, c’est un jour spécial – le 15 avril. C’était le jour où ma mère allumait une bougie à la maison. Elle disait que c’était l’anniversaire de la journée la plus difficile de son existence. Celle de la libération de Bergen-Belsen. Étrange, n’est-ce pas ? (…).
Tout le monde pense que la libération, c’est le bonheur. Ils ont raison mais la libération, c’est aussi le jour où tu réalises que tu es seul et que ton monde n’existe plus. Il n’y a plus rien ni personne. Et toi, tu vis. Pendant la guerre, tu vis dans l’espoir et puis… il n’y a plus d’espoir. » p.86

Grâce à cette approche singulière, les lecteurs découvrent, en filigrane, en même temps que les confidences qu’il recueille, les émotions et les blessures intimes de l’écrivain.

En affinité avec ses « sujets »

Cet ouvrage prolonge, en quelque sorte, un précédent travail qu’il avait publié, en 2012, sous le titre de Sauvés du XXème siècle. Ce recueil de conversations menées en Israël contient des souvenirs authentiques évoqués par vingt-cinq personnes âgées, dont plusieurs couples, qui ont survécu à la Shoah et quitté la Pologne dans l’immédiat après-guerre. L’objectif de l’auteur est clair : « Je voudrais que les paroles des personnes avec qui j’ai conversé soient non seulement un témoignage mais aussi un contre-poids aux nombreux textes savants concernant la Shoah. Je ne conteste pas la nécessité des travaux scientifiques et d’une méthodologie rigoureuse. Mais j’estime que rien n’est plus fort qu’une transmission directe. Pour moi, élevé parmi les Rescapés, elle est primordiale ».

Awiva et Maïmon dit « Poldek », en Israël

Mais n’interroge pas les survivants qui veut ;  À chaque rencontre, Grynberg est soumis à un test qui n’a rien d’anodin. Ses intentions, l’histoire de sa famille dans les moindres détails, sa connaissance du yiddish et de l’hébreu, tout est passé au crible par des personnes extrêmement perspicaces et à qui leur passé a appris la méfiance et la prudence. Cela se comprend : cette posture leur a probablement sauvé la vie.
Ce n’est qu’après la réussite de l’examen de passage que Mikolaj Grynberg peut enfin entrer en l’action. Mais là encore, rien n’est gagné d’avance. Seule une sincérité absolue de sa part – constamment mise à l’épreuve – lui permet d’atteindre son objectif.
Quant aux faits racontés, ils sont souvent, on s’en doute, difficiles à entendre. Des propos d’une grande intensité dramatique aussi… comme celui que tient Poldek Maïmon, compagnon de Abba Kovner, un des fameux « Vengeurs », résolus après la guerre à faire payer à l’Allemagne ses crimes : « Voyez-vous, nous le faisions pour que l’on sache qu’on ne verse pas le sang juif impunément. Nous voulions tuer six millions d’Allemands. Pour moi, il était très important de partir en Palestine mais cela était plus important encore. Nous ne pouvions pas partir avant d’avoir pris notre revanche. Sur chaque mur que je longeais, je voyais l’inscription : « Juifs, vengez-vous ». », p.32.

Szimek Lustgarten (à droite) et Yehuda Wasserman – Maimon (dit « Poldek »), Membres de la section polonaise du Bne Akiva de Cracovie. Ils sont en route vers la Palestine/Prague/ 1946

Mais dans tous ses échanges, le sens de l’humour, parfois noir ou grinçant, ne fait jamais défaut. C’est un genre d’esprit spécifique, proche parent de l’humour juif new-yorkais, paradoxal, grinçant et frôlant une forme de cynisme. On le sait bien – l’autodérision est un mécanisme de défense et les rescapés la maîtrisent à la perfection.
Tous ces entretiens s’expriment dans une langue polonaise désuète qui ne manque ni de  charme ni d’élégance. Grynberg a eu l’intelligence de ne pas y toucher et de nous la transmettre telle quelle. Transposés dans une langue contemporaine, ces récits auraient, à coup sûr, perdu de leur authenticité.

La suite

Après la sortie de J’accuse Auschwitz, Grynberg n’envisageait pas de revenir à la forme documentaire : il avait décidé de passer à la fiction. Mais sa passion pour les témoignages le rattrape et en mars 2018, il publie le Le Livre de la sortie. La date de parution de ce recueil d’entretiens n’est ni fortuite ni anodine.
Elle est commémorative du cinquantième anniversaire des événements de mars 1968, lorsqu’à la suite d’une campagne antisémite, orchestrée par le régime communiste, plus de 20 000 Polonais d’origine juive ont dû quitter le pays.

Meeting de soutien au Parti, organisé le 20 mars 1968 à l’Aciérie Lénine à Cracovie/Sur la plus grande pancarte on lit : « Les sionistes en Israël ! » i-e « qu’ils partent en Israël »/Sur la pancarte de gauche : « Les ouvriers ne pardonneront pas aux provocateurs et aux fauteurs de troubles»/Photographie Agence PAP

Au départ du livre, il y a eu les ateliers du Jewish Community Center animés par Grynberg. Il s’agissait d’un travail de mémoire destiné à sauvegarder des récits oubliés avant la disparition de leurs protagonistes. Les participants s’engageaient à faire preuve de curiosité, de patience et d’ouverture d’esprit. Plus de quatre-vingts personnes y ont participé. L’écrivain en a tiré vingt-sept entretiens, dont le compte-rendu des conversations qu’il a eu avec son propre père, Marian.
L’un des interlocuteurs de Grynberg exprime parfaitement le ton du recueil : « Tu as écrit J’accuse Auschwitz mais moi, j’accuse Mars car il m’a pris ma jeunesse et mes souvenirs. » Un autre, un metteur en scène installé à New-York, complète : « En 68, on a fait de nous un groupe. On nous a dit que nous étions une minorité nationale indésirable. Nous sommes devenus des intrus, malaimés et toxiques. Les gens ont commencé à nous tourner le dos. »
Dans ce livre, Grynberg est plus auditeur qu’acteur. Il faut dire que la situation diffère de celles qu’il a connues précédemment. Les ateliers avaient un objectif clair : « Les rencontres consignées dans Le Livre de la sortie représentent une sorte de thérapie, une occasion de regarder l’année 1968 avec distance, d’exprimer à haute voix des sentiments longtemps enfouis. » 
Lorsqu’il regarde en arrière, Grynberg constate : « J’avais décidé de comprendre pourquoi autant de Juifs ont quitté la Pologne après les événements de Mars 68 et aussi pourquoi autant sont restés. (…) Aujourd’hui, j’en sais plus mais je continue à ne pas tout comprendre. L’une des questions que je continuerai toujours à me poser :  pourquoi les Juifs qui quittaient la Pologne ont vu si peu de mains tendues dans un geste d’adieu ».
En publiant Le Livre de la sortie, Grynberg clôt le cycle.

A posteriori une chronologie se dessine et s’impose : les survivants d’abord, l’enfance de la deuxième génération ensuite et, pour finir, la jeunesse chassée de la Pologne communiste. Sans en avoir apparemment eu l’intention au départ, Grynberg a fini par réaliser une véritable trilogie. Lues dans l’ordre chronologique, ces publications éclairent d’une manière unique et précieuse l’histoire des Juifs polonais depuis le début de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. La méthode est originale parce que ce ne sont pas les historiens qui parlent mais les protagonistes eux-mêmes.
Fort de toutes ses incursions dans le vécu des gens, Grynberg pense, optimiste, que « le temps guérit les blessures ». Cela se discute. Mais ce qui semble certain, c’est que la parole libère ceux qui acceptent de se confier et apporte un soulagement à ceux qui les écoutent et qui n’ont pas encore franchi le pas.

J’accuse Auschwitz et Le Livre de la sortie ont été dédiés au père de Mikolaj.

Références bibliographiques

  • Audrey Kichelewski, Les survivants : Les Juifs de Pologne depuis la Shoah, Paris, Belin, 2018.

Présentation de l’éditeur : De  1939 à 1945, le meurtre systématique de près de 90% de plus de trois millions de Juifs polonais laisse exsangue l’une des communautés juives  les plus florissantes d’Europe. Au sortir du conflit, les quelques  dizaines de milliers de survivants doivent alors faire face à  l’incompréhensible : la persistance d’un antisémitisme après Auschwitz,  l’exclusion, le rejet et même des pogromes faisant de nombreuses  victimes. Un antisémitisme de proximité en quelque sorte. Craignant  leurs voisins, fuyant aussi le nouveau régime socialiste, plus de la  moitié des rescapés juifs choisissent alors l’exil. Ceux qui restent en  Pologne communiste continuent d’affronter l’antisémitisme mais sous de  nouvelles formes.
Ce livre retrace, pour la première fois,  l’histoire méconnue de ces survivants et de leur descendance, de 1945 à  nos jours. Il se penche sur cette communauté meurtrie et sur la manière  dont elle a été perçue par la société et les autorités polonaises. Les  débats et combats entre l’assimilation systématique d’un côté et les  efforts pour préserver une culture et une mémoire juives malgré les  soubresauts antisémites récurrents de l’autre, forment le coeur du  récit. C’est un ouvrage essentiel pour comprendre les phénomènes  révisionnistes qui émergent au plus haut niveau dans la Pologne  d’aujourd’hui.

  • William Guglielmo Niederland, Psychiatric Status of Holocaust Survivors dans American Journal of Psychiatry, 139/12, p. 1646–1646, 1982.
  • Nathalie Zajde, Enfants de survivants : La transmission du traumatisme chez les enfants des juifs, Paris, Éditions Odile Jacob, 1993.
    Analyse , dans une perspective psychologique et anthropologique, du lourd héritage des « enfants cachés », de leur difficulté à se reconstruire…