«C’est une femme qui a permis à l’État juif de voir le jour» 

par Iris Lévy

Claude-Catherine KIEJMAN, Golda Meir : Une vie pour Israël, Paris, Éditions Tallandier, 2015, Collection Texto. 

«  Grand-mère d’Israël » : tel est le sobriquet affectueux dont on l’honora dans les années 1970 ! Le sous-titre éloquent : « Une vie pour Israël » que Claude Kiejman a donné à la biographie qu’elle lui consacre le souligne également à raison : l’existence de Golda Meir se confond avec celle de l’État hébreu
Celle qui fut Premier Ministre d’Israël, et, jusqu’à ce jour, la seule femme à exercer une fonction aussi éminente est, sans conteste, une des héroïnes du roman national israélien. Toutefois, le parcours de cette icône de la génération des pionniers est plus complexe que ne le suggère l’image d’Épinal d’une dirigeante à poigne qu’a retenue l’histoire. On le découvre dans le portrait nuancé, au ton didactique mais sans pesanteur, que brosse la journaliste française. Dans une biographie qui n’a pas la prétention d’être « officielle » ou « scientifique », elle restitue, brièvement, le contexte historique et politique dans lequel cette personnalité évolua, pour en retracer avec justesse l’itinéraire.

«Cette femme, qui fut belle dans sa jeunesse mais dont le rude visage reflète dès la quarantaine l’âpreté de la vie israélienne mais aussi la pugnacité et le courage, n’est ni une intellectuelle, une visionnaire comme Ben Gourion parmi d’autres de ses pairs. C’est une femme engagée tout entière dans l’action au service d’un pays qui s’invente», p.15.

 ***

Fuir les pogroms

« La terreur, le plus évident de mes souvenirs » (p.17) – c’est ainsi que Golda Meir évoque, dans son autobiographie My Life (1975), la noirceur de son enfance à Kiev, marquée par la violence du régime tsariste.
Née le 3 mai 1898, Golda Mabovitch, du nom de son père, gardera longtemps mémoire de la peur quotidienne des Juifs en cette fin de XIXème siècle. L’antisémitisme est alors virulent, et les répressions fréquentes. En 1903, le pogrom de Kichinev, qui traumatisa durablement les communautés juives, précipite le départ de nombreuses familles. Le père de Golda, menuisier, émigre seul aux États-Unis. La fillette, sa mère Bluma et ses deux sœurs Shana et Tzipka, déménagent à Pinsk.
Le projet du mouvement sioniste naissant, en effet, dont elle observe les premiers pas, est de répondre à l’humiliation par l’auto-détermination. Ne plus jamais avoir à fuir en tant que Juif – tel sera, par la suite, l’un des ressorts de l’engagement de Golda.
Enfant, elle est marquée par l’activisme de sa grande sœur Shana, qui commence à militer pour le mouvement sioniste au sein du Poalé-Tsione, le parti sioniste-socialiste, auquel s’opposent, avec vigueur, les partisans du Bund (Union Générale des Travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie). Mais Golda ne grandit pas dans une atmosphère exclusivement militante. Sans être religieuse, son enfance est également fortement marquée par le respect des traditions juives : les fêtes, le repas du Sabbat le vendredi soir… une atmosphère chaleureuse et intimiste à laquelle elle restera attachée. 
Golda a sept ans lorsqu’elle quitte l’Ukraine. Face à la montée de l’hostilité à l’encontre des communautés juives, sa famille décide en effet d’émigrer en 1906 : un voyage périlleux et difficile, de Pinsk à Anvers, de l’Atlantique au Canada et du Québec à Milwaukee.

En Amérique

L’effervescence des États-Unis, les gratte-ciels et tramways, la liberté dont jouissent les citoyens, impressionnent la jeune Golda. Quelque temps après leur arrivée, son père défile aux côtés des employés des chemins de fer à l’occasion du Labour Day : à l’approche de la garde montée, qui encadre la manifestation, la jeune sœur de Golda s’écrie avec peur : « Les Cosaques, les cosaques arrivent ! », avant de s’évanouir.
Cette anecdote est révélatrice du gouffre qui séparait, au début du XXème siècle,  le « monde libre » de l’Europe tsariste ; Golda se plaira à rappeler ce souvenir familial à de nombreuses reprises au cours de sa vie. L’ expérience de l’effroi laisse des traces persistantes. 
À Milwaukee, les Mabovitch se fondent donc volontiers dans la masse des milliers de Juifs émigrés des ghettos de Pologne et de Russie : promiscuité, pauvreté et solidarité sont le lot commun dans le quartier juif, où la famille habite un petit appartement. Mais, au moins, règne un climat de sécurité.

Conquérir son indépendance

Golda rejoint l’école publique et se distingue très rapidement par ses résultats brillants et son engagement, précoce. Indignée par le manque de livres scolaires dont pâtissent les élèves les plus pauvres, elle crée, avec des amies, l’American Young Sisters Society, et récolte des fonds – une tâche qu’elle réitèrera à maintes reprises au sein du mouvement sioniste. Gardons-nous toutefois de lire dans ce « premier engagement politique » (p. 32) les germes de son action future : l’avenir de Golda, alors adolescente, est encore bien incertain. 

Et pour cause : Golda souhaite devenir enseignante et ses parents refusent, souhaitant … la marier.
Décidée à prendre en main son destin, Golda s’éloigne du domicile familial, part à Denver retrouver sa sœur aînée : elle a moins de quinze ans et on ne peut qu’être frappé par la détermination dont elle fait preuve. Elle écrit ainsi à sa sœur : « Seuls ceux qui osent, qui ont le courage de rêver, peuvent réellement accomplir quelque chose. Ceux qui s’interrogent sans fin : Est-ce réaliste ? Est-ce possible ? Cela vaut-t-il le coup ? Ceux-là n’accomplissent rien. Il faut agir, non pas rester immobile telle une pierre, sinon c’est la mort. », p.36.
La passivité, la mort, l’attentisme : en creux, on retrouve ici les qualificatifs alors communément attribués par le mouvement sioniste au « Juif de diaspora », face auquel se dresse désormais le « Juif pionnier » de Palestine. 

Golda et une amie, Sadie Gerson, militante sioniste/Milwaukee, 1914/«Il faut agir, non pas rester immobile telle une pierre, sinon c’est la mort», p.36.

Une militante modèle 

Éloignée du carcan familial, Golda côtoie, à Denver, la jeunesse juive intellectuelle et militante : des sionistes-socialistes, anarchistes ou socialistes, qui débattent des écrits d’Emma Goldman ou de Kropotkine. Si Golda n’est pas, à proprement dit, une intellectuelle, elle apprécie cette émulation collective. Surtout, elle fait la connaissance, chez sa sœur, d’Aaron David Gordon, fondateur du kibboutz de Degania, qui prône la renaissance de l’Homme juif par le travail de la terre. Elle est « fascinée » (p.39) par les pionniers et la Palestine et cette rencontre consacre indéniablement la réelle naissance de son engagement sioniste. 
À la même époque, Golda, âgée de dix-sept ans, fait une seconde rencontre décisive : celle de Morris Meyerson, jeune orphelin d’origine lituanienne, dessinateur d’affiches, amateur d’art, de musique et de poésie… autant de centres d’intérêt a priori fort éloignés de ceux de Golda. En dépit de ces différences, elle et Morris promettent rapidement de se marier.
Toutefois, le mariage et la vie de famille ne représenteront jamais, pour Golda, une priorité. 
Et de fait, de retour à Milwaukee, le soutien à la cause sioniste devient rapidement l’élément central de son existence – comme elle le confesse dans son autobiographie, à laquelle Claude Kiejman se réfère souvent : « Le sionisme commençait à remplir mon esprit et ma vie. Je pensais qu’en tant que juive, j’appartenais à la Palestine et que je prendrai pleinement ma part en tant que membre du sionisme socialiste en rejoignant le Yishouv », p.43. À l’époque, elle ne ménage pas ses efforts : membre du Poalé Tsione, elle participe à des collectes organisées par le Kéren Kayémete Le Israël, enseigne le yiddish à des enfants, et parcourt les États-Unis, de Cleveland à Indianapolis, pour défendre la cause sioniste. En 1918, elle participe à la 1ère Convention du Congrès Juif américain à Philadelphie, au sein de la délégation de Milwaukee : elle est la plus jeune, et son énergie tranche avec l’aspect policé d’une partie des militants. 
Morris, l’époux de Golda, ne fera jamais sien cette dévotion à la cause : « L’oppression, lui écrit-il, n’existe pas parce que certaines nations n’ont pas de territoire, mais parce que les nations existent », p.44.
Méconnue du grand public, cette fracture au sein du couple ne se résorbera jamais. 

«Aux côtés de Morris, Golda a pris goût à la musique, à la lecture – Tchekhov, Gogol, Maupassant, Anatole France ou H.G. Wells sont parmi les auteurs qu’elle lit (…), mais, loin de lui, elle est reprise par ce qui l’avait tant passionnée lors des soirées de Denver : le sionisme», p.42.

 « Les plus belles années de ma vie » 

À vingt-trois ans, Golda prend la décision d’émigrer en Palestine : une évidence pour celle qui déplore que si peu de Juifs soient prêts à abandonner le confort des États-Unis. 
Il est vrai que la montée en Israël représente, à l’époque, une entreprise semée d’embuches. La traversée du jeune couple Meyerson vers la Palestine est périlleuse, mais toutefois marquée par des moments de joie brefs et intenses : sur le bateau qui les conduit de Brindisi à Alexandrie, les émigrants américains chantent en yiddish et en hébreu, et dansent la hora aux côtés de « vrais » pionniers de Lituanie, incarnations vivantes, pour Golda, du courage et de la détermination. 

L’arrivée à Tel Aviv est rude : la chaleur, l’air irrespirable, les lits infestés de punaises… autant de souffrances à accepter, pour que les Juifs puissent enfin « être les maîtres et non les victimes de leur destin » (p.59), selon Golda. Dans l’esprit de la future Premier ministre, déjà, aucun élément personnel ne doit primer sur le projet collectif. 
Après avoir essuyé deux rejets, le couple Meyerson rejoint le kibboutz de Merhavia, situé dans la vallée de l’Emek. Golda s’épanouit vite au sein du kibboutz, et y passe, selon ses dires, les plus belles années de sa vie. En dépit de ses habitudes « d’américaine » – elle repasse ses robes, met une nappe fleurie pour le Sabbat…, elle est largement appréciée, s’intéresse passionnément aux gens, participe à toutes les activités de la vie communautaire.
Conséquence logique de son enthousiasme et de son énergie, elle est élue au comité de direction du kibboutz, et envoyée comme déléguée à la Convention du mouvement kibboutznik organisée à Degania. Tous les leaders de la seconde ‘aliyah (1904-1914), celle des pionniers, sont présents : Ben Gourion, Ben-Zvi, Berl Katznelson, David Remez… des personnalités fortes, qui impressionnent autant qu’elles inspirent Golda, dont la force de caractère n’est plus à prouver. 
Ce congrès renforce l’ambition de Golda, qui s’investit au sein du Moetzète Hapoalote, Conseil des Travailleuses, affilié à la Histadroute – le puissant syndicat du Yichouve, créé en 1920. 
Mais, tandis que Golda s’épanouit au sein de cet univers, son époux sombre dans la dépression : il déplore le manque d’humour et l’étroitesse d’esprit qui règnent au kibboutz.
Le couple déménage à Jérusalem, où Golda donne naissance à leurs deux enfants : Menahem et Sarah. Pour tenter de redonner une chance à son mariage, Golda décide, à contre-cœur, d’être mère au foyer et de renoncer un temps à la politique. Entre 1924 et 1928, la famille vit dans une grande pauvreté.
Contrastant de manière saisissante avec la vie au kibboutz, ces années sont, pour Golda, « les plus dures de son existence » (p.73).   

Au kibboutz de Merhavia dans les années 1920. «Aucune tâche ne lui répugne… Vêtue d’une longue robe de coton blanc, un fin foulard de même couleur noué derrière la tête, elle (…) s’acharne à piocher une terre récalcitrante», p.63.

Golda sur tous les fronts 

Cet équilibre familial est précaire et ne dure qu’un temps : lorsque David Remez propose à Golda un poste au secrétariat du Moetzet Hapoalot, elle accepte, et déménage à Tel Aviv avec ses deux enfants. Le couple se sépare ; mais les époux ne divorceront jamais. 
L’engagement de Golda au sein du Conseil des Travailleuses est plus pragmatique qu’idéologique : elle n’a jamais fait montre de son engagement féministe. Elle défend toutefois l’égalité des salaires entre hommes et femmes, et s’illustre rapidement par sa force de caractère. Elle voyage beaucoup : à Berlin, pour le congrès de la WIZO (Women International Zionist Organization), à Bruxelles, pour celui de l’Internationale socialiste. Pragmatisme, efforts et abnégation : déjà, se dessinent les constantes de la future carrière politique de Golda. 

En 1930, elle est élue au Comité centrale du Mapaï – le Parti des travailleurs d’Eretz Israël, fondé la même année par Ben Gourion. À trente-deux ans, elle est l’une des benjamines de cette élite, largement masculine. Femme au milieu des hommes, Golda s’illustre par son charisme et son courage : lors de l’Imperial Labour Conference de Londres (août 1930), elle n’hésite pas à dénoncer avec virulence la politique de la Grande-Bretagne, jugée complaisante à l’égard des Arabes et en désaccord avec les promesses de la déclaration Balfour. Sa témérité et son franc-parler impressionnent Ben Gourion, dont elle sera, jusqu’à la fin des années 1960, l’une des plus fidèles alliées. 
La réputation et la notoriété de Golda vont croissant ; on lui prête des aventures amoureuses avec certains leaders du parti, mais ces rumeurs pèsent peu face au poids de son action politique. Comme le souligne C. Kiejman, « c’est le souvenir de l’indomptable femme politique à la robuste silhouette et aux traits rudes qui reste en mémoire. L’icône, et non la femme » p.88.

Les années sombres 

Au sein du Yichouve, le mouvement sioniste est alors traversé de tensions : tandis que les membres des kibboutzim dénoncent l’abandon de l’esprit pionnier, l’aile révisionniste prône une politique plus dure face au Royaume-Uni, et quitte la Histadroute. Le Mapaï assoit alors sa domination sans partage sur les organisations sionistes : le parti contrôle l’Organisation sioniste mondiale, présidée par Weizmann, et l’Agence juive, dont Ben Gourion devient le président en 1935. 
Dans la foulée, Golda est nommée au Conseil exécutif de la Histadroute, et préside le conseil d’administration de la sécurité sociale (koupate ‘holime). Plus pragmatique qu’idéologue, elle s’illustre par sa fidélité sans faille aux décisions du parti, et évolue sans peine au sein de cet organe bureaucratique, dont certains dénoncent la rigidité. Elle occupe désormais des fonctions dirigeantes et impose son style de direction : un mélange de franchise, de rudesse et de fidélité sans faille à l’égard des collaborateurs qui lui sont dévoués. 
À la fin des années 1930, le contexte international est trouble, et annonce la Seconde Guerre mondiale. La situation des Juifs dans le monde inquiète : en juillet 1938, Golda assiste, impuissante, aux atermoiements des grandes puissances lors de la conférence d’Évian-les-Bains, organisée à l’initiative de Roosevelt pour tenter de régler le problème des réfugiés juifs. Seule la République dominicaine accepte de recevoir 100,000 d’entre eux. Elle partage le constat, amer, de Weizmann : « Le monde est divisé entre les pays qui expulsent les Juifs et ceux qui refusent de les recevoir », p.109. 
Tandis que le Livre blanc de 1939 limite l’émigration en Palestine, les tensions entre la Haganah, force de défense juive, et les autorités britanniques, se multiplient. Golda intervient dans un procès contre des jeunes gens accusés d’avoir volé des armes aux Britanniques : son plaidoyer, retranscrit dans la presse, est vivement salué ; on loue son courage et son sens de la répartie. Jamais les Juifs de Palestine ne s’excuseront de lutter pour leur survie et leur État, assène-t-elle en substance. L’époque de l’humiliation permanente est bel et bien révolue. 
Du quotidien de Golda entre 1939 et 1945, peu d’informations nous sont données par la biographe. On aimerait en savoir davantage. Une chose est certaine : son activisme, son énergie et sa détermination ne sont aucunement affaiblis par la guerre.

Israël/1943. «Comme pour chacun d’entre nous, mon anxiété et mon angoisse étaient telles que ni le jour ni la nuit n’étaient assez longs pour faire ce qu’il nous revenait de faire. Les Nazis étaient en train de liquider les Juifs d’Europe, là était la raison principale de notre action», p.123.

À partir de 1945, elle remplace Moshe Sharett au département politique de l’Agence juive. 
Au sein de l’establishment sioniste, deux tendances s’affrontent alors : celle de Weizmann, qui prône la conciliation face aux Britanniques et celle de Ben Gourion, qui défend une position intransigeante. Ce dernier l’emporte, tandis que la situation en Palestine ne cesse de se détériorer – le 22 juillet 1946, l’attentat de l’hôtel King David, perpétué par l’Irgoun, fragmente l’alliance entre cette organisation, la Haganah et le Le’hi.
Le 14 février 1947, la situation de la Palestine est portée devant les Nations Unies.
En parallèle, Golda poursuit ses missions : elle se rend à Chypre, dans les camps de réfugiés, pour convaincre les personnes déplacées de laisser partir les femmes et enfants en premier, avec succès. Elle est également chargée d’une mission particulièrement délicate : sonder les intentions du roi Abdallah de Transjordanie : en cas d’un conflit ouvert avec les pays arabes, resterait-il neutre ? Elle le rencontrera à deux reprises. 
À l’annonce du plan de partage le 29 novembre 1947, adopté à 33 voix pour contre 13, et 10 abstentions, c’est la crainte qui habite les dirigeants du Yichouve : « Je n’en ai pas le moindre doute : nous sommes à la veille d’une guerre à la vie, à la mort, avec les peuples arabes. Et nous allons y perdre les fleurs de notre jeunesse », écrit Ben Gourion dans son journal, p.149. 

« C’est une femme qui a permis à l’État juif de voir le jour »

Tout au long des premiers mois de 1948, une guerre civile larvée s’intensifie en Palestine : on sait gré à C. Kiejman de situer les grands évènements-clés de ces mois si cruciaux pour l’avenir de l’État hébreu. 
À l’approche de la guerre, la question des armes est centrale : la Haganah est encore mal entraînée et mal armée. En conséquence, Ben Gourion décide, fin janvier, d’envoyer à nouveau Golda aux États-Unis pour récolter des fonds. Elle commence par refuser : quitter la Palestine en ces heures sombres lui paraît impensable. Elle se range toutefois, comme toujours, à la décision du parti. 
À Chicago, son discours devant l’Assemblée générale du Conseil des fédérations juives, pourtant peu intéressée par les péripéties de la Palestine, frappe les esprits, et convainc son auditoire : « nous nous battrons, quoi qu’il arrive ; en revanche, notre victoire dépend de votre aide », dit-elle en substance. Après deux mois et demi aux États-Unis, elle a récolté près de cinquante millions de dollars – soit deux fois plus que l’objectif que lui avait fixé Ben Gourion –. Ces fonds récoltés permettent à la Haganah de s’approvisionner en armes auprès des États-Unis et de la Tchécoslovaquie. À son retour en Palestine, Ben Gourion prononce cette phrase demeurée célèbre : « Le jour où on écrira l’histoire, on dira que c’est une femme qui a permis à l’État juif de voir le jour », p.164. 
En avril 1948, le Conseil sioniste mondial institue un gouvernement provisoire composé de treize membres, présidé par Ben Gourion. Le 14 mai 1948, Golda fait partie des signataires de la déclaration d’Indépendance : un rêve devenu réalité.
L’euphorie n’est que de courte durée : dès le lendemain, la guerre est déclenchée. 

Une femme politique de premier plan 

Pendant que les hostilités font rage, Golda est nommée ambassadrice à Moscou : une nouvelle fois, elle se plaint de cette nomination, qui la force à quitter l’État d’Israël à peine né. Elle se plie toutefois à cette décision, et arrive à Moscou le 3 septembre 1948. Son mandat sera bref et décevant : en dépit de quelques tentatives pour nouer des liens avec les Juifs soviétiques, sa marge de manœuvre est limitée, et elle se plie mal aux codes diplomatiques. Le 20 avril 1949, huit mois seulement après son arrivée en Union soviétique, elle rentre à Tel Aviv. 
Elle est alors nommée ministre du Travail. Cette fois-ci, l’adéquation entre la personne et le poste est parfaite : « J’allais être juste où je voulais être, faisant ce que je souhaitais faire. Pour une fois, je me sentais totalement qualifiée pour ce poste » (p.193), écrit-elle dans son autobiographie. Parmi les défis les plus urgents, celui de la gestion de l’afflux de centaines de milliers de nouveaux venus : entre mai 1948 et la fin de l’année 1951, près de 648 000 Juifs, issus de dix-sept nations différentes, arrivent en Israël. 
En mai 1949, elle présente le plan Meyerson, qui prévoit la construction de trente mille logements, à la Knesset. En août, elle annonce un ambitieux programme de travaux publics qui porte sur l’aménagement de nouvelles voies de communication. L’objectif est double : loger les migrants décemment, et fournir du travail aux chômeurs. Quoique touchée par les idéaux d’égalité et de justice sociale du sionisme-socialiste, Golda se bat surtout pour le collectivité : l’intérêt du plus grand nombre et la cohésion nationale sont ses lignes directrices, par-delà les sensibilités idéologiques. 

Ces sept années au ministère du Travail renforcent la stature de Golda à l’intérieur d’Israël et au sein de la communauté internationale. Il semble qu’elle délaisse, en revanche, sa vie familiale et personnelle, au sujet de laquelle elle fera toujours preuve d’une discrétion exemplaire : son mari Morris meurt en 1951, et sa fille Sarah perd un enfant. Une autre de ses petites filles est atteinte de trisomie 21. Des drames privés, qui ne peuvent toutefois manquer d’affecter et de durcir celle qui deviendra bientôt, dans l’opinion, la « dame de fer » israélienne. 
En 1956, après le retour de Ben Gourion aux affaires, Golda Meir est nommée ministre des Affaires Étrangères. Elle succède à Moshe Sharett, dont les divergences avec Ben Gourion, soutenu par la jeune garde montante de la politique israélienne (Moshe Dayan, Ariel Sharon, Shimon Peres), n’ont fait que s’accentuer.
Le prédécesseur de Golda juge très sévèrement sa nomination : selon lui, elle est à moitié analphabète, manque de culture, et cette fonction la dépasse. De fait, il semble que Ben Gourion ait surtout souhaité à ses côtés une personnalité sinon plus docile, du moins acquise à ses opinions. De nombreux dossiers essentiels cependant, tels que les relations avec la France au sujet de la bombe atomique, ou la reprise des relations avec l’Allemagne, sont gérés par Shimon Peres. Golda s’émeut de cette situation, et nourrira jusqu’à sa mort un certain ressentiment à l’encontre de Peres. 
En définitive, le rôle de Golda Meir est surtout de défendre les intérêts d’Israël auprès de la communauté internationale. Lors de la crise de Suez, elle plaide la « légitime défense » auprès des Nations Unies, sans grand succès : elle a le sentiment qu’Israël est « seul, impopulaire et incompris », p. 229. 
Elle s’investit toutefois sur d’autres fronts, et met ainsi beaucoup d’énergie à resserrer les liens entre Israël et les capitales africaines : des ingénieurs, instituteurs, médecins israéliens partent en Afrique, tandis que des professionnels africains désireux de se familiariser avec les méthodes coopératives sont accueillis à bras ouverts dans les kibboutzim. À la fin des années 1960, Israël dispose d’une trentaine de représentations en Afrique – un constat encourageant, même si beaucoup de pays rompent ensuite leurs relations avec l’État hébreu. 

«Par rapport à l’Afrique, on ne pouvait la limiter, raconte Avi Primor, elle voulait toujours en faire plus», p.230.

Golda-Ben Gourion : vers la rupture… 

À la fin des années 1950, les désaccords entre Ben Gourion et Golda se font plus fréquents. Elle lui reproche de favoriser la jeune garde du parti, qu’elle assimile à des arrogants ambitieux, qui souhaitent faire d’Israël un pays comme les autres. Cette opposition se cristallise lors de « l’affaire Lavon », du nom de Pinhas Lavon, ancien ministre de la Défense, accusé d’avoir élaboré, en 1954, une opération rocambolesque pour empêcher la signature d’un traité anglo-égyptien après l’arrivée de Nasser au pouvoir ; cette équipée hasardeuse se solda par la mort de deux agents israéliens. Face à ce qui devient rapidement une affaire d’État, Ben Gourion démissionne en 1963, et crée un parti dissident. 


Deux ans plus tard, c’est au tour de Golda d’abandonner son poste de ministre des Affaires Étrangères. Les médecins lui ont diagnostiqué un cancer, elle souhaite se reposer – elle a alors soixante-sept ans. 
Son retrait n’est que de courte durée : quelques semaines plus tard, le parti la presse d’accepter le poste de Secrétaire général du Mapaï, de plus en plus divisé. Mais l’actualité est rapidement dominée par la guerre des Six Jours : une fois n’est pas coutume, Golda se rend aux États-Unis pour tenter de récolter des fonds. En janvier 1968, après des semaines de négociations, la charte du parti travailliste réunit les trois groupes politiques différents que sont le Mapaï, l’Ahdut Haavoda, plus à gauche, et le Rafi, scission créée en 1965 par Ben Gourion. Après avoir beaucoup donné de sa personne, Golda renonce à son poste en juillet 1968 : elle a soixante-dix ans, et est fatiguée de ces combats…
Mais l’histoire n’en a pas fini avec celle que l’on surnommera bientôt la « grand-mère d’Israël ».

Madame le Premier ministre 

Le 26 février 1969, le Premier ministre Levi Eshkol meurt soudainement d’une crise cardiaque. Face aux divisions entre les deux prétendants au poste que sont Moshe Dayan et Yigal Allon, c’est finalement Golda qui est choisie, par 287 voix contre 45 abstentions, dont celle de Ben Gourion. Du jour au lendemain, sa popularité bondit. 
Le mandat de Golda Meir est marqué, plus encore que celui de ses prédécesseurs, par les enjeux sécuritaires. La guerre d’usure (1968-1970) avec Nasser se poursuit dans le Sud du pays, les attaques des fedayin palestiniens aussi. Golda, qui a exigé d’être tenue au courant du moindre accident survenu sur le front, privilégiera toujours une position dure face à « l’ennemi arabe »
En parallèle, plus de vingt ans après la création de l’État, la société israélienne est en pleine mutation : essor des constructions, de la haute technologie, mais aussi de l’individualisme et des inégalités : bon an mal an, Israël devient un pays « comme les autres ». 

Photo de Micha Bar-Am/Golda en 1970 en compagnie de Haïm Bar-Lev, Chef d’État-Major, à bord d’un hélicoptère de Air Force, dans le Sinaï. «Infatigable, malgré des migraines et ses jambes douloureuses qui ralentissent sa marche, Golda, qui a dépassé la soixantaine, paye de sa personne», p.202.

 Golda se montre intraitable dans sa manière de gouverner, et impose son style : les réunions de cabinet restreint dans sa cuisine, un commandement autoritaire, teinté de puritanisme. 
Face à la forte contestation des ouvriers qui réclament des augmentations de salaires alors que l’inflation bondit, elle refuse de céder.
Le début des années 1970 voit aussi l’essor du mouvement des Panthères noires, qui dénonce les violences, discriminations et inégalités dont pâtissent les Juifs sépharades. Aux leaders du mouvement, Golda Meir oppose une fin de non-recevoir, s’arc-boutant sur l’idéal sioniste et les impératifs de sécurité, qui doivent primer sur toutes autres préoccupations : un manque d’intelligence politique qui sera jugé durement par la suite.
De fait, il semble que Golda Meir peine à comprendre les nouvelles aspirations de la société : pour elle, seuls comptent l’esprit pionnier et l’intérêt du collectif. Shulamit Aloni, figure du combat pour les droits civils en Israël, n’hésite pas à critiquer une « combinaison d’ignorance et d’autosatisfaction », p.276. 
Très intransigeante, Golda Meir, comme la majorité des gens de sa génération, ne reconnaîtra jamais la dimension nationale de la cause palestinienne : « Il n’y a pas de peuple palestinien », déclare-t-elle lors d’une conférence. Elle encourage la poursuite des implantations dans les territoires palestiniens de Cisjordanie, et se méfie des tentatives de négociations. En 1970, elle interdit au président du Congrès juif mondial Nahum Goldmann de se rendre au Caire pour rencontrer Nasser.  « Golda, nous voulons la paix ! », « Golda, ce n’est pas toi qu’on mobilise chaque année ! », crient les manifestants. 
Autre manifestation de cette intransigeance : après les attentats des Jeux Olympiques de Munich en 1972, elle accepte de recourir au contre-terrorisme pour éliminer les membres de l’organisation palestinienne « Septembre noir ». 

La guerre de Kippour, une tragédie

Mais c’est l’année 1973 qui restera sans conteste « l’année terrible » de son mandat. Tandis que les incidents se multiplient aux frontières, et alors que les signes précurseurs d’un conflit avec l’Égypte ne manquent pas, l’establishment civil et militaire israélien se berce d’illusions : il table sur l’incapacité de l’Egypte à prendre sa revanche.
Fin septembre, un télégramme des services secrets informe Golda de nouvelles alarmantes en provenance de Syrie et d’Egypte. Le 3 octobre, Moshe Dayan convoque la « cuisine de Golda », mais aucune décision d’envergure n’est prise. Le samedi 6 octobre, jour de Kippour, le chef d’État-major David Eléazar propose une mobilisation renforcée et une attaque aérienne préventive : Golda refuse, soutenue par Dayan.
Quelques heures plus tard, les hostilités débutent dans le Golan et le Sinaï : les premiers jours de la guerre sont terribles pour Tsahal, l’armée israélienne, mise en difficulté et qui accuse de lourdes pertes.
Si Israël finit par reprendre l’avantage et par remporter la guerre, Golda s’en voudra à jamais de ne pas avoir décidé en temps voulu la mobilisation générale des réservistes. 
Critiquée de toutes parts, Golda mène un double combat après la guerre : sur la scène internationale, elle négocie pied à pied avec Henry Kissinger, afin d’éviter qu’une paix imposée par les grandes puissances ne menace les intérêts d’Israël. 

Photo de Henri Bureau/Jérusalem, Golda et Henri Kissinger à la Knesset, 1974/ « Golda se montre une adversaire particulièrement coriace dans les discussions en tête à tête (…) et chacune de ses rencontres avec l’Américain (…) est une lutte pied à pied pour défendre les intérêts d’Israël« , p. 311.

À l’intérieur, elle tente d’assurer la survie de son parti. En décembre, le parti travailliste remporte de justesse les élections, talonné par le Likoud. Quelques mois plus tard, la commission d’enquête créée au lendemain de la guerre de Kippour rend ses conclusions : Golda est déchargée de toute responsabilité, mais l’opinion publique réclame sa démission. Le 10 avril 1974, elle annonce son départ irrémédiable : Yitzhak Rabin lui succède.  
Désormais retirée de la vie politique, Golda vit à proximité de Tel Aviv avec ses enfants et petits-enfants. En dépit des critiques, elle conserve une notoriété internationale, reçoit des milliers de lettres, et rédige ses mémoires. Son autobiographie, My life, parue en 1975, est un succès mondial. 
Lorsqu’elle apprend la visite du président égyptien Anouar El Sadate à Jérusalem en novembre 1977, son désarroi est immense. Elle sera toutefois présente pour accueillir le président, et prononcera un discours à la Knesset, félicitant le dirigeant égyptien pour son courage politique. 
Hospitalisée à l’automne 1978, elle décède quelque temps après, le 8 décembre 1978, à quatre-vingts ans. La disparition de Golda Meir semble consacrer la fin d’une ère :
 « Chacun a le sentiment que la mort à 80 ans de Golda, figure matriarcale d’un indéniable courage et dernière représentante de la génération des pionniers, marque définitivement la fin d’une époque d’utopie et d’héroïsme », p.13. 

***

L’exercice de la biographie n’est pas chose aisée tant les écueils sont nombreux : excès de détails, tentation de la téléologie ou du procès a posteriori. Fort heureusement, la journaliste Claude Kiejman ne tombe pas dans ces pièges mais rend justice, allant au-delà du mythe de l’icône politique, à la personne que fut Golda Meir, sans verser dans le pathos ou l’excès de romance,  sans complaisance ni animosité.
Elle réussit aussi à mettre en lumière les ambiguïtés du personnage : femme pionnière du mouvement sioniste pour les uns, symbole de l’échec des efforts de paix pour les autres, Golda Meir est une figure controversée et complexe. Les éléments de contexte, accompagnés de brèves notices sur les institutions sionistes de l’époque et les principaux personnages qui entourent Golda Meir, sont appréciables, et permettent de situer l’héroïne dans son époque. 
La lecture est facile et entraînante : on se passionne pour les péripéties de Golda, dont le destin est assurément hors du commun. Au fil des pages, on ne peut qu’être frappé, aussi, par la détermination tranquille qui se dégage du personnage : à la suite d’une des prises de parole de Golda aux États-Unis, un des spectateurs résume ainsi cette impression : « Nous n’avions encore jamais vu de femme comme elle, à la fois si simple, si forte et si vieux jeu, elle ressemblait aux femmes de la Bible ».
« Alliance de charisme et d’un esprit borné » selon les mots de l’historien Elie Barnavi. Golda Meir, en dépit de ses erreurs de jugement et du manque de lucidité dont elle put faire preuve, demeure, à tout le moins, un modèle d’engagement et d’intégrité ; l’incarnation d’une conception haute de l’action politique, qui semble appartenir à un autre temps


Indications bibliographiques

Golda Meir

  • Ma vie, Titre original : My Life, Traduit de l’anglais par G. Belmont et H. Chabrier, Paris, Robert Laffont, 1975.
    Autobiographie « officielle » qui n’a rien d’un journal intime.

En images

  • Golda Meir : la grand-mère d’Israël (12 minutes).
    Akadem, 18 avril 2013 dans la série Alef/Beit : « Les grandes figures d’Israël ».
    Bref portrait d’initiation, réalisé par Daniel Haïk.