Invincible Israël ?

par Alban Wilfert

David ELKAÏM, Histoire des guerres d’Israël : De 1948 à nos jours, Paris, Tallandier, 2018, Collection « Texto ».

14 mai 1948. Le mandat britannique sur la Palestine prend fin et l’indépendance de l’État d’Israël est déclarée. Dès le lendemain, les armées coalisées de la Ligue arabe attaquent Israël. L’Égypte, la Transjordanie, le Liban, la Syrie et l’Irak, appuyées par des troupes saoudiennes et yéménites, menacent l’existence même de l’État juif naissant.
Et, jusqu’à aujourd’hui, le bruit des armes n’a pas cessé de se faire entendre dans l’ancien territoire mandataire britannique. L’histoire d’Israël est celle d’un État traversé régulièrement par des affrontements militaires, aussi bien avec ses voisins arabes qu’avec des groupes armés luttant pour l’établissement d’un régime palestinien. Né dans la guerre, cet État militarisé est parvenu à surmonter ces conflits, à remporter plus d’une fois la victoire et, de la sorte, à consolider sa position au Moyen-Orient. Mais sans toujours résoudre les causes profondes qui sont à l’origine des résurgences de cette violence.
David Elkaïm, dans sa dense et synthétique Histoire des guerres d’Israël, invite à en prendre une vue d’ensemble et à y réfléchir.  

David contre Goliath, vraiment ?

L’image était toute trouvée : lorsque, en 1949, Israël naissant l’a emporté sur une coalition d’États arabes à même d’encercler le jeune État juif, d’aucuns ont pu lire là une redite de la victoire inespérée de David contre Goliath dans la Bible (Samuel I, 17 : 48-51).

David etGoliath/Une illustration du bréviaire catalan de Martí, XIV-XVème siècle/Bibliothèque nationale de France

Pourtant, rappelle David Elkaïm, c’est là un lieu commun, remis en question depuis plusieurs décennies.En effet, dès les années 1980, les « nouveaux historiens » israéliens, cherchant à revoir l’histoire d’Israël à partir d’archives jusqu’alors inaccessibles, ont remis en question cette métaphore biblique en procédant à une évaluation méthodique des forces en présence.
La force des 160 000 hommes nécessaires à la victoire selon le comité militaire de la Ligue arabe ne fut jamais réellement alignée sur le terrain : les 25 000 militaires arabes effectivement engagés dépassaient à peine, avec les 12 000 irréguliers palestiniens – auxquels il faut toutefois ajouter les villageois ayant pris les armes –, les 35 000 hommes rassemblés par Israël sous la bannière de Tsahal (acronyme de Tsva ha-Haganah le-Israël/ צבא הגנה לישראל, « Forces de défense d’Israël »). Cette dernière est issue de l’unification des groupes paramilitaires semi-clandestins déjà présents dans le Yichouv avant la déclaration d’indépendance ; ils avaient remporté plusieurs victoires pendant le mandat britannique, à l’inverse des armées arabes sans véritable expérience des combats. Le rapport de force n’était pas, somme toute, si désavantageux pour les sionistes.
Cela tient également aux divisions au sein de la Ligue arabe : entre autres, Abdallah, à la tête de la Légion arabe de Transjordanie, espère ramener à lui la Palestine en négociant avec Israël plutôt qu’en l’affrontant. Ces dissensions découragent notamment les forces irakiennes, qui ont réussi plusieurs percées, d’aller jusqu’à la mer et d’ainsi couper Israël en deux. Le cessez-le-feu déclaré par le Conseil de Sécurité de l’ONU le 11 juin offre un répit aux Israéliens, qui reviennent plus nombreux et mieux armés et malmènent ainsi les armées égyptiennes. Ces dernières, ne recevant pas de soutien des autres États arabes, doivent donc se résoudre à un armistice.
En outre, cette guerre donne lieu à un exode massif de Palestine, à raison de 700 à 800 000 départs. Là encore, l’auteur signale les controverses historiographiques autour des causes de cette Naqbah (« catastrophe » en arabe) : est-ce déjà une politique délibérée d’expulsions massives ou seulement une conséquence de la nécessaire sécurisation du territoire d’Israël ? David Elkaïm cite ici Benny Morris, l’un des « nouveaux historiens », pour qui la guerre, déclenchée par les dirigeants arabes et pourtant mal pensée par eux, devait entraîner de tels drames, auxquels ils répondirent insuffisamment. Ils furent cependant « poussé[s] plus avant », notamment, « par des atrocités israéliennes qui perturbèrent gravement et finirent par paniquer les communautés voisines des lieux où elles avaient été perpétrées », p. 48. Une responsabilité partagée, donc, et aussi un premier fossé entre Palestiniens et États arabes, tenus en respect par une défense israélienne qui avait fait montre de son efficacité.

Tsahal, la foudroyante

La guerre de 1948 a également des conséquences doctrinales, dont David Elkaïm rend compte. Israël a compris que seule supériorité de Tsahal sur les armées de la région garantirait sa survie. Ainsi naquit dans l’État juif « une proximité entre hiérarchies militaire et civile sans équivalent dans les autres démocraties parlementaires », p. 50.

Une unité de l’armée israélienne pendant la guerre d’indépendance en 1948/Imprimé par le service des cartes et des photos du Tsahal/MAHJ

D’autre part, si la stratégie d’Israël – au sens de la direction générale de la guerre –, serait avant tout défensive dans la mesure où il s’agit de protéger le pays, sa tactique – c’est-à-dire la conduite des hostilités sur le terrain, sur le champ de bataille – est « résolument offensive puisque fondée sur l’attaque préventive et le rapide transfert des hostilités sur le territoire de l’adversaire », ce pour quoi il est utile de « détruire le potentiel militaire des pays hostiles et conquérir des territoires pouvant servir de monnaie d’échange », p. 12.
De la sorte, Israël cherche à frapper vite afin de garder l’initiative, de manière à anéantir le dispositif ennemi avant tout cessez-le-feu. C’est là l’un des éléments du « triangle sécuritaire » de la doctrine israélienne, les autres étant son appareil de renseignement et la dissuasion.
En plus de sa grande puissance sur le plan conventionnel, Tsahal a acquis une composante nucléaire depuis la fin des années 1960, sans que cela n’ait jamais été officialisé. Au contraire des autres puissances nucléaires, la dissuasion israélienne se fonde sur l’ambiguïté quant à la possession de la bombe.
Cette doctrine a été mise en œuvre avec un certain succès. Dès 1956, les Forces de défense d’Israël s’imposent comme « la première armée de la région » (p. 68) en participant aux côtés de la France et du Royaume-Uni aux hostilités liées à la crise du canal de Suez, si bien que « ses adversaires hésiteront dorénavant à la défier ».
Ainsi, en 1967, lorsqu’Israël s’attend à une revanche imminente des pays arabes, les militaires estiment que « prendre l’initiative est le meilleur moyen de minimiser les pertes et de renforcer la stratégie de dissuasion de Tsahal » (p. 86) et que des « gains territoriaux » peuvent s’avérer utiles. Ainsi, le 5 juin, c’est cet État qui prend tous les autres de court. À l’aube, l’armée de l’air attaque l’Égypte, abattant au sol, en quelques minutes, la quasi-totalité des avions ennemis, tandis que les chars progressent vers le canal de Suez depuis la bande de Gaza. Le désastre égyptien est tel que Nasser ment au roi Hussein de Jordanie sur la situation pour l’inciter ainsi à bombarder Jérusalem : là encore, Israël prend les devants et envahit la Cisjordanie, avant de faire de même dans le Golan syrien. Le 10 juin, « Israël contrôle désormais un territoire près de quatre fois plus grand qu’avant la guerre », p. 88.
La narration donnée par David Elkaïm de la guerre des Six Jours est exacte et captivante, mais elle expose la supériorité israélienne sans véritablement l’expliquer. Les raisons de l’implacable victoire aérienne sur l’Égypte ne sont pas détaillées, en particulier le fait que les horaires des patrouilles de l’aviation égyptienne étaient connus de son homologue israélienne grâce aux services de renseignement, permettant de les abattre au sol une fois revenus. Étonnante est cette omission quand on sait que l’auteur est justement spécialiste des services secrets israéliens, dont les composantes extérieures comme militaire, le Mossad et Aman, sont pourtant régulièrement mentionnés dans le reste de l’ouvrage. Tout aussi étonnant est le choix de ne consacrer que deux pages aux opérations de cette guerre qui, pourtant, « a changé Israël », p. 69.

Un soldat israélien observe une raffinerie de pétrole en flammes durant la Guerre des Six Jours/Spiegel

Il ressort toutefois des chapitres successifs retraçant les guerres d’Israël les points forts de Tsahal : l’offensive et la maîtrise des airs. Lorsque l’invasion syrienne et égyptienne de Kippour, en octobre 1973, parvient à percer les défenses d’Israël, et notamment la ligne Bar-Lev dans le Sinaï, la parenthèse défensive décidée par la première ministre Golda Meir est définitivement refermée, et Israël ne se redresse finalement qu’au moyen de contre-offensives dans le Golan et le Sinaï – dont le succès aurait là encore mérité davantage de développement. Malgré les difficultés et un bilan humain de 3000 morts israéliens, la guerre se termine sans pertes territoriales.
Une trentaine d’années plus tard encore, Tsahal passe à l’offensive en territoire ennemi, en attaquant le Hezbollah au Liban. L’objectif officiel de récupérer les deux soldats faits prisonniers par un commando ne saurait suffire à expliquer la rapidité du déclenchement des hostilités, l’attaque de 7000 cibles par l’aviation et les 2500 bombardements de la marine israélienne. Il y a surtout là une volonté de « porter un coup décisif » au parti de Dieu et de « rétablir la capacité de dissuasion » (p. 151) des Forces de Défense d’Israël. Si les capacités de frappe du Hezbollah ne sont pas anéanties et que cette guerre est donc « ratée » (p. 115, p. 154) pour Israël, force est de constater que, par la suite les roquettes passant la frontière se sont faites bien plus rares, signe que « la capacité de dissuasion de Tsahal a été en partie restaurée » (p. 154), le mouvement islamiste sachant désormais à quoi s’attendre en cas de nouvelles hostilités.

Tank Merkava au Liban/1982/Photographie Bron Pancerma


La guerre de l’été 2006 a rappelé les fondamentaux de Tsahal en termes de doctrine, tout en valant des critiques internationales à Israël pour ses représailles jugées disproportionnées.

Du conflit israélo-arabe au conflit israélo-palestinien

Les difficultés d’Israël dans sa seconde guerre contre le Liban s’expliquent également, souligne David Elkaïm, par « les mauvaises décisions stratégiques et conceptuelles prises par l’état-major de Tsahal au cours des années antérieures », des choix d’adaptation des forces armées à des « conflits asymétriques, dits de basse intensité », p. 152. Militairement parlant, l’entrée dans cette ère de guerres contre des « combattants membres de différentes organisations paramilitaires » (p. 113) plutôt que contre des armées régulières est consécutive à la guerre du Kippour. Les combats que doit désormais livrer Israël ont changé de nature.
En effet, au sortir de celle-ci, le conflit israélo-arabe a fait l’objet d’efforts de résolution par des voies diplomatiques. C’est de ce conflit, qui a pris de court Israël et lui a donné le sentiment d’avoir « frôlé la catastrophe » (p. 112), que naît le processus de paix. Dans les années 1970 sont signés les accords de Sinaï entre Israël et l’Égypte. Son président Anouar El-Sadate, premier chef d’État arabe à se rendre en Israël, prononce, le 19 novembre 1977, un discours à la Knesset exposant les conditions possibles de la paix… sans mentionner l’Organisation de Libération de la Palestine.
Cette prise de position, qui vaut à l’Égypte bien des critiques dans le monde arabe, s’inscrit en fait dans la lignée de la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui, en 1967, posait le principe selon lequel Israël devait « évacuer les territoires occupés depuis la guerre des Six Jours, en échange de quoi les États arabes doivent accepter de faire la paix avec lui », p. 95. Ce principe « paix contre territoires » ne faisait, déjà, aucune référence à la création d’un État palestinien.
Ainsi se dissocient progressivement conflit israélo-arabe et conflit israélo-palestinien, les dirigeants du peuple palestinien comprenant la nécessité de défendre eux-mêmes leur cause, comme le souligne à plusieurs reprises l’auteur. Dès 1968, la bataille de Karameh, dont « l’impact symbolique est très fort » (p. 117) voit, en Jordanie, des combattants palestiniens défendre un camp du Fatah contre Tsahal. L’année suivante, la prise de pouvoir de Yasser Arafat sur l’OLP aboutit à une radicalisation des positions de celle-ci : elle critique les régimes arabes et adopte la lutte armée comme moyen de parvenir à un État de Palestine sur l’ensemble du territoire mandataire du même nom.
En 1987, l’Intifada (« soulèvement » en arabe) éclate, non seulement en réponse à la hausse des violences dans les territoires occupés où se multiplient les implantations israéliennes, mais aussi face à la conviction croissante qu’il n’y a rien à attendre de l’extérieur, conviction à l’origine de la montée des groupes islamistes. L’insurrection, d’abord menée avec des pierres et des cocktails molotov, se militarise progressivement devant la répression israélienne, menée à balles réelles. Plus important encore, la société israélienne se polarise : alors que la droite l’emporte aux élections de 1988, des officiers réservistes réunis en un Council for Peace and Security mettent en doute la nécessité de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Celle-ci ne renforce pas, selon ces gradés, la sécurité d’Israël, qui pourrait se retirer de ces territoires sans que les menaces en soient accrues.
De l’avis même de militaires, la solution doit être politique. C’est dans cette optique que sont signés en 1993 et 1995 les accords d’Oslo entre Israël et l’OLP, des compromis rejetés tant par la droite nationaliste et religieuse d’Israël que par les mouvements islamistes palestiniens, donnant lieu à des assassinats et attentats des deux côtés. Une nouvelle « spirale meurtrière » (p. 193) est enclenchée lorsque, en 2000, Ariel Sharon se rend sur le Mont du Temple/Esplanade des Mosquées, soufflant ainsi sur des braises : c’est ainsi la deuxième Intifada. Ici, la solution politique est écartée par Sharon, qui accuse Arafat d’être responsable du soulèvement, ce que la Commission Mitchell dément l’année suivante, accusant toutefois l’Autorité palestinienne de ne pas avoir cherché à éviter la militarisation du mouvement.

.Forces de sécurité affrontant des émeutiers palestiniens/Près de Ramallah/Octobre 2000/Photographie de Nadav Ganot (נדב גנות) / IDF Spokesperson’s Unit, CC BY-SA 3.0.

Néanmoins, dans le même temps, l’état-major de Tsahal s’est parfois affranchi des consignes du gouvernement Barak en adoptant « une stratégie purement répressive en multipliant les check-points, en renforçant les contraintes économiques et en détruisant délibérément des infrastructures civiles » (p. 194) de l’Autorité palestinienne… tout en attendant de celle-ci qu’elle empêche les attentats.
Cette politique de répression, nommée Minouf, vise à désolidariser l’opinion palestinienne du soulèvement, rappelant étrangement, a contrario, un épisode bien plus ancien. En effet, à compter de 1965, les militants du Fatah, soutenu par le régime syrien, effectuaient des raids contre Israël dans l’objectif « de provoquer des représailles dont ils espèrent qu’elles conduiront la jeunesse palestinienne vivant dans les camps de réfugiés à entrer en lutte et forceront les États arabes à s’opposer directement à Israël », p. 77. Le peuple palestinien est pris en étau entre belligérants cherchant à provoquer l’escalade.
C’est dans ce contexte que le Hamas, mouvement islamiste opposé au processus de paix, monte en puissance et prend le contrôle de la bande de Gaza. Ce territoire fait l’objet, depuis lors, d’opérations militaires israéliennes visant à la défense contre les tirs de roquettes – David Elkaïm mentionne les opérations Plomb durci (décembre 2008-janvier 2009), Pilier de défense (novembre 2012) et Bordure protectrice (juillet-août 2014), auxquelles on pourrait désormais ajouter celle du printemps 2021.

Roquettes tirées contre Israël depuis la Gaza sous contrôle du Hamas, interceptée par le Dôme aérien/Mai 2021/Photographie par Mahmud Hams / AFP


L’auteur relève les critiques régulières relatives au nombre de victimes civiles de ces opérations et en donne une explication militaire : « comme toutes les guerres asymétriques, les opérations à Gaza placent Tsahal face à un dilemme : soit respecter strictement les conventions internationales en s’interdisant de pénétrer dans les zones habitées, ce qui revient à s’abstenir d’attaquer l’infrastructure du Hamas et donc de facto lui permettre de protéger ses combattants et de ses armements, soit étendre les opérations terrestres aux milieux urbanisés peuplés majoritairement de populations civiles au milieu desquelles opère le mouvement, ce qui aboutit inévitablement à des « dommages collatéraux », à des erreurs ou, pis, à des « dérapages » qui entraînent la mort de nombreux innocents », p. 203.
Le brouillard de la guerre ne permet toutefois pas toujours, pourrait-on faire remarquer, de s’assurer du bien-fondé de chaque prise pour cible d’un immeuble civil, ni d’ailleurs de l’infirmer à coup sûr. Il en va ainsi de la frappe, très contestée, qui abattit le 15 mai 2021 la tour Al-Jalaa qui abritait les locaux d’Al Jazeera et de l’agence Associated Press mais aussi, si l’on en croit Tsahal, un centre de renseignement militaire du Hamas.
Dans tous les cas, ces opérations, « militairement gagnées d’avance », n’ont « pas conduit à une modification des rapports de force, le retour au statu quo ante pouvant même paradoxalement être considéré comme un but de guerre commun aux deux adversaires », p. 205. En effet, – c’est l’analyse de David Elkaïm -, Israël ne cherche pas à détruire complètement le Hamas, au risque d’avoir ensuite affaire à des « groupes liés à Daech ou à al-Qaida » dans la bande de Gaza, quand le Hamas met en avant ses actions militaires « pour faire taire les contestations intérieures et apparaître à nouveau comme l’ennemi irréconciliable d’Israël, posture qui est un des piliers de sa légitimité et lui a de facto permis d’engranger des succès ». Chacun a besoin de son ennemi pour se légitimer, et les chocs successifs n’ont fait disparaître aucun des deux, tandis que l’Autorité palestinienne, en elle-même, est impuissante.
Au vu de ces paramètres politico-militaires, sans que le Hamas ne soit le moins du monde en mesure d’arriver à ses fins et sans même que l’existence d’un État palestinien dans le futur ne soit en quelque manière garantie, le conflit israélo-palestinien est, au contraire des différentes guerres inter-étatiques d’Israël, « la guerre qu’Israël ne pourra pas gagner», p. 157.

Guerre et paix en Israël

David Elkaïm, ici historien de guerres récentes voire en cours, tire de celles-ci conclusions générales et hypothèses prospectives.
75 ans après sa création, l’État d’Israël a mené six guerres qui ont « contraint ses voisins à accepter son existence, si bien que les – nombreuses – menaces auxquelles il fait actuellement face ne mettent plus en jeu sa survie », p. 217. Entre autres, « Tsahal est aujourd’hui considérée comme l’une des armées les plus puissantes du monde, capable de mener des opérations complexes et variées, à proximité immédiate comme à des milliers de kilomètres », p. 219.

En d’autres termes, les guerres d’Israël ont permis à cette dernière de crédibiliser sa dissuasion, y compris nucléaire. À ce propos, la possibilité que l’Iran, dernier représentant du « front du refus », ne cherche à « arriver à la parité stratégique avec Israël » (p. 226) ne constitue pas, selon l’auteur, un nouveau péril existentiel. Outre l’infériorité iranienne sur le plan conventionnel, le risque représenté par une seconde frappe nucléaire israélienne serait disproportionné avec l’enjeu que représente effectivement, pour Téhéran, le combat des Palestiniens – qui, d’ailleurs, seraient particulièrement nombreux parmi les victimes d’une potentielle frappe iranienne, la rendant donc « contre-producti[ve] », p. 228. S’il est « probable que la guerre secrète continue » (p. 229) entre services de renseignement des deux pays – et au travers de proxies comme le Hezbollah qui a bénéficié de la logistique iranienne en 2006, pourrait-on ajouter –, « la probabilité d’un conflit direct entre les deux pays paraît extrêmement faible » (p. 226) de même, a fortiori, qu’entre Israël et un autre État.

Le dernier obstacle véritable à la paix en Israël réside donc ailleurs, aux yeux de l’auteur qui se fait, pour finir, prescriptif.

Pour lui, se pose nécessairement « le choix entre la fin de l’occupation et la fin du sionisme », p. 231. Si le contrôle sur la Cisjordanie devient définitif – son occupation, ainsi que celle de la bande de Gaza, est présentée comme 1967 comme temporaire –, « Israël devra soit donner aux Palestiniens la citoyenneté pleine et entière mais cessera alors d’être État juif, soit la leur refuser ou les priver du droit de vote pour rester juif mais cessera alors d’être démocratique », p. 234. Aussi, pour David Elkaïm, qui élargit ici son propos à des problématiques civiques et religieuses, il n’est pas de continuation possible de l’idéal sioniste sans solution à deux États ; or celle-ci est contestée par bien des membres du gouvernement israélien.

L’auteur remarque par ailleurs que, alors même que l’occupation de la bande de Gaza comme de la Cisjordanie est présentée depuis 1967 comme temporaire – aucune des deux n’ayant jamais été annexée – les dirigeants israéliens n’ont plus dévoilé de vision pour résoudre le conflit depuis la seconde Intifada. Ces dernières années, l’attitude de la sphère politico-militaire quant à la paix est « attentiste », p. 238. Dans un contexte régional comme international jugé trop complexe, face à des « enjeux trop grands » et une « marge de manœuvre trop faible pour prendre des initiatives risquées », « la perpétuation du statu quo, bien que dangereuse, apparaît […] comme la moins mauvaise des solutions », p. 239. Plutôt qu’un pis-aller, le refus de trouver une solution se fait « stratégie », p. 238.

En un mot, si le conflit israélo-arabe est de facto terminé, tel n’est pas le cas du conflit israélo-palestinien, qui s’en est progressivement distingué. En termes politiques, la logique des relations d’État à État, forgées entre autres dans la confrontation armée entre Israël et les régimes arabes, a pu prendre le dessus sur le soutien à un peuple palestinien justement privé d’État et aujourd’hui condamné à un statu quo sans perspectives.

***

L’Histoire des guerres d’Israël : de 1948 à nos jours est parue en 2018. Depuis, les accords d’Abraham de 2020 signés entre Israël d’une part et les Émirats arabes unis et Bahreïn d’autre part, rejoints ensuite par le Maroc et le Soudan, ont bel et bien semblé confirmer l’acceptation croissante de l’État d’Israël par ses homologues arabes, hier en guerre plus ou moins ouverte contre lui. L’année suivante, une nouvelle guerre israélo-palestinienne faisait son lot de morts et de destructions dans la bande de Gaza, aboutissant à un énième cessez-le-feu à l’issue duquel Israël comme le Hamas ont revendiqué la victoire, en dépit de nombreuses victimes civiles palestiniennes qui n’ont pas conduit les signataires arabes d’Abraham à revenir sur leurs signatures. Dans le même temps, les attentats perpétrés contre des civils israéliens n’ont pas cessé. En ce sens, les perspectives formulées par David Elkaïm semblent, en substance, se vérifier.

S’il n’est plus menacé d’un péril existentiel, Israël n’en a pas fini avec la guerre.

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