Une longue présence

par  Lazare Landau

Bernhard BLUMENKRANZ (sous la direction de), Histoire des Juifs en France,  Ouvrage collectif  conçu avec la collaboration de Roger Berg, Gilbert Cahen, Hugues Jean de Dianoux, François Delpech, Claude Klein, Wladimir Rabi, Elie Szapiro, Georges Weill, Olga Wormser-Migot,Toulouse, Privat, 1972, Collection Franco Judaïca.

Article mis en ligne et à la libre disposition de chacun par les bons soins de Persée ; il a été publié initialement dans la Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, n°2, 53ème année,  1973, p. 246-264. Le titre, les intertitres, de brèves coupures, les références bibliographiques, les illustrations ainsi que divers liens ont été ajoutés par Sifriaténou.

Présentation
L’histoire des Juifs en France a été publié en 1972.  Bernhard Blumenkranz, spécialiste de l’histoire des Juifs au Moyen-Âge, avait rassemblé en son temps, pour mener à bien cette entreprise, les meilleurs connaisseurs du sujet. Bien évidemment, depuis lors, bien des événements sont survenus (réévaluation de la période de Vichy, mémoire plus aiguë et informée de la Shoah, montée de l’anti-sionisme, tensions et climat d’insécurité dû à un intégrisme islamiste meurtrier…). Et puis la connaissance historique de cette communauté aussi ancienne que la France s’est enrichie de nombreux travaux, de nouveaux documents, de nouvelles recherches, et surtout de nouveaux questionnements.
La présentation, vivante et claire, qu’en fait le savant historien Lazare Landau est élogieuse  : ce travail pionnier se distingue, selon lui, par la qualité des contributions rassemblées, par leur homogénéité, par leur effort de rigueur historique. C’est surtout la première tentative pour envisager la présence juive en France dans la longue durée.
Sans même parler des erreurs ou de tel ou tel point de détail contestable, on a pu, cependant, (comme par exemple, le plus sévère, Simon Schwarzfuchs dans la Revue des études juives) trouver à cette histoire plusieurs défauts. Ainsi, elle comporte des limitations géographiques peu justifiables car si elle inclut l’enclave comtadine et l’Alsace-Lorraine, elle exclut sans raison l’Algérie qui, depuis 1848 jusqu’à l’Indépendance, fut un département français ; la période médiévale est survolée plutôt que traitée de manière approfondie ; on ne distingue pas nettement pays d’oc et pays d’oïl où les régimes juridiques qui gouvernent les communautés juives sont différents ; on peut enfin déplorer que le traitement de la période contemporaine n’atteigne pas le même niveau d’exactitude et pertinence que ce qui touche aux Temps modernes.
Il n’en reste pas moins que tout le monde s’accorde à reconnaître que L’histoire des Juifs en France demeure un outil de référence. Cette œuvre collective marque une étape importante, c’est la conclusion à laquelle aboutit, entre autres, la lecture de P. Sorlin : « une synthèse commode, claire et bien documentée qui fournit les références indispensables, classe les faits et les dates et permet de dépasser le niveau du simple récit pour arriver une interrogation plus profonde sur la condition et la personnalité des Juifs français ».   

Texte

L’histoire des Juifs en France

Lazare LANDAU

C’est une tâche redoutable que se sont assignée, modernes décemvirs, B. Blumenkranz et ses neuf collaborateurs qui ont mené à bien une nouvelle Histoire des Juifs en France. Tâche redoutable, parce que ce qui touche aux Juifs fournit depuis belle lurette matière à polémique : quiconque aborde ces problèmes délicats, doit s’imposer une discipline de fer pour échapper à la tentation de se faire procureur ou avocat. Autre difficulté majeure : l’aspect passionnant de cette poignante histoire juive. En France et à l’étranger, elle a séduit de nombreux amateurs qui lui ont fait le don d’un temps précieux qui se fût mieux employé ailleurs : rares sont les domaines de l’histoire où l’amateurisme, armé seulement d’ingénuité bienveillante, a exercé de plus grands ravages.

Un travail collectif homogène

On pouvait éprouver quelque crainte à lire les dix noms des auteurs qui ont contribué à la confection de cet épais ouvrage. D’abord, leur nombre, élevé, laissait prévoir une certaine disparité dans la conception, le style, le métier. Ensuite, la présence de plusieurs signatures qui ne sont pas celles d’historiens inspirait quelque inquiétude. Il faut reconnaître que, sur tous ces plans, la gageure que représentait la constitution de cette équipe a été tenue. Une lecture attentive ne fait apparaître nulle solution de continuité entre les diverses parties de l’ouvrage. Les inévitables nuances dans la tonalité des styles se marient sans choquer le lecteur.

Le plan dressé par le maître d’œuvre se justifie fort bien. Une première partie, qu’il s’est réservée — parce qu’elle ressortit en grande partie à sa compétence — traite des Juifs dans l’ensemble de la France, des origines à la fin du Moyen-Âge. La seconde partie— qui séduira le plus les fins gourmets de l’histoire — répartie entre quatre auteurs, étudie les grandes régions de « la France juive » aux temps modernes. Dans la troisième partie, nous revenons à un plan strictement chronologique, par lequel cinq autours s’appliquent à nous faire suivre les vicissitudes de la vie juive en France, depuis l’époque de l’Émancipation — qui sonna pour beaucoup le glas de la judéité — jusqu’à la guerre des Six Jours, qui suscita une étonnante prise de conscience, en passant par le génocide qui fit 120.00 victimes, posant à chacun le problème de la signification du sacrifice. Enfin, la conclusion, de la plume du directeur, offre un bref panorama d’où se dégage une philosophie de l’histoire des Juifs en France.

Au Moyen-Âge

Dans la première partie de l’ouvrage, B. Blumenkranz traite la période antérieure à 1501. Il souligne, à juste titre, que toute présence juive hors d’Israël entraîne une condition minoritaire, avec les aléas quelle comporte. Mais minorité n’est pas nécessairement synonyme de persécution : tout dépend de la mentalité qui règne dans le groupe majoritaire. En fait, durant les premiers siècles de son déroulement, l’histoire des Juifs en France témoigne de la tolérance des Chrétiens de ce pays : hormis quelques incidents de portée limitée, les Juifs de France, qui ont gardé depuis l’Antiquité leur caractère propre, se sont parfaitement intégrés au reste de la population. On trouve dans leurs rangs des marchands nombreux, sans qu’il s’agisse d’une vocation exclusive. Aussi bien, les documents font-ils apparaître leur présence en bien des exploitations agricoles. Ils se distinguent notamment dans la viticulture : les contreforts ensoleillés des vallées de la Saône et du Rhône voient s’affairer nombre de vignerons Juifs.
La pratique d’un métier n’absorbe pas, en ces temps, toute l’énergie des Juifs, à qui leur religion fait un devoir de se consacrer à l’étude. On comprend ainsi que la France médiévale soit devenue un foyer brillant de culture talmudique à partir du XIème siècle. A côté de plusieurs savants de premier ordre, il faut citer le nom d’un viticulteur champenois, Rabbi Chlomo ben Isaac (Rachi), né en 1040 à Troyes où il mourut en 1105. Rachi, qui créa la grande école des Tossafistes champenois, apporta, par son commentaire clair et pénétrant, de la Bible et du Talmud, une contribution majeure à la compréhension du judaïsme. Son commentaire qui abonde de vocables d’ancien français, demeure, jusqu’à nos jours l’instrument essentiel dont disposent les maîtres juifs pour mener leurs élèves dans les arcanes de la tradition. Renan a montré par quelles voies ce talmudiste d’esprit si français a influencé Nicolas de Lyre, par lui Martin Luther et toutes les Églises issues de la Réforme. L’Église catholique n’est pas restée insensible à sa voix, elle non plus, puisque, dès le XIIème siècle, ses travaux inspiraient Hugues de Saint Victor, l’un des meilleurs représentants du platonisme chrétien.

Le trait caractéristique du Bas-Empire et du Moyen-Âge français consiste — malgré des ombres passagères — en une bonne entente qui rapproche Juifs et Chrétiens. C’est à la fin du XIème siècle, qu’il nous faut placer une césure tragique. La Première Croisade (1096-1099) entraîne un revirement radical dans l’attitude de la plupart des Français chrétiens à l’égard des Juifs. On connaît le scénario qui s’est répété maintes fois : les Croisés, partant, à grands risques, en Terre Sainte, combattre les mécréants musulmans, maîtres du Saint-Sépulcre, ne pouvaient laisser vivre tranquilles, dans leur patrie, les Juifs que les prédicateurs désignaient comme les meurtriers du Christ. Sur la route de la Croisade, ils firent donc table rase : ce n’est pas le lieu, ici, de décrire l’extermination de la quasi-totalité des communautés juives de la vallée du Rhin ; l’événement échappe à notre propos. Pour la France, nous savons que les Juifs furent victimes, dans l’Est aussi bien que dans l’Ouest, de sanglantes persécutions qui expliquent un exode massif vers l’Angleterre que le virus anti-juif n’avait pas encore conquise.

Une miniature extraite des Grandes Chroniques de France/L’expulsion des Juifs de France en 1182/XIIIème siècle/Musée du Beth Hatsfoutsote/Tel Aviv


Désormais, les Juifs, marqués d’un signe d’infamie, sont périodiquement les jouets des caprices royaux aussi bien que des «émotions » populaires. Dans le calvaire qu’ils gravissent, l’accusation du meurtre rituel joue un rôle important. Articulée pour la première fois en 1144 en Angleterre, à Norwich, elle se répand rapidement en France où, dès 1171, les Juifs de Blois doivent faire front devant une dramatique diffamation qui se répétera en plus de cinquante villes de France. Par cette fable, des milliers de Juifs ont péri sur le bûcher. Quant aux souverains, ils font alterner, au gré de leur humeur, de leurs difficultés financières, de l’ardeur de leur foi, « disputations », confiscations, expulsions et rappels : entre la première expulsion générale ordonnée par Philippe Auguste en 1182 et l’expulsion « définitive » du royaume, sous Charles VI — le Fou — en 1394-1395, la chronique des Juifs de France s’est résumée en un long martyrologe.
Le début du XIVème siècle a marqué le point de départ d’un grand courant de migration hors du royaume qui se poursuit sans discontinuer jusqu’au XVIème siècle, atteignant son ampleur maximum en 1501, avec l’expulsion des Juifs de Provence. Après 1501, quelques petites communautés subsistent, parce qu’elles échappent au champ d’application de la législation royale, par exemple à Nice, en Avignon et en Alsace. Cependant que des Marranes, catholiques de souche juive, s’installent dans la région de Bordeaux et de Bayonne, la Lorraine, province-frontière, de grande signification stratégique, retrouve les Juifs au cours du XVIème siècle.

Deux « juiveries » de la Renaissance à la Révolution Française

Pour avoir une idée de la vie de ces « juiveries » françaises, du XVIème siècle à la Révolution, nous prendrons l’exemple de deux groupes juifs qui comptent — (…) — parmi les plus anciens, ceux de Metz et du Comtat Venaissin, qui subsistèrent, tant bien que mal, durant toute cette période, en marge des persécutions les plus violentes ; à Metz, parce que les Juifs paraissaient nécessaires au ravitaillement d’une forte garnison française ; dans le Comtat, parce que l’administration pontificale, dans son ensemble, montrait moins de rigueur au Juifs que celle du Roi Très-Chrétien.
Pour le Comtat, comme pour Metz, ce qui frappe d’emblée, c’est la présence de communautés aux effectifs modestes, dont le recrutement, durant plus de deux siècles, ne s’élargit guère au-delà des limites d’un modeste canton. Au début du XVIème siècle, les Juifs du Comtat représentent environ 2.000 personnes : ils seront à peine plus nombreux à l’approche de la Révolution. Les patronymes nous fournissent de précieux renseignements sur la composition de la juiverie comtadine : les Alphandéry, Astruc, Cadenet, La Roque, Beaucaire, Lunel, Milhaud, Crémieux, sont des Juifs du cru ou du proche voisinage. Les patronymes du XVIème siècle se retrouvent, à peu près tous au XVIIIème, sans que l’on y relève de noms nouveaux à consonance étrangère. Dans la région messine, où la communauté apparaît officiellement depuis le XVIème siècle, on relève, dans la première moitié du XVIIème un noyau de noms qui trahissent des immigrants d’origine allemande : les Hanau, Trêves, Schwöb, Bonn, Francfort, Ausbourg ; à ce groupe compact, s’ajoutent, au fil des ans, des patronymes venus du plat pays messin comme Trenel, Zey, Morchinger ; on appelle « étranger » un Juif nommé Louhans : il vient d’un pays lointain qui ne peut être que le Jura. Dans ce cas, comme dans le précédent, le recrutement de la communauté se restreint donc à un rayon très modeste. C’est au XVIIIème siècle que le recrutement s’élargit dans le pays messin avec l’apparition des Ennery, Morhange, Créhange, Boulay, qui sont encore gens du pays ; quelques nouveaux-venus sont originaires de la proche Alsace, comme les Dalsace, Saverne et Brisac. Les étrangers authentiques comme les Limbourg, Prague, Schwaise, Polacre, se comptent sur les doigts d’une main dans une communauté de 3.000 âmes.
Cette stabilité dans les patronymes n’est pas le fait du hasard. Il est certain que les autorités chrétiennes, qu’il s’agisse du Comtat ou de Metz, n’ont jamais tenu à voir croître le nombre de leurs Juifs. Mais, dans les deux cas, ce sont les Juifs eux-mêmes qui se montrèrent souvent xénophobes : si les Messins s’efforcèrent quelquefois de soustraire leurs coreligionnaires nouveaux-venus aux mesures d’expulsion, ils s’appliquèrent en général à réduire au minimum leur nombre. Quant aux Comtadins, ils se montrèrent constamment allergiques à la présence de Juifs étrangers, notamment des rares «Allemands » en qui nous reconnaissons d’authentiques Alsaciens. En Avignon, les syndics juifs allèrent jusqu’à payer 300 livres en 1775 à Mair Michel de Prague pour l’inciter à déguerpir ; à Carpentras, les «bayions » payaient les gardiens chrétiens du ghetto en leur demandant de repousser sans pitié les coreligionnaires étrangers et ils faisaient appel à la troupe pour chasser ceux qui, néanmoins, étaient parvenus à s’introduire dans la ville. De ce point de vue, la solidarité juive, si souvent vantée ou décriée, n’était qu’un mythe. Ces querelles mesquines n’auraient pour nous aucun intérêt, si elles ne révélaient une mentalité. Si les Juifs de Metz aussi bien que ceux de Carpentras, vivaient dans la crainte d’une immigration juive, c’est qu’ils étaient hantés par les manifestations d’un antisémitisme qui existait bien avant que Wilhelm Marr ne forgeât le mot en 1873. Dans leur esprit, la haine des Juifs avait toutes chances de croître en proportion du nombre d’individus qui peuplaient le ghetto ; si les nouveaux venus frappaient la population chrétienne par leur accoutrement ou leur langage exotiques, la situation des autochtones s’en trouverait aggravée. Ainsi, c’est l’obsession de l’antisémitisme chrétien qui, au long des siècles, a constamment attisé la xénophobie des communautés juives ; sur d’autres plans, elles se montrèrent très conscientes des devoirs de charité et de solidarité que leur assignait leur tradition.

Des régimes juridiques discriminatoires

Dans les deux groupes qui ont retenu notre attention, des statuts minutieux règlent, durant des siècles, le fonctionnement des collectivités et l’existence des individus. Les rédacteurs de ces statuts n’ont rien laissé au hasard ; dans le Comtat comme à Metz, les contrevenants s’exposent aux peines les plus rigoureuses, comme l’excommunication (‘hérème) la prison ou le bannissement. Dans le Comtat, les Juifs ont subi plusieurs expulsions jusqu’à la fin du XVIème siècle : la dernière, décidée par une Bulle de Grégoire XIV en 1593 ne fut pas appliquée ; mais, à dater de cette année, les Juifs comtadins se concentrèrent en quatre ghettos appelés « carrières » : ce furent les «Saintes Communautés » d’Avignon, Carpentras, Cavaillon et L’Isle-sur-Sorgue. S’ils purent y résider désormais, sans crainte d’expulsion jusqu’en 1789, ce fut à la condition de subir de nombreuses vexations et brimades, telles que, par exemple, l’obligation d’écouter régulièrement des sermons de missionnaires chrétiens et, pour les hommes, de porter le chapeau jaune et noir. A Metz, leur statut était à peu près semblable. Ni au-bains, ni serfs, ils jouissaient du droit de manance (taxe perçue par le seigneur sur tout nouvel arrivant établi dans une communauté), grevé de nombreuses servitudes et interdictions, leur présence se justifiant essentiellement par les services rendus aux armées du Roi. Dans les deux cas, nous sommes en présence de groupements qui ne bénéficient que de garanties juridiques très précaires : ils compensent cette fragilité par une structuration interne très solide.

Une organisation interne solide

Comtadins et Messins sont gouvernés par des conseils de chefs que l’on appelle bayions dans le Comtat et syndics à Metz. Les modes de désignation de ces administrateurs sont divers, mais ils recouvrent une réalité partout une : le pouvoir, dans ces communautés, appartient à une oligarchie de familles riches qui le tiennent par vocation héréditaire. Ces charges, au demeurant absorbantes, sont toujours gratuites : de petites gens, appliqués à gagner péniblement leur pain quotidien ne pourraient se consacrer à ces tâches. Simplement, il apparaît qu’à plusieurs moments, à Metz notamment, cette « aristocratie d’argent » qui gouvernait le ghetto, dut affronter l’opposition d’une « aristocratie du savoir », sûre de son influence en une ville où le Juif commun témoignait un respect égal au talmudiste et au financier. La chronique savoureuse de Glückel de Hameln dépeint avec admiration l’assemblée de beaux vieillards qui formaient le conseil des syndics messins. Il est certain que, dans tous les cas, ces assemblées ne représentaient pas le symbole de gérontocraties débiles : à plus d’une reprise, les syndics font appel au grand rabbin pour lancer une excommunication solennelle, ou aux archers des pouvoirs publics pour amener à résipiscence un fidèle récalcitrant.

Vie économique

De quoi vivent ces Juifs ? Avant d’examiner leur activité économique, il est indispensable de dire quelles interdictions pèsent sur eux : à partir de là, on comprendra mieux le reste. Ainsi, pour les deux groupes qui nous occupent, nous relevons l’interdiction d’adhérer aux corporations, donc de pratiquer l’artisanat, le commerce de détail, singulièrement le commerce des marchandises neuves et des denrées alimentaires ; interdiction de posséder des terres et des immeubles en dehors de la résidence principale sise dans le ghetto ; interdiction de gérer des fermes publiques, d’acheter des récoltes sur pied, et, dans le Comtat, de vendre des chevaux et des mulets. Interdiction d’exercer des charges publiques — elle vaut partout : nous connaissons, hors de nos deux groupements, le cas de Bordeaux où l’on trouve quelques échevins juifs, mais ils étaient issus de familles officiellement catholiques — , interdiction d’accéder aux universités et de pratiquer la médecine. A Metz comme dans le Comtat, on relève quelques rares exceptions à l’approche de la Révolution : que quelques individus soient parvenus à se glisser à travers les mailles d’un filet très serré, ne change rien au système. Les possibilités d’activité économique des Juifs étaient réduites à un champ très étroit.

Au XVIIIème siècle, dans le Comtat, l’on trouve des Juifs qui sont, depuis plusieurs générations, en grande majorité, tailleurs : ils rénovent, illicitement, de vieux vêtements, travaillent pour des prêtres et soldats pontificaux et pratiquent subrepticement le commerce des étoffes, draps et soieries. La répétition inlassable des interdictions concernant le commerce des grains, céréales et bétail ainsi que celui des bijoux, donne à penser qu’ils le pratiquent occasionnellement. De même, les Messins vendent aux paysans, chevaux, grains et bétail. Au lieu de tailleurs apparaissent ici de nombreux colporteurs qui jouent le rôle d’un lien important entre villes et campagnes ; des brocanteurs nombreux vendent des marchandises usagées, puisque le commerce du neuf leur est interdit. Les corporations chrétiennes ont obtenu qu’il fût interdit aux Juifs de tenir échoppe ainsi que la permission de « développer les manteaux » des Juifs, c’est-à-dire de les fouiller publiquement dans la rue.

À côté de ces petits métiers qui ne nourrissent guère leur homme, que peuvent faire les Juifs ? La minorité réduite qui dispose de capitaux les prête à intérêt. Malgré de nombreuses interdictions, les Juifs prêtent tant aux paysans qu’aux grands propriétaires dans le Comtat à un taux qui oscille entre 12 et 13 %, atteignant exceptionnellement le taux usuraire de 18 % en Avignon et à Carpentras. Les Messins riches contractent des marchés de fournitures avec le gouvernement, pratiquent le commerce international et prêtent aux particuliers. Les quelques grosses fortunes juives de Metz — celles de Cerf Lévy, Abraham Schwab, Abraham Raphaël — consistent surtout en créances. Les administrations royales à Metz font appel souvent aux Juifs pour la fourniture de vivres et même, pour la rentrée des contributions. Ces marchés et les bénéfices qu’ils comportent, ne doivent pas faire illusion : dans les deux groupements qui nous intéressent, la plupart des Juifs sont de pauvres diables, domestiques, courtiers, colporteurs, tailleurs, commerçants à la petite journée. Nous ne connaissons aucun groupe humain dont le statut juridique ait pesé d’un poids aussi lourd sur sa condition économique.

Manuscrit enluminé/Prêteurs juifs au temps de Louis XI/Circa 1270

La vie intérieure des communautés est dominée par les soucis financiers. Les Juifs sont soumis à des impôts d’État très lourds que leurs dirigeants répartissent — avec beaucoup d’injustice — entre les membres des communautés. La comparaison entre le Comtat et Metz montre que les impôts publics étaient plus supportables dans le premier que dans la seconde, ce qui s’explique sans doute par le fait que la gestion financière de l’administration pontificale était nettement meilleure que celle du Roi Très-Chrétien. Aux impôts de l’État s’ajoutaient les taxes communautaires, destinées aux nombreux services de la collectivité. Ainsi, en Avignon par exemple, les Bayions de l’Aumône distribuaient à la veille de chaque Sabbat du pain à tous les pauvres ; ils versaient des secours réguliers aux malades, aux prisonniers, aux étrangers, aux jeunes filles pauvres ; Metz possédait des institutions identiques. Dans les deux cas, les ressources de ces caisses ajoutaient aux taxes le produit des amendes et la vente des honneurs liturgiques. La religion ne prévoyait pas ce genre de vente, mais l’appareil religieux avait de grandes exigences.

Vie religieuse

Pour ces sociétés, la pratique religieuse forme la trame de la vie quotidienne. Dès la formation des communautés, elles mettaient en œuvre quelques droits élémentaires, condition de leur existence : formation d’un «Minyane » réunion de prières groupant au moins dix hommes ayant dépassé la majorité religieuse ; pratique de l’abattage rituel qui conditionne la stricte observance des règles alimentaires ; cuisson autonome du pain qui exclut l’usage du four banal ; fabrication autonome du vin, destiné surtout à l’usage religieux. Installation d’un cimetière particulier et reconnaissance du droit talmudique comme loi civile.

Dans le Comtat, on apporte un soin particulier à la construction des synagogues ; elles comportent plusieurs pièces appelées « écoles » ; les rabbins prêchent aux hommes dans les unes, aux femmes dans les autres. L’assiduité aux offices est la règle générale : une pièce de théâtre judéo-comtadine montre les femmes juives commentant sévèrement la conduite d’un homme qui a manqué à l’office. Les Synagogues comportent toujours, outre un ou plusieurs oratoires, un bain rituel. Les Synagogues — celle de Metz fut agrandie deux fois durant la période qui nous intéresse — connaissent une grande affluence aux jours de fêtes ; à Metz, l’un des sommets de l’office consiste dans la lecture publique du mémorial des martyrs. En Lorraine, comme en Provence, les Juifs sont tenus d’écouter périodiquement, dans leurs Synagogues, des sermons chrétiens : dans les deux cas, cet apostolat ne produit que des résultats insignifiants. Les conversions au catholicisme sont très rares : dans la région messine on relève le cas de quelques jeunes filles juives enlevées de force à leurs familles, installées dans des couvents et converties ; les Bayions Juifs comtadins, aussi bien que les Syndics messins protestent souvent avec vigueur contre les baptêmes forcés : ce sont à peu près les seuls — à quelques exceptions près — dont nous ayons connaissance.

La foi religieuse était fortement enracinée chez ces parias de la société chrétienne. Elle reposait pour une large part sur une forte organisation sociale : dans les « carrières » comtadines, tous se connaissaient, pratiquaient une entraide efficace, se retrouvaient aux enterrements, circoncisions et mariages, où les hommes chantaient en chœur des «pyoutime », poèmes religieux écrits en judéo-provençal. Au témoignage des documents dont nous disposons, les mœurs familiales, dans ces communautés, sont solides, les femmes honnêtes, les hommes sérieux, les écarts de conduite rarissimes. Les hommes se retrouvent en de nombreuses confréries qui ont des objectifs sociaux : aide aux pauvres, visite aux malades (bikour ‘holime), dernier devoir aux morts, arbitrage des querelles, étude de la loi, dotation de jeunes filles pauvres, paiement de soins et de médicaments à certains malades et secours aux émissaires de Terre Sainte.

On met l’accent, avec une particulière vigueur sur l’étude de la loi qui apparaît, aux Juifs de ce temps, comme la source de toutes les vertus. Les rabbins prêchent souvent, et avec succès ; le Comtat témoigne une certaine faveur aux érudits. A Metz, la communauté développe continuellement l’enseignement religieux : dès 1689 cet enseignement — gratuit pour les pauvres — est imposé par les syndics comme une obligation absolue à tous les pères de famille, sous peine de bannissement de la ville. Les jeunes gens sont soumis à des examens hebdomadaires ; Metz constitue un ensemble d’écoles religieuses à plusieurs niveaux dont le sommet s’incarne en la «yechivah », ou académie talmudique ; les chefs de famille sont tenus de subvenir à l’entretien des étudiants pauvres. Les adultes participent à des réunions d’études régulières qui suivent les offices : elles revêtent un caractère populaire et réservent une large place aux problèmes de la vie quotidienne.

Dans cette organisation, les rabbins et grands-rabbins tiennent une place de premier plan ; les grands-rabbins, gardiens vigilants de la Loi, assument en même temps la fonction de maître spirituel et celle de juge temporel. Les Rabbins comtadins se recrutent généralement sur place. Par contre, Metz qui tient à des talmudistes de renom capables de juger les procès en toute impartialité, parce qu’ils n’auront aucune attache sur place, recrute la plupart de ses grands-rabbins en Pologne : Moïse Cohen Narol, Jonas T. Fraenkel, Jonathan Eibeschutz — l’admirateur de Sabbataï Tsvi — comptent parmi les plus remarquables. L’autorité judiciaire du grand-rabbin n’était pas admise pourtant sans partage : nulle sentence n’était exécutoire si elle n’avait été prononcée par une cour rabbinique de trois juges au moins. La sanction la plus grave, l’excommunication, impliquait la rupture totale avec la communauté. Le Rabbinat n’y recourait qu’en des cas exceptionnels.

Son emprise religieuse n’était guère contestée. Les sermons de Jonathan Eibeschutz qui nous ont été conservés, comportent de virulentes attaques contre l’emploi du rasoir et la dissimulation des franges rituelles ; ces infractions apparaissent aujourd’hui tellement bénignes que nul rabbin ne s’y attarderait. Les syndics qui représentent, comme on l’a vu, la haute bourgeoisie juive, partagent pleinement les préoccupations des rabbins. C’est ainsi qu’ils interdisent à leurs Juifs les séjours à Paris, à certaines époques, en raison des tentations d’une vie frivole et immorale que multiplient, par exemple, les grandes fêtes parisiennes. Il n’est pas sûr, du reste que des Messins se fussent bien accommodés du milieu parisien : au XVIIIème siècle encore, la plupart des Juifs messins ne pratiquaient que le judéo-allemand, savaient l’allemand, alors que le français ne faisait que des progrès très lents dans les classes sociales supérieures. Les Comtadins usaient du judéo-provençal et parlaient, il va de soi, bien mieux le français que les Juifs de l’Est.

Quelles relations avec les Chrétiens?

La langue pouvait jouer un rôle considérable dans les relations avec l’environnement chrétien. Que savons-nous des relations entre Juifs et Chrétiens ? Dans le Comtat, les Papes protégeaient généralement les Juifs, soutenus par les municipalités, mais combattus par les grands notables locaux et les États du Comtat ; l’antisémitisme de ces classes, virulent depuis la Contre-Réforme, plongeait ses racines dans les compétitions économiques. Le clergé local témoignait aux Juifs une hostilité vivace, encore à la veille de la Révolution. Pourtant, le petit peuple ne les hait point et, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, nobles et bourgeois frayent avec eux. En 1781, le marquis de Lauris, viguier d’Avignon, certifie devant notaire que les Juifs, forts utiles à la cité, sont aussi honnêtes que les Chrétiens ; plusieurs personnalités, nobles et bourgeois, contresignent cette curieuse déclaration. La situation est fort différente à Metz. En 1737, le marquis d’ Argens trouve les Juifs du lieu misérables et ignorants. Pourtant, des personnalités chrétiennes de passage visitent la Synagogue, assistent aux offices. En 1780, la plupart des esprits éclairés sont acquis ici, à l’idée d’une émancipation des Juifs, à la condition qu’ils renoncent aux lois talmudiques. Roederer, organisateur du fameux concours de l’Académie de Metz sur les Juifs, en 1785, leur trouve les mêmes qualités qu’aux Chrétiens, même lorsqu’ils manifestent leur attachement à l’orthodoxie. La masse des Chrétiens messins — très éloignés des spéculations philosophiques — détestent cordialement les Juifs. Nous touchons ici à l’un des aspects les plus remarquables de l’histoire juive en France : l’antisémitisme, depuis longtemps, se manifeste avec bien plus de violence dans l’Est où les Juifs sont apparus, longtemps, comme un îlot étranger, alors que les communautés de «l’intérieur » — Midi méditérranéen ou aquitain — le ressentaient beaucoup moins, parce que leur intégration culturelle était achevée depuis longtemps.

De toute manière, les documents montrent sans équivoque, que, dans les années qui ont précédé la Révolution, les Juifs — Comtadins ou Messins — n’aspiraient point de tout leur cœur à acquérir la qualité de citoyen français à part entière. Vivant depuis des siècles au sein de la communauté chrétienne, ils concevaient difficilement un changement radical de leur statut. Fermement attachés à leurs communautés, leurs rabbins, leurs juridictions, ils souhaitaient l’abrogation des mesures vexatoires qui les frappaient et plus de liberté dans le domaine économique. Pour beaucoup, l’émancipation apparut comme une surprise, grosse de dangers pour la religion et le microcosme juifs.

Nous nous sommes attardés, trop longtemps peut-être, sur nos Juifs Comtadins et Messins. Ce n’est pas pourtant par attachement sentimental, mais bien parce que les vicissitudes de leur existence illustrent quelques idées fondamentales, susceptibles d’orienter tout étude de la condition des Juifs en France.

La condition des Juifs en France

Nous avons suivi près de trois siècles d’histoire de petits groupements, numériquement très faibles, mais attirant l’attention par la persévérance de leur dissidence religieuse, en des temps où la religion formait le ciment de tous les milieux sociaux en France. Minorité toujours méprisée, souvent détestée, les Juifs ont généralement mal vécu dans les deux groupements étudiés, mais ils ont survécu. Sans doute faut-il se garder de généraliser à l’excès les constatations que nous avons faites : par exemple, l’intégration des Juifs du Sud-Ouest (régions de Bordeaux et de Bayonne), s’est faite plus vite qu’ailleurs, parce qu’ils avaient débarqué en Chrétiens et qu’ils gardèrent longtemps, en apparence du moins, les pratiques du catholicisme. Cet alignement sur la population environnante désarma souvent une haine qui croissait autant qu’ailleurs, surtout chez les concurrents malchanceux. Le climat favorable invitait à l’intégration.

En revanche, dans les deux collectivités dont nous avons rapidement analysé la carrière sous l’Ancien Régime, la situation n’incitait pas à l’assimilation intégrale. À Metz comme dans le Comtat, les Juifs formaient une petite société fermée, de type patriarcal, confinée dans l’enceinte du ghetto ou de la «carrière», vivant selon la loi de Moïse, sous l’autorité de leurs rabbins et syndics à laquelle ils tenaient, lors même qu’elle s’exerçait de manière tyrannique.

Malgré bien des vicissitudes, dissensions, persécutions, ces communautés résistaient remarquablement à tous les facteurs d’érosions, qu’il s’agît de l’apostolat chrétien ou de la philosophie des Lumières. La raison de cette résistance réside-t-elle dans la foi vécue pleinement ? Certes, mais il y a plus. Ces Juifs, exclus de la plupart des professions honorables, réduits, sans droits assurés, à la pratique de métiers déconsidérés, se sentaient liés à la communauté par les liens d’une solidarité exigeante. Adopter une autre croyance, d’autres mœurs, ce n’était pas simplement échanger un principe abstrait contre un autre, mais s’arracher à tous les êtres chers. Voilà pourquoi, semble-t-il, contre vents et marées, les Juifs de France en ces temps, charretiers et colporteurs, banquiers et talmudistes, mirent leur honneur dans l’application de la devise du Taciturne : « Je maintiendrai ».

Après l’Émancipation

On peut épiloguer longuement sur les conditions de l’Émancipation accordée par la Constituante, parcimonieusement et comme à regret.

Décret royal proclamant l’ émancipation des Juifs/France/1791/Musée d’art et d’histoire du Judaïsme

À partir du jour où tous les Juifs de France jouirent du droit de cité, le problème qui se posa, jusqu’à nos jours, fut de le conserver et, malgré les efforts qu’ils déployèrent dans cette intention, ce ne fut pas chose facile. Dans les Assemblées révolutionnaires, leurs ennemis naturels siégeaient à droite, mais la gauche en produisait aussi, des plus virulents : Rewbell, député de Colmar, acharné à perdre les Juifs, n’était-il pas un Jacobin bon teint ? Bonaparte, cet autre Jacobin, les détestait à peine moins et s’appliqua, durant l’Empire, à restreindre leurs droits en multipliant les brimades. Si les documents de ce temps montrent les dirigeants Juifs appliqués à prouver aux autorités les qualités civiques de leurs coreligionnaires, c’est bien que les autorités n’y croyaient guère. Malgré l’Assemblée des Notables et le Grand Sanhédrin, les Juifs de France voyaient leur confiance en l’Empereur s’altérer de jour en jour, et, bien qu’ils aient assumé pleinement leurs obligations militaires, ils ne se rangèrent certainement pas, après Waterloo, parmi les partisans indéfectibles de l’Empereur déchu.

Grand sanhédrin des Israélites de l’Empire français et du Royaume d’Italie

La Restauration aurait pu menacer leurs positions, mais Louis XVIII était trop intelligent pour suivre les conseils de ses ultras : sous son règne, et sous celui de Charles X, les Juifs gardèrent les situations acquises sous la Révolution, en dépit de bien des récriminations, venant de Chrétiens, surtout paysans endettés des régions de l’Est. L’avènement de Louis Philippe marqua un net progrès dans leur condition. En 1832, l’État prit à sa charge le traitement des rabbins : certains célébrèrent la décision en un style dithyrambique qui prête à rire, mais l’important n’est pas là. Une transformation lente et profonde s’opérait dans la société juive. Elle se francisait pleinement, surtout dans l’Est et s’intégrait dans les classes bourgeoises chrétiennes. Elle rencontra de fortes sympathies parmi les têtes de la monarchie, notamment chez le Roi — bourgeois et son ministre préféré, le protestant Guizot, historien qui, se souvenant d’appartenir à une minorité longtemps persécutée, n’était pas disposé à entrer dans les vues de nouveaux persécuteurs. A plusieurs reprises, il intervint en faveur de Juifs, même de ceux qui souffraient de l’antisémitisme de la Suisse voisine.

Sur le plan économique et social, la Monarchie de Juillet et le Second Empire, avec la parenthèse de la Seconde République, marquèrent une importante ascension. Grâce à la paix européenne et à la possibilité d’exercer sans troubles des activités régulières, les Juifs connurent une importante croissance démographique : de 40.000 environ, à la fin du XVIIIème siècle, ils passèrent à plus de 70.000 à la fin du Second Empire. Un courant continu de migrations appauvrissait les communautés provinciales au profit de Paris où se développait la première communauté de France. Simultanément s’accélérait un processus de déjudaïsation, amorcé timidement à la fin du XIXème siècle et qui aboutit à détacher de la religion et de la société juives un nombre croissant de Juifs, intellectuels et membres de professions libérales, qui, avec ou sans baptême, s’inséraient pleinement dans le milieu chrétien. Sous la IIIème République — celle des ducs et des notables — cette tendance s’accentua au point de donner naissance à une doctrine de l’assimilation qui devint la philosophie officielle du judaïsme français et trouva son prophète en James Darmesteter. Par l’effet d’un revirement spectaculaire, accompli en moins d’un siècle, les Juifs de France semblaient n’avoir plus d’autre ambition que celle de disparaître en silence.

Au temps de l’Affaire

En avril 1886, Édouard Drumont, lança, avec  La France juive  une bombe qui atteignit le judaïsme français en ses œuvres vives et causa à la doctrine de l’assimilation un mal irréparable. Sans doute, Drumont dut-il son succès en partie à des circonstances économiques défavorables à beaucoup de Français, ainsi qu’au traumatisme persistant de la défaite de 1870. Il n’en demeure pas moins que, malgré la médiocrité littéraire de son ouvrage, la pauvreté de son argumentation et ses falsifications énormes, il remporta un vif succès, introduisant le racisme dans la mentalité d’une partie des Chrétiens de France. Il développa son avantage en lançant, le 29 octobre 1894 « La libre Parole » qui, par le canal des curés de campagne, fit pénétrer l’antisémitisme dans les plus humbles paroisses de France. Drumont, qui s’attaquait volontiers à la hiérarchie, se proclamait catholique fervent : dans les milieux ouvriers, il bénéficia de l’audience qu’avaient procuré à l’antisémitisme des doctrinaires socialistes comme Toussenel. Les conditions étaient réunies pour l’éclosion d’une grave crise : ce fut l’Affaire Dreyfus. Nous ne nous attarderons point sur cette Affaire, ni sur son pitoyable héros qui était, certes, le Juif le moins juif de France. En fait, Dreyfus représentait un symbole aux yeux de l’opinion. Avant lui, — il me paraît important de le rappeler, — le capitaine Crémieu-Foa du 8e Dragons, avait provoqué en duel Drumont, au nom de plus de 300 officiers Juifs de l’Armée Française qui s’estimaient diffamés par lui : Alfred Dreyfus était l’un d’eux. Le Conseil de guerre qui le condamna, le sachant innocent, voulut, par là, jeter l’opprobre sur tous les Juifs de France et remettre en cause leur statut. Au terme d’une lutte âpre où les «intellectuels » de gauche reçurent le renfort des protestants, des libres-penseurs et même d’un groupe de catholiques inspirés par l’abbé Georges Frémont, la vérité fut connue et Dreyfus réhabilité. Des esprits lucides — forts rares au demeurant dans le judaïsme français de cette époque — se rendaient compte, avec André Spire, que l’Affaire n’était pas un simple accident mais que, selon le mot de Charles Péguy, elle allait se poursuivre indéfiniment.

L’Affaire comporta une double conséquence. D’une part, elle suscita la naissance du sionisme politique, dû à l’action de Théodore Herzl qui avait assisté, bouleversé, aux explosions d’antisémitisme du procès. Mais le sionisme, ainsi né en France, ne recueillit guère l’audience des Juifs de France. La seconde conséquence de l’Affaire fut l’apparition de l’Action Française, dont l’antisémitisme constituait l’une des raisons d’être. Malgré la révélation des mensonges et impostures qui étaient à la base du procès de Dreyfus, le talent de Charles Maurras lui gagna en France beaucoup d’adeptes, au nombre desquels se comptaient nombre d’intellectuels et de grands bourgeois Juifs. L’Action Française ne s’attendait pas à une telle aubaine.

L’Entre-deux Guerres

La Grande Guerre marqua pour les Juifs une période de répit. On savait que des milliers de Juifs combattaient en première ligne. Ils eurent un nombre élevé de tués et de décorés. Le fait impressionna suffisamment Barrés pour que cet apôtre du nationalisme leur réservât une place dans ses Familles spirituelles de la France, écrites en 1917.

L’armistice de Rethondes donna le signal d’une nouvelle offensive antisémite en France. L’Action Française ouvrit le feu, prenant prétexte de deux types d’événements très différents. D’une part, la Déclaration Balfour, du 2 novembre 1917, apportait, selon elle, la preuve que les Juifs n’étaient pas français, puisque le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté leur promettait l’édification d’un foyer en Palestine. D’autre part, dans la chaîne des révolutions qui avaient ruiné les monarchies séculaires des Romanov, des Habsbourg et des Hohenzollern, des Juifs — en nombre restreint, il est vrai — avaient joué un rôle déterminant : il suffit de mentionner, par exemple les noms de Trotsky et de Rosa Luxemburg, pour se souvenir de quelles passions, de quelles haines, ils étaient entourés. L’Action Française en conclut — comme le firent les Nazis en Allemagne — que les Juifs étaient les bacilles de la maladie révolutionnaire et qu’il importait de les réduire à l’impuissance ou de les supprimer. Dans le cadre de la « conjuration juive mondiale » que dénonçait inlassablement Mgr. Jouin, curé de Saint-Augustin, un faux, fabriqué au début du siècle par la police du Tsar, les Protocoles des Sages de Sion , traduit en français en 1920, remporta un succès remarquable. Maurras était fondé à écrire le 4 octobre 1920 : « il n’y a plus qu’un péril juif ». Il est vrai que le très sérieux Times de Londres, d’abord crédule, avait révélé en août 1921 que les Protocoles  étaient un faux dont il indiquait les origines. Dans l’Action Française , Jacques Bainville répliquait : « Qu’est-ce que cela prouve au sujet des Bolchéviques et des Juifs ? Absolument rien ».

Durant l’Entre-deux-guerres, l’antisémitisme, sans cesse croissant, devint le problème fondamental des Juifs en France. Les frères Tharaud qui avaient noué et entretenu d’étroites amitiés avec des universitaires juifs, diffusaient un antisémitisme virulent sous l’enveloppe attrayante de leurs romans : Quand Israël est roi  (1922), Quand Israël n’est plus roi  (1933). La publication de ce dernier ouvrage coïncide à peu près avec l’avènement du nazisme en Allemagne. Ce nationalisme exacerbé, gallophobe, n’inquiéta pas outre mesure nos distingués romanciers : les frères Tharaud se demandèrent ingénument comment, jusqu’à Hitler, 65 millions d’Allemands avaient pu se laisser dominer par 600.000 Juifs. Dans le même temps, Georges Bernanos publiait, à la gloire de Drumont, La grande peur des biens-pensants. De plus en plus, la France ressentait le contrecoup de l’action des antisémitismes étrangers : d’abord, par l’afflux de réfugiés Juifs d’Europe Orientale et Centrale, puis par les séquelles de l’action anti-juive engagée en plusieurs pays. Ainsi, en 1927, S. Schwarzbard, juif d’origine russe, tuait en plein Paris Simon Petliura, Hetman des Cosaques, qui avait fait massacrer naguère des milliers de Juifs en Ukraine.

Photographie prise lors du procés de Sholem Schwarzbard/Il est accompagné de son (célèbre) avocat , Henry Torrès

Au terme d’un débat chargé de passion, la Cour d’Assises de la Seine acquitta Schwarzbard. Ipso facto, le problème du droit des Juifs à l’existence était posé devant l’opinion publique française.

De 1933 à 1939, l’Action Française poursuivit sans répit sa campagne anti-juive. Elle reçut des renforts de plusieurs côtés, notamment de certains agitateurs professionnels subventionnés par les Nazis du « Weltdienst » d’Erfurt. Pour ces chantres du nationalisme xénophobe, l’argent allemand n’était pas impur. Pourtant, ce mouvement antisémite, très actif, ne représentait pas toute la France, ni même le catholicisme français. Parmi les Français qui manifestaient leur fidélité à l’Église, des voix, isolées d’abord, de plus en plus nombreuses à l’approche du conflit mondial, s’élevaient en faveur d’une révision fondamentale des relations avec les Juifs. Des catholiques comme Marc Sangnier, Georges Bidault, François Mauriac, approuvés par des évêques comme le Cardinal Verdier, NN. SS. Saliège et Ruch, militant côte à côte avec des protestants, tels les pasteurs Marc Bœgner et Wilfred Monod, proclamaient que l’antisémitisme était contraire à l’esprit de l’Évangile et au génie de la France.

Pie XI, malgré ses prises de position catégoriques, ne parvenait pas à endiguer un antisémitisme qui avait pris un nouvel élan en 1934 grâce à l’affaire Stavisky et atteignit son paroxysme en 1936 lorsque le succès électoral du Front Populaire porta au pouvoir le Juif Léon Blum (…). Dans la presse, le talent d’un Brasillach, d’un Pierre Gaxotte, unis dans l’action à Maurras, portait à son apogée l’antisémitisme littéraire dont s’imprègnent les élites chrétiennes des milieux conservateurs. Les Coston, les Rebatet, les Céline — ce dernier usant du langage ordurier qui lui confère son originalité — diffusent la même propagande à l’intention d’un public bien plus large de petits-bourgeois et même d’ouvriers.

En 1939, la France est partagée en deux camps. Ceux des Chrétiens qui manifestent leur sympathie aux Juifs, le font avec une frappante timidité : on croirait, par moments, qu’ils se sentent honteux. Dans le camp adverse, les antisémites affichent une belle assurance : paradoxalement, lorsque la guerre éclate, eux qui se proclament les paladins de «la France seule » ne paraissent pas souhaiter la victoire des armes françaises sur Hitler, champion, certes, d’un germanisme délirant, mais aussi ennemi inflexible des Juifs. L’ambiguïté de la situation explique ainsi « la divine surprise » de Charles Maurras à l’heure du désastre national. Ce n’est pas le lieu ici de conter — comme le fait notre ouvrage — les épisodes de la persécution puis de l’extermination des Juifs, entreprises à partir de 1940. Il apparaît important de relever que, si les premières mesures anti-juives de Vichy ont été accueillies par un silence que beaucoup interprétaient comme un consentement de la France chrétienne, l’indignation croissante, l’exigence de la conscience chrétienne, se sont traduites, dans l’Église romaine comme dans celles de la Réforme, par une solidarité active qui ne s’est pas démentie, à partir de l’année 1942 : elle marque, dans ce domaine, comme dans celui des opérations militaires, un tournant de la guerre.

La reconstruction

On ne connaîtra jamais le nombre exact des Juifs de France qui ne sont pas revenus des camps de la mort : notre ouvrage en estime le nombre entre quatre-vingt mille et quatre-vingt-dix mille ; d’autres auteurs donnent un chiffre sensiblement plus élevé. Ce qui importe, c’est que le judaïsme s’est retrouvé très cruellement mutilé au lendemain de la tourmente. Ses pertes revêtaient une gravité d’autant plus grande qu’elles affectaient un nombre élevé de jeunes, dont beaucoup de jeunes intellectuels, particulièrement visés par la Gestapo et tombés, en grand nombre, dans la Résistance et les Forces Françaises Libres. La Communauté juive dut se reconstruire sur des bases fragiles, avec un encadrement très insuffisant. La persécution avait cessé, mais non l’antisémitisme qui, sous diverses formes, se trouve à la source des deux grands problèmes auxquels cette communauté s’est vue confrontée, depuis la Libération jusqu’au lendemain de la Guerre des Six Jours : le premier concerne le Sionisme avec ses conséquences, l’autre, la grande migration des Juifs d’Afrique du Nord.

Nous avons évoqué, en son lieu, la naissance du Sionisme politique sur la terre de France et souligné l’accueil glacial que lui réservèrent les Juifs de notre pays, semblables en cela aux Juifs d’Allemagne et à bien d’autres. Dans les milieux officiels du judaïsme français, le sionisme garda longtemps mauvaise presse : on estimait, qu’exhortant les Juifs à émigrer en Palestine, il apportait de l’eau au moulin des antisémites qui criaient précisément : « les Juifs en Palestine ! ». Les dirigeants, spirituels et laïcs, du judaïsme français, ne songeaient à changer ni de drapeau ni de passeport. Le sionisme pouvait rendre des services dans la mesure où il leur permettait de diriger vers une terre aride du Moyen-Orient un flot de réfugiés étrangers, apatrides actuels ou futurs, générateurs d’antisémitisme dans les pays d’Occident qui les accueillaient. Un André Spire, Français de vieille souche, Conseiller d’État de surcroît, faisait figure d’éléphant blanc après sa conversion au sionisme ; il ne fit pas école. Le génocide des années de guerre comporta, dans ce domaine, une révision déchirante des positions traditionnelles chez beaucoup de Juifs de France.

Puisque Vichy et le Maréchal Pétain, qui incarnèrent un temps la France, avaient choisi la déchéance puis la persécution des Juifs, un certain nombre de Juifs traqués commencèrent à envisager l’émigration en Palestine comme une possibilité qui n’était pas à rejeter. Au lendemain de la Libération, le mouvement sioniste bénéficia de sympathies bien plus nombreuses qu’avant la guerre. L’État d’Israël, proclamé le 14 mai 1948, dans les circonstances dramatiques que l’on sait, n’apparut pas simplement comme un cousin, compromettant par son existence même, mais comme une communauté qu’il fallait aider à survivre à l’heure du plus grand danger. En bien des cas, ceux qui prêchèrent la solidarité avec Israël furent des Français patriotes, anciens combattants déportés hantés par le souvenir des milliers de Juifs, frères de souffrance, qu’ils avaient vus, jetés sans défense, dans les chambres à gaz et les fours crématoires.

Manifestations parisiennes en faveur d’Israël durant la Guerre des Six-Jours

Une mutation profonde s’ébaucha dans la mentalité des Français de religion israélite. Ils témoignèrent de l’intérêt aux choses d’Israël. Suivant les vicissitudes de l’existence du nouvel État, ils furent stupéfaits par les réalisations israéliennes, dans la paix et dans la guerre. Ces paysans, transformant par un travail acharné des terres désertiques, ces fantassins, tankistes, aviateurs, partant à l’assaut avec un mépris total du danger, étaient des Juifs. Progressivement, les Français Israélites se rendirent compte que le comportement de ces hommes, dont ils avaient longtemps renié la parenté, représentait la meilleure des parades contre les caricatures séculaires de la propagande anti-juive. Le Juif paresseux, trafiquant, lâche et obséquieux, était rejeté dans le domaine de la fable par la démonstration des Israéliens. La campagne du Sinaï de 1956 fit une profonde impression ; la Guerre des Six Jours provoqua une commotion : sans adhérer au sionisme militant, les Juifs de France, dans leur écrasante majorité, se proclamèrent solidaires de l’État d’Israël. C’était une révolution qui marquait l’enterrement de la doctrine de l’assimilation.

L’agitation bruyante d’une infime minorité de jeunes, se réclamant de doctrines politiques de gauche ou d’extrême-gauche, se signalant volontiers par des manifestations spectaculaires, pro-arabes et anti-israéliennes, ne modifie en rien cette analyse, non plus que les professions de foi de quelques tenants de l’orthodoxie extrême ou de l’assimilation totale, se prononçant dans le même sens que les gauchistes. Tous ensemble représentent moins de 3 % de la collectivité juive de France où leur influence est nulle.

Étroitement lié au problème sioniste que nous venons d’évoquer, le sort des Juifs d’Afrique du Nord commença à préoccuper les dirigeants de la Communauté métropolitaine dès le début des années cinquante. Le mouvement général de décolonisation amorcé au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, toucha rapidement les territoires de l’Empire français en Afrique blanche. Les Juifs, nombreux, établis depuis des siècles en Algérie, en Tunisie et au Maroc, avaient tout lieu de craindre les lendemains de la décolonisation, chargés de menaces. D’une part, «indigènes », les Juifs d’Afrique du Nord avaient de longue date «trahi » leurs compatriotes arabes en collaborant étroitement avec la France ; ceux d’Algérie avaient accepté avec empressement la nationalité française qu’Adolphe Crémieux leur avait octroyée au nom de la IIIème République. D’autre part, la décolonisation coïncidait dans le temps avec la création de l’État d’Israël, « écharde dans la chair du monde arabe ». En tout pays arabe, chaque Juif était suspect désormais de complicité immédiate ou éventuelle avec l’ennemi sioniste ; pour bien des dirigeants arabes, cette manière de voir ne se limitait pas à des manifestations oratoires. Les Juifs, citoyens des pays arabes, avaient lieu de craindre pour leur statut civil, leurs biens, leurs personnes.

Café Drai/Paris

Ainsi s’explique la migration des Juifs d’Afrique du Nord qui accompagna la décolonisation des trois pays du Maghreb. Englobant en plusieurs vagues puissantes plusieurs centaines de milliers de personnes, elle représente l’un des mouvements de population les plus importants de l’histoire juive, qui pourtant en est riche. Une partie de ces émigrés se dirigèrent vers l’État d’Israël, mais la grande majorité — sans distinction d’origine géographique — alla se fixer sur la terre de France qui les accueillit libéralement. Pour le judaïsme français, leur arrivée suscita des problèmes nombreux, dont la solution paraissait difficile, voire impossible. Ainsi, en 1962, il fallut loger, en des abris de fortune des milliers d’Algériens, fort démunis. Il importait de trouver, pour la plupart, du travail, des écoles pour leurs enfants, des institutions sociales pour les déshérités, des synagogues et des cadres religieux pour ceux qui tenaient à rester Juifs. Cette œuvre complexe, s ‘étalant sur des années, fut menée à bien, malgré d’inévitables imperfections, par les efforts conjugués des Consistoires et du Fonds Social Juif Unifié. Le problème de la cohabitation entre Français et Nord-Africains, reçut généralement une solution satisfaisante grâce à la création, dans le cadre des groupements existants, de communautés nord-africaines, jouissant d’une large autonomie. Sur le plan social, les immigrés modifièrent sensiblement le visage du judaïsme français, par l’apport de dizaines de milliers de petites gens, travailleurs manuels, petits artisans, fonctionnaires ou commerçants ; ils élargirent considérablement la base de la pyramide sociale du judaïsme français. À la communauté métropolitaine qui avait amorcé depuis la Libération un net retour à la tradition et aux sources scripturaires du judaïsme, ils apportèrent, avec des rites originaux, la chaleur des manifestations religieuses propres aux terres méditerranéennes.

Ainsi, dans la seconde moitié du XXème siècle, l’histoire des Juifs en France s’engage-t-elle, après de nombreux avatars, en des voies nouvelles. Le Français Juif n’a rien de commun avec le paria vivant en marge de la chrétienté médiévale, mais il s’éloigne à grands pas, tout autant, de l’Israélite assimilé du siècle dernier. Religieux de toutes nuances ou incroyants, les Français juifs de notre temps semblent avoir retrouvé ou trouvé une identité qui leur faisait défaut. Ce qui explique la conclusion optimiste du maître d’œuvre de l’ouvrage, prévoyant des jours meilleurs pour des Juifs libérés des servitudes ancestrales et gardant fermement leur originalité au sein d’une société française ou la tolérance régit les relations d’une communauté à l’autre.

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(…) Cet ouvrage se situe, sans conteste, à un niveau remarquable. Il était difficile de mettre des questions complexes et subtiles à la portée d’un large public cultivé. Les auteurs y sont parvenus, sans renoncer à un apparat critique qui témoigne de la solidité de leur travail. À la lecture de tel chapitre — que nous n’indiquerons pas pour ne pas donner l’impression d’écrire un palmarès — nous avons ressenti le plaisir que nous donnait, au temps de nos études, le style sobre et limpide d’un Fustel et d’un Taine. Dans notre optique, ce n’est pas un mince compliment. Ce livre deviendra, non seulement le manuel familier des étudiants de nos universités intéressés par cette question, mais encore l’ouvrage de référence par excellence pour tous ceux qui chercheront à connaître, au moyen d’une science de bon aloi, l’histoire tragique et pathétique des Juifs en France.

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