‘Hanouka selon le Maharal de Prague

Cours du Rav Yehuda RUCK (20 séances)

sur le Ner Mitsvah

Transcrit et adapté

par Marianne Cense

Dans un cours composé de vingt séances diffusées initialement sur le site Torah-Box, le Rav Yehuda Ruck traduit et analyse intégralement la première partie du Ner Mitsvah/Lumière du Commandement du Maharal de Prague, ouvrage consacré à la fête de Hanouka (son origine, sa signification, ses lois). Sifriaténou remercie le Rav Ruck d’avoir autorisé cette transcription.

Séance n°1 : Le rêve de Daniel

Ner Mitsva comporte deux parties.

  • La première partie correspond à l’explication du rêve de Daniel qui concerne le rapport entre Israël et les quatre Empires de l’Exil : la Babylonie, la Perse, la Grèce et l’Empire romain – dans lequel se trouve toujours le monde, jusqu’à aujourd’hui, qui va du monde chrétien au monde moderne.
  • La deuxième partie porte spécifiquement sur la fête de Hanouka. Ce livre du Maharal sur ‘Hanouka s’ouvre sur l’explication du rêve du prophète Daniel (Daniel : 7, 2-27) concernant les quatre Empires où se déroule l’Exil d’Israël.

Il faut savoir que Daniel a fait partie de ces jeunes gens qui ont été fait prisonniers par le roi Nabuchodonosor, à l’époque du premier Exil, c’est-à-dire de la première déportation de l’élite religieuse, politique et économique d’Israël. Cela était en effet la politique du roi Nabuchodonosor qui, arrivant en Israël, conquiert le pays et en particulier le Royaume de Juda où règne alors le roi Joïakim ; il emmène avec lui en Babylonie des jeunes gens qui sont l’élite du peuple d’Israël pour leur donner la meilleure éducation possible, babylonienne, afin d’en faire les conseillers du royaume. Á cette époque, Daniel est emmené en Babylonie ainsi que trois autres jeunes hommes qui sont Hanania, Azaria et Mishaël, mais Daniel a tout de suite été reconnu pour ses qualités exceptionnelles, pour sa sagesse/חכמה/‘hokhmah et, en particulier, pour sa capacité à interpréter les rêves.

Le prophète Daniel/Détail de la mosaïque/Basilique Saint-Marc/XIIème siècle

Donc le Livre de Daniel est essentiellement fondé sur l’interprétation des rêves du roi Nabuchodonosor mais aussi sur le rêve que Daniel lui-même a fait à cette époque. Il est bien de rappeler qu’à ce moment Nabuchodonosor ne se contente pas d’emmener avec lui l’élite intellectuelle juive du royaume de Juda mais emmène aussi, – avant même la destruction du Temple puisqu’on est dans la première période de la conquête babylonienne du royaume d’Israël et de Juda-, tous les ustensiles du Temple jusqu’en Babylonie afin d’en faire l’expression de sa gloire, comme le Maharal le mentionne.
La question se pose alors de savoir pourquoi, dans ce livre en deux parties portant sur ‘Hanouka, donc portant essentiellement sur la Grèce hellénistique, – environ deux cents ans après le décès d’Alexandre le Grand -, le Maharal a senti l’obligation de parler longuement des quatre empires de l’Exil alors qu’il aurait pu se contenter de parler de l’Empire grec – puisque c’est celui qui concerne spécifiquement la fête de ‘Hanouka.
Il faut d’abord savoir que l’exil grec qui est, si l’on peut dire, l’exil de la philosophie, de la sagesse grecque, est le point d’ancrage de tout l’exil moderne ; c’est-à-dire que Rome elle-même est en réalité une héritière de la philosophie grecque, de la science qui va commencer à naître en Grèce avec les Présocratiques, avec les écoles de Pythagore, Anaxagore, Parménide, Anaximandre, Thalès qui sont à la fois des mathématiciens et des philosophes, avant que ne viennent Platon puis Aristote, ce dernier ayant été le précepteur particulier d’Alexandre le Grand. Et donc, avec la fête de Hanouka, instaurée à l’époque des Hasmonéens qui ont lutté contre l’invasion grecque et l’hellénisation du pays, deux cents ans après la mort d’Alexandre le Grand, nous sommes loin des débuts de la philosophie grecque qui a déjà largement conquis toute la Méditerranée. Or Rome – qui est le nom de l’exil dans lequel le peuple juif se trouve aujourd’hui, l’ère de la modernité -, est elle-même et l’héritière et l’expression de la domination de cette sagesse grecque, comme on le voit dans les commentaires de Nahmanide sur la section Balak de la Torah (Nombres 22,2–25,9) mais aussi dans le Talmud (le Traité Meguila parle de « Italia Shel Yavan »/« l’Italie de la Grèce »). Il s’agit d’un seul et même mouvement : Rome perpétue et transmet l’héritage grec. Voilà pourquoi le Maharal a estimé important de parler des Empires de l’Exil à propos de la fête de Hanouka spécialement : la Grèce antique est au cœur de l’exil actuel, dominé par la science et la technique, par la ‘Hokhmah bagoyime/sagesse profane qui étend son emprise sur le monde entier.

[Le rêve de Daniel]

Le texte du Maharal s’ouvre directement sur le rêve qu’a fait le prophète Daniel. Le texte est en araméen, assez difficile ; en voici la traduction :

« J’ai vu un rêve lors d’une vision nocturne et voilà que les quatre extrémités du Ciel se cabrent au-dessus du grand océan et quatre bêtes formidables sortent de l’océan, chacune différente de l’autre. La première est comme le lion et a des ailes d’aigle. Voilà que je la regardai jusqu’au moment où ses ailes lui ont été arrachées et voilà qu’après avoir été soulevée de terre elle a été posée sur ses pieds comme un homme et on lui a donné un cœur d’homme. Et voilà une deuxième bête qui ressemble à l’ours, elle se tenait sur un côté et elle avait trois côtes dans sa gueule entre les dents et voilà qu’on lui disait : « lève-toi et rassasie-toi de viande ». Ensuite alors que je regardai encore voilà une autre bête comme une panthère qui avait, elle, quatre ailes d’oiseaux sur son dos et aussi quatre têtes et on lui donnait la domination. Plus tard, voilà que je regardai encore dans une autre vision nocturne et voilà une quatrième bête, elle était incroyable, terrifiante et extrêmement vigoureuse et elle avait des dents de fer, elle mangeait et elle broyait, et le reste elle l’écrasai avec ses pieds. Elle était différente de toutes les autres bêtes précédentes et elle avait dix cornes », Daniel : 7, 2-7

Dans ce rêve, la première bête correspond à l’empire de Babylonie, dans lequel Daniel se retrouve exilé ; la deuxième à la Perse ; la troisième à la Grèce et la dernière à Rome, à notre modernité.

La-vision du Prophete Daniel/Luigi Sabatelli1809/MAH Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève. Ancien fonds

[Dès l’origine de la Création : Babylone, la Perse, la Grèce, Rome]

Le Maharal commente ainsi ce texte :

« Il y a lieu de s’interroger. Voilà que ce sont donc ces quatre Empires que Dieu a institués dans son monde. Il ne fait aucun doute qu’ils sont au nombre de quatre et qu’ils ne sont pas par hasard sous cette forme. Au contraire c’est ce qui est nécessaire à l’ordre avec lequel Dieu a organisé son monde et puisqu’il en est ainsi : « Qu’est ce qui fait que ces Empires sont précisément au nombre de quatre ? » Donc tu vois maintenant qu’au moment où Dieu a créé son monde, il a été fait une allusion dans la Genèse à ces quatre Empires. En effet le Midrache explique ainsi le deuxième verset de la Torah : « La Terre était Tohu-Bohu et obscurité au-dessus de l’abîme. » Rèch Lakich a interprété ce verset en référence aux quatre Empires : « la Terre était donc Tohu [Chaos] » c’est l’empire de Babylone. Comme cela est dit dans le livre de Jérémie (Jérémie 4 : 23) : « J’ai vu la Terre et elle était désolation ». « Bohu » correspond à la Perse comme cela est dit dans le livre d’Esther (Esther : 4, 14) : « voilà qu’il ont fait du désordre, qu’ils se sont empressés d’emmener Haman ». L’obscurité, nous dit Rèch Lakich, c’est l’Empire grec puisqu’ils ont obscurci les yeux d’Israël à cause de leurs décrets car cet Empire disait à Israël : « inscrivez sur la corne du taureau que vous n’avez pas de part dans le Dieu d’Israël ». La suite du verset dit « Au-dessus de l’abîme » c’est l’empire scélérat, donc l’empire de Rome, qui n’a pas de fin comme l’abîme qui est donc sans fond, indéfini. Et la suite de Genèse dit : « Et le souffle divin plane au-dessus de l’eau » : Reish Lakish explique que c’est l’esprit du Roi-Messie, comme effectivement tu l’as dit, car voilà qu’il a été enseigné dans le livre d’Isaïe (Isaïe : 9, 2) : « L’esprit divin s’est reposé sur lui ». Mais alors par quel mérite ce souffle divin se matérialise et arrive ? La suite du verset (Genèse Rabba : 2,5) nous dit : « Il plane au-dessus des eaux par le mérite de la Techouva [par le retour à la Torah ] », retour qui est comparé à l’eau comme cela est dit dans les Lamentations (2,19) : « Épanche ton cœur comme l’eau ».

Cela est l’expression même de la Techouva/repentir et le Maharal explique :

« Et voilà tu vois ici que dans ce Midrache qu’au moment où Dieu a créé son monde, il a déjà institué ces quatre Empires. Puisqu’il en est ainsi, il y a lieu de se demander : pourquoi cela est-il ? Pourquoi Dieu a-t-il fait en sorte que dans son monde il y ait effectivement quatre Empires ? L’explication de cela tient qu’il convenait que soit déjà fait allusion à ces trois Empires dès les prémisses de la Création parce que ces quatre Empires qui exprimeront la Création dans le monde, [chacun à une époque qui lui est propre, et pour Rome en ce qui nous concerne] parce qu’il était impossible que ce monde qui est donc une création du Nom soit démunie de toute forme d’imperfection. Au contraire la Création elle-même contient dans son essence même un manque. Et ce manque s’exprime dans le monde à travers les quatre Empires, parce que ces Empires diminuent le dévoilement du pouvoir du Nom dans le monde».

Il faut expliquer en quoi la Création elle-même est la marque du manque ou de l’imperfection. On comprend, effectivement, que Dieu crée le monde et qu’il est Lui-même l’expression de la pure perfection. Si le monde avait été au même niveau de perfection que le Créateur avant la Création si l’on peut dire, alors il n’y aurait pas eu de différence ; il n’y aurait pas eu de différence entre une créature et le créateur. Donc faire apparaître la Création, c’est nécessairement laisser une place à la possibilité du manque, de l’imperfection et donc à la possibilité du mal. C’est pourquoi le Maharal dit que les quatre Empires sont nécessaires et sont déjà présents même dès le premier verset de la Genèse puisqu’ils sont inhérents au mouvement créateur qui fait apparaître une créature ; qui, par définition, est différente du Créateur et, par définition, imparfaite.

« Et une fois que le monde a été créé par Dieu, en réalité tout aurait dû se retrouver maintenant sous le pouvoir de Dieu parce qu’Il a tout créé. Et en fait à cause de cela il est évident que toute chose devrait être l’expression dans sa création de la gloire divine. Mais maintenant que la Création apparaît et commence à posséder une certaine autonomie il est impossible que cette créature soit démunie de toute forme d’imperfection ».

[L’imperfection du monde, le Tsimtsoume]

On pourrait dire, en ce sens-là, que les Empires de l’Exil d’Israël sont l’expression de l’imperfection du monde ; on pourrait dire même que l’expression du Mal est inhérente à cette disproportion entre le Créateur et la créature : ces Empires n’ont pas sublimé, par un travail sur eux-mêmes, cette dimension d’imperfection inhérente au monde. Ils diminuent ainsi la Gloire divine.

« Mais cette imperfection ne vient pas de Dieu, parce qu’on ne pourra jamais dire que le Néant et l’imperfection sont l’expression d’un acte positif. L’imperfection du monde n’apparaît que pour autant que le monde lui-même est un être créé et qu’un être créé par définition est distinct du Créateur. Voilà qu’il est donc la Créature ; c’est de cela que s’ensuit l’imperfection, le manque et qui fait que, effectivement, les Empires peuvent dominer dans le monde et, eux-mêmes, se détourner de l’expression de la Gloire divine. »

Ce bref passage du Maharal est intéressant à plusieurs niveaux mais, en particulier, on voit qu’il donne deux définitions de ce que les Cabalistes appellent le צמצום /« Tsimtsoume » – notion que l’on traduit très mal par le terme de « rétrécissement ».
Le tsimtsoume, c’est l’idée que tout en étant présent dans ce monde, Il ne se laisse pas dévoiler. Il ne se laisse pas dévoiler dans sa toute-puissance, et c’est cela qui fait, selon le Maharal, qu’il y a une imperfection inhérente au monde ; mais aussi, même du point de vue de la Création, la créature elle-même est imparfaite. La créature elle-même de son propre point de vue manque d’une dimension de perfection, ce que le Maharal nomme le Néant ; cette négativité est donc attachée à la créature et non à l’acte créateur lui-même.

Le Maharal dit ainsi que la place que prend cette possibilité (cette possibilité en Mal), cette possibilité de se détourner du dévoilement de la Gloire divine est le fait de la créature elle-même. C’est sa responsabilité ; c’est son choix.

Séance n°2 : Obstacles au projet divin

[Faille dans la Création : la possibilité du mal]
Rappelons tout d’abord que les quatre Empires évoqués précédemment sont inhérents à la Création en tant qu’ils sont l’expression de l’imperfection qui est le propre de la créature vis-à-vis du Créateur. Le texte du Maharal dit ceci :

« Et donc cette chose [cette déchirure, si l’on peut dire], il convenait d’y faire allusion dès le début de la Création [donc dans le verset de la Genèse qui suggère les quatre Empires comme nous l’avons dans la séance n°1] parce qu’en réalité, du point de vue de l’essence même de la Création, il convenait que tout se retrouve sous le pouvoir du Nom. Comme cela est dit dans le Talmud : « tout ce que Le Nom a créé, il l’a créé pour le dévoilement de Sa gloire » et comme il est dit dans Isaïe 43, 7 : « tous ceux qui se réclament de mon nom, tous ceux que, pour ma gloire, j’ai créés, formés, organisés ». Cela signifie qu’après que Le Nom a tout créé, toute chose dans la Création a été créée pour le dévoilement de Sa gloire [tel est le sens même de la Création du monde : Le Nom crée un monde afin d’y dévoiler Sa réalité]. Il est impossible que la moindre chose dans ce monde-ci puisse s’exclure de l’unité divine ni puisse même aller à l’encontre du projet divin, sinon cela signifierait que, dans l’unité même de la Création, quelque chose puisse se trouver en contradiction inhérente avec lui-même, or cela est impossible. En effet, tout a été créé dans ce monde-ci pour le dévoilement de la gloire divine. Mais puisqu’il en est ainsi, comment est-il possible que les Empires puissent malgré tout s’élever et annuler le dévoilement de la gloire divine dans le monde ? [Nous comprenons cette idée dans le sens où, à partir du moment où les Empires s’attaquent à Israël, ils s’attaquent au dévoilement de la Gloire divine dans le monde puisque Israël est le dépositaire du message divin, de la Torah, du sens du monde et de la Création. Donc dire que les Empires s’attaquent à Israël et le propulsent dans l’exil, cela veut dire que les Empires ont la possibilité de se dresser contre le projet divin]. Alors comment est-ce possible si ce n’est à dire qu’il y a dans la Création elle-même une imperfection inhérente ? Cette imperfection n’est pas l’expression positive de l’acte créateur du Nom mais elle est en soi une raison suffisante, inhérente même au projet créateur [car l’imperfection du monde permet de laisser la place à la liberté humaine, au pouvoir de rendre possible le mal. Et c’est en cela que cette imperfection (propre à la créature) représente son épreuve dans ce monde-ci ].

[« Le pain de la honte »]
Nous avions parlé dans la première séance du Tsimtsoume ; mais il y a aussi une autre notion qui lui est liée et qui correspond au « pain de la honte » : Le Nom a fait en sorte que la créature elle-même soit dans un état d’imperfection vis-à-vis du Créateur qui est la pure perfection ; si bien que la créature est en soi imparfaite vis-à-vis du Créateur mais qu’elle est elle-même, également, de son point de vue propre, imparfaite. Il en est ainsi pour qu’elle puisse, avec les outils qui sont les siens et dans les conditions qui sont les siennes, se parfaire. Voilà ce qu’on appelle « le pain de la honte » : ce pain est celui qu’elle va recevoir en vertu de son travail, de ses efforts, de sa manière de sublimer son imperfection propre. Elle va recevoir ce pain comme un salaire en vertu de l’action, du comportement, de sa volonté d’agir dans ce monde-ci. Or, cette possibilité en mal – si l’on peut dire car propre à l’imperfection de la créature -, laisse ouverte une béance, une brèche dans laquelle vont s’engouffrer les Empires. Au lieu d’en faire l’expression de la royauté divine, ils en feront une royauté pour eux-mêmes. Les peuples la prennent pour eux-mêmes en exprimant l’idée de leur propre autonomie et en niant par là le projet divin qui, lui, vise au dépassement de l’imperfection.


[Les forces centrifuges contre l’Unité divine ]
Le Maharal poursuit :
« C’est donc la raison pour laquelle il convenait que les Empires fussent au nombre de quatre. Les Empires sont eux-mêmes un retrait du dévoilement de la Gloire divine alors que Lui est Un ; celui qui se trouve au centre est toujours investi de la dimension d’unité. C’est pour cette raison que le Temple et Jérusalem qui sont l’expression de l’unité se trouvent au centre du monde. De même Israël comme peuple unitaire est au centre. Il convenait donc, en propre, pour le peuple d’Israël de se retrouver dans une terre qui soit unique puisque la terre d’Israël est au centre du monde. Voici la règle : il revient en propre à une chose qui est unitaire, l’idée même de centre ; et ce qui s’exclut de l’unité a au contraire un rapport au quatre correspondant aux quatre extrémités du monde qui sont l’expression des quatre directions cardinales fuyant le centre : voilà pourquoi les Empires sont au nombre de quatre en tant qu’ils fuient le point central. Voilà pourquoi le Midrache en vertu de l’interprétation du désordre et de la désolation, évoque les quatre Empires. Ces deux notions de désordre et désolation sont l’expression de l’imperfection / du manque / du néant qui est inhérent à la Création. Et c’est du point de vue de l’imperfection de la Création que ces quatre Empires ont pu se dévoiler. Et ils sont eux-mêmes singulièrement concernés par ce point-là [à savoir la sortie de l’unité] parce que leur autorité dans ce monde s’extrait du dévoilement de la Gloire divine au point qu’elle vont même jusqu’à s’opposer au dévoilement de Son unité dans le monde. Et à propos de la disparition de ces quatre Empires à la fin du temps au moment où le Messie se dévoilera, Le Nom régnera sur toute la Terre : ce jour-là, Il sera Un, Son Nom sera Un. Mais, pendant toute la durée où ces quatre Empires expriment leur domination dans le monde, la Gloire divine ne se dévoile pas librement dans son propre monde.  du dévoilement de la Gloire divine dans le monde, c’est le fait que Le Nom soit Un dans le monde, qu’il n’y a rien en dehors de lui.

Séance n°3 : Les Empires contre Israël

Nous commençons par rappeler deux points exposés dans la séance n°2.

  1. la différence essentielle entre le peuple d’Israël/עם ישראל/’Am Israël et les quatre Empires ;
  2. la raison pour laquelle ceux-ci sont au nombre de quatre, raison qui tient selon de Maharal à l’idée de dispersion, à l’idée de s’extraire de l’unité (du dévoilement de la Gloire divine dans le monde).

Dans cette opposition entre l’unité – qui correspond au dévoilement de l’unité divine sur terre – et la dispersion aux quatre extrémités du monde, nous retrouvons l’évocation, présente dans le rêve de Daniel, de l’océan qui se cabrait avec, aux quatre extrémités, quatre animaux que ce dernier apercevait. Nous pourrions presque dire que nous avons affaire à deux conceptions de l’universel : celle qui se donne dans le dévoilement des puissances matérielles, de la multiplicité ; et celle qui, au contraire, est incarnée par Israël comme dévoilement du Projet divin, unifiant, inscrit au cœur même du monde, précisément en son centre.
Nous reprenons désormais le texte :
« C’est donc pour cette raison que ces quatre Empires n’ont de réalité qu’en vertu de l’imperfection qui est inhérente à la Création. Car comme nous l’avons déjà dit, il était impossible que la Création elle-même se retrouve dans une forme absolument parfaite ; mais au contraire il fallait que la Création soit marquée du sceau de l’imperfection, de l’insuffisance. Mais, comme nous l’avons vu, cette imperfection n’est pas dépendante de l’acte créateur qui a tout créé ; elle n’a de réalité que du point de vue du monde des créatures, du monde de la Création elle-même. Et c’est donc par allusion à cette dimension-ci que le verset de la Genèse (1 : 2) dit : « Au commencement Elohim a créé le ciel et la terre et la terre était Tohu [confusion] Bohu [chaos] » parce que la terre n’a effectivement de réalité que du point de vue des créatures du monde d’en bas. C’est pour cette raison qu’elle était confusion, chaos et obscurité sur la surface de l’abîme. Cette imperfection (cette insuffisance) était attachée elle-même à l’expression de l’unité dans le monde si bien que ces deux noms que sont la désolation et le chaos expriment l’imperfection qui est indissociable de l’apparition de la Création. Et c’est du point de vue de ce manque propre à la Création que les quatre Empires ont pu apparaître, parce qu’ils ont arraché en réalité le Règne qui devait être celui d’Israël, [Ici ce que nous appelons « le Règne » correspond au dévoilement de la Gloire divine dans le monde ; ces Empires se sont imposés dans ce monde-ci en arrachant à Israël la possibilité qui lui était donnée de dévoiler la gloire du Nom] car c’est ce peuple-là qui a été façonné pour dévoiler la Gloire divine dans le monde ; comme cela est enseigné dans le verset Isaïe (43, 21) : « Ce peuple-là je l’ai créé pour moi, ils raconteront ma louange ». Or ces quatre Empires qui ont hérité du règne d’Israël viennent annuler le dévoilement de la Gloire divine en ce monde ici-bas. Parce que quand bien même nous pourrions trouver en eux quelque chose qui exprime la Gloire divine – comme nous allons l’expliquer [Effectivement tous les peuples au monde, tous les êtres humains sont l’expression de la Gloire du Nom dans le monde]. Le Nom ne veut ni leur dard ni non plus leur miel [Le Nom ne veut pas que le dévoilement de Sa Gloire passe par ces Empires qui sont l’expression de la dispersion et qui viennent donc installer une imperfection dans ce monde au lieu de la sublimer, Il ne veut ni leur expression en mal (leur dard) ni leur expression en bien (leur miel)] parce que l’essence même du dévoilement de la Gloire divine dans le monde, c’est le fait que Le Nom soit Un dans le monde, qu’il n’y a rien en dehors de lui.

[Israël, garant de l’unité du Nom ]

Or, les Empires sont au nombre de quatre, justement parce qu’ils s’opposent au dévoilement de l’unité divine, et qu’ils expriment cette idée du « C’est moi qui règne » c’est-à-dire l’idée d’une autonomie, d’une toute-puissance qui n’aurait de compte à rendre à rien du tout et qui ne serait pas elle-même le dévoilement de l’unité divine dans le monde. Voici ce qui est en jeu dans l’imperfection inhérente à la Création : grâce à son travail, l’homme peut sublimer, que ce soit au niveau individuel ou national, cette dimension en mal afin, au contraire, de dévoiler en quoi elle n’est rien. Ainsi, le monde, avec toutes ses imperfections, est l’expression d’un projet qui est donné à l’homme doté de la liberté qui est donnée dans ce monde-ci pour dévoiler la Gloire divine.
« Or, voilà que les nations diminuent cette unité divine dans le monde. Seul Israël qui est un peuple unique / unitaire / singulier a été façonné pour porter le dévoilement de l’unité divine dans le monde comme l’exprime le verset Isaïe (43, 21) : Ce peuple, je l’ai formé pour moi, pour qu’il publie ma gloire », parce que, quand le prophète Isaïe dit « ce peuple-là », la valeur numérique du mot : « là » (en hébreu : « זו ») est de treize, ce qui est aussi la valeur numérique du mot « אֶחָד  »/ « e‘had » [L’Un] en hébreu. Cela correspond au fait que le peuple d’Israël correspond à la tribu de Lévi avec en plus celles d’Ephraïm et de Menaché, ce qui donne treize tribus. De la même manière que le mot « אֶחָד », les tribus d’Israël étaient l’expression de l’unité. Or, la tribu de Levi est une tribu singulière, en-soi, elle est séparée des autres tribus et donc elle est elle-même autonome, mise à part. Elle correspond à la lettre aleph (א) du mot «אֶחָד » [parce que la lettre aleph est une, unitaire, unique] alors que la lettre het (ח) fait référence aux huit enfants de Rachel et Leah qui sont donc huit indépendamment de Levi. Et le « ד »/dont la valeur numérique est 4/ correspond aux quatre enfants des servantes qui sont Gad, Asher, Dan et Nephtali. C’est la raison pour laquelle le prophète Isaïe dit que « ce peuple-là » – qui a la même valeur numérique que le mot « אֶחָד  »/L’Un-, racontera Sa louage. Or l’essence même de la louange que l’on fait du « Hakadosh Baruch Hu » [du Saint, béni soit-Il], c’est le fait qu’il n’y ait aucune force, aucune autonomie donnée à aucune forme de créature ; si bien que seul Le Nom est l’expression de la toute-puissance et c’est pour cette chose-là [pour dévoiler l’unité divine dans le monde] qu’Israël a été créé dès l’origine parce que cette nation témoigne que Le Nom est Un – comme cela est énoncé dans un midrache, à savoir que le peuple d’ Israël témoigne du fait que « Hakadosh Baruch Hu » [qu’Le Nom est Un et qu’il soit béni] ».
Quand le Maharal évoque un midrache, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y a un midrache, au sens propre du terme qui expose cette idée puisqu’ici en fait le Maharal fait référence à un commentaire des Tossafistes (un commentaire du Talmud : Deutéronome Rabbah, 5) qui exprime l’idée qu’il y a trois formes par lesquelles s’exprime l’unité divine dans le monde : Israël, le Sabbat et Le Nom lui-même.
[La lutte menée par les Empires contre Israël]
Ce n’est pas le lieu d’expliquer là ce rapport qu’il y a entre l’unité divine et Israël ; en revanche le sujet est ici que les quatre Empires viennent annuler le dévoilement de l’unité divine dans le monde au moment où ils retirent le gouvernement d’Israël [« retirer le gouvernement d’Israël » signifie qu’ils vont déplacer Israël, l’arracher à ses limites territoriales (Eretz Israël) et empêcher Israël d’officier dans le Temple et de dévoiler les miracles qui avaient lieu au Temple. Mais cela signifie aussi le fait de retirer à Israël d’autres dimensions comme sa sainteté, sa langue, l’étude de la Torah et comme nous allons le voir avec les décrets qui ont été institués par les Grecs : le droit de pratiquer le Sabbat, d’accomplir la circoncision, de sanctifier le monde et ainsi de suite. Le gouvernement est à comprendre comme dévoilement dans ce monde-ci du règne divin]. Et c’est pour cela que, quand nous arriverons à la fin de ce pouvoir qui a été donné aux quatre Empires dans le monde, quand la royauté reviendra à Israël, voilà qui est écrit dans le Livre d’Obadia (1 : 21) : « Et des libérateurs monteront sur la montagne de Sion, pour se faire les justiciers du mont d’Esaü; et la royauté appartiendra à l’Éternel.» [le dévoilement de l’unité divine dans ce monde se fera de manière totale, de manière parfaite puisque Israël retrouvera la place qui lui est propre, comme le dit le Maharal : un peuple qui est un, unitaire, expression de l’unité et donc du dévoilement du Nom dans ce monde]. Le Nom sera le Roi sur toute la Terre, ce jour-là Le Nom sera Un et Son Nom sera dévoilé [Remarquons que la valeur numérique de mot « dévoilement » correspond à 346 comme pour le mot « volonté », ce qui signifie que le dévoilement du projet même de la Création se dira de manière totale, parfaite et accomplie]. Voilà ce que nous avons dit jusqu’à maintenant et voilà pourquoi les Empires sont au nombre de quatre. Ce chiffre est l’expression de l’exclusion de l’unité, du centre car le centre est par définition un ; il est impossible que le centre soit double ; il est au contraire toujours unitaire de manière absolue. Alors que les côtés, les extrémités sont par définition antagonistes : une direction s’étend vers l’Est, une autre s’étend vers l’Ouest, une vers le Sud et une autre vers le Nord. Tu vois donc que les quatre extrémités du monde sont antagonistes, ils sont le contraire de l’unité. De la même manière que le verset 1 : 5 de la Genèse a fait une allusion à Israël dès le début de la Création, le Midrache interprète : « c’est pour Israël qu’a été créé le monde ». C’est la raison pour laquelle il convenait qu’il soit fait allusion à Israël dès le début de la Création et, au même moment comme nous l’avons vu dans ce même verset, il est aussi fait allusion aux quatre Empires parce qu’ils sont l’expression de l’imperfection qui se trouve dans la créature en vertu de l’essence imparfaite propre à celle-ci.».

Séance n°4 : Forme et sens des lettres du Nom

  Après avoir expliqué la raison pour laquelle nous parlons de quatre Empires en opposant d’un côté le dévoilement de l’unité divine – qui est réservé à Israël – et de l’autre ces Empires, qui tentent de s’emparer du projet divin inscrit dans l’humanité sous la forme d’Israël, en s’appropriant la domination et la souveraineté autonome et en empêchant Israël de dévoiler l’unité divine.
Les Empires sont précisément au nombre de quatre puisque le propre du quatre, se référant aux quatre extrémités du monde, est l’antagonisme alors qu’Israël naît sur le point central comme le montre la Guematria : Israël est sur la terre d’Israël, au niveau du Temple lui-même au centre de Jérusalem de telle sorte que cette dimension centrale est l’expression de l’unité divine dans le monde. Tout cela est lié à l’imperfection du monde au sens où Le Nom a laissé un projet à l’homme, celui de sa liberté comme potentialité du dévoilement de la présence divine dans le monde ou au contraire, comme potentialité de son effacement, du mal. Les quatre Empires sont, de cette façon, l’expression de la dispersion, de l’universel comme dispersion alors qu’Israël est l’expression de l’universel sous la forme de l’unité.
[Forme et sens du Nom divin]
Cependant le Maharal va donner une autre explication à partir des lettres du Nom, de leur forme et de leur valeur numérique. Il cherche ainsi à montrer pourquoi Israël est l’expression de l’unité alors que les quatre Empires devaient être au nombre de quatre précisément parce qu’ils expriment l’idée de la dispersion, l’idée de la multiplicité.
Le Maharal dit ceci :
« Et il te faut aussi savoir qu’il convenait aussi dans la Création du monde par Le Nom que soit faite une allusion à cet Empire [c’est-à-dire à la possibilité même d’un empire, d’une royauté qui refuse le dévoilement divin dans le monde] parce que c’est avec les lettres Youd Hé (י »ה) que Le Nom a créé son monde. Le monde futur a été créé par la lettre Youd / י  de Son Grand Nom alors que ce monde-ci tel qu’il nous apparaît a été créé avec la lettre Hé / ה ) parce que dans ce nom Youd Hé (י »ה) la lettre Youd du nom Youd Hé (י »ה) nous montre que Lui Béni soit-Il est Un. En effet la lettre Youd qui est la lettre la plus petite, elle est indivisible, Une. Voilà en quoi le Youd exprime l’idée que Le Nom est Un et indivisible. La lettre Hé / ה nous montre que nous ne pouvons pas dire que Lui serait Un sans qu’il n’exprime sa toute puissance sur toute chose comme c’est le cas des autres choses qui sont unes et qui ne peuvent pas communiquer leur force à la totalité, parce qu’au contraire, Le Nom est Un et sa force se dévoile sur toutes choses et c’est ce que démontre la lettre Hé qui provient de Son Grand Nom.

La lettre Hé/ ה comprend en elle la lettre Dalète ( ד )/4 et comporte un point [en bas sur le côté gauche du Dalète] or nous avons déjà dit que la lettre Dalète vient exprimer le déploiement du monde vers les extrémités, et, tout en étant Un, Le Nom dispose d’un pouvoir qui s’étend sur tout. C’est la raison pour laquelle ceux [les philosophes] qui disent qu’il est impossible que Le Nom soit Un dans ce monde-ci car il est impossible qu’Il continue à être Un dans ce monde en tant que cela reviendrait à dire qu’Il est l’expression de l’unité et donc à dire que de Lui ne sorte que l’unité, que ne peut sortir de l’agent que ce qui est l’expression de cet agent : il en est ainsi de la chaleur qui vient du feu ou encore de la froideur qui est inscrite dans l’essence de ce qui est froid. Il en serait de même de toutes les actions venant des agents : les actions sont toujours l’expression en acte de ce qui est l’agent. C’est pour cette raison qu’ils ont décrété que d’un agent qui est par essence Un ne peut survenir que l’unité. [Car si l’agent est Un alors les actions qui se déploient à partir de cet agent ne sont aussi que sous la forme de l’unité. Dans ce sens, si Le Nom est Un dans ce monde-ci alors l’unité ne pourrait transmettre que de l’unité ; et donc comment expliquer que l’un soit à la source de la multiplicité ? C’est une question philosophique déjà abordée par Platon dans le Parménide et le Théétète. Le problème ici est de savoir comment le multiple peut sortir de l’unité]. Or, pour ces philosophes, la multiplicité des phénomènes /des actions, qui sont tout le temps changeantes dans le monde devant nous, est la preuve qu’il n’y a pas un seul commencement/agent mais au contraire des commencements /causes /moteurs multiples et changeants. Nous avons déjà expliqué cela dans un autre endroit et nous avons réfuté complètement cette ineptie [cet autre endroit est l’ouvrage du Maharal intitulé Netzah’ Israel, à la page 43, ouvrage donc le titre signifie : « L’Éternité d’Israël » et qui constitue un traité sur l’historiosophie du peuple juif]. C’est tout le contraire, la multiplicité des actions dans ce monde-ci est la preuve d’une seule est même genèse / d’un moteur unique comme nous l’avons effectivement expliqué en profondeur dans notre livre Guévourote Hachem [à la page 264 de cet ouvrage dont le titre signifie : « Les Hauts-faits de l’Éternel » et qui est un traité sur la sortie d’Égypte] à propos de l’agneau du sacrifice pascal selon l’ordre qui nous a été donné de le manger sur le pain azyme et les herbes amères, que l’on se réfère à ce passage. Or le fait qu’il n’y a pas de contradiction entre l’unité divine et la multiplicité des phénomènes au sein de la Création est montré par la lettre Hé parce que le Hé comporte en lui la lettre Dalète – le Dalète étant l’expression des quatre extrémités du monde alors que le Youd est l’expression de l’unité [à l’intérieur même de la multiplicité de ce monde qui semble aller aux antagonismes] en référence au centre qui vient unifier la division du monde. Voilà justement que dans la lettre Hé, on voit en quoi l’unité s’associe à toute chose et comment elle unifie toute chose. C’est la raison pour laquelle c’est avec la lettre Hé que Le Nom a créé ce monde tel qu’il nous apparaît parce que bien que ce monde-ci soit l’expression de la division, il est pourtant Un parce que cette multiplicité de phénomènes présente à l’intérieur du monde va vers l’Un : il est lui-même l’expression d’une unité tandis que le monde futur a été créé avec la lettre Youd qui est l’expression de l’unité parfaite. Or c’est en vertu du fait que les Empires ont de l’importance dans le monde [c’est-à-dire, comme nous l’avons vu jusqu’à maintenant, ce monde-ci par sa dimension de créature porte en lui le sceau de l’imperfection : la nécessité propre à la Création telle que Le Nom l’a voulu c’est justement qu’elle soit marquée par l’imperfection et de l’insuffisance. Les Empires ne sont pas dans ce sens la chose la plus importante dans le monde mais l’expression même de l’impératif présent à l’intérieur du monde] et c’est la raison pour laquelle il y a dans ce monde-ci quatre Empires qui sont antagonistes en vertu de la division qui est propre au monde. Mais il y a aussi dans le monde une unité et c’est en vertu de cela qu’existe le peuple d’Israël qui est un peuple un. Ainsi, dans ce projet de la Création, il y a à la fois la division, la multiplicité et l’unité comme nous l’avons vu dans la lettre Hé qui est composé d’une part d’un Dalète et donc des quatre directions du monde, des quatre antagonismes du monde et d’autre part de la lettre Youd qui est l’expression de l’unité inhérente à la Création
[La malheureuse déliaison de l’Un et du Multiple]
Le Maharal  dit alors que, de la même façon, les quatre Empires devaient exister ; effectivement, il devait y avoir cette possibilité d’un universel sous la forme de la dispersion, sous la forme de la division, de la différence et de l’antagonisme et pourtant :
« Il aurait fallu que ces quatre Empires s’unissent avec Israël qui est, en vertu du Youd, le dévoilement de la Gloire divine dans le monde au point où ce dévoilement puisse se donner de manière totale».
Ces deux notions sont inhérentes à la Création, d’un côté le propre de l’insuffisance, de l’imperfection de la créature fait apparaître la possibilité du mal, d’un refus de l’unité (les quatre Empires) mais les quatre Empires ont pour « mission », pour projet leur liberté qui consiste à sublimer cet antagonisme propre à la Création, cette division inhérente à la Création.
De l’autre côté, Israël est créé sous la forme de l’unité, il est lui-même un peuple unique, qui, de par sa singularité, dévoile immédiatement l’unité divine dans le monde. Or, le Maharal dit que ces deux notions qui semblent antagonistes sont de cette manière inhérentes au projet divin, et que donc, par définition, les deux formes de cet universel – d’un côté l’unité et de l’autre la dispersion – auraient dû se lier, s’unifier ; les Empires auraient dû se lier avec Israël. Or ils ne l’ont pas fait, le Maharal nous explique pourquoi :
« Effectivement c’est en raison de l’imperfection de la créature, qui est propre à l’acte créateur, qu’il était impossible que cela arrive, bien qu’il aurait fallu que les choses se passent ainsi, parce que l’effet [la créature] est elle-même séparée de la cause. Le fait que l’Empire d’Israël devance par essence tout explique que les quatre Empires s’excluent eux-mêmes de l’unité divine jusqu’au moment où ils sont détruits /s’effacent et que se dévoile le royaume du Messie».
Le Maharal dit ici que l’unité aurait dû par essence se donner sous la forme de l’unité universelle entre Israël et les Empires mais le fait qu’Israël reçoive son unité, son projet, c’est-à-dire le défi qui va être le sien dès lors qu’il apparaît comme un peuple Un, comme l’expression du dévoilement divin déjà avec la naissance des enfants de Jacob et de Joseph, est antérieur à l’apparition même des quatre Empires qui viennent longtemps après. Á cause de l’imperfection propre à la créature, les Empires se sont identifiés à cette possibilité en mal et, venant après l’apparition même de l’unité divine sous la forme du peuple d’Israël, ils tentent de le lui arracher ; et c’est en cela qu’ils s’excluent de l’unité divine jusqu’au moment où ils disparaîtront et que le Messie se dévoilera.
« C’est en vertu de cette insuffisance propre à la création que ces Empires se séparent du projet du dévoilement de l’unité divine. Et quand cette insuffisance propre au monde aura touché à son terme [quand la perfection divine se dévoilera sous la forme de l’accomplissement d’Israël en tant que peuple singulier qui dévoile l’unité divine] alors les Empires seront totalement séparées de ce monde-ci et le monde redeviendra comme il aurait fallu qu’il soit [c’est-à-dire que les Empires sous la forme de l’universel dans la dispersion retrouveront leur sens, leur essence, leur raison d’être dans la mesure où ils seront eux-mêmes comme cette lettre Dalète qui est autour du Youd en formant la lettre , quand ils trouveront leur position, leur place dans un équilibre et une homogénéité avec Israël comme cela devait arriver car telle était la place qu’ils devaient occuper dans le projet divin. Mais ces Empires sont l’expression de l’exil d’Israël en ce sens qu’ils ne prennent pas leur place tel qu’ils auraient dû la prendre mais, au contraire, ils vont prendre une autonomie, s’exprimer sous la forme d’un pouvoir politique qui s’opposera au dévoilement d’Israël comme peuple dans lequel est inscrit l’unité divine]. «C’est la raison pour laquelle c’est lorsque le monde a été créé qu’il est fait allusion aux quatre Empires. Comme cela a été dit, il est aussi fait référence à Israël dans le premier livre de la Torah (Genèse) lorsqu’il est écrit : « Et Le Nom a dit : que la lumière soit » ; en effet il s’agit ici de la lumière du Messie comme l’enseigne le Yalkout Shimoni, parce que tout cela est rendu nécessaire dès le début de la Création divine».
Il y a ainsi d’un côté le dévoilement de l’unité qui se fait sous la forme du Youd et du Hé, incarné par Israël, mais ce dévoilement du Youd n’est possible que s’il y a une dispersion possible, s’il y a une ouverture à l’antagonisme. Cette ouverture qui est le propre de l’imperfection de la créature, puisque c’est ce qui réalise le projet du dévoilement divin, sera prise par les quatre Empires sous la forme d’une autonomie. Au lieu de comprendre que les nations doivent trouver une homogénéité avec Israël, elle feront de cette insuffisance leur raison d’être : en ce sens elles tentent de ravir à Israël le fait que lui seul peut dévoiler l’unité divine dans le monde.
Le Maharal a ainsi montré l’origine de ces quatre Empires à partir du couple unité / multiplicité. Dans le songe du prophète Daniel à l’origine de sa réflexion, il est fait référence à l’océan qui se cabre aux quatre extrémités. Nous avons déjà vu dans cette image de l’océan, l’unité qui manque d’ordre, en attente de son dévoilement et qui voit surgir à ses quatre extrémités les quatre Empires, lieux de l’exil d’Israël.

Séance n°5 : L’océan ou la forêt ?

Nous reprenons le texte du Maharal qui cite à nouveau le prophète Daniel :

C’est la raison pour laquelle Daniel a dit : « Voilà que j’avais vu dans cette vision nocturne que les quatre extrémités du ciel se cabraient au-dessus de l’océan et quatre bêtes extraordinaires sortaient de l’océan, chacune différente l’une de l’autre ». Daniel a ainsi dit que les quatre bêtes sont comme les quatre extrémités qui se cabrent au-dessus de l’océan, comme nous l’avons expliqué. Et ce sont donc les quatre extrémités du ciel qui font monter les quatre bêtes sauvages depuis l’océan. [Le Maharal  explique ici pourquoi précisément ces quatre bêtes sauvages procèdent et surgissent de l’océan]. Parce que tous les peuples du monde sont considérés [si on les compare à Israël] comme sortant de l’océan, c’est-à-dire d’une dimension qui ne relève pas du domaine habitable alors qu’Israël est au contraire toujours comparé à l’océan.

[Israël attaché à la terre]
Ici le Maharal n’explique pas pourquoi exactement mais, comme on le sait, Adam (le Premier homme) se définit jusque dans son nom par son attachement à la terre, au continent ; de même, lors de la sortie d’Égypte, le peuple d’Israël traverse le Yam souf /la mer des Joncs et rejoint la terre ferme ; c’est là un fondement explicatif que l’on retrouve souvent chez le Maharal, à savoir que la dimension spirituelle est toujours rattachée à une dimension continentale ; et de la même manière l’océan et le chaos qui en est le symbole sont le lieu d’une comparaison avec la dimension matérielle.
Dans le Midrache Vayikra Rabba ; il est dit la chose suivante : « Ce sont quatre bêtes formidables qui surgissent de l’océan. Si vous êtes méritants alors les quatre bêtes sauvages / les quatre Empires de l’exil d’Israël sortiront de l’océan mais si vous n’êtes pas méritants alors ces quatre bêtes sauvages sortiront de la forêt. Quand la bête sort de l’océan / quand un animal sort de son lieu de prédilection qui est la mer, alors elle s’affaiblit. Mais si la bête sort de la forêt, elle ne perd pas sa puissance ». Voilà l’explication de ce Midrache. L’océan est ce qui est contradictoire avec l’habitat, et si Israël est méritant ; alors les nations du monde n’ont pas une réalité totale, absolue comme c’est le cas des réalités qui se trouvent dans l’océan et qui n’ont pas de réalité absolue. C’est la raison pour laquelle les poissons qui vivent dans l’eau n’ont pas besoin d’(d’un abattage rituel/ che’hita) pour être mangés car eux-mêmes n’ont pas de réalité substantielle parce que le propre du réel c’est de se trouver dans le monde continental, dans le monde habitable.
Nous pouvons ici ajouter une chose que le Maharal ne dit pas : selon les lois de l’abattage rituel, dans le cas des oiseaux, et notamment des poulets, il y a besoin que soit coupée une seule partie significative (c’est-à-dire ou bien l’œsophage ou bien la trachée artère et non les deux) pour que l’animal soit cachère/conforme à l’abattage rituel alors qu’un animal qui vit sur la terre tel qu’un bovin a besoin que deux parties significatives (l’œsophage et la trachée artère) soient coupées pour être  cachère/rituellement légal. Or le Maharal nous dit ici que si les animaux sortent de l’océan – comme nous le dit le midrache en commentant le prophète Daniel – c’est parce que les quatre Empires, les quatre bêtes sauvages n’ont pas une existence suffisante pour être fortes ; comme c’est le cas de toutes les réalités qui habitent la terre ferme.
[Humanité et transcendance d’Israël]
« Ainsi, si Israël est méritant, alors les Empires n’ont pas de force suffisante et c’est la raison pour laquelle ils s’élèvent de l’océan, c’est-à-dire que les prémisses mêmes de leur existence ne supportent pas une force suffisante si bien qu’ils s’élèvent de l’océan. Mais si Israël n’est pas suffisamment méritant, alors les bêtes sauvages sortent de la forêt [qui se trouve sur la terre ferme, sur le continent], la forêt étant malgré tout distincte de la dimension habitée du monde puisqu’il n’y a pas de lieu propre à l’existence des hommes en forêt mais uniquement des animaux bien que la forêt ne soit pas totalement séparée du monde habité. C’est la raison pour laquelle Daniel a dit : « les quatre extrémités se cabrent au-dessus de l’océan », et quand Daniel a vu les quatre Empires, il a vu quatre bêtes sauvages, et ce n’est pas par hasard, au contraire, car c’est sous cette forme là que devaient être représentés les quatre Empires : c’est l’homme qui possède cette force sur les bêtes sauvages comme cela est enseigné dans le verset (de la Genèse) : « Le Nom a donné à l’homme cette force de dominer le monde de l’océan et les oiseaux et tous les animaux qui parcourent la terre ». [Le propre de l’homme c’est de dominer le monde naturel mais aussi le monde animal]. C’est pour cela que si on parle d’un Empire propre à l’homme, il aurait fallu le voir sous une apparence humaine et la raison pour laquelle Daniel voit quatre Empires sous la forme de quatre bêtes sauvage c’est qu’à la force propre de ces quatre royaumes manque la hauteur divine qui est séparée de la dimension matérielle et qui est le propre de l’homme [la trace de la transcendance, la chose qui distingue l’homme de l’animal et de la nature étant précisément cette hauteur qui lui est propre, une hauteur divine qui le sépare des autres êtres naturels et qui est en cela le propre de l’homme]. Et c’est de ce point de vue là – parce qu’il manque aux quatre Empires cette hauteur divine – qu’ils ont une force qui n’exprime pas la transcendance divine [le Maharal revient à plusieurs reprises sur ce sujet, à savoir que ce qui distingue Israël des nations du monde, malgré toute leur sagesse, leur pouvoir, leur domination, tout ce qu’elles ont pu donner aux êtres humains, c’est la dimension transcendante. Comme nous l’avons vu au début de ce texte, le peuple d’Israël est lié au projet divin et en ce sens là il est lui-même porteur du dévoilement de la transcendance au sein du réel]. C’est la raison pour laquelle les quatre Empires ont été vus, aperçus par Daniel sous la forme de bêtes parce que manque à la bête sauvage cette puissance divine transcendante qui la sépare ainsi des autres êtres naturels ; ces Empires sont ainsi comparés à des bêtes sauvages parce que ce qui s’exprime chez eux c’est principalement une force qui ne relève pas du dévoilement de la transcendance divine dans le monde. C’est la raison pour laquelle Daniel les a vus sous la forme de quatre animaux sauvages mais quand il a vu l’Empire du Roi Messie / le royaume d’Israël, il l’a vu sous la forme d’un être humain. Car dans son rêve, Daniel, après avoir vu les quatre Empires, a vu le royaume d’Israël sous l’apparence d’un homme : « Et voilà qu’est arrivé avec les nuages du ciel comme un homme » parce que le propre de la royauté du Roi Messie c’est d’être absolument divine /d’exprimer la transcendance divine à l’intérieur même du réel. C’est la raison pour laquelle le prophète Daniel l’appelle : « Le fils de l’homme ». Ce qui distingue les quatre Empires et Israël est la même chose qui distingue la nature des animaux et l’homme : les Empires viennent arracher à Israël sa raison d’être dans le monde qui est le dévoilement de la présence divine dans le monde et l’unité divine, c’est pourquoi Daniel voit le Royaume du Messie sous la forme d’un homme. 

Séance n°6 : Les quatre dimensions de l’homme.

Nous avons vu précédemment que le prophète Daniel faisait une distinction dans son songe prophétique entre les quatre Empires qui sont sous la forme d’animaux sauvages et, au contraire, l’Empire d’Israël qui lui apparaît sous la forme d’un être humain.

[Le rêve de Nabuchodonosor]

Désormais le Maharal explique que Nabuchodonosor a vu lui aussi les quatre Empires dans un autre rêve (évoqué au chapitre deux du Livre de Daniel) mais sous la forme d’un être humain. « Pourtant, lorsque Nabuchodonosor le scélérat a vu les quatre Empires, il les a vus sous une apparence et une stature humaine. [Voilà en effet ce que dit le texte dans le Livre de Daniel : « C’est là une statue : une tête d’un bon or, sa poitrine et ses bras sont d’argent, son ventre et ses cuisses sont d’airain, ses jambes sont faites de fer, quant à ses pieds une partie est faite en fer et une autre partie est faite en argile »]. Parce que chez Nabuchodonosor, lorsqu’il voit les quatre Empires de l’exil, il ne les voit pas comme l’expression de l’imperfection inhérente au monde, c’est la raison pour laquelle il les voit sous la forme d’une stature humaine [parce que le propre de l’humain c’est la perfection] de la même manière que Daniel a vu la royauté messianique. Et pourtant il y a ici une grande différence comme nous allons l’expliquer. C’est vrai que, d’une certaine manière, il convenait que ces quatre Empires soient vus sous la forme d’un seul et même homme parce qu’il y a dans l’homme quatre dimensions. La première correspond à sa puissance spirituelle et rationnelle, plus bas, il y a la puissance du désir, et encore plus bas que lui la force corporelle qui est une énergie inscrite complètement à l’intérieur du corps. Ce sont donc ici trois dimensions qui sont le propre de l’être humain. Mais il y a aussi dans l’homme une quatrième force qui est associative, qui est commune à ces trois dimensions et les contient toutes comme nous allons l’expliquer ensuite.
Nous avons déjà expliqué le sens que prennent ces quatre dimensions propres à la réalité humaine en plusieurs endroits, en particulier dans le traité Avote sur la Michna lorsqu’elle évoque trois dimensions qui excluent l’homme du monde, à savoir la jalousie, l’envie et la fierté ; mais ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur l’explication de ces trois dimensions car ce sont des choses connues de tous ceux qui sont familiers avec la sagesse. Mais en réalité ces trois forces ne comportent pas en elles ce qui fait le propre de la hauteur humaine en ceci que l’homme a été créé avec en lui la trace de la transcendance [ici littéralement il est écrit : « à l’image du divin » mais Le Nom n’a pas d’image à laquelle nous puissions le comparer alors il vaut mieux traduire ainsi : « qui a été créé avec en lui la trace de la transcendance » car l’être humain a en lui cette puissance de révéler la transcendance divine dans ce monde-ci]. Voilà ce qui est le propre de l’homme, ce qui dépasse toutes les dimensions [ce qui distingue l’homme des animaux c’est la trace de la transcendance et, de la même manière, c’est cela qui distingue Israël des autres nations]. Ainsi, le traité de la Guemara Yebamote (61a) dit : « c’est vous qui êtes appelés « homme » tandis que les nations du monde ne sont pas appelées « homme » ». Nous l’avons expliqué dans un autre passage [du traité Yebamote]. Parce que la trace / le miroir de la transcendance [il y a là l’idée d’une marque comme le sceau imprimé dans l’homme] n’a été donné qu’à Israël ».
[Transcendance d’Israël]
C’est une question difficile qu’aborde ici le Maharal : qu’est ce qui distingue Israël dans sa dimension extérieure, humaine des autres hommes ? A priori on dirait que de manière extérieure rien ne les distingue : nous avons tous la même constitution du corps. Et pourtant, la tradition ne laisse aucun doute : c’est vous (Israël) qui êtes appelés homme alors que les nations du monde ne le sont pas. Comme le Maharal va l’expliquer tout de suite, ce qui va expliquer dans la profondeur des choses ce qui fait qu’Israël est appelé « homme » c’est le fait qu’Israël est dépositaire de la Torah. Il y a en effet une Michna dans le Pirké Avote (au chapitre 3, 18 -19) qui dit qu’à Israël a été donné un outil de jouissance qui est le propre de l’étude de la Torah. Donc le Maharal dit qu’il est vrai que tous les hommes se ressemblent extérieurement, et que la trace de la transcendance a été donné à tous les hommes (à l’Adam primordialcomme aux soixante-dix nations) si bien que le propre de l’homme est de se tenir debout, à la différence des animaux qui vont à quatre pattes et qui sont comme des esclaves devant le maître. Et pourtant, selon le Maharal, le Talmud est clair : les nations du monde à l’exception d’Israël ne sont pas dépositaires de l’appellation « homme ». Ainsi le Maharal explique cela et aussi pourquoi Nabuchodonosor a pu voir les quatre Empires sous une forme humaine de telle façon que lui échappe le propre de l’homme, c’est-à-dire la dimension transcendante.
« Et dans la mesure où ces quatre Empires sont l’expression de quatre forces qui sont en l’homme, lorsque Nabuchodonosor les voit dans son rêve, il a vu ces quatre Empires sous une forme humaine. Mais le verset Ezéchiel 34:31 est clair : « Vous êtes l’homme », c’est vous [Israël] qui êtes appelés « homme » ; pourtant, tous les hommes ont cette forme humaine mais il y a une grande différence : chez Israël, le miroir de la transcendance est l’essentiel et tout le reste est secondaire en comparaison de ce projet de la transcendance. Car le propre de la transcendance, c’est d’être séparée du corps, voilà pourquoi tout est secondaire vis-à-vis d’elle. Or, quand Nabuchodonosor voit la dimension humaine [sous la forme d’une statue] qui se donne sous la forme de l’or, de l’argent, de l’airain et du fer, la transcendance est incrustée dans la matière et ne peut pas s’en retirer, être indépendante. Voilà pourquoi Nabuchodonosor a vu cette dimension humaine selon une tête d’or et des membres d’argent, d’airain et de fer car chez lui l’or, l’argent, l’airain et le fer sont l’essentiel tandis que la dimension transcendante propre à l’humanité est secondaire par rapport à cette matière. Parce que la dimension haute de l’humanité n’est pas chez lui essentiel. Au contraire, quand Daniel voit le royaume d’Israël, il n’a vu que cette dimension transcendante, il n’a pas vu de corps, comme cela est écrit dans le Livre de Daniel comme nous l’avons vu tout à l’heure [voir cours précédent] : « Et voilà qu’avec les nuages du ciel est arrivé comme un homme ».  Il n’y a ici dans cette vision de la royauté messianique que la dimension transcendante car cette apparition ne se donne pas sous la forme d’une matière. En revanche, quand Nabuchodonosor le scélérat a vu les quatre Empires, il a vu une statue d’or, d’argent, d’airain et de bronze car il ne peut pas voir la dimension transcendante de l’homme comme essentielle car elle est chez lui comme emprisonnée dans la matérialité propre aux matières. Dans cette vision la forme n’est pas essentielle. Voilà comment nous expliquons le rêve de Daniel. 

Séance n°7 : Babylone et la Perse

[Le corps, le désir, la raison ]

Le Maharal explique à présent, dans le détail, le rêve de Nabuchodonosor lorsqu’il a vu les quatre Empires sous une forme humaine.
Parce qu’il ne fait aucun doute que lorsque Nabuchodonosor voit les quatre Empires sous une forme humaine, il voit les quatre forces qui composent l’humanité. La première force [cette fois-ci en partant du bas] est donc corporelle, la seconde est celle du désir – bien que le désir ressemble à la force corporelle inhérente à l’homme ce n’est pas une énergie inscrite totalement dans le corps comme c’est le cas de la force qui la précède – , la troisième est la force rationnelle qui est totalement séparée de la dimension corporelle [le propre de l’intelligence est d’être séparée, d’avoir affaire à la transcendance]. Et bien qu’il semble, à première vue, évident que la force intellectuelle chez l’homme soit la plus éminente, malgré tout, elle ne possède pas tant que cela le pouvoir et la force ; et c’est la raison pour laquelle les Empires ont été ordonnés de telle façon dans le rêve de Nabuchodonosor. Car la force du désir est prépondérante chez l’homme, celle dont l’action est la plus forte, comme cela est connu. Et en-dessous de cette force du désir, vient la force corporelle qui, au contraire, n’agit pas autant que la force du désir [c’est un moteur de moindre intensité que le désir]. Et enfin vient, en troisième instance, la force intellectuelle bien qu’elle soit évidemment d’une excellence plus grande ; pourtant la puissance même du pouvoir humain doit dépendre de la force du désir.
[Babylone, la puissante]
C’est pourquoi on mettra en comparaison la force du désir avec le premier Empire [Babylone] parce que ce premier Empire, c’est celui qui avait le plus grand pouvoir qui soit comme l’a dit Daniel [chapitre 2 du Livre de Daniel : « Voilà que toi tu es le Roi des rois ». Et c’est aussi ce qu’a dit Daniel dans la même vision : « C’est toi [Nabuchodonosor] qui es la tête d’or » et c’est la raison pour laquelle Daniel a dit [dans le chapitre 7, 4] que Babylone est comme un aigle car cet aigle représente justement l’idée de survol dans les hauteurs comme nous allons l’expliquer. Et cela est à mettre en comparaison avec la puissance du désir qui se trouve chez l’homme [car cette puissance dirige l’intelligence et les actions humaines].
[L’ insatiable Perse]
Vient ensuite, le deuxième Empire [Perse] en contrepartie de la force corporelle qui est chez l’homme, une force de moindre importance que le désir, parce que tout le propre de cette force corporelle est que l’appétit a toujours besoin de se combler et à toujours besoin de recevoir. C’est donc en contrepartie de l’appétit chez l’homme que Daniel a vu le deuxième Empire. C’est pourquoi  Daniel a dit à propos de cet Empire : « Et voilà une deuxième bête qui ressemble à un ours ». En effet, cela a été dit dans le chapitre des Dix Héritiers[ Kiddouchine, 72a ]. Rav Yosef a enseigné qu’il s’agit des Perses, qui mangent et boivent comme l’ours, qui se vautrent et laissent pousser leurs poils comme l’ours et qui ne connaissent pas le repos comme l’ours. Voilà l’explication, parce que cet Empire des Perses et des Mèdes veut toujours avaler, ainsi est leur mesure et leur caractère [C’est en effet le propre de l’appétit de n’être jamais rassasié]. C’est la raison pour laquelle il a été dit à propos de cet Empire dans le Livre d’ Esther [10-1] : « Le Roi Assuérus a mis sur la terre et les îles de l’océan un impôt ». Que vient nous enseigner ce verset ? Que signifie le fait qu’Assuérus a décrété un impôt sur la terre ? Cela vient nous enseigner qu’à cela se résume toute la puissance d’Assuérus parce qu’il lui manquait tout, il avait toujours besoin de remplir son âme de différentes richesses et telle est l’essence même du deuxième Empire. Et c’est la raison pour laquelle Daniel a dit à propos de cette bête sauvage : « Et voilà ce qu’on disait à cette bête sauvage : lève-toi, mange beaucoup de viande ! » et il est aussi enseigné [dans le traité Meguilah 11a] que le roi s’appelle « Assuérus » / אֲחַשׁוֵרוֹשׁ parce que tous les peuples de son époque sont devenus misérables, Assuérus voulant toujours rassasier son désir de son appétit corporel si bien que lorsqu’Amman a pris conscience de la nature profonde d’Assuérus, il a voulu qu’il lui vende Israël contre de l’argent, car tel est le propre du caractère d’Assuérus ; et de cette manière, il allait pouvoir avaler Israël. Dans la mesure où Assuérus recherchait toujours à accaparer, il a dit à Haman : « Voilà je te rends l’argent, ce n’est pas que je ne veux pas l’argent que tu me donnes en contrepartie d’Israël ; je reçois l’argent que tu me donnes mais, en retour, je te rends cet argent ; et il n’a pas donc conservé cet argent parce que c’était pour lui une grande honte que de recevoir de l’argent et de laisser à Haman un peuple entier pour être assassiné en contrepartie d’une somme d’argent. Ce n’est que pour l’amour de l’argent qu’il a reçu cet argent et qu’il le rend. Nous avons déjà expliqué cette notion autre part. Voici donc ici la règle concernant le deuxième Empire : l’appétit de vouloir toujours tout absorber. 

Séance n°8 : L’arrogance d’Athènes

         Le Maharal s’intéresse enfin à l’Empire grec, qui nous ramène au sens de la fête de ‘Hanouka.
« Daniel l’a vu sous la forme d’une panthère parce que cet Empire-là est à associer à la troisième partie propre à l’homme qui est la pensée. Parce qu’effectivement cet Empire avait en propre la sagesse et la compréhension du monde comme cela va être expliqué dans un long développement. Toute la nature de cet Empire était de rechercher le savoir. Et c’est la raison pour laquelle les Grecs avaient mis leur esprit sur la Torah [qui est l’expression de la pensée] dans le but de la faire disparaître d’Israël parce qu’ils ne voulaient pas que la sagesse propre à la Torah en soit une car elle est un savoir qui est plus élevé que le savoir humain qui était le leur. Or, cette sagesse n’a aucun sens auprès des nations du monde, comme cela est explicitement enseigné dans un Midrache sur les Lamentations de Jérémie à propos du verset qui parle de la destruction de Jérusalem et de l’exil de Sion qui s’ensuivit (2, 9) : « son Roi et ses princes vivent au milieu des nations, sevrés de la Loi». Là-dessus le Midrache enseigne la chose suivante : « Si un homme te dit : il y a un savoir propre aux nations, alors tu peux le croire », et comme cela est enseigné [Obadia 1,8] : « J’ai fait disparaître les Sages d’Edom et la connaissance de la montagne d’Ésaü » : alors le Midrache nous enseigne que : « Si on te dit qu’il y a une Torah parmi les nations, ne le crois pas » puisqu’il est écrit : «  son Roi et ses princes vivent au milieu des nations, sevrés de la Loi». C’est la raison pour laquelle cet Empire, celui des Grecs, ne s’opposait à Israël qu’en vertu de la Torah qui est propre à Israël, comme nous allons l’expliquer. »
[Athènes l’intrépide]
« La raison pour laquelle le prophète Daniel a vu cet empire sous la forme d’une panthère est que cet animal sauvage est tout particulièrement intrépide comme cela est enseigné dans les Maximes des Pères [5, 20] : « Soit intrépide comme la panthère ». C’est un trait de caractère qui est le propre celui qui cherche à savoir comme cela est enseigné [Maximes des Pères, 2,5] : « Celui qui n’ose pas ne pourra pas apprendre ». C’est la raison pour laquelle la caractéristique propre à Israël est cette audace, comme cela est enseigné dans le traité talmudique Betsa, il a été enseigné au nom de Rabbi Meir : « pour quelle raison la Torah a-t-elle été donnée à Israël ? Parce qu’ils sont audacieux ». Et il a été enseigné dans l’école de Rabbi Yishmael [à propos du verset Deutéronome 33, 2] : « à sa droite une loi de feu ». Le Saint Béni soit-Il a dit : Voilà qu’il convient à Israël que leur soit donné une loi de feu. Certains ont dit que c’est leur loi à eux [Israël] qui est une loi de feu parce que si la Torah n’avait pas été donné à Israël aucune nation ni aucune langue n’aurait pu leur tenir tête. C’est ce qu’a enseigné Rabbi Shimone ben Lakish : « Il y a trois audacieux /insolents : Israël parmi les nations [puis le chien parmi les animaux et le coq parmi les oiseaux] ». Voici l’explication : c’est en vertu du fait qu’Israël détient la Torah et parce qu’ils ont ce rapport de nature qu’ils ont pu recevoir la Torah, à savoir que c’est une loi de feu, parce que le propre du feu c’est son énergie, son intrépidité ; voilà pourquoi Israël est appelé intrépide parmi les nations. Au contraire du feu, le propre de la matière est la passivité, c’est pourquoi les êtres humains qui se laissent dominer par leur dimension matérielle ne sont pas intrépides. En revanche, Israël à qui a été donnée la Torah est insolent / intrépide / intransigeant, c’est une chose que nous avons expliqué en plusieurs endroits. C’est la raison pour laquelle Daniel a vu ce peuple [grec, qui recherche la sagesse] sous la forme d’une panthère car la panthère est l’animal le plus intrépide, le plus exigeant. C’est pourquoi ce peuple a demandé à ce que les Sages d’Israël leur traduisent toute la Torah en grec comme cela est expliqué dans le traité Meguillah [9a] bien qu’il soit évident que ce peuple n’a aucune part dans la Torah, comme nous l’avons expliqué. Ils ont, malgré tout, exigé que des Sages d’Israël leur traduisent la Torah dans leur propre langue ; cela montre que la volonté de savoir concerne le peuple grec plus que toutes les autres nations. C’est la raison pour laquelle la tradition a interprété le verset suivant [Genèse 9, 27] : « que la beauté d’Elokim soit pour Japheth et qu’il séjourne dans les tentes de Shem » dans la Meguillah [9b] : « Rabbi Ḥiyya bar Abba a dit la chose suivante : la raison pour laquelle il est permis de traduire la Torah en grec est que la langue grecque est de la même manière la plus belle si bien que la Torah pourra trouver séjour sous les tentes de Chem, sous la forme grecque ». En effet, la Grèce a une sagesse qui dépasse celle des autres nations ».
Cette Grèce n’est pas la Grèce ancienne telle que nous la connaissons ; à ce propos voir Rambam qui dit que le grec dans lequel il est permis de traduire et lire la Torah est un grec dont nous n’avons plus aujourd’hui la connaissance mais qui comporterait en lui une dimension authentique, au sens où il y aurait une concordance entre le mot et la chose. Le propre de l’hébreu c’est le fait que la parole est aussi la chose, il y a une concordance, une homogénéité parfaite entre le dire et la chose ; or, il semblerait ici d’après cette autorisation à traduire la Torah en grec, que dans ce grec ancien, il y ait aussi cette concordance entre le parler et l’être.

Le grec aurait opéré également ce miracle de pouvoir dire parfaitement les choses. Le Maharal enseigne ici que ce qui fait le propre de l’Empire grec tel que le voit Daniel, c’est son intrépidité, cette recherche du savoir qui fait qu’effectivement dans son essence même la sagesse grecque peut trouver une place pour un dire qui soit un dire de la Torah, non pas que la Torah soit parmi les peuples mais dans le sens où le savoir grec veut s’accaparer la Torah car elle voit en Israël un concurrent.

« Voilà ce qui a provoqué le fait que les Grecs ont voulu faire perdre à Israël la Torah parce que le fort ne jalouse que celui qui est aussi fort que lui, c’est la raison pour laquelle les Grecs ont voulu faire perdre à Israël sa Torah. C’est pourquoi le prophète Daniel a dit que le troisième Empire est à comparer à la panthère qui possède quatre ailes, parce que le propre du savoir est de vouloir conquérir les quatre extrémités du monde dans toutes les dimensions, dans la largeur mais aussi dans la longueur. Et le propre du savoir est de ne connaître aucune limite, au contraire il s’étend partout où il peut le faire, c’est la raison pour laquelle Daniel a comparé le troisième Empire à une panthère intrépide qui s’envole dans les quatre extrémités du monde comme nous l’avons déjà expliqué [à chaque fois qu’il est fait référence à quatre, il y a l’idée pour le Maharal du déploiement]. C’est pourquoi le prophète a pu dire à propos de cette nation qu’elle va dominer toute la Terre, dans la mesure où ce peuple possède la sagesse, le propre du savoir est de se déployer dans tout le monde / de ne rien laisser qui soit ignoré, car tel est le propre de l’intelligence [la pensée possède en soi une dimension universelle]. Et c’est donc en vertu de ce qui fait l’intelligence propre à la Grèce que le pouvoir grec a conquis la totalité du monde. C’est la raison pour laquelle cette nation grecque ne s’opposait à Israël que du point de vue de la Torah en tant qu’elle est un savoir d’une autre nature et en vertu des commandements de la Torah [qui exprime la transcendance divine]. Et tel fut le sens du troisième Empire, de faire disparaître d’Israël la dimension transcendante de la Torah et de tout ce qui concerne la transcendance car cette nation ne voulait pas qu’Israël soit détenteur de la transcendance. Et cela a été enseigné dans le Midrache [Vayikra Rabba 2,4] : « Le troisième Empire a déclaré à Israël [le Maharal ne continue pas ici, voici la suite : « écrivez sur la corne du taureau »] ».



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