‘Hanouka selon le Maharal de Prague

Cours du Rav Yehuda RUCK (20 séances)

sur le Ner Mitsvah

Transcrit et adapté

par Marianne Cense

Dans un cours composé de vingt séances diffusées initialement sur le site Torah-Box, le Rav Yehuda Ruck traduit et analyse intégralement la première partie du Ner Mitsvah/Lumière du Commandement du Maharal de Prague, ouvrage consacré à la fête de Hanouka (son origine, sa signification, ses lois). Sifriaténou remercie le Rav Ruck d’avoir autorisé cette transcription.

Séance n°1 : Le rêve de Daniel

Ner Mitsva comporte deux parties.

  • La première partie correspond à l’explication du rêve de Daniel qui concerne le rapport entre Israël et les quatre Empires de l’Exil : la Babylonie, la Perse, la Grèce et l’Empire romain – dans lequel se trouve toujours le monde, jusqu’à aujourd’hui, qui va du monde chrétien au monde moderne.
  • La deuxième partie porte spécifiquement sur la fête de Hanouka. Ce livre du Maharal sur ‘Hanouka s’ouvre sur l’explication du rêve du prophète Daniel (Daniel : 7, 2-27) concernant les quatre Empires où se déroule l’Exil d’Israël.

Il faut savoir que Daniel a fait partie de ces jeunes gens qui ont été fait prisonniers par le roi Nabuchodonosor, à l’époque du premier Exil, c’est-à-dire de la première déportation de l’élite religieuse, politique et économique d’Israël. Cela était en effet la politique du roi Nabuchodonosor qui, arrivant en Israël, conquiert le pays et en particulier le Royaume de Juda où règne alors le roi Joïakim ; il emmène avec lui en Babylonie des jeunes gens qui sont l’élite du peuple d’Israël pour leur donner la meilleure éducation possible, babylonienne, afin d’en faire les conseillers du royaume. Á cette époque, Daniel est emmené en Babylonie ainsi que trois autres jeunes hommes qui sont Hanania, Azaria et Mishaël, mais Daniel a tout de suite été reconnu pour ses qualités exceptionnelles, pour sa sagesse/חכמה/‘hokhmah et, en particulier, pour sa capacité à interpréter les rêves.

Le prophète Daniel/Détail de la mosaïque/Basilique Saint-Marc/XIIème siècle

Donc le Livre de Daniel est essentiellement fondé sur l’interprétation des rêves du roi Nabuchodonosor mais aussi sur le rêve que Daniel lui-même a fait à cette époque. Il est bien de rappeler qu’à ce moment Nabuchodonosor ne se contente pas d’emmener avec lui l’élite intellectuelle juive du royaume de Juda mais emmène aussi, – avant même la destruction du Temple puisqu’on est dans la première période de la conquête babylonienne du royaume d’Israël et de Juda-, tous les ustensiles du Temple jusqu’en Babylonie afin d’en faire l’expression de sa gloire, comme le Maharal le mentionne.
La question se pose alors de savoir pourquoi, dans ce livre en deux parties portant sur ‘Hanouka, donc portant essentiellement sur la Grèce hellénistique, – environ deux cents ans après le décès d’Alexandre le Grand -, le Maharal a senti l’obligation de parler longuement des quatre empires de l’Exil alors qu’il aurait pu se contenter de parler de l’Empire grec – puisque c’est celui qui concerne spécifiquement la fête de ‘Hanouka.
Il faut d’abord savoir que l’exil grec qui est, si l’on peut dire, l’exil de la philosophie, de la sagesse grecque, est le point d’ancrage de tout l’exil moderne ; c’est-à-dire que Rome elle-même est en réalité une héritière de la philosophie grecque, de la science qui va commencer à naître en Grèce avec les Présocratiques, avec les écoles de Pythagore, Anaxagore, Parménide, Anaximandre, Thalès qui sont à la fois des mathématiciens et des philosophes, avant que ne viennent Platon puis Aristote, ce dernier ayant été le précepteur particulier d’Alexandre le Grand. Et donc, avec la fête de Hanouka, instaurée à l’époque des Hasmonéens qui ont lutté contre l’invasion grecque et l’hellénisation du pays, deux cents ans après la mort d’Alexandre le Grand, nous sommes loin des débuts de la philosophie grecque qui a déjà largement conquis toute la Méditerranée. Or Rome – qui est le nom de l’exil dans lequel le peuple juif se trouve aujourd’hui, l’ère de la modernité -, est elle-même et l’héritière et l’expression de la domination de cette sagesse grecque, comme on le voit dans les commentaires de Nahmanide sur la section Balak de la Torah (Nombres 22,2–25,9) mais aussi dans le Talmud (le Traité Meguila parle de « Italia Shel Yavan »/« l’Italie de la Grèce »). Il s’agit d’un seul et même mouvement : Rome perpétue et transmet l’héritage grec. Voilà pourquoi le Maharal a estimé important de parler des Empires de l’Exil à propos de la fête de Hanouka spécialement : la Grèce antique est au cœur de l’exil actuel, dominé par la science et la technique, par la ‘Hokhmah bagoyime/sagesse profane qui étend son emprise sur le monde entier.

[Le rêve de Daniel]

Le texte du Maharal s’ouvre directement sur le rêve qu’a fait le prophète Daniel. Le texte est en araméen, assez difficile ; en voici la traduction :

« J’ai vu un rêve lors d’une vision nocturne et voilà que les quatre extrémités du Ciel se cabrent au-dessus du grand océan et quatre bêtes formidables sortent de l’océan, chacune différente de l’autre. La première est comme le lion et a des ailes d’aigle. Voilà que je la regardai jusqu’au moment où ses ailes lui ont été arrachées et voilà qu’après avoir été soulevée de terre elle a été posée sur ses pieds comme un homme et on lui a donné un cœur d’homme. Et voilà une deuxième bête qui ressemble à l’ours, elle se tenait sur un côté et elle avait trois côtes dans sa gueule entre les dents et voilà qu’on lui disait : « lève-toi et rassasie-toi de viande ». Ensuite alors que je regardai encore voilà une autre bête comme une panthère qui avait, elle, quatre ailes d’oiseaux sur son dos et aussi quatre têtes et on lui donnait la domination. Plus tard, voilà que je regardai encore dans une autre vision nocturne et voilà une quatrième bête, elle était incroyable, terrifiante et extrêmement vigoureuse et elle avait des dents de fer, elle mangeait et elle broyait, et le reste elle l’écrasai avec ses pieds. Elle était différente de toutes les autres bêtes précédentes et elle avait dix cornes », Daniel : 7, 2-7

Dans ce rêve, la première bête correspond à l’empire de Babylonie, dans lequel Daniel se retrouve exilé ; la deuxième à la Perse ; la troisième à la Grèce et la dernière à Rome, à notre modernité.

La-vision du Prophete Daniel/Luigi Sabatelli1809/MAH Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève. Ancien fonds

[Dès l’origine de la Création : Babylone, la Perse, la Grèce, Rome]

Le Maharal commente ainsi ce texte :

« Il y a lieu de s’interroger. Voilà que ce sont donc ces quatre Empires que Dieu a institués dans son monde. Il ne fait aucun doute qu’ils sont au nombre de quatre et qu’ils ne sont pas par hasard sous cette forme. Au contraire c’est ce qui est nécessaire à l’ordre avec lequel Dieu a organisé son monde et puisqu’il en est ainsi : « Qu’est ce qui fait que ces Empires sont précisément au nombre de quatre ? » Donc tu vois maintenant qu’au moment où Dieu a créé son monde, il a été fait une allusion dans la Genèse à ces quatre Empires. En effet le Midrache explique ainsi le deuxième verset de la Torah : « La Terre était Tohu-Bohu et obscurité au-dessus de l’abîme. » Rèch Lakich a interprété ce verset en référence aux quatre Empires : « la Terre était donc Tohu [Chaos] » c’est l’empire de Babylone. Comme cela est dit dans le livre de Jérémie (Jérémie 4 : 23) : « J’ai vu la Terre et elle était désolation ». « Bohu » correspond à la Perse comme cela est dit dans le livre d’Esther (Esther : 4, 14) : « voilà qu’il ont fait du désordre, qu’ils se sont empressés d’emmener Haman ». L’obscurité, nous dit Rèch Lakich, c’est l’Empire grec puisqu’ils ont obscurci les yeux d’Israël à cause de leurs décrets car cet Empire disait à Israël : « inscrivez sur la corne du taureau que vous n’avez pas de part dans le Dieu d’Israël ». La suite du verset dit « Au-dessus de l’abîme » c’est l’empire scélérat, donc l’empire de Rome, qui n’a pas de fin comme l’abîme qui est donc sans fond, indéfini. Et la suite de Genèse dit : « Et le souffle divin plane au-dessus de l’eau » : Reish Lakish explique que c’est l’esprit du Roi-Messie, comme effectivement tu l’as dit, car voilà qu’il a été enseigné dans le livre d’Isaïe (Isaïe : 9, 2) : « L’esprit divin s’est reposé sur lui ». Mais alors par quel mérite ce souffle divin se matérialise et arrive ? La suite du verset (Genèse Rabba : 2,5) nous dit : « Il plane au-dessus des eaux par le mérite de la Techouva [par le retour à la Torah ] », retour qui est comparé à l’eau comme cela est dit dans les Lamentations (2,19) : « Épanche ton cœur comme l’eau ».

Cela est l’expression même de la Techouva/repentir et le Maharal explique :

« Et voilà tu vois ici que dans ce Midrache qu’au moment où Dieu a créé son monde, il a déjà institué ces quatre Empires. Puisqu’il en est ainsi, il y a lieu de se demander : pourquoi cela est-il ? Pourquoi Dieu a-t-il fait en sorte que dans son monde il y ait effectivement quatre Empires ? L’explication de cela tient qu’il convenait que soit déjà fait allusion à ces trois Empires dès les prémisses de la Création parce que ces quatre Empires qui exprimeront la Création dans le monde, [chacun à une époque qui lui est propre, et pour Rome en ce qui nous concerne] parce qu’il était impossible que ce monde qui est donc une création du Nom soit démunie de toute forme d’imperfection. Au contraire la Création elle-même contient dans son essence même un manque. Et ce manque s’exprime dans le monde à travers les quatre Empires, parce que ces Empires diminuent le dévoilement du pouvoir du Nom dans le monde».

Il faut expliquer en quoi la Création elle-même est la marque du manque ou de l’imperfection. On comprend, effectivement, que Dieu crée le monde et qu’il est Lui-même l’expression de la pure perfection. Si le monde avait été au même niveau de perfection que le Créateur avant la Création si l’on peut dire, alors il n’y aurait pas eu de différence ; il n’y aurait pas eu de différence entre une créature et le créateur. Donc faire apparaître la Création, c’est nécessairement laisser une place à la possibilité du manque, de l’imperfection et donc à la possibilité du mal. C’est pourquoi le Maharal dit que les quatre Empires sont nécessaires et sont déjà présents même dès le premier verset de la Genèse puisqu’ils sont inhérents au mouvement créateur qui fait apparaître une créature ; qui, par définition, est différente du Créateur et, par définition, imparfaite.

« Et une fois que le monde a été créé par Dieu, en réalité tout aurait dû se retrouver maintenant sous le pouvoir de Dieu parce qu’Il a tout créé. Et en fait à cause de cela il est évident que toute chose devrait être l’expression dans sa création de la gloire divine. Mais maintenant que la Création apparaît et commence à posséder une certaine autonomie il est impossible que cette créature soit démunie de toute forme d’imperfection ».

[L’imperfection du monde, le Tsimtsoume]

On pourrait dire, en ce sens-là, que les Empires de l’Exil d’Israël sont l’expression de l’imperfection du monde ; on pourrait dire même que l’expression du Mal est inhérente à cette disproportion entre le Créateur et la créature : ces Empires n’ont pas sublimé, par un travail sur eux-mêmes, cette dimension d’imperfection inhérente au monde. Ils diminuent ainsi la Gloire divine.

« Mais cette imperfection ne vient pas de Dieu, parce qu’on ne pourra jamais dire que le Néant et l’imperfection sont l’expression d’un acte positif. L’imperfection du monde n’apparaît que pour autant que le monde lui-même est un être créé et qu’un être créé par définition est distinct du Créateur. Voilà qu’il est donc la Créature ; c’est de cela que s’ensuit l’imperfection, le manque et qui fait que, effectivement, les Empires peuvent dominer dans le monde et, eux-mêmes, se détourner de l’expression de la Gloire divine. »

Ce bref passage du Maharal est intéressant à plusieurs niveaux mais, en particulier, on voit qu’il donne deux définitions de ce que les Cabalistes appellent le צמצום /« Tsimtsoume » – notion que l’on traduit très mal par le terme de « rétrécissement ».
Le tsimtsoume, c’est l’idée que tout en étant présent dans ce monde, Il ne se laisse pas dévoiler. Il ne se laisse pas dévoiler dans sa toute-puissance, et c’est cela qui fait, selon le Maharal, qu’il y a une imperfection inhérente au monde ; mais aussi, même du point de vue de la Création, la créature elle-même est imparfaite. La créature elle-même de son propre point de vue manque d’une dimension de perfection, ce que le Maharal nomme le Néant ; cette négativité est donc attachée à la créature et non à l’acte créateur lui-même.

Le Maharal dit ainsi que la place que prend cette possibilité (cette possibilité en Mal), cette possibilité de se détourner du dévoilement de la Gloire divine est le fait de la créature elle-même. C’est sa responsabilité ; c’est son choix.

Séance n°2 : Obstacles au projet divin

[Faille dans la Création : la possibilité du mal]
Rappelons tout d’abord que les quatre Empires évoqués précédemment sont inhérents à la Création en tant qu’ils sont l’expression de l’imperfection qui est le propre de la créature vis-à-vis du Créateur. Le texte du Maharal dit ceci :

« Et donc cette chose [cette déchirure, si l’on peut dire], il convenait d’y faire allusion dès le début de la Création [donc dans le verset de la Genèse qui suggère les quatre Empires comme nous l’avons dans la séance n°1] parce qu’en réalité, du point de vue de l’essence même de la Création, il convenait que tout se retrouve sous le pouvoir du Nom. Comme cela est dit dans le Talmud : « tout ce que Le Nom a créé, il l’a créé pour le dévoilement de Sa gloire » et comme il est dit dans Isaïe 43, 7 : « tous ceux qui se réclament de mon nom, tous ceux que, pour ma gloire, j’ai créés, formés, organisés ». Cela signifie qu’après que Le Nom a tout créé, toute chose dans la Création a été créée pour le dévoilement de Sa gloire [tel est le sens même de la Création du monde : Le Nom crée un monde afin d’y dévoiler Sa réalité]. Il est impossible que la moindre chose dans ce monde-ci puisse s’exclure de l’unité divine ni puisse même aller à l’encontre du projet divin, sinon cela signifierait que, dans l’unité même de la Création, quelque chose puisse se trouver en contradiction inhérente avec lui-même, or cela est impossible. En effet, tout a été créé dans ce monde-ci pour le dévoilement de la gloire divine. Mais puisqu’il en est ainsi, comment est-il possible que les Empires puissent malgré tout s’élever et annuler le dévoilement de la gloire divine dans le monde ? [Nous comprenons cette idée dans le sens où, à partir du moment où les Empires s’attaquent à Israël, ils s’attaquent au dévoilement de la Gloire divine dans le monde puisque Israël est le dépositaire du message divin, de la Torah, du sens du monde et de la Création. Donc dire que les Empires s’attaquent à Israël et le propulsent dans l’exil, cela veut dire que les Empires ont la possibilité de se dresser contre le projet divin]. Alors comment est-ce possible si ce n’est à dire qu’il y a dans la Création elle-même une imperfection inhérente ? Cette imperfection n’est pas l’expression positive de l’acte créateur du Nom mais elle est en soi une raison suffisante, inhérente même au projet créateur [car l’imperfection du monde permet de laisser la place à la liberté humaine, au pouvoir de rendre possible le mal. Et c’est en cela que cette imperfection (propre à la créature) représente son épreuve dans ce monde-ci ].

[« Le pain de la honte »]
Nous avions parlé dans la première séance du Tsimtsoume ; mais il y a aussi une autre notion qui lui est liée et qui correspond au « pain de la honte » : Le Nom a fait en sorte que la créature elle-même soit dans un état d’imperfection vis-à-vis du Créateur qui est la pure perfection ; si bien que la créature est en soi imparfaite vis-à-vis du Créateur mais qu’elle est elle-même, également, de son point de vue propre, imparfaite. Il en est ainsi pour qu’elle puisse, avec les outils qui sont les siens et dans les conditions qui sont les siennes, se parfaire. Voilà ce qu’on appelle « le pain de la honte » : ce pain est celui qu’elle va recevoir en vertu de son travail, de ses efforts, de sa manière de sublimer son imperfection propre. Elle va recevoir ce pain comme un salaire en vertu de l’action, du comportement, de sa volonté d’agir dans ce monde-ci. Or, cette possibilité en mal – si l’on peut dire car propre à l’imperfection de la créature -, laisse ouverte une béance, une brèche dans laquelle vont s’engouffrer les Empires. Au lieu d’en faire l’expression de la royauté divine, ils en feront une royauté pour eux-mêmes. Les peuples la prennent pour eux-mêmes en exprimant l’idée de leur propre autonomie et en niant par là le projet divin qui, lui, vise au dépassement de l’imperfection.


[Les forces centrifuges contre l’Unité divine ]
Le Maharal poursuit :
« C’est donc la raison pour laquelle il convenait que les Empires fussent au nombre de quatre. Les Empires sont eux-mêmes un retrait du dévoilement de la Gloire divine alors que Lui est Un ; celui qui se trouve au centre est toujours investi de la dimension d’unité. C’est pour cette raison que le Temple et Jérusalem qui sont l’expression de l’unité se trouvent au centre du monde. De même Israël comme peuple unitaire est au centre. Il convenait donc, en propre, pour le peuple d’Israël de se retrouver dans une terre qui soit unique puisque la terre d’Israël est au centre du monde. Voici la règle : il revient en propre à une chose qui est unitaire, l’idée même de centre ; et ce qui s’exclut de l’unité a au contraire un rapport au quatre correspondant aux quatre extrémités du monde qui sont l’expression des quatre directions cardinales fuyant le centre : voilà pourquoi les Empires sont au nombre de quatre en tant qu’ils fuient le point central. Voilà pourquoi le Midrache en vertu de l’interprétation du désordre et de la désolation, évoque les quatre Empires. Ces deux notions de désordre et désolation sont l’expression de l’imperfection / du manque / du néant qui est inhérent à la Création. Et c’est du point de vue de l’imperfection de la Création que ces quatre Empires ont pu se dévoiler. Et ils sont eux-mêmes singulièrement concernés par ce point-là [à savoir la sortie de l’unité] parce que leur autorité dans ce monde s’extrait du dévoilement de la Gloire divine au point qu’elle vont même jusqu’à s’opposer au dévoilement de Son unité dans le monde. Et à propos de la disparition de ces quatre Empires à la fin du temps au moment où le Messie se dévoilera, Le Nom régnera sur toute la Terre : ce jour-là, Il sera Un, Son Nom sera Un. Mais, pendant toute la durée où ces quatre Empires expriment leur domination dans le monde, la Gloire divine ne se dévoile pas librement dans son propre monde.  du dévoilement de la Gloire divine dans le monde, c’est le fait que Le Nom soit Un dans le monde, qu’il n’y a rien en dehors de lui.

Séance n°3 : Les Empires contre Israël

Nous commençons par rappeler deux points exposés dans la séance n°2.

  1. la différence essentielle entre le peuple d’Israël/עם ישראל/’Am Israël et les quatre Empires ;
  2. la raison pour laquelle ceux-ci sont au nombre de quatre, raison qui tient selon de Maharal à l’idée de dispersion, à l’idée de s’extraire de l’unité (du dévoilement de la Gloire divine dans le monde).

Dans cette opposition entre l’unité – qui correspond au dévoilement de l’unité divine sur terre – et la dispersion aux quatre extrémités du monde, nous retrouvons l’évocation, présente dans le rêve de Daniel, de l’océan qui se cabrait avec, aux quatre extrémités, quatre animaux que ce dernier apercevait. Nous pourrions presque dire que nous avons affaire à deux conceptions de l’universel : celle qui se donne dans le dévoilement des puissances matérielles, de la multiplicité ; et celle qui, au contraire, est incarnée par Israël comme dévoilement du Projet divin, unifiant, inscrit au cœur même du monde, précisément en son centre.
Nous reprenons désormais le texte :
« C’est donc pour cette raison que ces quatre Empires n’ont de réalité qu’en vertu de l’imperfection qui est inhérente à la Création. Car comme nous l’avons déjà dit, il était impossible que la Création elle-même se retrouve dans une forme absolument parfaite ; mais au contraire il fallait que la Création soit marquée du sceau de l’imperfection, de l’insuffisance. Mais, comme nous l’avons vu, cette imperfection n’est pas dépendante de l’acte créateur qui a tout créé ; elle n’a de réalité que du point de vue du monde des créatures, du monde de la Création elle-même. Et c’est donc par allusion à cette dimension-ci que le verset de la Genèse (1 : 2) dit : « Au commencement Elohim a créé le ciel et la terre et la terre était Tohu [confusion] Bohu [chaos] » parce que la terre n’a effectivement de réalité que du point de vue des créatures du monde d’en bas. C’est pour cette raison qu’elle était confusion, chaos et obscurité sur la surface de l’abîme. Cette imperfection (cette insuffisance) était attachée elle-même à l’expression de l’unité dans le monde si bien que ces deux noms que sont la désolation et le chaos expriment l’imperfection qui est indissociable de l’apparition de la Création. Et c’est du point de vue de ce manque propre à la Création que les quatre Empires ont pu apparaître, parce qu’ils ont arraché en réalité le Règne qui devait être celui d’Israël, [Ici ce que nous appelons « le Règne » correspond au dévoilement de la Gloire divine dans le monde ; ces Empires se sont imposés dans ce monde-ci en arrachant à Israël la possibilité qui lui était donnée de dévoiler la gloire du Nom] car c’est ce peuple-là qui a été façonné pour dévoiler la Gloire divine dans le monde ; comme cela est enseigné dans le verset Isaïe (43, 21) : « Ce peuple-là je l’ai créé pour moi, ils raconteront ma louange ». Or ces quatre Empires qui ont hérité du règne d’Israël viennent annuler le dévoilement de la Gloire divine en ce monde ici-bas. Parce que quand bien même nous pourrions trouver en eux quelque chose qui exprime la Gloire divine – comme nous allons l’expliquer [Effectivement tous les peuples au monde, tous les êtres humains sont l’expression de la Gloire du Nom dans le monde]. Le Nom ne veut ni leur dard ni non plus leur miel [Le Nom ne veut pas que le dévoilement de Sa Gloire passe par ces Empires qui sont l’expression de la dispersion et qui viennent donc installer une imperfection dans ce monde au lieu de la sublimer, Il ne veut ni leur expression en mal (leur dard) ni leur expression en bien (leur miel)] parce que l’essence même du dévoilement de la Gloire divine dans le monde, c’est le fait que Le Nom soit Un dans le monde, qu’il n’y a rien en dehors de lui.

[Israël, garant de l’unité du Nom ]

Or, les Empires sont au nombre de quatre, justement parce qu’ils s’opposent au dévoilement de l’unité divine, et qu’ils expriment cette idée du « C’est moi qui règne » c’est-à-dire l’idée d’une autonomie, d’une toute-puissance qui n’aurait de compte à rendre à rien du tout et qui ne serait pas elle-même le dévoilement de l’unité divine dans le monde. Voici ce qui est en jeu dans l’imperfection inhérente à la Création : grâce à son travail, l’homme peut sublimer, que ce soit au niveau individuel ou national, cette dimension en mal afin, au contraire, de dévoiler en quoi elle n’est rien. Ainsi, le monde, avec toutes ses imperfections, est l’expression d’un projet qui est donné à l’homme doté de la liberté qui est donnée dans ce monde-ci pour dévoiler la Gloire divine.
« Or, voilà que les nations diminuent cette unité divine dans le monde. Seul Israël qui est un peuple unique / unitaire / singulier a été façonné pour porter le dévoilement de l’unité divine dans le monde comme l’exprime le verset Isaïe (43, 21) : Ce peuple, je l’ai formé pour moi, pour qu’il publie ma gloire », parce que, quand le prophète Isaïe dit « ce peuple-là », la valeur numérique du mot : « là » (en hébreu : « זו ») est de treize, ce qui est aussi la valeur numérique du mot « אֶחָד  »/ « e‘had » [L’Un] en hébreu. Cela correspond au fait que le peuple d’Israël correspond à la tribu de Lévi avec en plus celles d’Ephraïm et de Menaché, ce qui donne treize tribus. De la même manière que le mot « אֶחָד », les tribus d’Israël étaient l’expression de l’unité. Or, la tribu de Levi est une tribu singulière, en-soi, elle est séparée des autres tribus et donc elle est elle-même autonome, mise à part. Elle correspond à la lettre aleph (א) du mot «אֶחָד » [parce que la lettre aleph est une, unitaire, unique] alors que la lettre het (ח) fait référence aux huit enfants de Rachel et Leah qui sont donc huit indépendamment de Levi. Et le « ד »/dont la valeur numérique est 4/ correspond aux quatre enfants des servantes qui sont Gad, Asher, Dan et Nephtali. C’est la raison pour laquelle le prophète Isaïe dit que « ce peuple-là » – qui a la même valeur numérique que le mot « אֶחָד  »/L’Un-, racontera Sa louage. Or l’essence même de la louange que l’on fait du « Hakadosh Baruch Hu » [du Saint, béni soit-Il], c’est le fait qu’il n’y ait aucune force, aucune autonomie donnée à aucune forme de créature ; si bien que seul Le Nom est l’expression de la toute-puissance et c’est pour cette chose-là [pour dévoiler l’unité divine dans le monde] qu’Israël a été créé dès l’origine parce que cette nation témoigne que Le Nom est Un – comme cela est énoncé dans un midrache, à savoir que le peuple d’ Israël témoigne du fait que « Hakadosh Baruch Hu » [qu’Le Nom est Un et qu’il soit béni] ».
Quand le Maharal évoque un midrache, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y a un midrache, au sens propre du terme qui expose cette idée puisqu’ici en fait le Maharal fait référence à un commentaire des Tossafistes (un commentaire du Talmud : Deutéronome Rabbah, 5) qui exprime l’idée qu’il y a trois formes par lesquelles s’exprime l’unité divine dans le monde : Israël, le Sabbat et Le Nom lui-même.
[La lutte menée par les Empires contre Israël]
Ce n’est pas le lieu d’expliquer là ce rapport qu’il y a entre l’unité divine et Israël ; en revanche le sujet est ici que les quatre Empires viennent annuler le dévoilement de l’unité divine dans le monde au moment où ils retirent le gouvernement d’Israël [« retirer le gouvernement d’Israël » signifie qu’ils vont déplacer Israël, l’arracher à ses limites territoriales (Eretz Israël) et empêcher Israël d’officier dans le Temple et de dévoiler les miracles qui avaient lieu au Temple. Mais cela signifie aussi le fait de retirer à Israël d’autres dimensions comme sa sainteté, sa langue, l’étude de la Torah et comme nous allons le voir avec les décrets qui ont été institués par les Grecs : le droit de pratiquer le Sabbat, d’accomplir la circoncision, de sanctifier le monde et ainsi de suite. Le gouvernement est à comprendre comme dévoilement dans ce monde-ci du règne divin]. Et c’est pour cela que, quand nous arriverons à la fin de ce pouvoir qui a été donné aux quatre Empires dans le monde, quand la royauté reviendra à Israël, voilà qui est écrit dans le Livre d’Obadia (1 : 21) : « Et des libérateurs monteront sur la montagne de Sion, pour se faire les justiciers du mont d’Esaü; et la royauté appartiendra à l’Éternel.» [le dévoilement de l’unité divine dans ce monde se fera de manière totale, de manière parfaite puisque Israël retrouvera la place qui lui est propre, comme le dit le Maharal : un peuple qui est un, unitaire, expression de l’unité et donc du dévoilement du Nom dans ce monde]. Le Nom sera le Roi sur toute la Terre, ce jour-là Le Nom sera Un et Son Nom sera dévoilé [Remarquons que la valeur numérique de mot « dévoilement » correspond à 346 comme pour le mot « volonté », ce qui signifie que le dévoilement du projet même de la Création se dira de manière totale, parfaite et accomplie]. Voilà ce que nous avons dit jusqu’à maintenant et voilà pourquoi les Empires sont au nombre de quatre. Ce chiffre est l’expression de l’exclusion de l’unité, du centre car le centre est par définition un ; il est impossible que le centre soit double ; il est au contraire toujours unitaire de manière absolue. Alors que les côtés, les extrémités sont par définition antagonistes : une direction s’étend vers l’Est, une autre s’étend vers l’Ouest, une vers le Sud et une autre vers le Nord. Tu vois donc que les quatre extrémités du monde sont antagonistes, ils sont le contraire de l’unité. De la même manière que le verset 1 : 5 de la Genèse a fait une allusion à Israël dès le début de la Création, le Midrache interprète : « c’est pour Israël qu’a été créé le monde ». C’est la raison pour laquelle il convenait qu’il soit fait allusion à Israël dès le début de la Création et, au même moment comme nous l’avons vu dans ce même verset, il est aussi fait allusion aux quatre Empires parce qu’ils sont l’expression de l’imperfection qui se trouve dans la créature en vertu de l’essence imparfaite propre à celle-ci.».

Séance n°4 : Forme et sens des lettres du Nom

  Après avoir expliqué la raison pour laquelle nous parlons de quatre Empires en opposant d’un côté le dévoilement de l’unité divine – qui est réservé à Israël – et de l’autre ces Empires, qui tentent de s’emparer du projet divin inscrit dans l’humanité sous la forme d’Israël, en s’appropriant la domination et la souveraineté autonome et en empêchant Israël de dévoiler l’unité divine.
Les Empires sont précisément au nombre de quatre puisque le propre du quatre, se référant aux quatre extrémités du monde, est l’antagonisme alors qu’Israël naît sur le point central comme le montre la Guematria : Israël est sur la terre d’Israël, au niveau du Temple lui-même au centre de Jérusalem de telle sorte que cette dimension centrale est l’expression de l’unité divine dans le monde. Tout cela est lié à l’imperfection du monde au sens où Le Nom a laissé un projet à l’homme, celui de sa liberté comme potentialité du dévoilement de la présence divine dans le monde ou au contraire, comme potentialité de son effacement, du mal. Les quatre Empires sont, de cette façon, l’expression de la dispersion, de l’universel comme dispersion alors qu’Israël est l’expression de l’universel sous la forme de l’unité.
[Forme et sens du Nom divin]
Cependant le Maharal va donner une autre explication à partir des lettres du Nom, de leur forme et de leur valeur numérique. Il cherche ainsi à montrer pourquoi Israël est l’expression de l’unité alors que les quatre Empires devaient être au nombre de quatre précisément parce qu’ils expriment l’idée de la dispersion, l’idée de la multiplicité.
Le Maharal dit ceci :
« Et il te faut aussi savoir qu’il convenait aussi dans la Création du monde par Le Nom que soit faite une allusion à cet Empire [c’est-à-dire à la possibilité même d’un empire, d’une royauté qui refuse le dévoilement divin dans le monde] parce que c’est avec les lettres Youd Hé (י »ה) que Le Nom a créé son monde. Le monde futur a été créé par la lettre Youd / י  de Son Grand Nom alors que ce monde-ci tel qu’il nous apparaît a été créé avec la lettre Hé / ה ) parce que dans ce nom Youd Hé (י »ה) la lettre Youd du nom Youd Hé (י »ה) nous montre que Lui Béni soit-Il est Un. En effet la lettre Youd qui est la lettre la plus petite, elle est indivisible, Une. Voilà en quoi le Youd exprime l’idée que Le Nom est Un et indivisible. La lettre Hé / ה nous montre que nous ne pouvons pas dire que Lui serait Un sans qu’il n’exprime sa toute puissance sur toute chose comme c’est le cas des autres choses qui sont unes et qui ne peuvent pas communiquer leur force à la totalité, parce qu’au contraire, Le Nom est Un et sa force se dévoile sur toutes choses et c’est ce que démontre la lettre Hé qui provient de Son Grand Nom.

La lettre Hé/ ה comprend en elle la lettre Dalète ( ד )/4 et comporte un point [en bas sur le côté gauche du Dalète] or nous avons déjà dit que la lettre Dalète vient exprimer le déploiement du monde vers les extrémités, et, tout en étant Un, Le Nom dispose d’un pouvoir qui s’étend sur tout. C’est la raison pour laquelle ceux [les philosophes] qui disent qu’il est impossible que Le Nom soit Un dans ce monde-ci car il est impossible qu’Il continue à être Un dans ce monde en tant que cela reviendrait à dire qu’Il est l’expression de l’unité et donc à dire que de Lui ne sorte que l’unité, que ne peut sortir de l’agent que ce qui est l’expression de cet agent : il en est ainsi de la chaleur qui vient du feu ou encore de la froideur qui est inscrite dans l’essence de ce qui est froid. Il en serait de même de toutes les actions venant des agents : les actions sont toujours l’expression en acte de ce qui est l’agent. C’est pour cette raison qu’ils ont décrété que d’un agent qui est par essence Un ne peut survenir que l’unité. [Car si l’agent est Un alors les actions qui se déploient à partir de cet agent ne sont aussi que sous la forme de l’unité. Dans ce sens, si Le Nom est Un dans ce monde-ci alors l’unité ne pourrait transmettre que de l’unité ; et donc comment expliquer que l’un soit à la source de la multiplicité ? C’est une question philosophique déjà abordée par Platon dans le Parménide et le Théétète. Le problème ici est de savoir comment le multiple peut sortir de l’unité]. Or, pour ces philosophes, la multiplicité des phénomènes /des actions, qui sont tout le temps changeantes dans le monde devant nous, est la preuve qu’il n’y a pas un seul commencement/agent mais au contraire des commencements /causes /moteurs multiples et changeants. Nous avons déjà expliqué cela dans un autre endroit et nous avons réfuté complètement cette ineptie [cet autre endroit est l’ouvrage du Maharal intitulé Netzah’ Israel, à la page 43, ouvrage donc le titre signifie : « L’Éternité d’Israël » et qui constitue un traité sur l’historiosophie du peuple juif]. C’est tout le contraire, la multiplicité des actions dans ce monde-ci est la preuve d’une seule est même genèse / d’un moteur unique comme nous l’avons effectivement expliqué en profondeur dans notre livre Guévourote Hachem [à la page 264 de cet ouvrage dont le titre signifie : « Les Hauts-faits de l’Éternel » et qui est un traité sur la sortie d’Égypte] à propos de l’agneau du sacrifice pascal selon l’ordre qui nous a été donné de le manger sur le pain azyme et les herbes amères, que l’on se réfère à ce passage. Or le fait qu’il n’y a pas de contradiction entre l’unité divine et la multiplicité des phénomènes au sein de la Création est montré par la lettre Hé parce que le Hé comporte en lui la lettre Dalète – le Dalète étant l’expression des quatre extrémités du monde alors que le Youd est l’expression de l’unité [à l’intérieur même de la multiplicité de ce monde qui semble aller aux antagonismes] en référence au centre qui vient unifier la division du monde. Voilà justement que dans la lettre Hé, on voit en quoi l’unité s’associe à toute chose et comment elle unifie toute chose. C’est la raison pour laquelle c’est avec la lettre Hé que Le Nom a créé ce monde tel qu’il nous apparaît parce que bien que ce monde-ci soit l’expression de la division, il est pourtant Un parce que cette multiplicité de phénomènes présente à l’intérieur du monde va vers l’Un : il est lui-même l’expression d’une unité tandis que le monde futur a été créé avec la lettre Youd qui est l’expression de l’unité parfaite. Or c’est en vertu du fait que les Empires ont de l’importance dans le monde [c’est-à-dire, comme nous l’avons vu jusqu’à maintenant, ce monde-ci par sa dimension de créature porte en lui le sceau de l’imperfection : la nécessité propre à la Création telle que Le Nom l’a voulu c’est justement qu’elle soit marquée par l’imperfection et de l’insuffisance. Les Empires ne sont pas dans ce sens la chose la plus importante dans le monde mais l’expression même de l’impératif présent à l’intérieur du monde] et c’est la raison pour laquelle il y a dans ce monde-ci quatre Empires qui sont antagonistes en vertu de la division qui est propre au monde. Mais il y a aussi dans le monde une unité et c’est en vertu de cela qu’existe le peuple d’Israël qui est un peuple un. Ainsi, dans ce projet de la Création, il y a à la fois la division, la multiplicité et l’unité comme nous l’avons vu dans la lettre Hé qui est composé d’une part d’un Dalète et donc des quatre directions du monde, des quatre antagonismes du monde et d’autre part de la lettre Youd qui est l’expression de l’unité inhérente à la Création
[La malheureuse déliaison de l’Un et du Multiple]
Le Maharal  dit alors que, de la même façon, les quatre Empires devaient exister ; effectivement, il devait y avoir cette possibilité d’un universel sous la forme de la dispersion, sous la forme de la division, de la différence et de l’antagonisme et pourtant :
« Il aurait fallu que ces quatre Empires s’unissent avec Israël qui est, en vertu du Youd, le dévoilement de la Gloire divine dans le monde au point où ce dévoilement puisse se donner de manière totale».
Ces deux notions sont inhérentes à la Création, d’un côté le propre de l’insuffisance, de l’imperfection de la créature fait apparaître la possibilité du mal, d’un refus de l’unité (les quatre Empires) mais les quatre Empires ont pour « mission », pour projet leur liberté qui consiste à sublimer cet antagonisme propre à la Création, cette division inhérente à la Création.
De l’autre côté, Israël est créé sous la forme de l’unité, il est lui-même un peuple unique, qui, de par sa singularité, dévoile immédiatement l’unité divine dans le monde. Or, le Maharal dit que ces deux notions qui semblent antagonistes sont de cette manière inhérentes au projet divin, et que donc, par définition, les deux formes de cet universel – d’un côté l’unité et de l’autre la dispersion – auraient dû se lier, s’unifier ; les Empires auraient dû se lier avec Israël. Or ils ne l’ont pas fait, le Maharal nous explique pourquoi :
« Effectivement c’est en raison de l’imperfection de la créature, qui est propre à l’acte créateur, qu’il était impossible que cela arrive, bien qu’il aurait fallu que les choses se passent ainsi, parce que l’effet [la créature] est elle-même séparée de la cause. Le fait que l’Empire d’Israël devance par essence tout explique que les quatre Empires s’excluent eux-mêmes de l’unité divine jusqu’au moment où ils sont détruits /s’effacent et que se dévoile le royaume du Messie».
Le Maharal dit ici que l’unité aurait dû par essence se donner sous la forme de l’unité universelle entre Israël et les Empires mais le fait qu’Israël reçoive son unité, son projet, c’est-à-dire le défi qui va être le sien dès lors qu’il apparaît comme un peuple Un, comme l’expression du dévoilement divin déjà avec la naissance des enfants de Jacob et de Joseph, est antérieur à l’apparition même des quatre Empires qui viennent longtemps après. Á cause de l’imperfection propre à la créature, les Empires se sont identifiés à cette possibilité en mal et, venant après l’apparition même de l’unité divine sous la forme du peuple d’Israël, ils tentent de le lui arracher ; et c’est en cela qu’ils s’excluent de l’unité divine jusqu’au moment où ils disparaîtront et que le Messie se dévoilera.
« C’est en vertu de cette insuffisance propre à la création que ces Empires se séparent du projet du dévoilement de l’unité divine. Et quand cette insuffisance propre au monde aura touché à son terme [quand la perfection divine se dévoilera sous la forme de l’accomplissement d’Israël en tant que peuple singulier qui dévoile l’unité divine] alors les Empires seront totalement séparées de ce monde-ci et le monde redeviendra comme il aurait fallu qu’il soit [c’est-à-dire que les Empires sous la forme de l’universel dans la dispersion retrouveront leur sens, leur essence, leur raison d’être dans la mesure où ils seront eux-mêmes comme cette lettre Dalète qui est autour du Youd en formant la lettre , quand ils trouveront leur position, leur place dans un équilibre et une homogénéité avec Israël comme cela devait arriver car telle était la place qu’ils devaient occuper dans le projet divin. Mais ces Empires sont l’expression de l’exil d’Israël en ce sens qu’ils ne prennent pas leur place tel qu’ils auraient dû la prendre mais, au contraire, ils vont prendre une autonomie, s’exprimer sous la forme d’un pouvoir politique qui s’opposera au dévoilement d’Israël comme peuple dans lequel est inscrit l’unité divine]. «C’est la raison pour laquelle c’est lorsque le monde a été créé qu’il est fait allusion aux quatre Empires. Comme cela a été dit, il est aussi fait référence à Israël dans le premier livre de la Torah (Genèse) lorsqu’il est écrit : « Et Le Nom a dit : que la lumière soit » ; en effet il s’agit ici de la lumière du Messie comme l’enseigne le Yalkout Shimoni, parce que tout cela est rendu nécessaire dès le début de la Création divine».
Il y a ainsi d’un côté le dévoilement de l’unité qui se fait sous la forme du Youd et du Hé, incarné par Israël, mais ce dévoilement du Youd n’est possible que s’il y a une dispersion possible, s’il y a une ouverture à l’antagonisme. Cette ouverture qui est le propre de l’imperfection de la créature, puisque c’est ce qui réalise le projet du dévoilement divin, sera prise par les quatre Empires sous la forme d’une autonomie. Au lieu de comprendre que les nations doivent trouver une homogénéité avec Israël, elle feront de cette insuffisance leur raison d’être : en ce sens elles tentent de ravir à Israël le fait que lui seul peut dévoiler l’unité divine dans le monde.
Le Maharal a ainsi montré l’origine de ces quatre Empires à partir du couple unité / multiplicité. Dans le songe du prophète Daniel à l’origine de sa réflexion, il est fait référence à l’océan qui se cabre aux quatre extrémités. Nous avons déjà vu dans cette image de l’océan, l’unité qui manque d’ordre, en attente de son dévoilement et qui voit surgir à ses quatre extrémités les quatre Empires, lieux de l’exil d’Israël.

Séance n°5 : L’océan ou la forêt ?

Nous reprenons le texte du Maharal qui cite à nouveau le prophète Daniel :

C’est la raison pour laquelle Daniel a dit : « Voilà que j’avais vu dans cette vision nocturne que les quatre extrémités du ciel se cabraient au-dessus de l’océan et quatre bêtes extraordinaires sortaient de l’océan, chacune différente l’une de l’autre ». Daniel a ainsi dit que les quatre bêtes sont comme les quatre extrémités qui se cabrent au-dessus de l’océan, comme nous l’avons expliqué. Et ce sont donc les quatre extrémités du ciel qui font monter les quatre bêtes sauvages depuis l’océan. [Le Maharal  explique ici pourquoi précisément ces quatre bêtes sauvages procèdent et surgissent de l’océan]. Parce que tous les peuples du monde sont considérés [si on les compare à Israël] comme sortant de l’océan, c’est-à-dire d’une dimension qui ne relève pas du domaine habitable alors qu’Israël est au contraire toujours comparé à l’océan.

[Israël attaché à la terre]
Ici le Maharal n’explique pas pourquoi exactement mais, comme on le sait, Adam (le Premier homme) se définit jusque dans son nom par son attachement à la terre, au continent ; de même, lors de la sortie d’Égypte, le peuple d’Israël traverse le Yam souf /la mer des Joncs et rejoint la terre ferme ; c’est là un fondement explicatif que l’on retrouve souvent chez le Maharal, à savoir que la dimension spirituelle est toujours rattachée à une dimension continentale ; et de la même manière l’océan et le chaos qui en est le symbole sont le lieu d’une comparaison avec la dimension matérielle.
Dans le Midrache Vayikra Rabba ; il est dit la chose suivante : « Ce sont quatre bêtes formidables qui surgissent de l’océan. Si vous êtes méritants alors les quatre bêtes sauvages / les quatre Empires de l’exil d’Israël sortiront de l’océan mais si vous n’êtes pas méritants alors ces quatre bêtes sauvages sortiront de la forêt. Quand la bête sort de l’océan / quand un animal sort de son lieu de prédilection qui est la mer, alors elle s’affaiblit. Mais si la bête sort de la forêt, elle ne perd pas sa puissance ». Voilà l’explication de ce Midrache. L’océan est ce qui est contradictoire avec l’habitat, et si Israël est méritant ; alors les nations du monde n’ont pas une réalité totale, absolue comme c’est le cas des réalités qui se trouvent dans l’océan et qui n’ont pas de réalité absolue. C’est la raison pour laquelle les poissons qui vivent dans l’eau n’ont pas besoin d’(d’un abattage rituel/ che’hita) pour être mangés car eux-mêmes n’ont pas de réalité substantielle parce que le propre du réel c’est de se trouver dans le monde continental, dans le monde habitable.
Nous pouvons ici ajouter une chose que le Maharal ne dit pas : selon les lois de l’abattage rituel, dans le cas des oiseaux, et notamment des poulets, il y a besoin que soit coupée une seule partie significative (c’est-à-dire ou bien l’œsophage ou bien la trachée artère et non les deux) pour que l’animal soit cachère/conforme à l’abattage rituel alors qu’un animal qui vit sur la terre tel qu’un bovin a besoin que deux parties significatives (l’œsophage et la trachée artère) soient coupées pour être  cachère/rituellement légal. Or le Maharal nous dit ici que si les animaux sortent de l’océan – comme nous le dit le midrache en commentant le prophète Daniel – c’est parce que les quatre Empires, les quatre bêtes sauvages n’ont pas une existence suffisante pour être fortes ; comme c’est le cas de toutes les réalités qui habitent la terre ferme.
[Humanité et transcendance d’Israël]
« Ainsi, si Israël est méritant, alors les Empires n’ont pas de force suffisante et c’est la raison pour laquelle ils s’élèvent de l’océan, c’est-à-dire que les prémisses mêmes de leur existence ne supportent pas une force suffisante si bien qu’ils s’élèvent de l’océan. Mais si Israël n’est pas suffisamment méritant, alors les bêtes sauvages sortent de la forêt [qui se trouve sur la terre ferme, sur le continent], la forêt étant malgré tout distincte de la dimension habitée du monde puisqu’il n’y a pas de lieu propre à l’existence des hommes en forêt mais uniquement des animaux bien que la forêt ne soit pas totalement séparée du monde habité. C’est la raison pour laquelle Daniel a dit : « les quatre extrémités se cabrent au-dessus de l’océan », et quand Daniel a vu les quatre Empires, il a vu quatre bêtes sauvages, et ce n’est pas par hasard, au contraire, car c’est sous cette forme là que devaient être représentés les quatre Empires : c’est l’homme qui possède cette force sur les bêtes sauvages comme cela est enseigné dans le verset (de la Genèse) : « Le Nom a donné à l’homme cette force de dominer le monde de l’océan et les oiseaux et tous les animaux qui parcourent la terre ». [Le propre de l’homme c’est de dominer le monde naturel mais aussi le monde animal]. C’est pour cela que si on parle d’un Empire propre à l’homme, il aurait fallu le voir sous une apparence humaine et la raison pour laquelle Daniel voit quatre Empires sous la forme de quatre bêtes sauvage c’est qu’à la force propre de ces quatre royaumes manque la hauteur divine qui est séparée de la dimension matérielle et qui est le propre de l’homme [la trace de la transcendance, la chose qui distingue l’homme de l’animal et de la nature étant précisément cette hauteur qui lui est propre, une hauteur divine qui le sépare des autres êtres naturels et qui est en cela le propre de l’homme]. Et c’est de ce point de vue là – parce qu’il manque aux quatre Empires cette hauteur divine – qu’ils ont une force qui n’exprime pas la transcendance divine [le Maharal revient à plusieurs reprises sur ce sujet, à savoir que ce qui distingue Israël des nations du monde, malgré toute leur sagesse, leur pouvoir, leur domination, tout ce qu’elles ont pu donner aux êtres humains, c’est la dimension transcendante. Comme nous l’avons vu au début de ce texte, le peuple d’Israël est lié au projet divin et en ce sens là il est lui-même porteur du dévoilement de la transcendance au sein du réel]. C’est la raison pour laquelle les quatre Empires ont été vus, aperçus par Daniel sous la forme de bêtes parce que manque à la bête sauvage cette puissance divine transcendante qui la sépare ainsi des autres êtres naturels ; ces Empires sont ainsi comparés à des bêtes sauvages parce que ce qui s’exprime chez eux c’est principalement une force qui ne relève pas du dévoilement de la transcendance divine dans le monde. C’est la raison pour laquelle Daniel les a vus sous la forme de quatre animaux sauvages mais quand il a vu l’Empire du Roi Messie / le royaume d’Israël, il l’a vu sous la forme d’un être humain. Car dans son rêve, Daniel, après avoir vu les quatre Empires, a vu le royaume d’Israël sous l’apparence d’un homme : « Et voilà qu’est arrivé avec les nuages du ciel comme un homme » parce que le propre de la royauté du Roi Messie c’est d’être absolument divine /d’exprimer la transcendance divine à l’intérieur même du réel. C’est la raison pour laquelle le prophète Daniel l’appelle : « Le fils de l’homme ». Ce qui distingue les quatre Empires et Israël est la même chose qui distingue la nature des animaux et l’homme : les Empires viennent arracher à Israël sa raison d’être dans le monde qui est le dévoilement de la présence divine dans le monde et l’unité divine, c’est pourquoi Daniel voit le Royaume du Messie sous la forme d’un homme. 

Séance n°6 : Les quatre dimensions de l’homme.

Nous avons vu précédemment que le prophète Daniel faisait une distinction dans son songe prophétique entre les quatre Empires qui sont sous la forme d’animaux sauvages et, au contraire, l’Empire d’Israël qui lui apparaît sous la forme d’un être humain.

[Le rêve de Nabuchodonosor]

Désormais le Maharal explique que Nabuchodonosor a vu lui aussi les quatre Empires dans un autre rêve (évoqué au chapitre deux du Livre de Daniel) mais sous la forme d’un être humain. « Pourtant, lorsque Nabuchodonosor le scélérat a vu les quatre Empires, il les a vus sous une apparence et une stature humaine. [Voilà en effet ce que dit le texte dans le Livre de Daniel : « C’est là une statue : une tête d’un bon or, sa poitrine et ses bras sont d’argent, son ventre et ses cuisses sont d’airain, ses jambes sont faites de fer, quant à ses pieds une partie est faite en fer et une autre partie est faite en argile »]. Parce que chez Nabuchodonosor, lorsqu’il voit les quatre Empires de l’exil, il ne les voit pas comme l’expression de l’imperfection inhérente au monde, c’est la raison pour laquelle il les voit sous la forme d’une stature humaine [parce que le propre de l’humain c’est la perfection] de la même manière que Daniel a vu la royauté messianique. Et pourtant il y a ici une grande différence comme nous allons l’expliquer. C’est vrai que, d’une certaine manière, il convenait que ces quatre Empires soient vus sous la forme d’un seul et même homme parce qu’il y a dans l’homme quatre dimensions. La première correspond à sa puissance spirituelle et rationnelle, plus bas, il y a la puissance du désir, et encore plus bas que lui la force corporelle qui est une énergie inscrite complètement à l’intérieur du corps. Ce sont donc ici trois dimensions qui sont le propre de l’être humain. Mais il y a aussi dans l’homme une quatrième force qui est associative, qui est commune à ces trois dimensions et les contient toutes comme nous allons l’expliquer ensuite.
Nous avons déjà expliqué le sens que prennent ces quatre dimensions propres à la réalité humaine en plusieurs endroits, en particulier dans le traité Avote sur la Michna lorsqu’elle évoque trois dimensions qui excluent l’homme du monde, à savoir la jalousie, l’envie et la fierté ; mais ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur l’explication de ces trois dimensions car ce sont des choses connues de tous ceux qui sont familiers avec la sagesse. Mais en réalité ces trois forces ne comportent pas en elles ce qui fait le propre de la hauteur humaine en ceci que l’homme a été créé avec en lui la trace de la transcendance [ici littéralement il est écrit : « à l’image du divin » mais Le Nom n’a pas d’image à laquelle nous puissions le comparer alors il vaut mieux traduire ainsi : « qui a été créé avec en lui la trace de la transcendance » car l’être humain a en lui cette puissance de révéler la transcendance divine dans ce monde-ci]. Voilà ce qui est le propre de l’homme, ce qui dépasse toutes les dimensions [ce qui distingue l’homme des animaux c’est la trace de la transcendance et, de la même manière, c’est cela qui distingue Israël des autres nations]. Ainsi, le traité de la Guemara Yebamote (61a) dit : « c’est vous qui êtes appelés « homme » tandis que les nations du monde ne sont pas appelées « homme » ». Nous l’avons expliqué dans un autre passage [du traité Yebamote]. Parce que la trace / le miroir de la transcendance [il y a là l’idée d’une marque comme le sceau imprimé dans l’homme] n’a été donné qu’à Israël ».
[Transcendance d’Israël]
C’est une question difficile qu’aborde ici le Maharal : qu’est ce qui distingue Israël dans sa dimension extérieure, humaine des autres hommes ? A priori on dirait que de manière extérieure rien ne les distingue : nous avons tous la même constitution du corps. Et pourtant, la tradition ne laisse aucun doute : c’est vous (Israël) qui êtes appelés homme alors que les nations du monde ne le sont pas. Comme le Maharal va l’expliquer tout de suite, ce qui va expliquer dans la profondeur des choses ce qui fait qu’Israël est appelé « homme » c’est le fait qu’Israël est dépositaire de la Torah. Il y a en effet une Michna dans le Pirké Avote (au chapitre 3, 18 -19) qui dit qu’à Israël a été donné un outil de jouissance qui est le propre de l’étude de la Torah. Donc le Maharal dit qu’il est vrai que tous les hommes se ressemblent extérieurement, et que la trace de la transcendance a été donné à tous les hommes (à l’Adam primordialcomme aux soixante-dix nations) si bien que le propre de l’homme est de se tenir debout, à la différence des animaux qui vont à quatre pattes et qui sont comme des esclaves devant le maître. Et pourtant, selon le Maharal, le Talmud est clair : les nations du monde à l’exception d’Israël ne sont pas dépositaires de l’appellation « homme ». Ainsi le Maharal explique cela et aussi pourquoi Nabuchodonosor a pu voir les quatre Empires sous une forme humaine de telle façon que lui échappe le propre de l’homme, c’est-à-dire la dimension transcendante.
« Et dans la mesure où ces quatre Empires sont l’expression de quatre forces qui sont en l’homme, lorsque Nabuchodonosor les voit dans son rêve, il a vu ces quatre Empires sous une forme humaine. Mais le verset Ezéchiel 34:31 est clair : « Vous êtes l’homme », c’est vous [Israël] qui êtes appelés « homme » ; pourtant, tous les hommes ont cette forme humaine mais il y a une grande différence : chez Israël, le miroir de la transcendance est l’essentiel et tout le reste est secondaire en comparaison de ce projet de la transcendance. Car le propre de la transcendance, c’est d’être séparée du corps, voilà pourquoi tout est secondaire vis-à-vis d’elle. Or, quand Nabuchodonosor voit la dimension humaine [sous la forme d’une statue] qui se donne sous la forme de l’or, de l’argent, de l’airain et du fer, la transcendance est incrustée dans la matière et ne peut pas s’en retirer, être indépendante. Voilà pourquoi Nabuchodonosor a vu cette dimension humaine selon une tête d’or et des membres d’argent, d’airain et de fer car chez lui l’or, l’argent, l’airain et le fer sont l’essentiel tandis que la dimension transcendante propre à l’humanité est secondaire par rapport à cette matière. Parce que la dimension haute de l’humanité n’est pas chez lui essentiel. Au contraire, quand Daniel voit le royaume d’Israël, il n’a vu que cette dimension transcendante, il n’a pas vu de corps, comme cela est écrit dans le Livre de Daniel comme nous l’avons vu tout à l’heure [voir cours précédent] : « Et voilà qu’avec les nuages du ciel est arrivé comme un homme ».  Il n’y a ici dans cette vision de la royauté messianique que la dimension transcendante car cette apparition ne se donne pas sous la forme d’une matière. En revanche, quand Nabuchodonosor le scélérat a vu les quatre Empires, il a vu une statue d’or, d’argent, d’airain et de bronze car il ne peut pas voir la dimension transcendante de l’homme comme essentielle car elle est chez lui comme emprisonnée dans la matérialité propre aux matières. Dans cette vision la forme n’est pas essentielle. Voilà comment nous expliquons le rêve de Daniel. 

Séance n°7 : Babylone et la Perse

[Le corps, le désir, la raison ]

Le Maharal explique à présent, dans le détail, le rêve de Nabuchodonosor lorsqu’il a vu les quatre Empires sous une forme humaine.
Parce qu’il ne fait aucun doute que lorsque Nabuchodonosor voit les quatre Empires sous une forme humaine, il voit les quatre forces qui composent l’humanité. La première force [cette fois-ci en partant du bas] est donc corporelle, la seconde est celle du désir – bien que le désir ressemble à la force corporelle inhérente à l’homme ce n’est pas une énergie inscrite totalement dans le corps comme c’est le cas de la force qui la précède – , la troisième est la force rationnelle qui est totalement séparée de la dimension corporelle [le propre de l’intelligence est d’être séparée, d’avoir affaire à la transcendance]. Et bien qu’il semble, à première vue, évident que la force intellectuelle chez l’homme soit la plus éminente, malgré tout, elle ne possède pas tant que cela le pouvoir et la force ; et c’est la raison pour laquelle les Empires ont été ordonnés de telle façon dans le rêve de Nabuchodonosor. Car la force du désir est prépondérante chez l’homme, celle dont l’action est la plus forte, comme cela est connu. Et en-dessous de cette force du désir, vient la force corporelle qui, au contraire, n’agit pas autant que la force du désir [c’est un moteur de moindre intensité que le désir]. Et enfin vient, en troisième instance, la force intellectuelle bien qu’elle soit évidemment d’une excellence plus grande ; pourtant la puissance même du pouvoir humain doit dépendre de la force du désir.
[Babylone, la puissante]
C’est pourquoi on mettra en comparaison la force du désir avec le premier Empire [Babylone] parce que ce premier Empire, c’est celui qui avait le plus grand pouvoir qui soit comme l’a dit Daniel [chapitre 2 du Livre de Daniel : « Voilà que toi tu es le Roi des rois ». Et c’est aussi ce qu’a dit Daniel dans la même vision : « C’est toi [Nabuchodonosor] qui es la tête d’or » et c’est la raison pour laquelle Daniel a dit [dans le chapitre 7, 4] que Babylone est comme un aigle car cet aigle représente justement l’idée de survol dans les hauteurs comme nous allons l’expliquer. Et cela est à mettre en comparaison avec la puissance du désir qui se trouve chez l’homme [car cette puissance dirige l’intelligence et les actions humaines].
[L’ insatiable Perse]
Vient ensuite, le deuxième Empire [Perse] en contrepartie de la force corporelle qui est chez l’homme, une force de moindre importance que le désir, parce que tout le propre de cette force corporelle est que l’appétit a toujours besoin de se combler et à toujours besoin de recevoir. C’est donc en contrepartie de l’appétit chez l’homme que Daniel a vu le deuxième Empire. C’est pourquoi  Daniel a dit à propos de cet Empire : « Et voilà une deuxième bête qui ressemble à un ours ». En effet, cela a été dit dans le chapitre des Dix Héritiers[ Kiddouchine, 72a ]. Rav Yosef a enseigné qu’il s’agit des Perses, qui mangent et boivent comme l’ours, qui se vautrent et laissent pousser leurs poils comme l’ours et qui ne connaissent pas le repos comme l’ours. Voilà l’explication, parce que cet Empire des Perses et des Mèdes veut toujours avaler, ainsi est leur mesure et leur caractère [C’est en effet le propre de l’appétit de n’être jamais rassasié]. C’est la raison pour laquelle il a été dit à propos de cet Empire dans le Livre d’ Esther [10-1] : « Le Roi Assuérus a mis sur la terre et les îles de l’océan un impôt ». Que vient nous enseigner ce verset ? Que signifie le fait qu’Assuérus a décrété un impôt sur la terre ? Cela vient nous enseigner qu’à cela se résume toute la puissance d’Assuérus parce qu’il lui manquait tout, il avait toujours besoin de remplir son âme de différentes richesses et telle est l’essence même du deuxième Empire. Et c’est la raison pour laquelle Daniel a dit à propos de cette bête sauvage : « Et voilà ce qu’on disait à cette bête sauvage : lève-toi, mange beaucoup de viande ! » et il est aussi enseigné [dans le traité Meguilah 11a] que le roi s’appelle « Assuérus » / אֲחַשׁוֵרוֹשׁ parce que tous les peuples de son époque sont devenus misérables, Assuérus voulant toujours rassasier son désir de son appétit corporel si bien que lorsqu’Amman a pris conscience de la nature profonde d’Assuérus, il a voulu qu’il lui vende Israël contre de l’argent, car tel est le propre du caractère d’Assuérus ; et de cette manière, il allait pouvoir avaler Israël. Dans la mesure où Assuérus recherchait toujours à accaparer, il a dit à Haman : « Voilà je te rends l’argent, ce n’est pas que je ne veux pas l’argent que tu me donnes en contrepartie d’Israël ; je reçois l’argent que tu me donnes mais, en retour, je te rends cet argent ; et il n’a pas donc conservé cet argent parce que c’était pour lui une grande honte que de recevoir de l’argent et de laisser à Haman un peuple entier pour être assassiné en contrepartie d’une somme d’argent. Ce n’est que pour l’amour de l’argent qu’il a reçu cet argent et qu’il le rend. Nous avons déjà expliqué cette notion autre part. Voici donc ici la règle concernant le deuxième Empire : l’appétit de vouloir toujours tout absorber. 

Séance n°8 : L’arrogance d’Athènes

         Le Maharal s’intéresse enfin à l’Empire grec, qui nous ramène au sens de la fête de ‘Hanouka.
« Daniel l’a vu sous la forme d’une panthère parce que cet Empire-là est à associer à la troisième partie propre à l’homme qui est la pensée. Parce qu’effectivement cet Empire avait en propre la sagesse et la compréhension du monde comme cela va être expliqué dans un long développement. Toute la nature de cet Empire était de rechercher le savoir. Et c’est la raison pour laquelle les Grecs avaient mis leur esprit sur la Torah [qui est l’expression de la pensée] dans le but de la faire disparaître d’Israël parce qu’ils ne voulaient pas que la sagesse propre à la Torah en soit une car elle est un savoir qui est plus élevé que le savoir humain qui était le leur. Or, cette sagesse n’a aucun sens auprès des nations du monde, comme cela est explicitement enseigné dans un Midrache sur les Lamentations de Jérémie à propos du verset qui parle de la destruction de Jérusalem et de l’exil de Sion qui s’ensuivit (2, 9) : « son Roi et ses princes vivent au milieu des nations, sevrés de la Loi». Là-dessus le Midrache enseigne la chose suivante : « Si un homme te dit : il y a un savoir propre aux nations, alors tu peux le croire », et comme cela est enseigné [Obadia 1,8] : « J’ai fait disparaître les Sages d’Edom et la connaissance de la montagne d’Ésaü » : alors le Midrache nous enseigne que : « Si on te dit qu’il y a une Torah parmi les nations, ne le crois pas » puisqu’il est écrit : «  son Roi et ses princes vivent au milieu des nations, sevrés de la Loi». C’est la raison pour laquelle cet Empire, celui des Grecs, ne s’opposait à Israël qu’en vertu de la Torah qui est propre à Israël, comme nous allons l’expliquer. »
[Athènes l’intrépide]
« La raison pour laquelle le prophète Daniel a vu cet empire sous la forme d’une panthère est que cet animal sauvage est tout particulièrement intrépide comme cela est enseigné dans les Maximes des Pères [5, 20] : « Soit intrépide comme la panthère ». C’est un trait de caractère qui est le propre celui qui cherche à savoir comme cela est enseigné [Maximes des Pères, 2,5] : « Celui qui n’ose pas ne pourra pas apprendre ». C’est la raison pour laquelle la caractéristique propre à Israël est cette audace, comme cela est enseigné dans le traité talmudique Betsa, il a été enseigné au nom de Rabbi Meir : « pour quelle raison la Torah a-t-elle été donnée à Israël ? Parce qu’ils sont audacieux ». Et il a été enseigné dans l’école de Rabbi Yishmael [à propos du verset Deutéronome 33, 2] : « à sa droite une loi de feu ». Le Saint Béni soit-Il a dit : Voilà qu’il convient à Israël que leur soit donné une loi de feu. Certains ont dit que c’est leur loi à eux [Israël] qui est une loi de feu parce que si la Torah n’avait pas été donné à Israël aucune nation ni aucune langue n’aurait pu leur tenir tête. C’est ce qu’a enseigné Rabbi Shimone ben Lakish : « Il y a trois audacieux /insolents : Israël parmi les nations [puis le chien parmi les animaux et le coq parmi les oiseaux] ». Voici l’explication : c’est en vertu du fait qu’Israël détient la Torah et parce qu’ils ont ce rapport de nature qu’ils ont pu recevoir la Torah, à savoir que c’est une loi de feu, parce que le propre du feu c’est son énergie, son intrépidité ; voilà pourquoi Israël est appelé intrépide parmi les nations. Au contraire du feu, le propre de la matière est la passivité, c’est pourquoi les êtres humains qui se laissent dominer par leur dimension matérielle ne sont pas intrépides. En revanche, Israël à qui a été donnée la Torah est insolent / intrépide / intransigeant, c’est une chose que nous avons expliqué en plusieurs endroits. C’est la raison pour laquelle Daniel a vu ce peuple [grec, qui recherche la sagesse] sous la forme d’une panthère car la panthère est l’animal le plus intrépide, le plus exigeant. C’est pourquoi ce peuple a demandé à ce que les Sages d’Israël leur traduisent toute la Torah en grec comme cela est expliqué dans le traité Meguillah [9a] bien qu’il soit évident que ce peuple n’a aucune part dans la Torah, comme nous l’avons expliqué. Ils ont, malgré tout, exigé que des Sages d’Israël leur traduisent la Torah dans leur propre langue ; cela montre que la volonté de savoir concerne le peuple grec plus que toutes les autres nations. C’est la raison pour laquelle la tradition a interprété le verset suivant [Genèse 9, 27] : « que la beauté d’Elokim soit pour Japheth et qu’il séjourne dans les tentes de Shem » dans la Meguillah [9b] : « Rabbi Ḥiyya bar Abba a dit la chose suivante : la raison pour laquelle il est permis de traduire la Torah en grec est que la langue grecque est de la même manière la plus belle si bien que la Torah pourra trouver séjour sous les tentes de Chem, sous la forme grecque ». En effet, la Grèce a une sagesse qui dépasse celle des autres nations ».
Cette Grèce n’est pas la Grèce ancienne telle que nous la connaissons ; à ce propos voir Rambam qui dit que le grec dans lequel il est permis de traduire et lire la Torah est un grec dont nous n’avons plus aujourd’hui la connaissance mais qui comporterait en lui une dimension authentique, au sens où il y aurait une concordance entre le mot et la chose. Le propre de l’hébreu c’est le fait que la parole est aussi la chose, il y a une concordance, une homogénéité parfaite entre le dire et la chose ; or, il semblerait ici d’après cette autorisation à traduire la Torah en grec, que dans ce grec ancien, il y ait aussi cette concordance entre le parler et l’être.

Le grec aurait opéré également ce miracle de pouvoir dire parfaitement les choses. Le Maharal enseigne ici que ce qui fait le propre de l’Empire grec tel que le voit Daniel, c’est son intrépidité, cette recherche du savoir qui fait qu’effectivement dans son essence même la sagesse grecque peut trouver une place pour un dire qui soit un dire de la Torah, non pas que la Torah soit parmi les peuples mais dans le sens où le savoir grec veut s’accaparer la Torah car elle voit en Israël un concurrent.

« Voilà ce qui a provoqué le fait que les Grecs ont voulu faire perdre à Israël la Torah parce que le fort ne jalouse que celui qui est aussi fort que lui, c’est la raison pour laquelle les Grecs ont voulu faire perdre à Israël sa Torah. C’est pourquoi le prophète Daniel a dit que le troisième Empire est à comparer à la panthère qui possède quatre ailes, parce que le propre du savoir est de vouloir conquérir les quatre extrémités du monde dans toutes les dimensions, dans la largeur mais aussi dans la longueur. Et le propre du savoir est de ne connaître aucune limite, au contraire il s’étend partout où il peut le faire, c’est la raison pour laquelle Daniel a comparé le troisième Empire à une panthère intrépide qui s’envole dans les quatre extrémités du monde comme nous l’avons déjà expliqué [à chaque fois qu’il est fait référence à quatre, il y a l’idée pour le Maharal du déploiement]. C’est pourquoi le prophète a pu dire à propos de cette nation qu’elle va dominer toute la Terre, dans la mesure où ce peuple possède la sagesse, le propre du savoir est de se déployer dans tout le monde / de ne rien laisser qui soit ignoré, car tel est le propre de l’intelligence [la pensée possède en soi une dimension universelle]. Et c’est donc en vertu de ce qui fait l’intelligence propre à la Grèce que le pouvoir grec a conquis la totalité du monde. C’est la raison pour laquelle cette nation grecque ne s’opposait à Israël que du point de vue de la Torah en tant qu’elle est un savoir d’une autre nature et en vertu des commandements de la Torah [qui exprime la transcendance divine]. Et tel fut le sens du troisième Empire, de faire disparaître d’Israël la dimension transcendante de la Torah et de tout ce qui concerne la transcendance car cette nation ne voulait pas qu’Israël soit détenteur de la transcendance. Et cela a été enseigné dans le Midrache [Vayikra Rabba 2,4] : « Le troisième Empire a déclaré à Israël [le Maharal ne continue pas ici, voici la suite : « écrivez sur la corne du taureau »] ».

Séance n°9 : Dieu aurait-il oublié Israël ? (Première partie)

            Nous avons donc vu que l’empire grec avait dit à Israël : « Inscrivez sur la corne du taureau que vous n’avez pas de part dans le Dieu d’Israël », le Maharal explique maintenant le sens et la profondeur de ce décret que les sages grecs avaient énoncé.
« Il est dit en effet dans le Traité Berakhote (32a) à propos d’Isaïe, 49 : 15 : « Sion a dit : Hachem m’a délaissé et Hachem m’a oublié », et Rech Lakish a commenté ce verset ainsi : « L’assemblée d’Israël a dit devant le Saint béni Soit-Il : Maître du monde, lorsqu’il arrive à un homme d’épouser une seconde femme après la première, il se souvient des actions de sa première femme ; mais Toi, voilà que Tu m’as délaissé et que Tu m’as oublié. « Est-ce qu’une femme oublie son nourrisson ? » (Isaïe, 49 : 15).
Le Saint béni soit-Il a répondu à l’assemblée d’Israël : « J’ai créé douze constellations zodiacales dans le ciel et j’ai créé pour chaque signe du zodiaque trente officiers ; et, pour chacun de ces officiers, j’ai créé trente légions ;  et, pour chacune des légions, j’ai créé trente sous-officiers et j’ai créé pour chaque sous-officier trente soldats et pour chacun de ces soldats, j’ai créé trente combattants et à chacun de ses combattants, j’ai accroché trois cent soixante-cinq étoiles correspondant aux trois cent soixante-cinq jours de l’année solaire [ici le texte désigne différents niveaux dans l’autorité militaire, comme l’explique Rachi dans ses commentaires sur le Talmud]. Et tous je ne les ai créés que pour toi, répond le Saint béni Soit-Il à l’assemblée d’Israël, et toi tu dis : « Tu m’as délaissé et tu m’as oublié ». [Et là Le Nom reprend, d’après Resh Lakish le verset d’Isaïe 49:15) : « Est-ce qu’une femme pourrait oublier son nourrisson ?».
Et le Saint béni Soit-Il ajoute : « Jamais Je n’oublierai les béliers, les premiers nés des animaux que tu as sacrifiés devant moi dans le désert. L’assemblée d’Israël répond au Saint béni Soit-Il devant lui : Maître du monde, dans la mesure où il n’y a pas d’oubli devant ton trône céleste, peut-être que Tu n’oublieras pas non plus l’acte du Veau [la faute du Veau d’or]. Le Nom  répond : celle-là aussi je l’oublierai. L’assemblée d’Israël répond :  « Maître du monde, dans le mesure où il y a oubli devant ton trône céleste peut-être oublieras-tu ce que j’ai fait dans le Sinaï. Hachem lui répond : « et Moi je ne t’oublierai pas (Isaïe, 49:15).
[Resh Lakish ajoute : ] Cela fait référence à ce qui s’est réalisé lors du don de la Torah sur le Sinaï ».
Le Maharal explique cette discussion entre l’assemblée d’Israël et le Saint béni Soit-Il telle qu’elle est rapportée dans la Traité Berakhote en commentaire des versets d’Isaïe.
« Il est donc dit dans le Talmud que Le Nom répond au peuple d’Israël : « Jamais je n’oublierai les sacrifices des béliers, des premiers nés que tu as sacrifiés devant moi dans le désert ». Le Talmud ici ne fait pas référence à tous les sacrifices qui ont été apportés dans le désert ; cette précision nous enseigne qu’Israël n’est concerné par aucune forme de retrait devant le Saint béni Soit-Il parce qu’Israël a été créé par le Saint béni-Soit-Il en essence et comme premier [dès le début de la création] ; or, ce fait ne peut supporter aucune forme de retrait /négation, d’aucune manière qui soit telle qu’on puisse y voir un oubli d’Israël. Et dans la mesure où c’est dans le désert qu’a eu lieu la première forme de sacrifice et dans la mesure où elle est essentielle et première [dans les deux sens du terme :  à la fois par son importance et parce que ce sacrifice a eu lieu au moment de la naissance même d’Israël], et que chaque commencement constitue ce qu’il y a de plus essentiel si bien que cette chose est en essence même, alors tout ce qui est de la première importance et en essence même ne saurait subir l’oubli parce que c’est uniquement ce qui n’est pas par essence, mais contingent, qui peut être concerné par l’oubli ; ainsi une chose qui est essentielle ne peut pas être concernée par l’oubli.
Voilà pourquoi Dieu a répondu à l’assemblée d’Israël : « Jamais je n’oublierai ce qui est essentiel, c’est-à-dire qu’Israël a apporté les sacrifices devant Moi dans le désert ». Cela montre qu’Israël est le serviteur du Nom dans son essence même, voilà pourquoi quand le verset dit : « Est-ce qu’une femme oublierait son nourrisson ? ». Il ne peut pas y avoir ici d’oubli dans le fait qu’une femme a mis au monde un enfant, un événement qui est justement l’expression de l’essence même du rapport entre la femme et son enfant.
Le Maharal explique plus précisément l’oubli évoqué ici :
« C’est pourquoi l’oubli dont il est question ici ne doit pas être expliqué de la même manière dont on explique l’oubli en général chez les hommes. L’oubli dont il est question ici correspond à l’idée que le peuple d’Israël puisse se retrouver nié à la manière d’un retrait vis-à-vis d’Hachem, comme cela est dit dans le premier verset d’Isaïe qui a été commenté ici (Isaïe, 49:14) : « Sion a dit : Le Nom m’a délaissé », c’est-à-dire Le Nom aurait nié, oublié Israël.
Et le verset suivant dit : « Une femme pourrait-elle oublier son nourrisson ? ». De la même manière qu’il n’y aurait aucune forme de retrait possible entre le fruit des entrailles d’une mère en vertu du lien qui unit une mère à son enfant, il n’y a pas de retrait entre Israël et le Nom en vertu de l’importance de l’association qui attache Israël au Nom : le peuple d’Israël est considéré comme l’enfant du Nom. Et cela provient du fait que le peuple d’Israël lui a apporté des sacrifices dans le désert (parce qu’en réalité on ne s’attendait pas à ce qu’Israël fasse des sacrifices ; il n’était pas habituel que l’on trouve des bovins dans le désert et pourtant on voit bien qu’Israël a effectué des sacrifices dans le désert). Et cela, car l’essence même d’Israël est de devoir sa raison d’être aux sacrifices ; il est alors impossible qu’Israël se retrouve sans cette dimension qui le relie au Nom et qui s’exprime sous la forme des sacrifices qu’il lui apporte ; et aussi car, dès le début, Dieu a choisi Israël pour être son peuple. C’est la raison pour laquelle immédiatement après être sorti d’Égypte, bien qu’il se soit retrouvé dans le désert, Israël a apporté des sacrifices ; et c’est pourquoi le lien qui unit Israël au Nom relève de l’essence même d’Israël ».

Séance n°10 : Dieu aurait-il oublié Israël ? (Seconde partie)

         Maharal développe ensuite longuement la raison pour laquelle les Grecs ont ordonné que l’on écrive sur la corne du taureau que les enfants d’Israël n’ont pas de part dans le Dieu d’Israël. Il nous avait expliqué que s’il n’y a pas d’oubli, c’est parce qu’Israël a apporté des sacrifices dans le désert. À présent, le Maharal présente un point de vue contraire et analyse dialectiquement la cause pour laquelle Israël pourrait être oublié devant Dieu.
« Mais il y a bien aussi un retrait à cette dimension qui unit Israël au Saint béni Soit-Il par le fait qu’Israël se retrouve séparé de celui-ci à cause de la faute du Veau d’or car, aussitôt qu’ils ont été sortis d’Égypte et que la Torah leur a été donnée, ils ont fait le Veau d’or ;  cela semble montrer qu’il y a bien un retrait du point de vue d’ Israël, du point de vue de l’essence même d’Israël vis-à-vis du Nom [comme le Maharal l’avait expliqué précédemment, tout ce qui se passe au commencement est essentiel : nous sommes dans le désert du Sinaï au moment du don de la Torah, au début de la naissance du peuple juif]. Parce que, si Israël avait un lien absolu avec le Saint béni Soit-Il, de leur point de vue à eux, ils n’auraient pas commis la faute du Veau d’or aussitôt après qu’Hachem a pris Israël pour peuple,  après les avoir fait  sortir d’Égypte et leur avoir donné la Torah ; c’est à ce moment-là qu’ils ont fait le Veau d’or et cela montre sans l’ombre d’un doute qu’il y a dans l’essence même d’Israël une sécession possible : et donc une distinction entre le peuple juif et son Dieu. Et de la même manière qu’ils ont un lien avec Le Nom dans leur essence même [grâce aux sacrifices qu’ils ont effectués, cf. cours n°9], Israël a aussi dans son essence même une dimension de retrait, de séparation vis-à-vis de Dieu ; cela ressemble à la relation qu’entretient un père avec son fils parce que, de la même manière que le père a une relation d’intimité avec son fils, du simple fait que celui-ci est son père et que celui-ci est son fils, il y a aussi une séparation… le père et le fils sont en effet distincts en essence : celui-là est le père et celui-ci est le fils, ce qui est à concevoir comme une séparation. Il y a donc de ce point de vue un retrait et une séparation. C’est la raison pour laquelle les Grecs ont dit à Israël : « Inscrivez sur la corne du taureau que vous n’avez pas de part dans le Dieu d’Israël », parce que du point de vue de la faute du Veau d’or, du fait qu’Israël a servi une idole aussitôt après avoir reçu la Torah, il y a bien un retrait et une séparation dans l’essence même d’Israël.
Ce n’est pas par hasard, si nous suivons le Maharal, que les Grecs ont choisi la corne d’un taureau : c’est en effet parce que le veau est le petit du taureau. Donc les sages du peuple grec ont décrété qu’Israël écrive sur la corne du taureau qu’ils n’ont pas de part dans le Dieu d’Israël en vertu de la faute du Veau d’or. Cet argument sera repris par les religions qui s’opposent à Israël – c’est le cas en particulier du christianisme – qui affirmeraient qu’à cause du Veau d’or, il n’y a pas de place pur Israël dans sa relation avec Le Nom ; et que Dieu pourrait oublier Israël.
C’est la raison pour laquelle une nouvelle alliance, selon le christianisme, est nécessaire. Le Maharal n’entre pas dans le détail de ce problème-là mais il est intéressant de noter que jusqu’à aujourd’hui, bien que ces arguments ne soient pas repris par la modernité, il existe une coutume antique, une festivité païenne qui subsiste en particulier en Espagne mais aussi dans le Sud de la France : la corrida. Or, la corrida consiste à prendre un taureau, à le mettre dans une arène et placer en face de lui un homme qui va le faire tourner d’une manière ou d’une autre, et au fur et à mesure lui planter dans le dos des pics pour finalement l’achever avec un coup de sabre : cette coutume semble rappeler aux yeux des nations du monde que le taureau est encore un danger pour les peuples, comme si sous la forme d’une festivité, on rappelait encore à Israël ce qui le lie à la faute du Veau d’or.
Revenons maintenant au texte du Maharal :
« Á ce sujet il a été dit par Isaïe : « Celle-là aussi je l’oublierai ». Comme cela a été enseigné dans le deuxième chapitre du traité Yébamote, le châtiment qui touche ceux qui falsifient les mesures est plus fort et plus rigoureux encore que les châtiments qui touchent ceux qui transgressent les interdits des relations parce qu’il est dit à propos des falsifications des mesures [Deutéronome 25 :16] « tous ceux qui font celle-là [cette faute-là] sont une ignominie pour Dieu » alors qu’à propos des relations interdites il est dit [Lévitique 18:27] : « Ce sont toutes ces abominations qu’ont faites les gens du pays ». Et effectivement le « celle-là » exprime plus l’idée d’une rigueur, d’une force que lorsque l’on dit « ces », comme cela est dit [Ezéchiel 17:13] : « il a emmené les personnages importants du pays », importantes dans le sens où elles sont l’expression de la force et de la rigueur. Voilà pourquoi le prophète Isaïe dit que malgré la faute du Veau d’or, Dieu n’oubliera pas Israël en vertu du lien qui unit une mère à son enfant, lien qui a une dimension forte et rigoureuse qui empêche le retrait et la séparation. De ce point de vue-là [dans la mesure où Israël est l’enfant du Nom] il n’y aurait pas pu y avoir d’oubli ; mais il y a malgré tout un retrait / une négation de cette intimité entre Israël et le Saint béni Soit-Il à cause du Veau d’or ; du point de vue de la relation qu’entretient un père avec son fils, il y a une séparation en essence. C’est la raison pour laquelle il y a effectivement un retrait /une négation lorsqu’Israël n’effectue pas la volonté du Saint béni Soit-Il et, de ce point de vue-là, on peut parler d’un oubli parce que bien que le lien soit un lien fort, il aurait pu être concerné par l’oubli. 


Séance n°11 : « Je suis Le Nom, ton Dieu qui t’a sorti d’Égypte« 

         Les Grecs ont donc décrété qu’Israël écrivît sur la corne du taureau qu’il n’avait pas de part dans le Dieu d’Israël. Le Maharal a expliqué que ce décret fait référence à la faute du Veau d’or et qu’il y avait deux types de relation entre Israël et le Saint béni-soit-Il : l’une semblable à celle qui unit une mère à son nourrisson – auquel cas comme le dit le prophète Isaïe il ne peut y avoir d’oubli : Hachem ne peut oublier la relation d’essence qu’il entretient avec son enfant, Israël – et l’autre semblable à celle qui unit le père à son fils – auquel cas, tout comme le père et le fils sont séparés, alors peut être pensée une notion de séparation, d’éloignement, de distance et donc d’oubli entre Dieu et Israël. C’est sur cette dernière forme de relation que le décret des Grecs a été promulgué en référence au Veau d’or.
Le Maharal reprend maintenant la réponse qu’il faut donner au fait que la faute du Veau d’or puisse être considérée comme une entaille, une brèche faite dans la relation entre Dieu et son peuple.
« Et pour cause, ce lien et cette union qu’il y a entre Israël et le Saint béni-soit-Il en réalité relève d’un autre ordre parce qu’il provient de la cause elle-même [c’est-à-dire de Dieu même]. Or il ne peut y avoir une altération dans un tel lien car si nous considérons les choses du point de vue de la Cause Première,  il n’y a pas de modification possible [les choses sont égales, sont une]. Les changements n’ont de sens que du point de vue de la créature [de l’effet] qui est soumise aux transitions. Et effectivement c’est uniquement si, dans la relation d’unité entre Israël et Dieu, nous nous plaçons du point de vue d’Israël, dans son essence, que nous pouvons penser une distance entre le peuple et Dieu. Mais si nous considérons le fait que c’est Le Nom qui a choisi Israël, alors nous considérerons les choses du point de vue de la Cause. C’est la raison pour laquelle il est dit dans la suite du verset d’Isaïe : « Moi Je ne t’oublierai pas » car Dieu a dit à Israël : « Moi Je suis Ton Dieu » (Exode, 20 : 2). Or ces mots proviennent de la Cause, or ce qui provient de la cause première ne saurait subir l’oubli. Quand il a été dit : « Je suis », cette sentence fait référence au fait que le Saint béni-soit-Il est la cause d’Israël, une cause qui oblige [qui va assigner Israël dans une parole] comme le prouve l’expression qui suit : « qui t’a sorti d’Égypte ».
Donc le Maharal dit ici que quand Dieu répond à Isaïe : « Moi Je ne t’oublierai pas », cela fait référence au passage de l’Exode (20:2) où il dit « Moi Je suis Ton Dieu qui t’a sorti d’Égypte » car la Cause Première qui vient prendre Israël comme peuple, qui le sort d’Égypte est une cause qui maintenant oblige Israël. Le Maharal l’explique, dans un aparté, bref mais d’importance :

« Plusieurs Sages ont interrogé le fait que dans la sentence : « Moi Je suis Ton Dieu qui t’a sorti d’Égypte », il n’est pas fait mention d’une obligation, d’un impératif si bien qu’il aurait fallu dire : « Je suis Ton Dieu qui t’a sorti d’Égypte et c’est la raison pour laquelle je serai pour toi Dieu », ce qui serait un commandement. Or, tel que les dix commandements nous sont présentés dans la Torah, il n’est pas fait mention ici d’un commandement tant et si bien que beaucoup se sont égarés à cause de cette question au point où ils en sont arrivés à donner une autre qualification ; au point de retirer le « Je suis » des Dix commandements comme nous l’avons vu dans notre livre Tiférète Yisrael.

Parmi ces Sages nous pouvons penser au Rambam évoque cela dans son Sefer Hamitzvot ou à Abraham ibn Ezra dans son commentaire au Deutéronome au chapitre 5 verset 16 où il écrit : « Il me semble que la sentence « Je suis », ne fait pas parti des dix commandements ».

S’il avait été dit dans les Dix commandements, comme le propose Ibn Ezra, « Je suis ton Dieu et c’est la raison pour laquelle tu me prendras comme Seigneur », il ressortirait de là que la réalité divine du Saint béni-soit-Il aurait été dépendante du bon vouloir d’Israël et que la cause aurait été dépendante de l’effet en vertu du fait qu’Israël reçoit le joug de la divinité. Or, ce n’est que du point de vue de la Cause qu’il ne peut pas y avoir d’oubli [le fait qu’il ne puisse pas y avoir d’oubli quant à cette relation qui unit la cause à l’effet, le Créateur à la créature se pense du point de vue de la perspective divine pour qui cette relation est en essence et ne peut donc pas souffrir de changement]. C’est la raison pour laquelle Israël a dit (Exode, 24:7) : « Nous accomplirons et nous comprendrons ensuite » [les commandements divins ] ; parce que si Israël avait dit au contraire « nous comprenons et ensuite nous accomplirons », alors Israël aurait eu sa propre opinion vis-à-vis des commandements comme toute créature qui a sa propre opinion. En réalité, Israël ne prend sa réalité que parce que Dieu en tant que cause l’a imposé et tout dépend de la Cause : voilà pourquoi Israël a dit selon cet ordre : « nous ferons et ensuite nous comprendrons », et qu’il ne faisait donc pas dépendre l’accomplissement de la Torah de sa propre opinion. Tout ce que Dieu décrétera, ils le feront sans qu’eux-mêmes ne fassent le choix d’après leur propre opinion de ce qui vaut la peine d’être effectué. Et donc nous voyons bien à partir de « Moi Je suis Ton Dieu » (qui est une injonction, une mise en garde à travers laquelle Le Nom retire à Israël, dans ce sens, toute forme d’autonomie], qu’Israël n’a pas de réalité par lui-même comme il dépend du bon vouloir du Saint béni-soit-Il et qu’on ne peut donc pas parler d’oubli vis-à-vis de Lui. C’est la raison pour laquelle il est dit dans Isaïe : « Et Moi Je ne t’oublierai pas », bien que du point de vue de la contingence historique d’Israël, il existe bien une distance. Du point de vue de la Cause, du Saint béni-soit-Il, le peuple d’Israël n’est pas autonome. De ce point de vue là, il ne peut souffrir d’aucune forme d’éloignement et c’est le sens du verset : « Et Moi Je ne t’oublierai pas ».

Israël est appelé « les enfants » du Saint béni-soit-Il, du point de vue de celui qui reçoit cet épithète mais cela ne se dit pas du point de vue de la Cause : si l’on parle du point de vue des « enfants » , on peut parler d’un retrait mais à partir du moment où il a été dit « Moi Ton Dieu » [à saisir comme un impératif ; c’est-à-dire que c’est ton Dieu que tu le veuilles ou non], alors cela signifie : « c’est Moi Le Nom qui suis Ton Dieu et cela ne dépend pas de toi ; cela est une obligation qui provient de Dieu qui est la Cause Première. Or une chose qui est absolument nécessaire ne saurait supporter le changement et donc « Je M’imposerai à vous comme divinité » ; car cela ne peut en être autrement ! Voilà pourquoi lorsque qu’il est dit dans Isaïe : « Je suis Le Nom et Je ne t’oublierai pas » cela exprime cette relation qui unit le Créateur à la créature du point de vue du Créateur.

Le Maharal dit ainsi que du point de vue du Créateur, il ne peut y avoir d’oubli, en vertu de la relation nécessaire qui l’unit à sa créature. Voilà donc la réponse qu’il faut donner à tous ceux qui, tels les Grecs, font croire qu’à cause du Veau d’or, Israël aurait perdu son lien d’union avec son Dieu. Pour le Maharal, ceux-là ont omis ce qui est dit dans la réponse du prophète Isaïe : « Moi, Je ne t’oublierai pas », ce « Moi » faisant référence au « Moi, Je suis ton Dieu qui t’a sorti d’Égypte » en sachant que ce « Moi Je suis » est en soi une injonction.

Séance n°12 : « Écrivez sur la corne du taureau ».

         Le Maharal résumer maintenant ce qui a été dit dans ce long passage où il a expliqué le verset d’Isaïe.
« Voilà donc ce que les sages grecs ont voulu par ce décret lorsqu’ils ont dit : « Inscrivez sur la corne du taureau que vous n’avez pas de part dans le Dieu d’Israël » parce qu’ils ont dit que le fait qu’Israël ait commis la faute du veau d’or aussitôt après être sortis d’Égypte démontre qu’ils n’ont pas de part dans le Dieu d’Israël [aussitôt après être devenu le peuple du Nom, aussitôt après que l’essence d’Israël at été ainsi établie, dans le sens où tout ce qui se fait au début de quelque chose est essentiel, comme nous l’a dit précédemment le Maharal et comme il va le réexpliquer ensuite. En effet les sages grecs ont compris que désigner ce qui se passe au début de l’histoire d’Israël (alors qu’Israël apparaît dans le monde sous la forme d’un peuple, c’est-à-dire à la sortie d’Égypte, et plus précisément lors de  la faute du Veau d’or) exclut Israël d’une quelconque relation à Dieu].
« Ce qui est essentiel s’exprime toujours au début, or la faute du Veau d’or a eu lieu en premier et c’est pourquoi ils ont dit : « inscrivez sur la corne du taureau » et non : « écrivez sur un parchemin » parce que la corne provient du taureau lui-même : ils faisaient donc référence en cela à la faute du Veau d’or. Or cette faute est une dimension essentielle à Israël et non un élément contingent. C’est donc pour toutes ces raisons que, pour les Grecs, Israël n’avait pas de part dans le Dieu d’Israël.
Or il y a ici une autre interprétation : Pourquoi précisément la corne du taureau ? Parce que tu ne trouveras pas chez un animal quelque chose qui est plus dur que la corne. Or les sages grecs ont compris et ont voulu dire cela dans leur décret : la corne reflète la résistance du peuple d’Israël en vertu de l’endurcissement qui est propre à Israël. Cet endurcissement [cette résistance, cette possibilité de rébellion] relève de la nature même d’Israël.
Le Maharal montre alors ici que de la part des sages grecs l’injonction de faire écrire sur la corne du taureau n’était pas anodin mais, bien au contraire, ce décret voulait signifier que non seulement le peuple d’Israël avait commis la faute du Veau d’or mais aussi que cette faute était elle-même tributaire de la dimension rebelle propre à l’essence d’Israël.
« Comme l’a effectivement dit Dieu à propos de la faute (Deutéronome, 9 : 13-14) : « J’ai vu ce peuple-là et c’est un peuple à la nuque raide, laisse-Moi passer et Je vais le détruire ». Voilà ce qu’ont compris les Grecs, mais ils n’avaient pas compris la réponse qui avait était donnée dans Isaïe 49:16 : « Moi Je ne t’ai pas oublié ». Et tout cela parce que ce peuple-là avait désiré retirer d’Israël cette dimension transcendante et divine qui est le propre d’Israël [c’est-à-dire cette relation intime, d’unité qui existe entre Israël et le Nom et que le Maharal a rappelé précédemment] et c’est la raison pour laquelle ils ont décrété qu’Israël annule en eux la relation transcendante d’avec Dieu et la Torah. Et bien que le quatrième Empire [Rome] a aussi instauré des décrets qui obligeaient le peuple juif à s’éloigner de la Torah, cela n’est pour autant pas équivalent au décret grec. En effet les persécutions romaines n’ont pas été décrétées parce que Rome aurait lui-même dit qu’il était le détenteur de la dimension transcendante de la divinité dans ce monde-ci, ce qui pourtant était le cas des Grecs [qui ont voulu, de ce fait, arracher à Israël cette dimension transcendante]. Les Romains voulaient uniquement détruire Israël s’ils ne se pliait pas aux décrets qu’ils imposaient. Les Romains ont désiré tuer les Juifs et c’est la raison pour laquelle ils ont instauré des décrets et des moyens de faire disparaître Israël. Telle était l’intention profonde du quatrième empire : toute leur intention était uniquement de tuer comme nous allons bientôt l’expliquer. Mais les Grecs eux n’avaient pas pour intention de faire disparaître physiquement Israël, ils disaient uniquement : « vous n’avez pas de part dans le Dieu d’Israël et c’est seulement à nous qu’appartient l’accès à la transcendance alors que vous ne l’avez plus à cause de la faute du Veau d’or ».

Séance n°13 : L’exil de la parole

Après avoir analysé l’Empire grec, le Maharal va désormais s’intéresser à son héritier, au quatrième Empire, c’est-à-dire à l’Empire romain. C’est cet Empire qui concerne notre modernité.
« Daniel a vu une quatrième bête sauvage : « Elle était différente de toutes les autres bêtes ». Nous avons déjà dit que le fait que Daniel ait vu les quatre Empires sous la forme de bêtes sauvages est lié aux dimensions qui sont le propre de l’homme : la force physique qu’il y a en l’homme, la force du désir et la force intellectuelle. Or ces forces propres à l’homme ne sont pas séparées parce que, si tel était le cas, il y aurait en l’homme trois types d’âmes comme l’a expliqué Maïmonide [dans le Traité des Huit chapitres] ; au contraire il y a en l’homme une force qui  unit ces trois niveaux de la dimension humaine ; mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer cela car c’est entendu par tous les sages et nous l’avons expliqué en plusieurs endroits [dans l’ouvrage du Maharal, Derekh Hayim, 2 ; 9, dans lequel il explique, à l’instar de Maïmonide que c’est une erreur de penser qu’il y a plusieurs âmes car selon lui il n’existe qu’une seule prérogative : la prérogative humaine qui se déploie sur trois niveaux (nutritive, désirante et intellectuelle)]. Et nous avons dit que le fait que l’homme soit le détenteur de la parole, soit appelé être vivant qui parle, correspond à la quatrième force. C’est celle-ci qui rassemble les trois dimensions puisque l’homme entier est appelé vivant qui parle, elle comprend en elle ces trois dimensions parce que la parole se fait par une dimension physique [celle de la langue]. Mais la parole n’est rendue possible que par une volonté, par un vouloir agissant, ainsi toute parole a aussi besoin de la dimension intelligente de l’homme parce que l’animal qui n’est pas intelligent n’a pas le langage. C’est la raison pour laquelle lorsque Dieu a instauré les quatre Empires pour qu’ils viennent exprimer leur domination dans le monde comme nous l’avons vu ; on s’attendait à ce que ce pouvoir donné prenne la forme de l’homme car c’est à l’homme que revient cette autorité sur la nature. Et voilà pourquoi Daniel a vu le quatrième empire sous la forme d’une bête différente de toutes les autres bêtes car elle comporte en elle ces trois forces propres à l’homme et les unifie alors que chacun des Empires précédents n’a qu’une seule de ces forces ».

Rome dont nous sommes aujourd’hui les héritiers à travers la modernité et mise en relation par le Maharal avec la force de la parole. Il faut bien comprendre qu’effectivement nous voyons que l’hégémonie occidentale telle que nous la connaissons aujourd’hui tire son origine de la force rationnelle que lui a légué la Grèce antique. Maïmonide dit en effet que Rome est le descendant direct de la Grèce et ici, le Maharal soutient que le propre de Rome est le langage alors que le propre de la Grèce est l’intelligence, cela nous permet de comprendre aujourd’hui, cinq cents ans après le Maharal de Prague, en quoi le propre de Rome a été d’avoir pu comprendre le monde de manière universelle et d’avoir pu réécrire la nature dans un langage libéré de celle-ci.

En effet le Maharal avait expliqué que la hauteur du monde grec s’était illustrée dans le fait qu’il était possible d’écrire la Torah en grec car le logos grec possédait ce même miracle qui est aussi le propre de l’hébreu de manifester une relation intime entre les mots et les choses, entre le davar/la chose) et le dibour/la parole), – termes qui sont d’ailleurs constitués des mêmes lettres : dalète, bète, rech – si bien qu’en grec ancien comme en hébreu le langage a la possibilité d’exprimer la chose elle-même. Or aujourd’hui, le langage tel que nous le connaissons sous la forme de l’universel, qui est un langage où tout peut et tout doit se dire, est libéré de l’intelligence et c’est cela le propre de Rome, à travers une autonomie imaginaire du sujet qui va provoquer la solitude de l’homme puisque l’homme du dernier Empire a pris la place du Créateur et est acculé à un soliloque. Il a été dit à ce propos dans le Talmud, dans le traité Avoda Zara (p. 10), que les textes romains ont été volés à d’autres nations et que Rome n’a rien inventé. Et cela, est à plus forte raison vrai du christianisme où tout a été repris ou caché. Nous voyons donc bien que la conquête universelle du monde entreprise par le monde occidental, de l’Est, du Sud, de l’Ouest et du Nord, a abaissé le niveau culturel de tous les peuples conquis en faisant disparaître les biens propres de ces cultures au point qu’aujourd’hui le monde est calqué sur le modèle occidental dans un nivellement égal d’uniformisation culturelle à travers une parole universelle – parole qui a oublié d’insuffler au monde un sens, qui compromet l’authenticité des valeurs si bien que l’homme perd son rapport à son essence. Le Maharal dit ainsi ici que ce qui unifie ces trois dimensions – que sont le corps, le désir et l’intelligence – est la parole.

Séance n°14 : Le quatrième empire égale à lui seul les quatre précédents.

         Le Maharal expliquer à présent un Midrash très intéressant qui reprend le sens qu’il faut donner aux quatre Empires de l’Exil d’Israël.
« Voilà ce que dit le Midrash, dans Vayikra Rabba 13:5 qui commente Jérémie, 5 : 6 [« C’est pourquoi le lion s’élançant des forêts les attaque, le loup des steppes arides s’acharne sur eux, la panthère est tapie près de leurs villes, quiconque en sort est mis en pièces car multiples sont leurs fautes, nombreux leurs égarements »] : « le lion s’élançant des forêts » c’est Babylone ; « le loup des steppes arides » c’est la Perse et les Mèdes ; « la panthère tapie près de leurs villes » c’est la Grèce ; et « quiconque en sort est mis en pièces », c’est Rome.
Pour quelle raison ? Parce que leurs fautes sont nombreuses et nombreux sont leurs égarements. Et il est dit dans Daniel 7:6 : « Voilà que je regardai et soudain après cette seconde bête est apparue une panthère », c’est la Grèce car elle s’est endurcie dans ses décrets et a ordonné au peuple juif d’écrire sur la corne du taureau qu’il n’a pas de part dans le Dieu d’Israël. Le verset de Daniel ajoute (7:7) : « Et ensuite, plongeant le regard dans une nouvelle vision nocturne, c’est une nouvelle bête sauvage formidable et terrifiante, extrêmement vigoureuse, qui soudainement s’est dressée », c’est  Rome.
Pourquoi Daniel a-t-il vu ce dernier empire dans un autre rêve ? Rabbi Yochanan et Rabbi Shimon Ben Lakish : Rabbi Yochanan a dit que c’est parce que l’Empire de Rome équivaut aux trois premiers, et Rabbi Shimon Ben Lakish a dit que c’est parce qu’elle vaut plus qu’elle. Rabbi Yochanan a objecté à Rabbi Shimon Ben Lakish à partir d’un verset Ezéchiel (21:19) : « Et toi fils de l’homme prophétise et frappe d’une main contre l’autre et que l’épée redouble ses coups par trois fois, c’est une épée de massacre, l’épée de la grande victime qui les pourchasse » [Rabbi Yochanan insiste là sur « une main contre l’autre », l’une qui représente les trois premiers empires et l’autre qui représente Rome de telle façon qu’il veut montrer que Rome est bien équivalent aux trois premiers empires]. Rabbi Ben Lakish lui a répondu qu’il est cependant aussi écrit dans le verset : « redouble » [voulant montrer là que le quatrième empire vaut plus que les trois autres réunis] ».

Le Maharal explique cette discussion ainsi :
« Voilà comment les choses ont été mises en évidence ici comme nous avons dit. Pour Rabbi Yochanan le quatrième Empire vaut à lui seul les quatre premiers Empires réunis. C’est pourquoi Daniel a vu les trois premiers empires dans une seule et même nuit tandis qu’il a vu le quatrième empire dans un autre rêve.
Et le fait que Reish Lakish pense dans ce Midrache que le quatrième Empire vaut encore plus que les trois premiers réunis ; c’est parce que les trois Empires ont chacun une force qui leur est propre, et chaque force va être transmise à l’Empire qui le suit, lui être ajouté car il ne fait aucun doute que lorsque deux personnes s’associent ensemble leur force est supérieure à celle de chacun pris séparément, car il y a plus de force qui se dégage de l’association de deux personnes qui lorsque chacune de ces personnes est prise isolément, l’une de ces personnes venant soutenir la seconde. C’est pourquoi Reish Lakish a dit que l’Empire qui rassemble en lui les trois premiers empires a plus de force que ces trois Empires lorsqu’ils sont eux-mêmes séparés, lorsque chacun d’entre eux se trouve isolé. Là-dessus Rabbi Yochanan a objecté le fait qu’il est écrit « frappe une main contre l’autre », or, le fait de frapper une main contre l’autre exprime l’idée d’une ovation, de quelque chose d’extraordinaire pour lequel on vient applaudir.
Et cela a été dit [d’après Rabbi Yochanan] quand Daniel a vu apparaître le quatrième Empire et c’est à ce propos que Ezéchiel a dit « frappe une main contre l’autre », parce que l’Empire romain sera un Empire robuste au point où cet Empire à lui-seul vaudra les trois Empires précédents : dans une main se trouve les trois Empires alors que dans l’autre main se trouve le quatrième Empire. Et c’est à cela qu’à répondu Rabbi Shimon Ben Lakish en disant qu’il est écrit « redouble » dans le verset, au sens où il faudrait taper deux fois une main contre l’autren non pas pour que l’Empire romain ait une force en contrepartie des trois autres mais bien parce qu’elle a plus de force que les trois premiers Empires réunis.
Et c’est là une idée encore plus formidable et voilà pourquoi il a été dit dans le verset : « redouble ». C’est pourquoi ce quatrième empire exigera que tout lui soit dû, qu’il soit le tout et qu’aucun autre empire lui soit associé, ce qui n’est pas le cas des trois premiers empires qui l’ont précédé. 

Nous voyons là bien en quoi la prophétie de la tradition représenté la façon dont le quatrième Empire, l’Occident, a conquis le monde en dépassant de loin l’Empire de Babylone, de Perse et de Grèce.

Séance n°15 : L’or, l’argent, l’airain et le fer

Le Maharal propose désormais une nouvelle interprétation des quatre Empires de l’exil d’Israël, pensée à partir des qualificatifs qui leur ont été donnés dans le rêve qu’avait fait Nabuchodonosor lui-même dans le chapitre 2 du Livre de Daniel, du verset 32 à la fin du chapitre.

« Chacun des quatre Empires avait un attribut qui lui était propre. Le premier Empire est en effet l’empire babylonien ; or, cet Empire exigeait l’importance car il voulait s’imposer sur le monde entier comme l’a dit Daniel : 2, 38 : « C’est toi [Nabuchodonosor] la tête d’or », parce que Babylone était à la tête des choses les plus importantes et exigeait d’être celle qui soit au-dessus de tous les autres Empires ; c’est pourquoi Daniel l’a vu dans son rêve ressemblant au lion. Le lion est l’animal le plus important parmi les animaux sauvages comme cela est enseigné dans le traité ‘Haguigah [13b] : « Le roi des animaux sauvages, c’est le lion ». Et Babylone exigeait effectivement la plus grande importance qui soit, c’est pourquoi Daniel l’a vu avec sur le dos des ailes d’aigle car l’aigle est l’oiseau du ciel qui s’envole le plus haut [d’ailleurs Babylone a exigé, pour exprimer son importance, que l’on rapporte tous les ustensiles du Temple – qui étaient des ustensiles en or tels que les vêtements du grand prêtre ou le trône du roi Salomon – à Babylone. Et s’ils ne pouvaient pas êtrés, Nabuchodonosor a exigé que l’on en fasse des reproductions afin de montrer au monde entier en quoi c’était lui qui désormais dominait tous les éléments du monde et qui avait en ce sens-là la plus grande importance]. En revanche pour le deuxième Empire, Daniel a dit [2, 32] : « il avait une poitrine et des bras en argent », parce que cet Empire désirait avant tout accumuler l’argent comme cela a été enseigné dans l’Ecclésiaste : « Celui qui aime l’argent ne sera jamais rassasié d’argent ». Ensuite Daniel a vu le troisième Empire sous la forme de l’airain, parce que le troisième Empire était intrépide pour conquérir les terres les plus éloignées qui soient et c’est pourquoi l’Empire grec était solide et audacieux comme l’est, l’airain si bien que Daniel l’appelle la panthère car le propre de la panthère est son insolence. Et le quatrième Empire, sa force propre était la destruction, c’est pourquoi Daniel l’a vu sous la forme du fer destructeur, fer qui va tout trancher et broyer.

Le deuxième Empire est à mettre en regard de l’appétit qui est chez l’homme et il faut que tu comprennes que le but du deuxième Empire a été de retirer à Israël ce monde-ci [c’est-à-dire sa dimension corporelle, en référence à Pourim ici], de le tuer et le faire disparaître et de prendre à Israël le monde corporel. Alors que le troisième Empire n’exigeait que de prendre à Israël la Torah transcendante, sa dimension intellectuelle et c’est pourquoi Daniel l’a vu sous la forme de la panthère qui est insolente, arrogante. Effectivement c’est de cette manière-là que cet Empire se conduisait en fonction de sa domination, parce que celui qui est arrogant se lève contre son prochain et s’oppose à lui et ne veut pas qu’un autre puisse avoir une hauteur propre ; l’arrogant se lève dans son insolence contre l’autre homme.

C’est la raison pour laquelle cet Empire-là se levait contre Israël dans l’arrogance et ne voulait pas qu’Israël pût conserver sa propre religion de la même manière que se conduit celui qui est arrogant, qui méprise la dimension qui est propre à l’autre. Or l’Empire grec n’a pas agi dans cette arrogance comme l’a fait le premier Empire qui lui recherchait la grandeur et la gloire, mais il ne s’est comporté de cette manière-là que pour autant qu’il voulait s’opposer à celui qui est autre que lui afin d’ empêcher que l’autre puisse avoir la moindre hauteur. Ainsi en est-il de l’Empire grec. Mais de cela, les Grecs ne retiraient aucun intérêt matériel; la chose qui les intéressait était uniquement de s’opposer à l’autre, de se dresser contre lui.

C’est pour cela que, de la même manière, Nabuchodonosor a vu le premier Empire sous la forme d’une tête en or reflétant son importance comme l’a dit Daniel : « C’est toi la tête d’or », qu’il a vu le deuxième Empire sous la forme de l’argent parce que comme nous l’avons déjà dit le second Empire avait pour but d’acquérir les richesses, et qu’il a vu le troisième Empire sous la forme de l’airain en raison de son arrogance comme il a été dit dans Isaïe : 8, 4 : « Ton front est un front d’airain » [le propre du front est d’être ce qui est en avant].

Et j’ai trouvé dans une version [fautive] du Midrache [Yalkoute Shimoni, chap 7, 1066] qu’il a été donné à l’Empire babylonien à la fois l’argent et l’or ; et ce Midrache accorde à l’Empire grec le fer. Il y a une erreur dans ce texte ici car il est impossible de dire cela. [Voilà ce qui est vraiment dit dans le Midrache : « Quand Nabuchodonosor a fait ce rêve de la même manière que Daniel avait vu les quatre Empires, il lui a expliqué quel était le sens de son rêve. C’est toi la tête d’or, tu as la poitrine ; et les bras en argent, c’est l’empire babylonien »].

Séance 16 : Le quatrième empire, le fer et le néant.

         «Le fait que Daniel a vu le troisième Empire sous la forme d’une panthère et que Nabuchodonosor l’a vu sous la forme de l’airain met en évidence un seul et même sujet car il a été dit à propos de l’arrogant [comme c’est le propre de la panthère d’être arrogante, intrépide, insolente] : « Ton front est un front d’airain ». Et c’est pour cette même raison que Daniel a vu l’Empire grec sous la forme d’une panthère qui possédait quatre ailes d’oiseau car les Grecs étaient intrépides, l’Empire grec s’est déplacé dans le monde entier pour conquérir la totalité de l’univers. Celui qui n’est pas arrogant a, au contraire, une lourdeur naturelle et demande à se reposer sans chercher à se déplacer. En revanche celui qui est intrépide ressemble au feu, comme nous l’avons dit plus haut : le feu ne connaît aucun repos. C’est la raison pour laquelle cet Empire s’est déployé [littéralement ici : « envolé »] dans toutes les dimensions du monde. C’est pourquoi le propre d’Alexandre le Grand était la conquête, qui était l’essence même du troisième Empire : il partit pour conquérir le monde entier dans toutes les directions possibles qui lui étaient données, ce qu’aucun autre monarque n’a fait avant lui ni même après lui [en réalité, Alexandre le Grand a régné longtemps avant les décrets des Séleucides car il fut un contemporain d’Aristote, son précepteur. Il est dit à ce propos dans le Midrache que quand Alexandre est entré à Jérusalem il a demandé à Aristote son maître qu’il étudiât les livres du roi Salomon et qu’il aurait tiré de là sa philosophie].

Alexandre dans le Temple de Jérusalem/Sebastiano Conca/Circa 1736

Le fait que Daniel a vu sur cette panthère quatre ailes correspond au fait qu’Alexandre s’est envolé comme un oiseau dans les quatre directions de la Terre. Tout cela parce que les Grecs étaient intrépides et c’est le propre de celui qui est intrépide de vouloir l’emporter sur celui qui s’oppose à lui au point où il va le conquérir par la force de son intrépidité et c’est ainsi que celui qui est arrogant s’étend sur toute la surface du monde pour réaliser ses prétentions.
En revanche, le quatrième Empire, dans la mesure où il se considère comme le tout et exige qu’il n’y ait rien en dehors de lui, ne peut envisager qu’une autre forme de culture puisse exister à ses côtés et voilà pourquoi il va tout détruire : il n’est que destruction. Voilà pourquoi Daniel a vu cet Empire portant des dents en fer parce que le propre du fer est la destruction, il élimine tout comme nous l’avons déjà expliqué ».
Le Maharal ferait notamment référence à son commentaire sur le traité Makote dans lequel il dit que toute la force de Rome est la destruction, ou encore à celui sur la section talmudique Guitine où il écrit : « La seule intention de Rome est la destruction comme celui qui va détruire sans aucune raison ». Il s’appuie également ici sur son Netzah’ Israel, au chapitre 17 dans lequel il écrit : « Le fer fait référence au Nord parce que c’est là-bas que l’on trouve la force du fer. Comme cela est dit dans Jérémie : 1, 14 : « Et l’Eternel me dit: « C’est du Nord que le malheur doit éclater sur tous les habitants du pays». Et cela s’apprend aussi de la boussole comme cela est bien visible. Le Maharal a peut-être également en tête Rachi (Exode : 20, 21) où Rachi dit : « Le fer a été créé pour réduire les années de vie d’un homme ». Nous pourrions également lier ces propos de Rachi sur Genèse : 27, 40 où Isaac dit à Ésaü : « Tu vivras de ton épée », « Tu ne vivras qu’à la pointe de ton épée ».
« Donc tout le sens de cet Empire est la destruction comme elle a détruit le Temple en y mettant le feu et le détruisant uniquement selon la volonté de détruire et non pas pour autre chose. Même si le premier Empire a aussi mis le feu au premier Temple, il l’a fait pour asservir Israël et le placer sous son emprise, pour dominer et non pour simplement détruire : c’est pour cela qu’ils ont conquis Israël, comme nous l’avons expliqué plus haut : ils voulaient que leur conquête soit une conquête absolue si bien qu’ils en sont arrivés à tout brûler. En revanche, le quatrième Empire qui avait déjà sous son emprise le peuple d’Israël a attendu le prétexte d’une petite rébellion pour détruire le Temple. Ils n’ont donc brûlé le Temple qu’avec la volonté de détruire et ont utilisé un prétexte comme motif pour le détruire. Pour tout cela, le néant est associé étroitement au quatrième Empire parce que celui-ci est l’aboutissement ; il est le dernier de tous les Empires. Il sera aussi l’anéantissement et la disparition de tous les Empires. Et c’est la raison pour laquelle, à ce quatrième Empire est associé le vide, le néant ; et, c’est parce qu’il est lui-même le rien qu’il amènera le néant à toute chose, qu’il abolira tout, qu’il amènera au monde son exténuation et, dans ce mouvement, il abolira tout. Voilà pourquoi Daniel a dit de lui qu’il « a des dents en fer » et il a été dit plus haut que : « le quatrième Empire sera puissant comme le fer parce que le propre du fer, c’est de tout broyer et cet Empire est pareil au fer puisqu’il brise tout et ne fera qu’écraser et causer des ruines ».
Chacun de ces quatre Empires se rapproche de plus en plus du néant et de la disparition et, en ce sens-là est de plus en plus insignifiant. Voilà pourquoi Daniel décrit le rêve de Nabuchodonosor où il voit le premier empire sous la forme de l’or, le second sous la forme de l’argent, le troisième sous la forme de l’airain et le quatrième sous la forme du fer puisque c’est ce dernier qui est le plus bas de tous. Voilà pourquoi Daniel a ensuite dit qu’il a vu la tête tomber vers les pieds et briser le fer puis l’airain, l’argent et enfin l’or. Dans la destruction nous commençons ici par le fer car c’est le fer qui est le début du néant et après cette néantisation s’étendra aux autres Empires ». 
Ce qui importe au quatrième Empire – qui trouve ses racines dans l’empire romain mais aussi grec – est la destruction. Rome veut tout détruire : l’empire occidental porte en lui le vide et le rien ; et nous voyons qu’il a non seulement conquis la nature en lui retirant toute forme de signification, mais aussi l’espace. Il ne comprend rien au sens de l’être. Il a retiré à l’homme toute dimension ontologique et s’attaque à toutes les dimensions du réel, à toutes les cultures pour ramener toutes les choses à un néant où toutes les valeurs se valent, où la culture se dissout.

Séance 17 : Les quatre animaux impurs

         Le Maharal commente un Midrache dans Vayikra Rabbah (13, 5) qui aborde plusieurs versets du chapitre 11 où il est question des quatre animaux qui ne sont pas autorisés à la consommation, bien qu’ils portent un des deux signes qui les y rendent aptes : le chameau, la gerboise, le lièvre et le cochon.

Le Midrache nous dit que : « le chameau » – Babylone – «  rumine la nourriture » et en ce sens il fait l’éloge du Saint-béni-soit-Il. Tout ce que David a exprimé dans le détail, lui [Nabuchodonosor] l’a dit dans un seul et même verset (Daniel 5, 34) : « Je suis Nabuchodonosor, maintenant c’est moi Nabuchodonosor qui vais louer, exalter, glorifier le Roi du Ciel, dont tous les actes sont vérité et les voies justice ; ceux qui se comportent avec orgueil il peut les abaisser ». Donc il a dit : « je loue » et il est dit dans les Psaumes : « loue Jérusalem l’Éternel » ; il a dit qu’il va exalter la grandeur divine et il est dit dans les Psaumes : « Je t’exalterai l’Éternel » ; il a dit : « je glorifie » et le Psalmiste a dit : « Le Nom, mon Dieu, tu es infiniment grand, tu es vêtu de gloire et de majesté » ; il a dit : « tous les actes sont vérité » et David a dit : « tous tes actes pour Ta bonté et Ta bienveillance » ; Nabuchodonosor a dit : « Lui dont toutes les voies sont justice » et David a dit : « Il juge les nations avec droiture » ; il a dit : « ceux qui se comportent avec orgueil » et David a dit : « c’est Hachem lui-même qui règne et est revêtu en majesté » ; enfin, il a dit : « Il peut les rabaisser », David a répondu : « Et toutes les cornes des méchants je les abattrai ». Le Maharal veut montrer là que le chameau est comme Babylone, comme Nabuchodonosor, puisqu’il fait l’éloge de Dieu en une seule fois quand David lui le déploie dans tous les psaumes.
« Et la gerboise », nous dit le Midrache, qui correspond à la Perse, « parce qu’elle rumine » de la même manière que les Mèdes font l’éloge du Saint-béni-soi-Il comme cela est dit dans Ezra (1, 2) : « Voilà ce qu’a dit Koresh le Roi de Perse ».

Et le lièvre c’est la Grèce, parce qu’il rumine ; il rend gloire au Saint-béni-soit-Il : Alexandre le grand, lorsqu’il a aperçu Rabbi Simon le Juste, voilà qu’il a dit : « Béni-soit le Dieu de Simon le Juste ».
« Et le cochon », c’est Rome, parce qu’il ne rumine pas [il fait semblant], il ne fait pas l’éloge de Dieu et « non seulement il ne loue pas l’Éternel mais il l’injurie, il blasphème et s’exclame : « qui peut-il être pour moi dans le ciel ».
Comme nous l’avons dit, les autres Empires ne sont pas liés au néant absolu car chacun porte avec lui la force qui a été produite par le précédent, si bien que finalement tous les Empires de l’exil d’Israël vont chacun être l’amorce de l’autre jusqu’à ce qu’ils amènent au néant qui est celui de Rome, de l’Occident ; le néant n’est attaché à aucun d’eux si ce n’est au quatrième Empire qui ne forme qu’un avec le vide.
Or le néant apporte une nouvelle forme d’être comme cela est connu. Nous pouvons rappeler ici ce que dit le Maharal dans Netzah Israël au chapitre 26 : le néant constitue toujours les prémisses d’une nouvelle existence parce qu’il est : « impossible qu’apparaisse une chose si ce n’est après un non-être, pour qu’après seulement la chose puisse être ». Nous pourrions donner comme exemple la graine que nous mettons en terre et qui pourrit avant de pouvoir donner naissance à une semence. Le Maharal ajoute un peu plus loin dans ce passage que : « toute existence est d’abord précédée d’un néant », c’est pourquoi la destruction du temple est en réalité la raison d’être de son existence et nous pouvons ainsi dire qu’aussitôt après avoir été détruit le temple est déjà dans un potentiel d’existence.
« C’est pourquoi le néant attaché au quatrième Empire ramènera l’être à Israël et c’est pourquoi le quatrième Empire s’appelle le cochon comme le dit le Midrache (13, 5), l’empire occidental s’appelle le cochon parce que l’Empire reviendra par ricochet à Israël ; c’est par le biais du néant qui est attaché au quatrième Empire que l’être attaché à la souveraineté d’Israël reviendra car le néant est la cause de l’être, comme cela est connu par les Sages. C’est pourquoi le quatrième Empire est comparé au cochon et c’est pour cette même raison que cet Empire est comparé au fer car le propre du fer est l’anéantissement, la destruction. Et, de la même manière qu’est attaché à l’essence de cet Empire le néant, sa raison d’être l’est aussi – cette raison d’être étant la disparition, l’absence. Et il te faut comprendre que lorsque le Saint-béni-soit-Il a institué l’existence des quatre Empires comme nous l’avons vu au début de Ner Mitzvah, et que bien que les quatre Empires doivent leur existence à l’imperfection de la création comme nous l’avons dit, il était impossible que ces quatre Empires ne trouvassent pas une réalité ontologique dans le plan de l’Univers au point où elles seraient complètement exclues du projet divin. Au contraire, nous voyons bien que chacun des Empires est déterminé par un caractère spécifique qui le rattache au projet divin. Voilà pourquoi on trouve dans la Torah une allusion aux trois premiers Empires : le chameau, la gerboise et le lièvre au point où chacun comporte effectivement un signe de conformité à la la Loi, un signe de pureté : le fait qu’il rumine. Or, le fait que ces trois animaux ruminent est caché [car il se situe dans la gorge, dans le travail de la déglutition] et cela montre que le lien qui unit ces trois Empires au Créateur est un lien indéchiffrable, qui ne nous est pas révélé, qui est invisible. Ce signe de pureté tel qu’il est dans le dévoilement du projet divin relève de ce qui est caché [seul Le Nom peut comprendre quel est le sens de leur réalité, peut comprendre la nécessité ontologique de leur réalité vis-à-vis d’Israël]. Mais le signe de pureté du quatrième Empire n’est pas caché ; au contraire, il est dévoilé, manifeste [en effet le cochon a les sabots fendus de manière visible] parce que le lien que le quatrième Empire entretient avec le projet divin- c’est-à-dire le fait qu’ils se montrent eux-mêmes comme s’ils étaient purs-, montre en réalité la vérité intrinsèque du quatrième Empire : il étend ses sabots et exhibe une pureté qu’il ne possède pas et qu’il ne peut que simuler. Cette pureté n’est pas dans l’essence même de cet Empire ; il ne fait que simuler une forme de pureté : c’est pourquoi ce signe se trouve dans les sabots qui sont apparents.
Le Maharal dit là que le quatrième Empire est encore plus faible si bien que son signe de pureté ne relève pas des choses cachées : il semble se donner à la vue de tout le monde. C’est la preuve de sa faiblesse.
Une question surgit au détour de cette classification des Empires : pourquoi l’Empire d’Ismaël (on dirait le monde arabo-musulman) ne figure-t-il pas dans cette nomenclature ?
« Il y a certaines personnes qui se demandent : où est-il fait référence à l’Empire l’Ismaël dans le rêve de Daniel, Empire qui est pourtant puissant et agressif ? Voici la réponse à cette question. Pourquoi Daniel n’a pas fait référence à l’Empire d’Ismaël ? Les Empires dont il est question dans le rêve de Daniel sont uniquement ceux qui ont reçu leur empire en l’arrachant à Israël. Et si la souveraineté d’Israël ne lui avait pas été arraché à cause de sa faute alors ces Empires n’auraient jamais pu obtenir le pouvoir. Au contraire, l’Empire d’Ismaël n’a pas hérité son pouvoir de celui d’Israël mais sa force et sa puissance lui viennent de Dieu qui les leur a données parce que Ismaël est le descendant d’Abraham. Voilà donc qu’il a été donné à Ismaël une vigueur et une puissance en lui-même. Voilà pourquoi Daniel n’a pas mentionné l’empire d’Ismaël quand il a parlé des quatre Empires mais uniquement de ceux qui ont reçu leur puissance et leur effectivité de la puissance qu’ils ont retiré à Israël. Mais eux-mêmes ramèneront finalement la royauté à Israël. Mais il me semble plus juste de dire qu’Ismaël doit être lu dans l’empire de Perse car il a été dit dans le Talmud que cet Empire est comparable à l’ours et au loup ».

Séance 18 : La force corporelle, la force de l’intellect

« Comme nous l’avons expliqué plus haut, le rapport qui existe entre les quatre Empires et Israël est semblable à celui qui existe entre l’animal et l’homme. De la même manière que l’animal sauvage tire sa force de son corps, et si l’homme n’a pas – du point de vue de son intelligence – la force de l’emporter sur l’animal, de le chasser avec sagesse, alors l’homme ne pourrait pas l’emporter ou même se tenir contre l’animal sauvage en vertu de la seule force corporelle car l’animal sauvage possède une grande force corporelle. Ainsi en est-il des nations. Si Israël n’a plus cette hauteur divine qui lui vient de la force de la Torah, alors il n’est plus capable de se tenir face à cette grande force des nations. Toutefois, dans la mesure où le corps est matériel mais aussi soumis à une finalité, la force qui a été donnée aux nations du monde est aussi soumise à une limite alors que l’intelligence transcendante n’est soumise à aucune autre finalité que la sienne, parce que l’intelligence n’est pas circonscrite dans des bornes. C’est pourquoi la hauteur propre à Israël, transcendante et sainte, n’est pas soumise à une limite ni à une finalité. Et c’est uniquement lorsque la dimension matérielle l’emporte sur la dimension d’intelligence du monde que l’intelligence peut subir une domination et peut être elle-même annulée, abîmée, comme cela est connu. Portant, la dimension matérielle en elle-même connaît la limite comme nous l’avons dit, et quand elle s’annule, alors plus rien n’empêche l’intelligence transcendante de se dévoiler ; et à ce moment, ne reste plus que l’intelligence, quand le matériel perd de sa force comme c’est le cas dans la vieillesse où s’éteint la force corporelle et se renforce l’intelligence qui se trouve dans toute sa perfection. La force d’un homme l’emporte sur l’intelligence dans son enfance et ce n’est qu’avec l’âge que la dimension corporelle s’efface et ne reste que l’intelligence au point où nous pourrions dire que l’homme n’est plus qu’ intelligence, que pensée. Et  ainsi en est-il des forces qui ont été données aux quatre Empires puisque leur puissance de domination ne leur vient pas de la transcendance : elles l’emportent sur Israël au début du monde mais à la fin des jours du monde, leur puissance s’annulera, se retirera et la force sainte d’Israël l’emportera et Israël ne connaitra plus aucune forme d’empêchement ou d’antagonisme. Voilà des choses claires ».
Il n’est ainsi question de l’exil d’Israël que pour autant que nous sommes au début du monde, sous les dominations des quatre Empires. Cette domination leur vient de la matière mais n’est pas transcendante ni humaine comme le montrent les quatre animaux sauvages. Cette dimension matérielle est vouée à disparaître car finalement c’est la Forme, c’est-à-dire le projet divin, qui s’imposera.

Séance 19 : La pierre d’Israël

Nous allons maintenant voir avec le Maharal de Prague comment la fin de l’exil a été vu par Daniel dans le rêve de Nabuchodonosor.
« Lorsque Nabuchodonosor le scélérat a vu les Empires qui étaient sous la forme d’un homme, il n’était pas possible d’annuler la force propre à ces quatre Empires, si ce n’est par l’intermédiaire d’une pierre, comme le raconte Daniel à Nabuchodonosor (verset 35) : « Tu t’émerveillais quand soudain une pierre s’est détachée et a frappé les pieds de fer et d’argile et les a pulvérisés ». Cette pierre, c’est Jacob, comme cela est dit en Genèse : 49, 24 lorsqu’il bénit Joseph : « dès lors le gardien, la pierre d’Israël /מִשָּׁם רֹעֶה אֶבֶן יִשְׂרָאֵל/ Michame ro’é évène Israël».
Voici l’explication de ce verset. Á ces quatre Empires a été donnée de la puissance car en effet  le Saint-béni-soit-Il a donné à ces quatre Empires une force humaine : or c’est à l’homme que Le Nom a donné la domination du monde comme nous l’avons expliqué [le Maharal dit que le fait que Nabuchodonosor ait vu les quatre Empires sous une forme humaine doit être pris très au sérieux puisque cela exprime en quoi c’est Dieu qui donne la domination aux quatre Empires sous forme humaine car c’est l’homme qui domine la nature]. Or, l’annulation de cette force qui a été donnée aux quatre Empires sous la forme d’un homme n’est possible que par l’intercession de Jacob dont la force s’appelle la force de la pierre. Le fait que la puissance propre à Jacob s’appelle la puissance de la pierre est un sujet très profond parce que Jacob possède une puissance sainte, transcendante comme nous l’avons expliqué ailleurs, puisque Jacov est appelé Saint comme on le voit partout. Voilà pourquoi il est écrit dans Isaïe : 29,23) : « Ils sanctifieront Jacob éternel » mais ce n’est pas ici le lieu de l’expliquer en profondeur puisque nous l’avons expliqué en plusieurs endroits [Derekh Ha’Haïm aux pages 145 et 235, Tiferète Israël aux pages 300 et 353 et Guevourote Hachem aux pages 170 et 308]. Mais c’est en vertu de cette transcendance,  force propre à la sainteté, que pourra être annulée la force donnée aux quatre empires. C’est pour cela que cette force s’appelle  אֶבֶן/ « évène » /« pierre » comme nous l’avons vu dans Genèse : 49, 24 : « Dès lors gardien, pierre d’Israël » puisque – nous l’avons expliqué ailleurs – ce qui est transcendant relève de ce mot : « évène » parce que le propre de la matière est d’être passive alors que ce qui est transcendant n’est pas passif : au contraire c’est ce qui agit, ce qui ne reçoit pas d’information de l’extérieur. C’est la raison pour laquelle Jacob est nommé « pierre » parce que le propre de la pierre est de ne pas être soumis aux facteurs extérieurs : au contraire, elle est très dure, solide et c’est elle qui agit sur autre chose. C’est pourquoi la Torah n’a pas été écrite sur des tables d’or ou d’argent mais de pierre comme nous l’avons expliqué dans le Traité Erouvine [ce texte a disparu aujourd’hui mais nous comprenons que le Maharal fait référence aux Tables de la Loi : le propre de la pierre et de ne pas subir ou avec difficulté l’action d’un élément extérieur alors que l’or et l’argent sont plus malléables]. C’est donc en vertu de cette hauteur qui était celle de Jacob – qui est sanctifié- que cette pierre vient briser les pieds de la statue car le propre du pied est d’être lié par essence au néant comme nous l’avons expliqué aussi dans un autre endroit, parce que partout lorsqu’il est question du pied il est aussi question du vide, du néant ; prends le temps de comprendre ces choses en profondeur , il faut mûrement réfléchir à ce dont il est question ».
La pierre représente l’idée même d’invariabilité et cette forme doit nous permettre de comprendre la sainteté– c’est-à-dire la distinction propre au réel qui vient inscrire la forme divine des choses à l’intérieur du monde : voilà le sens qu’il faut donner à la pierre. Cela est directement lié à la bénédiction donnée parJacob que Rachi commente par ailleurs (Genèse, 24) en disant que « évène»/la pierre est l’abréviation des mots « av » et « ben », qui signifie la relation père – fils /principe-conséquence puisque les lettres sont : אב et בן ; donc si l’on les contracte, on obtient אבן. Il semble ainsi, d’après Rachi ; que la puissance propre à la pierre serait précisément d’assumer la réalité humaine dans son projet, c’est-à-dire serait l’idée d’unifier dans une même génération la transcendance et l’immanence, c’est-à-dire le  בן /ben/le fils qui exprime le projet dans ce monde et le אב /av/le père qui est le fondement même du projet. Voilà en quoi le אבן /la pierre serait cette force d’unification mais aussi d’édification.
Pour ce qui est du rapport aux pieds évoqué par l’analyse du fait que la pierre se détache de la tête pour venir briser les pieds, le Maharal nous parle du néant qui leur est attaché. D’abord lorsque nous marchons, sous nos pieds se trouve le vide. Ensuite, est compris là un concept qui est celui de l’Adam Primordial, à savoir que tous les mondes se donnent sous la forme d’un homme puisque l’intention de la création c’est effectivement l’homme, donc toutes les réalités – matérielles et spirituelles profondes – s’expriment sous la forme d’un être humain. Et, le niveau des pieds de l’homme correspond alors au niveau de la fin, de l’aboutissement de projet, du dévoilement de l’intention divine.

Aussi, pour qu’il y ait une nouvelle forme d’existence, comme l’a expliqué le Maharal, il faut au préalable passer par un néant, par le non-être pour être. Á ce propos, le Maharal dans d’autres de ses ouvrages, décrit le Messie comme relevant à la fois de l’être et du non-être car, dans la mesure où il vient expliquer une nouvelle dimension de l’être, il est antagoniste, dans un pur paradoxe avec le monde tel qu’il est. C’est pour cela qu’il ne peut pas être alors qu’il est lui-même l’être le plus accompli.

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