« Famille malade. Maladie contagieuse »

par Danielle DELMAIRE

Pierre-Jérôme BISCARAT, Izieu : Des enfants dans la Shoah, Paris, Fayard, 2014.
Serge KLARSFELD (documentation réunie et publiée par), Les enfants d’Izieu : une tragédie juive, Paris, A.Z. Repro, 1984.
Et alii… – voir au bas de l’article les indications bibliographiques et historiographiques.

L’auteur remercie chaleureusement Serge Klarsfeld pour la relecture attentive qu’il a effectuée de son article et pour les corrections qu’il a proposé d’y apporter.

6 avril 2024 : on a commémoré la rafle des 44 enfants de la Maison d’Izieu et de sept adultes, tous juifs, qui eut lieu le 6 avril 1944.
Transférés le lendemain de Lyon au camp de Drancy, ils firent partie des convois qui se dirigèrent vers Auschwitz en avril et mai, et pour trois d’entre eux vers Reval en Estonie. En quelques jours, ils furent assassinés.
Ce crime contre l’humanité aurait fort bien pu rester sans suite : les victimes auraient pu être oubliées, leur nom effacé ; les coupables auraient pu échapper à la justice, et les crimes rester impunis … Il n’en fut rien : le principal coupable, au moins, fut poursuivi, jugé et condamné ; et l’histoire de ses enfants comme des adultes qui les accompagnaient est désormais bien connue.
Cette victoire sur l’oubli, on la doit assurément au travail et aux combats inlassables de Serge Klarsfeld, aux témoignages des survivants fidèles à la mémoire des disparus, puis aux recherches des historiens, notamment à celles de Pierre-Jérôme Biscarat.


Le premier jour des vacances…
Que s’était-il exactement passé ce jour-là, dans ce petit village de l’Ain, haut perché non loin du Rhône ?
C’est le Jeudi Saint et le premier jour des vacances de Pâques. L’institutrice, qui assure l’enseignement pour l’ensemble des enfants âgés de 5 à 16 ans, a quitté la Maison la veille pour passer ses jours de congé avec ses parents qui résident non loin. Les enfants s’éveillent et prennent leur petit déjeuner quand, tout à coup, des militaires allemands et d’autres en civil entourent la Maison et exigent le rassemblement de tous les enfants. Et en ce jour de vacances, ils sont tous présents, y compris les deux adolescents qui étudient au collège de Belley, ville voisine et sous-préfecture de l’Ain.
Tôt dans la matinée, Léon Reifman, qui fut infirmier à la Maison en 1943 avant de s’éloigner pour éviter le STO, était allé chercher Max Balsam et Maurice Gerenstein, au collège de Belley, pour passer les vacances à la Maison d’Izieu où l’un a son jeune frère et l’autre, sa jeune sœur. Léon Reifman vient lui-même de passer quelques jours près de sa sœur, médecin de la colonie, et de ses parents qui font partie de l’encadrement adulte des enfants.
Les Allemands débarquent peu après leur arrivée à la Maison. Croyant qu’ils viennent cueillir un réfractaire au STO, la sœur de Léon, Sarah Levan-Reifman, crie à son frère de se cacher. Par la fenêtre, il saute de l’étage dans le jardin où il parvient à se dissimuler et à échapper à la rafle. Il est le seul à ne pas être pris.
Les Allemands sont en fait venus liquider la colonie d’enfants juifs. Des camions les ont accompagnés pour transporter les enfants et le personnel adulte d’encadrement. Tous sont brutalement embarqués, traités sans égards. Miron Zlatin, le directeur de la colonie, tente de s’interposer. En vain, il reçoit des coups qui le font plier.
Quelques voisins qui portaient une grande sympathie envers les enfants et les adultes, assistent impuissants à l’arrestation. Ils entendent les enfants chanter « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », chanson qu’ils avaient apprise de leur institutrice, – alors que la moitié d’entre eux est d’origine étrangère. Dans la descente vers le village de Brégnier-Cordon, le convoi s’arrête devant une confiserie dont les employées s’attroupent, intriguées par la présence de ces enfants. C’est alors que l’une d’elles reconnaît son cousin René Wucher qui n’est pas juif. Les Allemands acceptent de le libérer. Les enfants et les éducateurs sont internés à la prison Montluc de Lyon. Les adultes sont interrogés par la Gestapo. Le lendemain, tous sont dirigés vers la gare pour emprunter un train qui doit les mener à Drancy où ils arrivent le jour même. Les adultes et les adolescents les plus âgés sont menottés.
« Famille malade. Maladie contagieuse »
La rafle a été rapide : elle a surpris car, en ce premier jour des vacances, la surveillance à l’entour est relâchée, si bien qu’aucune alerte n’a pu être déclenchée. Les bols du petit déjeuner restés sur les tables et parfois encore à moitié remplis témoignent de l’effet de surprise générale, ajoutent à la brutalité de l’opération.
Gabrielle Perrier, l’institutrice, a connaissance du drame, le jour même, à Belley où elle s’est rendue afin d’effectuer des emplettes. C’est une amie rencontrée par hasard qui l’en informe. Elle est effondrée.

Gabrielle Perrier

Quant à Sabine Zlatin, la directrice, alors en déplacement à Montpellier, elle est avertie par un télégramme codé, envoyé par la secrétaire générale de la sous-préfecture de Belley : « Famille malade. Maladie contagieuse». Elle comprend qu’il est préférable de ne pas rentrer, sans toutefois mesurer immédiatement l’ampleur du désastre. Elle tente d’obtenir leur libération en se rendant dans les bureaux de Vichy, dont elle se fait renvoyer.
L’internement à Drancy dure peu de temps. Dès le 13 avril, 34 enfants et quatre adultes font partie du convoi 71. Un autre adulte est intégré dans le convoi 72 du 20 avril. Deux autres enfants et un adulte, puis deux enfants et trois autres, enfin trois enfants et un adulte sont respectivement déportés par les convois 73 du 15 mai, 74 du 20 mai, 75 du 30 mai et 76 du 30 juin. Voir Serge Klarsfeld, Les enfants d’Izieu, une tragédie juive, p. 14.
L’éducatrice Léa Feldblum porte un faux nom mais, pour ne pas quitter les enfants, elle avoue sa véritable identité. Elle est donc déportée par le convoi 71 et arrive avec les enfants le 15 avril à Birkenau. Elle est brutalement séparée de ses protégés, notamment du petit Émile Zuckerberg, âgé de cinq ans. Elle a survécu à Auschwitz et a pu témoigner de l’arrestation et des conditions insupportables du voyage. Miron Zlatin et deux adolescents, Arnold Hirsch et Théo Reis âgés de 17 et 16 ans, sont déportés par le convoi 73 qui est composé uniquement d’hommes et se dirige vers Kovno (Kaunas) en Lituanie où une moitié est débarquée et assassinée, l’autre moitié dont les deux adolescents et Miron Zlatin, est convoyée vers Tallin (Reval) en Estonie où elle subit le même sort.

Parmi les 44 enfants assassinés, 14 étaient français de métropole, sept d’Algérie, sept étaient allemands, sept autrichiens, huit belges et un polonais.
D’où venaient ces enfants et leurs accompagnateurs et qui était le couple Zaltin, Miron et Sabine, qui avait entrepris les démarches pour ouvrir cette maison ?
La colonie d’enfants à Izieu
Les premiers enfants juifs étaient arrivés à la Maison d’Izieu au début du mois de juin 1943, accompagnés de Suzanne Reifman et Léa Feldblum. La colonie vit alors ses premiers instants.
Miron Zlatin était né en 1904 à Orsha en Biélorussie intégrée dans l’Empire russe. Il avait étudié l’agronomie à Nancy et avait obtenu le diplôme d’ingénieur. Ce fut dans cette ville qu’il rencontra Sabina Chwast née en 1907 à Varsovie (appartenant aussi, à l’époque, à l’Empire russe). Elle était étudiante en lettres et en histoire de l’art. Pour immigrer en France, elle était passée par la Belgique puis avait franchi irrégulièrement la frontière vers la France. Le couple se maria le 31 juillet 1927 à Nancy.

Sabine Zlatine/s.d.

Après la fin d’études brillantes, Miron, dont la famille était aisée, acheta une ferme avicole à Landas, à une quarantaine de kilomètres à l’est de Lille. Il y développa un élevage de poussins mais les débuts furent difficiles car le terrain était infesté. L’acharnement eut raison de ces déboires et l’élevage s’avéra prospère. Il put participer à l’exposition de Paris de 1939 où il attira l’attention du président Albert Lebrun qui, ému par la situation d’apatride de Miron, lui proposa de devenir français. Mais l’implantation et la réussite d’un couple étranger suscitèrent quelques soupçons dans le village de Landas, proche de la frontière, dans ces années d’avant-guerre.
À la déclaration de la guerre, Sabine suivit des cours pour devenir infirmière de la Croix-Rouge. Puis, comme de nombreux nordistes, le couple se lança dans l’aventure de l’exode qui les amena à Montpellier. Sabine y exerça en tant qu’infirmière mais elle fut rapidement congédiée car juive. Par l’intermédiaire de la préfecture de l’Hérault, elle se rapprocha de l’OSE/Œuvre de secours aux Enfants et devint assistante sociale pour le camp d’Agde. Depuis ce camp, les internés furent dirigés vers celui de Rivesaltes où les conditions de vie étaient lamentables. En tant qu’assistante sociale de l’OSE, Sabine y fut envoyée pour sortir des enfants et les amener à Montpellier. Mais leur hébergement devenait problématique et, avec l’aide de l’abbé Charles Prévost, elle parvint à les installer provisoirement dans un sanatorium inoccupé à Palavas-les Flots.
Pendant ce temps, Miron avait repéré une petite ferme à Jacou dans la banlieue montpelliéraine où le couple s’installa. De nouveau, Miron s’adonna à l’élevage avicole. Soucieux de vivre dans la légalité, il se déclara en tant que juif au commissariat de police. L’embellie dura jusqu’à l’occupation de la zone sud par les Allemands, en novembre 1942. Le couple décida de se réfugier à Vic-sur-Cère dans le Cantal où s’était repliée l’OSE tandis que Miron se mit au service de l’UGIF (Union générale des Israélites de France). Mais l’organisation quitta l’endroit sans prévenir ce qui incita le couple à gagner la zone italienne, jugée moins dangereuse pour les Juifs. C’est alors que, vers mars 1943, Sabine fut sollicitée par le secrétaire général de la préfecture de l’Hérault pour prendre en charge un groupe d’enfants juifs se trouvant à Campestre, près de Lodève. Pour la convaincre, il assura que le Secours national (le gouvernement de Vichy) prendrait en charge le transfert et lui conseilla de contacter le sous-préfet de Belley dans l’Ain, Pierre-Marcel Wiltzer, qui pourrait lui attribuer une maison.
Sabine se rendit donc à Belley où la rencontre avec le sous-préfet Wiltzer et sa secrétaire générale Marie-Antoinette Cojean fut immédiatement chaleureuse. Le sous-préfet réquisitionna la maison d’Izieu, située à l’écart du village et des principales routes ; elle avait déjà servi pour abriter des colonies de vacances. Elle était parfaitement adaptée aux besoins du groupe d’enfants réfugiés de l’Hérault qui avaient été internés dans divers camps.
C’est le Secours national qui procura tout le matériel nécessaire : lits, tables, bancs, linge de toilette etc. Après une halte à Chambéry où ces mêmes services du Secours national les accueillirent, les enfants et le personnel d’encadrement, monitrices et la docteure Suzanne Reifman-Levan accompagnée de son fils âgé de huit ans, de son frère et de ses parents, arrivèrent au début du mois de juin 1943. C’était le printemps et l’endroit enchanta tout le monde, les adultes comme les enfants qui étaient pour la plupart des citadins. La maison prit le nom de « Colonie d’enfants réfugiés de l’Hérault », sans aucune mention de leur judéité. Une ombre toutefois à cette installation : l’accueil du maire fut peu engageant, il reçut Sabine avec peu de considération et, par la suite, il refusa d’héberger l’institutrice nommée à la Maison d’Izieu. 

Maison d’Izieu

La vie à la colonie s’organisa. Les monitrices et les autres adultes se chargeaient d’une éducation collective. Équipé d’un vélo et d’une carriole, Miron parcourait les environs pour procéder au ravitaillement. Les cartes étaient fournies par la sous-préfecture de Belley, toujours grâce au Secours national, tandis que l’OSE finançait l’entretien des enfants et que Miron avait noué de bonnes relations avec les maquisards qui aidèrent au ravitaillement. L’amabilité de Miron agit avec efficacité et il obtenait beaucoup d’aide de la part des fermiers d’alentour qui, peu à peu, se prirent d’amitié pour cette colonie d’enfants. À la rentrée scolaire de 1943, le sous-préfet parvint à créer une école, alors que le village en possédait une mais la quarantaine d’enfants de la colonie ne pouvait pas y être reçue. Une institutrice, Gabrielle Perrier, fut nommée tout à fait légalement par un inspecteur relevant du ministère de Vichy. Deux autres élèves purent être inscrits au collège de Belley.
Certains enfants ne restaient que quelques semaines, plusieurs avaient déjà quitté l’Ain avant la rafle. Quelques-uns avaient pu bénéficier de filières pour être dirigés vers la Suisse. Au total près d’une centaine d’enfants était passée à la Maison d’Izieu. Les photos, prises à l’été 1943, montrent des enfants radieux, certains dans des postures de farceurs, heureux de vivre dans un cadre de montagne et dans une société d’enfants en collectivité amicale. Les lettres des enfants évoquent cette profonde amitié développée dans un contexte de danger. Mais ces lettres, envoyées aux parents, exposent aussi l’angoisse vis-à-vis du danger qui menace et dont les enfants sont parfaitement conscients ; elles disent également toute la souffrance d’être séparés des parents ou de n’avoir pas de nouvelles car ces derniers sont, en fait, déjà arrêtés et déportés.

Portrait de groupe 1943-1944/ Collection Famille Pludermacher

Vers le jugement de Klaus Barbie : un long processus

Après la rafle 
Après la tragédie de la rafle, Sabine Zlatin s’engagea dans la Résistance et assista à la libération de Paris qui se produisit quelques mois plus tard. Elle ne pouvait participer à la joie générale, anxieuse de connaître le sort de ses protégés et amis. Finalement, elle se consacra à l’accueil des revenants déportés au Lutétia, à Paris. C’est là qu’un déporté lui rapporta la fin de Miron et des deux adolescents : Théo Reis et Arnold Hirsch. Il avait été leur compagnon d’infortune dans la même forteresse. Un matin, ils furent envoyés pour couper du bois au lieu de travailler à l’usine. Ils ne revinrent pas : ils furent fusillés le 31 juillet 1944.
Puis elle se consacra à la peinture et ouvrit une librairie, mais elle entretint le souvenir de son mari, de ses protégés et de leurs accompagnateurs. Elle revint à Landas pour vendre la ferme et, en 1946, la municipalité apposa une plaque sur le mur donnant sur la rue qui prit le nom de Miron Zlatin. La plaque s’y trouve toujours. Le 7 avril 1946, deux ans après la rafle, une stèle fut érigée à Brégnier-Cordon, le village jouxtant Izieu où s’étaient arrêtés les camions avant de se diriger vers Lyon, grâce à une souscription placée sous l’égide du général de Gaulle et la participation de la municipalité d’Izieu, du préfet de l’Ain et de la sous-préfecture de Belley. En même temps, une plaque fut apposée sur le mur de la Maison. Régulièrement, elle se rendait à Izieu.
L’éducatrice Léa Feldblum fut la seule à revenir de la déportation. Née à Varsovie en 1918, elle avait travaillé pour l’OSE à Palavas-les-Flots et Champestre avant d’intégrer la Maison d’Izieu. Très dévouée aux enfants, elle avait révélé sa véritable identité, à Drancy, pour partir avec eux. Elle vivait sous le faux nom de Marie-Louise Decoste. Elle survécut à Auschwitz dont elle sortit fin janvier 1945 et fut rapatriée en France par Odessa. Militant au mouvement sioniste de l’Hashomer HaTsaïr avant la guerre, elle réalisa son alyah vers la Palestine en 1946. Elle s’y maria mais perdit son mari lors de la guerre d’Indépendance, en 1948.
Au tournant des années 1940-1950, la tragédie d’Izieu sombrait dans l’oubli. Sabine et quelques amis étaient seuls à se souvenir, ne parvenant pas à oublier. C’était le cas aussi de l’institutrice, Gabrielle Perrier, des membres des familles des enfants et d’autres enfants partis avant la rafle, quand ils avaient survécu à la guerre, ainsi que des villageois d’Izieu.
Combats
L’action acharnée du couple Klarsfeld  fut décisive  pour porter à la connaissance du public cet événement tragique : dénoncer le passé nazi du personnel politique de l’Allemagne et de l’Autriche d’après-guerre fut leur combat. C’est sous l’effet de leur action militante que l’histoire de la Maison d’Izieu finit par retenir l’attention de l’opinion publique.
Le 22 juin 1971, le Parquet de Munich décida de classer l’affaire Barbie, celui-là même qui sévissait à Lyon pendant la guerre et qui était responsable de la rafle d’Izieu. Désormais, il fallait retrouver Klaus Barbie et des témoins de la rafle ainsi que des documents d’archives, que le couple pouvait trouver au Centre de Documentation Juive Contemporaine à Paris. Leur objectif était d’amener devant la justice l’auteur d’un crime contre l’Humanité.
Les Klarsfeld retrouvèrent Alexandre Halaunbrenner, frère de deux fillettes victimes de la rafle d’Izieu, et sa maman. Celui-ci leur fit connaître Fortunée Benguigui, mère des trois garçonnets, eux aussi victimes de la rafle. Ainsi débuta, selon la formule de S. Klarsfeld, « le combat de deux mères d’Izieu aux côtés de Beate Klarsfeld contre l’impunité de Barbie ».
En septembre 1971, Beate Klarsfeld et Fortunée Benguigui se déplacèrent à Munich pour s’installer sur les marches du palais de justice afin de faire revenir le procureur général sur sa décision de clore l’instruction pour un procès contre Barbie. La ville était emblématique du passé nazi de l’Allemagne, la population alertée par la presse, allemande et française, ne resta pas indifférente. Des passants s’arrêtèrent pour encourager la maman d’enfants assassinés, elle-même survivante d’Auschwitz, et qui avait entamé une grève de la faim. L’action spectaculaire paya : le procureur, mis sous pression, finit par accepter de rouvrir l’instruction, après bien des hésitations et, surtout, après avoir pris connaissance d’un témoignage produit par les Klarsfeld, établissant la connaissance subjective par Barbie du sort fatal réservé aux Juifs déportés.
Dans le même temps, des Allemands établis au Pérou informèrent les Klarsfeld de la présence de Barbie à Lima, sous la fausse identité de Klaus Altman. Dès janvier 1972, Beate s’envola pour le Pérou que Barbie s’empressa de quitter pour se réfugier en Bolivie, sous régime politique dictatorial ; il possédait la nationalité bolivienne. Beate le suivit à La Paz où elle mena campagne contre lui.
En février suivant, Beate retourna à Lima avec de nouvelles preuves contre Barbie ; elle était accompagnée de Ita-Rosa Halaunbrenner. La France avait entre-temps demandé l’extradition de Barbie qui s’était aussi rendu coupable de la mort sous la torture de Jean Moulin, grande figure de la Résistance. Après bien des tergiversations de la part du gouvernement bolivien qui protégeait Barbie, Beate et Ita-Rosa Halaunbrenner parvinrent à entrer en Bolivie, depuis le Pérou. Elles s’installèrent à La Paz où elles s’enchaînèrent à un banc situé en face des bureaux de Klaus Barbie. Ici encore et malgré la présence de la police, la population s’arrêta, intriguée par l’action des deux femmes. Beate fut arrêtée à plusieurs reprises et finalement elle fut expulsée de Bolivie avec Ita-Rosa. De retour à Paris, les journalistes les accueillirent pour s’emparer de l’affaire.

Procès Barbie/De gauche à droite : Beate Klarsfeld, Ita Rosa-Halaunbrenner, Fortunée Benguigui-Chouraqui et Lea Feldblum à leur arrivée au Palais de justice

La réponse de la Bolivie se faisait attendre. À la fin de l’année 1972, Régis Debray qui était sorti des geôles boliviennes à la fin de 1970, offrit son aide aux Klarsfeld pour enlever Barbie. Régis Debray et Serge Klarsfeld rencontrèrent, à la frontière bolivienne, Gustavo Sanchez Salazar, chef de l’opération qui ne put se réaliser et, en octobre 1973, la Bolivie refusait toujours d’extrader Barbie vers la France. Banzer, le dictateur en place, appréciait son aide dans la répression des opposants. Suite à des campagnes de presse en Occident, Altman finit par avouer être Barbie, le 22 avril 1973, mais la dictature bolivienne continua à le protéger jusqu’en 1978. Finalement, la situation politique bolivienne changea :  Gustavo Sanchez Salazar devenu, entre temps, secrétaire d’État à la Sécurité en Bolivie et toujours en relation avec Régis Debray et Serge Klarsfeld.
Barbie fut arrêté le 25 janvier 1983 et fut expulsé le 5 février 1983 vers la France puis interné à la prison Montluc, là même où ses victimes avaient été torturées.
Son procès s’ouvrit le 11 mai 1987. Maître Vergès accepta de le défendre tandis que Maître Klarsfeld intervint dans l’accusation. Les nombreuses parties civiles appartenaient aux familles des enfants d’Izieu et notamment les deux « mères d’Izieu » ainsi que Sabine Zlatin, « la dame d’Izieu » et Léa Feldblum la survivante d’Auschwitz.
Le 4 juillet 1987, Barbie fut condamné à la détention à perpétuité pour crimes contre l’Humanité, notamment contre les enfants d’Izieu. Il resta emprisonné à Lyon jusqu’à son décès le 25 septembre 1991.

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Lorsque la maison fut mise en vente en 1986, Sabine Zlatin pensa alors à la faire racheter pour la transformer en un mémorial et musée à la fois. En 1988, une association fut créée, avec la complicité de l’ancien sous-préfet de Belley Marcel Wiltzer et du comédien Guy Bedos, pour la mise en place de ce musée et pour lancer une souscription afin de racheter les bâtiments. Les autorités de l’État français et de l’Allemagne répondirent favorablement aux sollicitations. Le 24 avril 1994, presque cinquante ans après la rafle, le Musée-mémorial des enfants d’Izieu était inauguré par le président François Mitterrand.

Indications bibliographiques et historiographiques

Ces indications tiennent essentiellement compte des principaux ouvrages parus en français et n’ont pas la prétention d’être exhaustives.

Durant la vingtaine d’années qui suivit la fin de la guerre, le souvenir de la « tragédie » d’Izieu n’habitait qu’un petit nombre d’amis de Sabine Zlatin ainsi que les habitants des alentours qui avaient connu les enfants et avaient plus ou moins assisté à leur arrestation, notamment leur institutrice Gabrielle Perrier devenue Madame Tardy. Il fallut attendre les premières publications qui mettaient à jour les travaux titanesques des époux Klarsfeld, dans les années 1970, pour qu’une première mention dans leur imposant Mémorial de la déportation retienne l’attention. L’ouvrage, édité artisanalement et paru en 1978 par les soins de Beate et Serge Klarsfeld, réalise le tour de force de reconstituer les listes des noms des Juifs pour chacun des 82 convois partis de France auxquels s’ajoute la liste des noms des Juifs du Nord et du Pas-de-Calais déportés par la Caserne Dossin de Malines, en Belgique.

  • Klarsfeld Serge, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, édité et publié par Beate et Serge Klarsfeld, 1978.

Dans la description du convoi 71 du 13 avril 1944, on lit : « Une partie des enfants arrêtés par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, font partie de ce convoi », mais le nom d’Izieu n’est pas encore mentionné. Pour le convoi 76 du 30 juin 1944, la présentation donne les noms « des enfants isolés, comme Minna 9 [ans] et Claudine Halaunbrenner 5 [ans], arrêtées à Izieu par Barbie ».

Début 1983, avec l’extradition de Barbie vers la France, un procès se profilait. Il fallait rassembler des preuves de la responsabilité de Barbie dans la rafle d’Izieu et inviter les membres des familles des enfants et des adultes à se porter partie civile. Ce fut l’occasion de faire paraître un ouvrage uniquement consacré à la Maison d’Izieu.

  • Klarsfeld Serge, Les enfants d’Izieu, une tragédie juive, documentation réunie et publiée par Serge Klarsfeld, président de l’Association « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France », 10 décembre 1984.

Serge Klarsfeld commence par reproduire, en partie, la postface qu’il a accordée au livre de Tom Bower : Klaus Barbie, paru chez Calmann-Levy en 1984, pour dénoncer « une impunité exceptionnelle » dont bénéficiait le « criminel nazi ».

Suivent deux chapitres, l’un sur le sauvetage des enfants juifs par l’OSE et l’autre sur la mise en place de « La colonie des enfants réfugiés de l’Hérault », sur le quotidien des enfants et sur la rafle. Puis les pages livrent les noms et une courte biographie de chacun des 44 enfants arrêtés ainsi que les noms et les biographies des sept adultes emmenés également ce 6 avril 1944. Une page est consacrée à « La survivante de la déportation », Léa Feldblum et une autre au « Rescapé de la rafle », Léon Reifman. Chacune des biographies est accompagnée de nombreux documents et de photos qui permettent de nourrir l’accusation en vue du procès. Elles se terminent par la mention qu’un membre de la famille est partie civile.
Parallèlement, Serge Klarsfeld continuait ses recherches et publiait, en novembre 1985, le second tome de :

  • Serge Klarsfeld, Vichy, Auschwitz, Paris, Fayard, t. 2, novembre 1985.

Mention y est faite des « 51 personnes arrêtées » à Izieu, le 6 avril 1944 par Barbie, p. 155.

Le procès Barbie, en 1987, portait à la connaissance d’un très large public la « tragédie juive ». Les comptes rendus dans la presse nationale et internationale, les dépositions des « mères juives » et de la « dame d’Izieu » avaient bouleversé l’opinion publique.

Dans les années 1990, des ouvrages étaient alors publiés par d’autres historiens que Serge Klarsfeld :

  • Rolande Causse, Les Enfants d’Izieu, Réédité en 1994 avec le témoignage de Sabine Zlatin, Paris, Seuil 1989.
  • Catherine Chaine, Le voyage sans retour des enfants d’Izieu, Paris, Gallimard Jeunesse, 1994. 

Tandis que Sabine Zlatin fit paraître ses mémoires :

  • Sabine Zlatin, Mémoires de la « Dame d’Izieu », Avant-propos de François Mitterrand, Paris, Gallimard, 1992.

La directrice de la Maison d’Izieu y raconte tout son passé : avant, pendant et après la guerre. Suivent sa déposition au procès Barbie, le témoignage de Gabrielle Perrier, l’institutrice, et celui de Samuel Pintel qui séjourna à Izieu mais quitta la Maison avant la rafle. Ces témoignages livrent des renseignements plus précis et plus nombreux sur le quotidien des enfants.

En outre paraissait :

  • Serge Klarsfeld, Le Calendrier de la persécution des Juifs en France, Paris, édité par l’association « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France » et par « The Beate Klarsfeld Foundation », juillet 1993.

À la date du 6 avril 1944, il consacre 27 pages à la rafle d’Izieu. Il en rappelle les circonstances, livre de nouveau les biographies de chacun des enfants et décrit le convoi 71 par lequel la majorité des enfants fut déportée à Auschwitz.

Puis toujours par l’association des « Fils et Filles des Déportés Juifs de France » et « The Beate Klarsfeld Foundation », Serge Klarsfeld consacra un ouvrage entier au seul Georgy Halphen :

  • Serge Klarsfeld, Georgy : Un des 44 enfants de la Maison d’Izieu, Paris, Publié par l’association « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France » et par « The Beate Klarsfeld Foundation », 1997. Réédité en octobre 2002.

L’ouvrage, qui est dédié à Ita-Rosa Halaunbrenner et à Fortunée Benguigui, fait état de la souffrance de Julius et Sérafine Halphen, les parents du petit Georgy âgé de huit ans à sa déportation, qui ne parviennent pas à renoncer à des recherches pour retrouver leur fils unique, après la guerre. En 1982, ils font encore paraître un avis de recherches dans la presse israélienne. Les photos, les lettres et les dessins de Georgy y sont nombreux. Le lecteur découvre un enfant qui paraît espiègle, heureux de vivre à la montagne et soucieux de bien travailler en classe. Il se montre très affectueux envers ses parents, il envoie à sa maman hospitalisée un nombre incalculable de baisers tant il y a de zéros après le 1. Les dernières pages sont dédiées aux 43 autres enfants.
Durant les années 2000-2010, ce sont davantage des études qui paraissent spécifiquement sur la colonie, notamment dues à Pierre-Jérôme Biscarat, historien dirigeant le service pédagogique du Musée de la Maison d’Izieu :

Pierre-Jérôme Biscarat

  • Les enfants d’Izieu. 6 avril 1944. Un crime contre l’humanité, éd. Le Dauphiné libéré, mars 2003.
  • Dans la tourmente de la Shoah. Les enfants d’Izieu, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, octobre 2008.

Désormais, c’est une recherche académiquement reconnue sur le sort des enfants d’Izieu qui est relatée.

Une autre étude paraît quelques années plus tard :

  • Kathel Houzé, Jean-Christophe Bailly, La colonie des enfants d’Izieu. 1943-1944, Paris Lyon, Izieu, Éditions Libel, 2012.

Enfin, deux autres ouvrages s’intéressent aux adultes qui encadrèrent les enfants :

  • Dominique Missika, L’institutrice des enfants d’Izieu, Paris, Seuil, 2014, réédité avec une préface inédite, janvier 2023.

La discrète Gabrielle Perrier méritait certainement d’être mieux connue. L’on peut toutefois regretter une présentation qui parfois frôle une reconstitution quelque peu romancée lorsque des conversations sont reproduites ou lorsque les sentiments très intimes de l’institutrice sont évoqués.

  • Anne Castillo, de Labrusse Olivier, Miron Zlatin à Jacou, 1940-1941. Un destin juif de 1904 à 1944, de la Russie à la France puis l’Estonie, Jacou, édité par l’association « Jacou, Histoire et Patrimoine », mars 2017.

L’ouvrage sur Miron Zlatin évite cet écueil et donne, pour la première fois, à connaître le parcours exemplaire d’un immigré juif, devenu profondément français et victime de l’antisémitisme nazi. Il n’est plus vu à travers le seul témoignage de Sabine. 

Du 26 janvier au 23 juillet 2023, le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme a monté une exposition sur les dessins effectués par les enfants et déposés à la Bibliothèque nationale. Le catalogue revient sur l’histoire et le quotidien des enfants, publie des lettres et surtout reproduit les dessins dont la plupart étaient restés peu connus :

  • Boissard Stéphanie, Loïc Le Bail, Dominique Vidaud, « On jouait, on s’amusait, on chantait » : Paroles et images des enfants d’Izieu, 1943-1944, Bibliothèque nationale de France, Maison d’Izieu, avril 2022.

Catalogue d’une exposition au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.

Le titre dit toute l’atmosphère qui régnait à la colonie. Et pourtant, nombreuses sont les lettres qui expriment l’angoisse des enfants et leur espérance de revoir leurs parents qui, pour certains, sont déjà déportés.