Enfermement, circulation et échange : Le Ghetto de Venise

par Didier Jouault

Riccardo CALIMANI, Histoire du ghetto de Venise, Traduit de l’italien par S. Rotolo, Préface de Elie Wiesel, Paris, Éditions Denoël, 1997, Collection Documents histoire.

Tant d’histoire pour si peu de géographie ! Tant d’activité malgré tant d’empêchements ! Tant de liberté conquise sur tant de restrictions… L’histoire du Ghetto de Venise, telle qu’elle est déployée dans ses multiples facettes par l’historien et essayiste Riccardo Calimani, pourrait apparaître comme un vivant paradoxe : un quartier initialement conçu pour être un espace de clôture et de relégation, et qui, surtout du XVIème au XVIIIème siècle, devient la scène ouverte et mouvementée d’un théâtre vivant où défilent d’admirables acteurs.

Trois regards

L’Histoire du ghetto de Venise est un livre multiple : l’auteur a systématiquement multiplié les points de vue, toujours construits sur une érudition remarquable, mais toujours aussi appuyés par une approche très sensible des personnes et de l’histoire.
Ainsi, à chaque étape de son travail, presque dans chaque chapitre, l’auteur introduit les biographies rapides mais très documentées de quelques figures historiques dominantes de la communauté. On voit le banquier représentant les Juifs du Ghetto traverser un Campo, s’arrêter pensif auprès d’un puits, avant d’aller rencontrer le Conseil des Dix et le Doge de la Sérénissime, avec qui son devoir est de négocier âprement le taux de l’impôt imposé aux Juifs, prix à payer pour qu’on les tolère leur présence. En même temps, la vie de l’étroit Ghetto, c’est la vie de tout Venise, parce que les Vénitiens de l’époque arpentent les quais ou se perdent dans leurs labyrinthes en ayant toujours, toute proche, une banque de prêt ou l’amas de marchandises d’un commerce juif.

Carte de Venise en 1650

L’étude du Ghetto ne peut pas se séparer non plus d’une approche très fine et très documentée des évolutions politiques et sociales de la Sérénissime, des soubresauts multiples et répétés qui l’agitent. On ne comprend pas l’histoire de la présence des Juifs à Venise, si l’on ne se réfère pas à « de nombreux changements d’humeur » (p. 29) au sein des classes dirigeantes, ou à la continuelle « lutte entre les Colombes et les Faucons au sein du Conseil suprême », p. 31.
La présence des Juifs – presque dès les origines – y a fait l’objet de débats souvent violents, généralement dogmatiques – lorsque les religieux l’emportaient au nom de la Bible – mais aussi pragmatiques – lorsque les financiers constataient (très souvent ! ) l’effondrement des finances de Venise : dans le Ghetto, rien que des Juifs certes, mais dans les caisses de l’État, beaucoup de l’argent qu’ils apportent .
Enfin – et c’est le troisième plan d’approche -, si l’histoire des Juifs de Venise est liée au sort de la cité des Doges, celle-ci ne se sépare pas d’une histoire moderne de la Méditerranée où les compétitions économiques forment la toile de fond des combats militaires ou diplomatiques. Le voisin, c’est l’Empire byzantin : menaçant par sa puissance guerrière, par la richesse de son commerce (la Route de la soie ou le marché aux épices, par exemple, passent par lui). Il faut compter aussi avec l’impressionnant ordonnancement de la religion musulmane – fermement incarnée par le Sultan, plus « commandeur des croyants » que le plus puissant des papes des Temps Modernes.

Tout au long de son étude, l’historien fait alterner les trois regards, passant d’un visage dans une fenêtre du ghetto à la carte du monde. Il les enchaîne avec souplesse et ces changements de points de vue sont brillants et savoureux. Cet essai ne raconte pas la seule « histoire du Ghetto de Venise », et plus particulièrement de sa constitution au XVIème siècle à sa stabilisation au XVIIIème siècle, mais l’ histoire d’une cité-monde…

Un lieu de discrimination

Le décret fondateur du territoire vénitien qui s’appelait déjà « ghetto » date du 29 mars 1516. Cependant Riccardo Calimani recherche les origines de l’implantation dès l’époque médiévale, bien que l’étude soit vite limitée par l’aspect lacunaire des documents, ou le ton subjectif des témoignages, en particulier religieux.

Le Ghetto de Venise


Bien sûr, les « origines incertaines de la présence juive à Venise » (p. 23) tiennent au fait que les Juifs ont été longtemps confinés à Mestre, partie intégrante de la puissance vénitienne dès les origines, mais en quelque sorte en dehors de la lagune elle-même.
Les premiers textes qui l’attestent « dans les faits en 1381 » concernent des décrets repoussés puis votés par le Sénat, qui accepte la présence de Juifs dans la ville de Venise – sans aucune assignation à aucun quartier -, à la condition que la durée de séjour soit très limitée (quinze jours consécutifs, même si cela varie au cours des temps). Les Juifs à partir de 1397 sont bien encore localisés à Mestre, mais ils peuvent circuler, et quand ils doivent venir à Venise, ils « sont tenus de porter un petit disque jaune comme signe distinctif », p. 28.
Cependant, l’auteur y insiste, l’implantation des Juifs à Venise ne peut pas se détacher des conflits très vigoureux entre le religieux et le civil : les Juifs sont autorisés à créer des banques spécialisées dans les petits prêts, extrêmement utiles à la réalité de la vie quotidienne des affaires à Venise, alors que les préceptes religieux rigoureux de certains ordres monastiques s’y opposent. Parmi les textes cités figure « un décret de 1423 leur intimant de revendre, sous deux ans, tout bien immobilier acquis au mépris des lois en vigueur », (p. 29) : on perçoit bien la tension entre les forces morales ou sociales. Certains ferment les yeux parce qu’ils ont besoin dès le départ des finances fournies par les banquiers juifs, tandis que d’autres exercent une pression sur les autorités pour qu’elles légifèrent contre les Juifs. La résistance de la communauté est discrète : « le petit disque jaune distinctif » disparaît facilement dans un pli. La contre-résistance est aussi vive : un décret de 1496 exige le port d’un couvre-chef jaune, évidemment bien plus repérable.

L’argent

La thématique de l’argent, et surtout celle du prêt (de l’usure) – dont la possibilité est en théorie interdite aux Chrétiens (tandis que les Juifs ne sont pas soumis à cet interdit), conduit à l’intervention de nombreuses autorités rabbiniques et à la rédaction de multiples textes pontificaux. À tous les niveaux, une impressionnante production culturelle et idéologique apporte pendant des décennies plus de complexité que de lumière. Cependant alors que le temps passe, au début du XVIème siècle, s’installe « une forme ambiguë d’acceptation de l’état de fait » (p. 37) et « le rôle de prêteur s’affirme de façon monolithique et définitive ». Les rues et les quais de Venise présentent de nombreuses banques de diverses couleurs, selon l’origine des banquiers, et les systèmes de règlements et de contrôles sont très rigoureux (taux de prêt, jour d’ouverture …).
Les oppositions les plus virulentes – et du point de vue juif les plus dangereuses – viennent de certains ordres monastiques et en particulier des Franciscains. En effet, les banques à petits prêts autorisés aux Juifs sont supposées permettre des aides aux parties les plus pauvres de la population. Or, la pauvreté, c’est l’affaire des moines franciscains. Aussi, par une sorte de coup de génie « pour lutter contre les banques privées, ils instituent les premiers monts de piété » (p. 42), concurrence extrêmement efficace- surtout dans un contexte où se développent des campagnes antisémites (hélas banales) déclenchées par les accusations de meurtres rituels.

En dépit des tensions et des disputations, l’évolution, toujours incertaine, est malgré tout positive. Elle conduit peu à peu à une série de décrets qui vont reconnaître la présence effective et durable des Juifs au cœur de Venise même (et non plus à Mestre).

Le plus « fameux » marchand de Venise : Shylock et Jessica /Maurycy Gottlieb/1876

Le poids si lourd de la guerre sur les finances, ou la peste de 1514-1515, mettent en évidence « le rouage essentiel qu’était devenu le prêt pour l’économie de Venise », p. 54. Une négociation âpre sur l’impôt annuel de la communauté conduit au décret considéré comme fondateur, le 25 mars 1516 : « les Juifs sont regroupés dans l’ensemble des maisons situées au Ghetto », p. 55.

Aussitôt vidées de leurs habitants, les maisons sont habitées par les Juifs. Deux portes ferment le quartier, leur contrôle effectif va varier beaucoup avec le temps. Ce qui variera aussi, mais toujours dans le sens d’une augmentation, c’est l’impôt exigé par la Sérénissime pour le renouvellement décennal de cette concession, véritable menace périodique …

    La « nation levantine » 

« Le XVIème siècle dans l’histoire des Juifs de la Méditerranée est essentiellement caractérisé par les migrations continuelles d’hommes à l’identité fragile, voire incertaine, et dont le principal souci n’est autre que de s’adapter à la terre d’accueil », p. 66. L’auteur évoque ces parcours avec la figure de Isaac Abrabanel, né au Portugal, Ministre des Finances, puis argentier d’Espagne, puis présent à Corfou, et enfin arrivé à Venise, en véritable « Juif errant », capable d’une pénétrante réflexion exégétique confontant le système de gouvernement démocratique à Venise avec les commandements de la Thora. Il représente bien la très intense circulation des compétences et des expertises dans cette période si mobile, où Venise est l’un des ports et des points de passage les plus puissants de la Méditerranée. C’est alors qu’on voit apparaître une seconde catégorie de Juifs pour qui le Ghetto, est un « incontestable point de référence pour les déracinés qu’ils étaient », p. 71 : les marchands, d’ailleurs considérés comme des gens à la foi juive douteuse. On les appelle « Juifs levantins ». Venise leur reconnaît, sous réserve de ne pas séjourner plus de quatre mois, le droit de pratiquer l’échange des marchandises : on voit que la Sérénissime sait tirer parti des routes commerciales. Les Levantins vont s’installer dans ce qu’on appelle « nouveau ghetto »/Ghetto nuovo. Leurs relations sont parfois un peu difficiles avec les plus anciens des Juifs présents qu’on nomme « Natione Todesca » : ils sont d’origine essentiellement ashkénaze.

Cette population s’intègre cependant rapidement, dans un réflexe de défense communautaire : le renouvellement des concessions continue à faire l’objet de tractations et de décisions souvent marquées par des voltes-faces successives, écho des discordances internes à Venise. En parallèle la tension méditerranéenne s’accroît.

Le voisin ottoman paraît de plus en plus l’ennemi numéro un, et « en 1570, des citoyens vénitiens furent arrêtés à Constantinople (…) En représailles Venise bloqua tous les biens des Turcs résidant en ville, ainsi que ceux des Juifs levantins, considérés eux aussi comme des ressortissants turcs », p. 78.

De longues pages reviennent sur la définition et l’existence des Marranes, ces Juifs convertis de force après les funestes décisions des Rois Catholiques en 1492 et 1496, mais soupçonnés de continuer à pratiquer leur religion. Si la question intéresse particulièrement l’histoire de Venise, c’est que la Contre-Réforme (outre la profusion éblouissante des églises) n’existe ici que grâce à « un compromis de l’Eglise et  de l’État, qui se traduit dans la façon de traiter le cas des Juifs qui montre bien une dualité des composantes » : «  En s’en prenant trop souvent au Ghetto, l’Église n’aurait pas manqué d’embarrasser le gouvernement ». Dans les caisses de la Sérénissime, on attend avec impatience l’impôt de la communauté juive (p. 91-92).

Plusieurs biographies rapides de Juifs de cette période, rédigées avec la plume alerte d’un romancier qui serait en même temps historien, forment le chapitre 6, à travers une lecture de procès d’Inquisition, dans une période marquée par « l’instauration d’une censure généralisée, frappant tous les livres en circulation, et non plus seulement ceux en langue hébraïque », p.115. On retiendra particulièrement la figure du marchand Rodrigo, connu pour avoir tenté d’attirer à Venise tous les Juifs dispersés ne bénéficiant pas du même statut que les Juifs vénitiens. Son histoire est intéressante car il est à l’origine de la transformation de Split  – encore marquée par la présence romaine et le palais de Dioclétien, en « concession vénitienne » : en réalité une « escale » pour tous les marchands, au sein de l’Adriatique, au profit de la République de Venise.

Se développait ainsi la présence des « Juifs levantins » qui l’emportaient peu à peu sur les petits banquiers de la « Natione Tedesca », « ceux du Ghetto » : « Les juifs d’origine allemande, qui avaient constitué la première communauté vénitienne, et dont l’activité principale avait été la gestion des banques, avaient donc été contraints de se procurer d’autres sources de revenus », p. 156. Et cela d’autant plus que les Juifs d’origine ibérique commencent à constituer eux aussi l’une des composantes majeures de la communauté, « dont il surent imposer l’existence au début du XVIIème siècle et notamment par l’opulence de leur niveau de vie », p. 159. Cet afflux, en raison duquel le Ghetto de Venise avait acquis  un tel ascendant sur toutes les autres communautés de la Sérénissime, fit que la Papauté réagit vigoureusement. La Sérénissime, qui ne pouvait vivre sans ses commerçants et banquiers, résista à l’ingérence de l’Église au point que le « pape Paul V excommunia le Sénat et lança l’Interdit contre tous les territoires de la République », p. 162.

 Cent ans après…

Cent ans après la fondation du vieux Ghetto, différentes communautés juives se côtoyaient en son sein.
Trois phases sont repérables :
L’époque de la « Natione Tedesca » : Juifs principalement banquiers soumis à de lourds impôts.
Puis après 1540, – période de pression fiscale et religieuse intenses- l’arrivée des « levantins », surtout commerçants.
Et, enfin, après la bataille de Lépante, les nouveaux marchands ibériques, ouvrant d’autres portes, alors que les anciens banquiers sont de plus en plus souvent devenus de simples gestionnaires, obligés, des banques vénitiennes.

Pour rendre concrète la représentation de ces grandes strates, Ricardo Calimani  grave les médaillons de grandes figures :  Léon de Modène, la poétesse Sara Coppio Suillam, Giulio Morosini , alias Samuel Nahmias ou encore Moïse Haïm Luzzato et Simone Calimani un ancêtre de l’auteur lui-même.
Chacun de ces destins, cela va de soi, interfère, de près ou parfois d’assez loin – avec l’histoire de Venise.

Francesco Guardi, Le Pont voûté à trois arches de Canareggio/1770

Mais si les hommes ont droit à leur portrait, la description du lieu n’est pas oubliée. C’est l’objet du chapitre 12 : « Le ghetto de Venise un siècle après sa fondation : société, religion, culture. ».
Revenant  sur l’étymologie du mot, fortement disputée, pour reprendre le dialecte vénitien ( getto, de gettare : « fondre »),  Riccardo Calimani décrit ce ghetto des origines, entouré de petites maisons et de jardins. Il n’a que peu à voir avec celui d’aujourd’hui, en raison de nombreuses reconstructions.
L’auteur passe en revue les synagogues de chacune des communautés, les associations communautaires, les chants et les jeux du quotidien juif, les oppositions fortes entre religieux et commerçants. Il évoque surtout l’ouverture internationale et l’arrivée de nombreuses populations européennes qui produit, à la fois, un mélange des cultures et un déplacement des règles. Tel rabbin orthodoxe se plaint avec vigueur de représentations théâtrales données au sein du Ghetto, par exemple…

Changement de contextes

Les chiffres sont sujets à controverse, dans un Ghetto devenu en grande partie opulent, mais il est établi que les tensions commerciales et les rivalités intra-vénitiennes vont conduire peu à peu à une décadence financière (les plus aisés déjà le quittent, par volonté de « s’intégrer »). La population juive – toujours astreinte au port du béret jaune – rencontre  de très nombreuses et âpres difficultés, dues à la fois à l’évolution générale des contextes religieux et moraux (le territoire réduit du ghetto forme une sorte de caisse de résonance au débat), et aux difficultés économiques de la communauté,  encore accrues par l’effet d’enfermement et donc les risques de la promiscuité : «  les incendies étaient très fréquents en raison notamment de la concentration des maisons, très hautes, dont la plus grande partie était en bois, et qui formaient un entassement inextricable », p.293. Toutes ces évolutions socio-économiques et même topographiques n’entraînent cependant « guère d’effets notables dans le ghetto : seule une minorité de juifs décide de quitter la ville : il y avait à Venise 422 familles juives en 1766, elles étaient 408 en 1780 », p. 298.
L’une des fins du Ghetto (pour un ghetto, finir c’est s’ouvrir), est prescrite par un document adressé au Comité de Salut Public en 1797, à la suite duquel, le 7 juillet, les portes furent abattues « afin d’éliminer toute marque de séparation entre les citoyens juifs et les autres » – décret du 9 Messidor, basé sur un rapport qui décompte 820 hommes et 806 femmes, habitants où étrangers en transit).
Dans le mouvement révolutionnaire, sous la pression du jeune général Bonaparte, la République Sérénissime abdique. Les Juifs deviennent des citoyens à part entière. Puis Venise devient autrichienne, vit des périodes particulièrement dramatiques au plan économique mais aussi en raison d’une censure politique très pressante. Les Juifs les plus riches ont déjà, depuis le XVIIIème siècle, quitté le Ghetto pour se disséminer dans Venise où ils occupent parfois les plus beaux des palais.
L’histoire de l’Unité italienne, bien connue, n’apporte pas non plus un destin à nouveau remarquable à un lieu où vivent, ou plutôt subsistent, des populations peu nombreuses et généralement appauvries.
L’époque du Ghetto vivant est révolue. Ce lieu presque explosif, ouvert à toutes les controverses, objet de beaucoup de concupiscence, n’existe déjà plus que dans les mémoires.

En façades

Le poète Rainer Maria Rilke, à l’occasion d’un de ses nombreux séjours à Venise, a  écrit : « dès le crépuscule un peuple timide en haillons erre dans ses rues, d’innombrables enfants se retrouvent sur ses places, devant les portes, étroites et froides : ils jouent avec des morceaux de vitres et des restes d’émail multicolore, le même sans doute, que celui utilisé par les maîtres qui composent les mosaïques solennelles de Saint-Marc. », p.332. Il contribue ainsi à fonder ainsi le mythe d’un endroit proche d’une Cour des miracles, un lieu fantôme, pâle trace de sa grandeur populeuse. Certes, jusque vers la fin des années 1930, « le Ghetto reprenait vie à l’occasion des fêtes et surtout celle de Pourim » (p. 334), parce qu’il continue à être perçu comme un lieu de tradition, mais la vie y était réduite.

***

Les lois raciales de 1938 frappent l’ensemble de l’Italie. Venise ni son quartier juif n’échappent aux horreurs du siècle : les exactions terribles à la suite de la prise en main directe des affaires par les nazis au sein de la République de Salo, dirigée par un Mussolini devenu marionnette : rafles, déportation…
De cette période, le Ghetto ne s’est pas remis.
Aujourd’hui tout visiteur de la Sérénissime qui veut comprendre et aimer Venise, s’éloigne de la place Saint-Marc ; ses pas le mènent dans le quartier de Cannaregio : on y trouve désormais des témoignages (plaques, sculptures) à la mémoire des victimes de la Shoah, mais « le Ghetto (…) ne constitue plus le sens de la vie juive : restent les témoignages muets des pierres et des anciennes synagogues… », p. 340.
Sur ce constat l’étude se ferme, appelant à de nouveaux travaux sur l’histoire des Juifs de Venise. Mais ce ne serait plus à proprement parler l’histoire du Ghetto des origines, une histoire puissante et mouvementée, intellectuelle et matérielle, close et ouverte, celle de la fusion et du mouvement de toute une culture et une population juives du XVIème au XVIIIème.
Cette époque avait été sa grande période. Mais on ne saurait trop recommander au lecteur, s’il aime les biographies brèves et savoureuses, de se reporter à toutes celles que Ricardo Calimani glisse dans son étude, comme des ombres prospères et truculentes, ou sévères et savantes. Elles éclairent les coins peut-être encore sombres de cette belle histoire d’un lieu mémorable. Elles redisent aussi que l’Histoire est d’abord celle des hommes et des femmes sur leur territoire.

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