Note de lecture

Rédigée par Patrick Sultan

Jean-Claude ZYLBERSTEIN , Souvenirs d’un chasseur de trésors littéraires, Paris, Éditions Allary, 2018. Nouvelle édition revue & augmentée de plusieurs chapitres inédits. au format poche chez Christian Bourgois, 2022.

Quand on aime la littérature, on ne peut s’empêcher d’être curieux même des coulisses de l’édition. On s’intéresse particulièrement aux éditeurs dont on pourrait dire qu’ils sont « prestigieux » bien que leur rôle de médiateur s’exerce en général dans l’ombre, au service des livres et des auteurs qu’ils mettent au jour. Tant il est vrai que tout lecteur contracte une sorte de dette de reconnaissance envers ceux qui sont les intercesseurs entre les œuvres littéraires et lui.
Souvenirs d’un chasseur de trésors littéraires est, à cet égard, d’un grand intérêt : on y peut suivre les chemins qui ont conduit à l’édition de tant d’ouvrages qui nous sont devenus familiers et qui, au fil des années, ont formé notre goût. Le nom de Jean-Claude Zylberstein s’associe à de fameuses collections : « Domaine étranger », « Grands détectives », « Texto » « Le goût des idées » mais aussi aux écrivains dont il a permis, si l’on peut dire, la résurrection dans le champ éditorial français : entre beaucoup d’autres, Primo Lévi, Arthur Koestler, Mario Rigoni Stern, et même Churchill …
Pourtant, l’auteur de ces mémoires ne se décerne pas, comme souvent c’est le cas, des lauriers bien mérités ou un légitime certificat d’auto-satisfaction … Il se livre avant tout à un exercice de gratitude et accomplit un acte de reconnaissance : envers ses parents qui, ayant quitté leur shtetl en Pologne, sont arrivés en France à l’âge adulte et ont fait tout ce qu’il fallait pour s’assimiler à la « France d’Hugo, de Zola, d’Anatole France… » ; envers ses protecteurs-sauveurs durant la guerre, les Lauvergeon qui ont accueilli, caché et choyé le petit Juif et protégé sa famille ; envers Jean Paulhan, le secret mais charismatique éditeur de la maison Gallimard ; envers ses beaux-parents et, par-dessus tout, envers son épouse, Marie-Christine Halpern à qui il rend un émouvant et tendre hommage.

Jean-Claude Zylberstein

Comme le Bouquiniste Mendel – le personnage de la nouvelle de Zweig -, J-C. Zylberstein est l’homme des livres ; il a lu, il a beaucoup lu, énormément lu, avec avidité mais discernement aussi – et les listes de livres qu’il prend plaisir à constituer (il en glisse même deux à la fin de son ouvrage !…) sont autant de tentatives pour explorer le monde infini des livres…
Même si ce récit autobiographique est discret sur cette question, l’élément « juif » y est très présent et cela, dès l’introduction qui est la narration d’un hallucinant souvenir-cauchemar de rafle. Il affleure aussi lorsque l’éditeur évoque son père exerçant le métier (si typique des Juifs de l’Est) de tailleur et plaisantant en yiddish ; lorsqu’il mentionne son mariage célébré (à domicile) par le Grand Rabbin Jacob Kaplan ; lorsqu’il rend hommage à son beau-père le Professeur Halpern, noble figure quasi héroïque du « métèque » qui, issu d’un shtetl miséreux, parvient à force de travail et d’intelligence à se hisser jusqu’au Collège de France. Enfin, çà et là, au cours de sa carrière, l’avocat se remémore les remarques antisémites qui lui ont été décochées occasionnellement (sans parler du patron d’une maison d’édition qui l’a soupçonné d’être un agent au service du complot sioniste… ).

On ne saurait dire, en lisant ce récit pudique, si le « petit Coco » (comme l’appelaient affectueusement ses proches) a mené, au sens strict, une vie selon la Loi et le Livre, mais on peut affirmer que le fin lettré et le brillant membre du barreau qu’il est devenu a été – à la suite de hasards (heureux ou malheureux) dont on peut se demander s’ils ne sont pas une autre forme de la Providence… – l’homme et des lois et des livres.