Note de lecture

Rédigée par Serge Niemetz

Manès SPERBER, Et le buisson devint cendre, Paris, Éditions Odile Jacob, 1990.

Manès Sperber s’est fait connaître tardivement en France en 1949 comme écrivain par la publication des deux premiers tomes de sa trilogie romanesque (le troisième parut en 1955), œuvre à présent réunie en un volume sous le titre du premier roman (1. Et le buisson devint cendre ; 2. Plus profond que l’abîme ; 3. La Baie perdue).


En près de 1000 pages, ce récit suit le parcours de quelques personnages principaux sur le fond d’un panorama historique s’attachant à la vie interne du Komintern, puis à la Résistance et à la Shoah (Sperber privilégiait le terme yiddish de ‘Hourbane).
Par ses qualités littéraires comme par la personnalité de l’auteur, il revêt une importance particulière parmi les ouvrages critiques du communisme publiés dans les mêmes années, aux côtés des témoignages majeurs sur le système stalinien et sur l’univers concentrationnaire soviétique de Margarete Buber-Neumann, Alexandre Weissberg, Arthur Koestler ou David Rousset.
À l’instar des grands romanciers russes, Sperber interprète les déchirements de son époque en relation avec les grands problèmes humains.
Il se distingue par la profondeur et la lucidité de sa réflexion critique sur la trajectoire d’intellectuels, notamment juifs, qui ont servi le communisme comme « révolutionnaires professionnels » ou comme « compagnons de route », puis s’en sont détachés et parfois ont été broyés par son appareil totalitaire, ou conduits au suicide tant était cruelle leur déception.

Manès Sperbet

Le témoignage de Sperber est centré sur la vie et l’action des communistes allemands du début des années 1930 à l’Après-guerre. Les personnages-clefs sont des agents du Komintern, militants ancrés dans leurs convictions que la confrontation à la réalité fait passer de l’inquiétude au doute, puis au dessillement et à la rupture : le buisson du communisme consumé, il ne reste des illusions qu’un goût de cendre.
L’analyse des données politiques comme des rapports humains, riche de détails et d’anecdotes révélatrices, donne au lecteur une saisissante impression de réalité.
Elle se nourrit de l’expérience de l’auteur, ancien « drogué de l’espoir » qui a découvert comment le « besoin d’espérer » peut se transformer en une passion « contraignante et dangereuse » mettant « en péril la capacité de juger et le sentiment de la dignité personnelle », ainsi qu’il l’énonce dans Au-delà de l’oubli, troisième et dernier tome de son autobiographie, somme passionnante publiée de 1976 à 1979.

Serge Niémetz