Juin 1967
Israël vainqueur par KO
par Alban Wilfert
Michael B. OREN, Six Days of War: June 1967 and the Making of Modern Middle East/Six jours de guerre : juin 1967 et la fabrication du Proche-et-Moyen-Orient moderne, préface, postface suivi d’un entretien de l’auteur avec le chercheur américano-libanais Fouad Ajami, Première édition 2002, New York, Ballantine Books, 2003.
Six jours. C’est le temps qu’il a fallu à Israël pour l’emporter, en juin 1967, sur les États arabes coalisés contre lui. Trente-cinq ans après la guerre des Six Jours, Michael B. Oren revient sur les faits dans Six Days of War: June 1967 and the Making of Modern Middle East. Il propose un « narratif véritablement complet » (p. 333) du conflit. Ce travail minutieux repose sur la consultation de nombreuses archives émises par les divers protagonistes – toutes n’ayant pas été accessibles par le passé –, d’interviews orales de témoins et de nombreuses publications en différentes langues.
La victoire foudroyante d’Israël méritait son lot d’études.
Les travaux consacrés à ce sujet, qui n’ont pas manqué, prennent place, en majorité, dans le vaste débat historiographique autour du conflit israélo-arabe opposant aux chercheurs traditionnels les « nouveaux historiens israéliens ». Ces derniers ont revu l’histoire de l’État hébreu, se montrant plus critiques et plus réservés sur celui-ci que leurs prédécesseurs, concernant tant les causes des conflits que les raisons des victoires d’Israël. Tout en disant se positionner plutôt du côté des historiens traditionnels d’Israël, contre les « nouveaux historiens », Michaël Oren affirme avoir cherché à dépasser ce débat. Son ouvrage est une somme qui a remporté un franc succès en librairie : il compte cependant plus de 450 pages, dont une centaine pour les notes, les sources et la bibliographie.
Un long compte à rebours
Comme son nom ne l’indique pas, Six Days of War ne se limite pas à un récit des 132 heures d’affrontement armé entre Israël et ses ennemis égyptiens, jordaniens, syriens, palestiniens et iraqiens. Avant les six chapitres – un par jour de combat – consacrés aux hostilités, quatre reviennent sur la marche vers la guerre, à travers les facteurs de court et de long terme qui ont concouru à son déclenchement.
Tout en reconnaissant ce qu’il peut y avoir d’arbitraire à la désignation de tel ou tel élément comme cause de l’embrasement de juin 1967, Michael B. Oren se livre à un vaste retour dans le temps. Il remonte pour cela jusqu’aux origines du sionisme, « là aussi un choix arbitraire » (p. 2), narrant avec une certaine précision la guerre de 1948, la crise du canal de Suez, ou encore la création de la République arabe unie par l’Égypte et la Syrie. Ce parti pris du temps long présente l’intérêt de donner un aperçu relativement exhaustif du cheminement vers la guerre et, par là même, de saisir la complexité des ressorts de celle-ci. Toutefois, il amène l’auteur à consacrer près de la moitié de son ouvrage aux origines de la guerre plutôt qu’à la guerre en elle-même. Si le compte à rebours fut très long pour les contemporains, il peut aussi paraître un peu long au lecteur.
La part la plus importante de ce développement est néanmoins bien consacrée aux années 1966 et 1967. Plusieurs incidents de frontières se font alors jour, contribuant à la montée des tensions. Le 7 avril 1967, près de six mois après le raid de Tsahal sur le village de Samu en Cisjordanie, l’entrée d’un tracteur israélien dans la zone démilitarisée est perçue comme une provocation par la Syrie, qui tire sur le véhicule. L’échange de tirs dégénère, donnant lieu à un véritable affrontement entre les deux pays dans le ciel de Damas, impliquant plus de 130 avions à l’avantage de la force aérienne israélienne. Michael B. Oren va jusqu’à qualifier ce combat de « mini-guerre » (p. 46), favorisant la surenchère tout en rappelant à la Syrie l’intérêt de son alliance avec l’Égypte, rejointe le mois suivant par la Jordanie du roi Hussein. Dans l’intervalle, les Soviétiques informent le dirigeant égyptien Nasser du risque d’une invasion israélienne de la Syrie, arguant notamment de l’absence suspecte de chars et d’artillerie au défilé de la fête nationale israélienne, signe selon eux d’un déplacement de ces armes vers les frontières (p. 54). Les motivations derrière un tel avertissement, exagéré, font débat : plus d’une fois dans son livre, l’auteur souligne que des faits restent, comme souvent en histoire, flous ou incertains.
Ces différents événements, relativement indépendants les uns des autres et auxquels ont contribué divers acteurs pour diverses raisons, aggravent des relations régionales déjà explosives, et poussent Nasser à des décisions favorisant l’escalade. En mai 1967, le chef de l’État égyptien masse ses troupes dans le Sinaï, près de la frontière avec Israël, dont il renvoie la Force d’urgence des Nations unies (FUNU, en anglais UNEF) installée depuis la crise du canal de Suez en 1956. Enfin, il bloque le passage du détroit du Tiran, une éventualité qu’Israël avait déjà désignée comme un potentiel casus belli.
Dirigeants comme populations semblent percevoir l’imminence de la guerre. La société israélienne redoute la destruction du foyer national juif, voire un nouvel Holocauste, et 80 000 réservistes sont mobilisés tandis que des volontaires étrangers viennent spontanément renforcer les rangs et que des tranchées et abris sont établis par des civils à travers le pays (p. 135). Ces craintes ne sont, dans les faits, que peu fondées : Yitzhak Rabin, chef d’état-major de Tsahal, confie au Premier ministre Levi Eshkol sa conviction que « ce sera une guerre terriblement difficile avec de nombreuses pertes, mais nous pouvons vaincre l’armée égyptienne », p. 79.
De part et d’autre de la frontière, se pose la question de l’ouverture des hostilités. L’importance du fait d’avoir l’initiative est comprise par les deux camps, celui qui attaque pouvant potentiellement jouir de l’effet de surprise (p. 90). Certains font ainsi pression sur Eshkol pour qu’il frappe de manière préventive, ce qu’il se refuse de faire avant d’avoir fait usage de tous les leviers diplomatiques possibles. Les semaines précédant le 5 juin 1967 sont donc consacrées à faire le tour des chancelleries. L’attitude des États-Unis, gouvernés par Lyndon B. Johnson, est particulièrement scrutée, ainsi que celle de l’URSS, alliée de la Syrie. Les deux superpuissances s’affrontent alors déjà au Vietnam, et souhaitent éviter de s’impliquer dans un conflit régional au Proche-Orient. Lorsque Washington clarifie sa position par la formule « Israël ne sera pas seul, à moins qu’il ne décide d’y aller seul » (p. 115), le gouvernement israélien débat à plusieurs reprises. Alors que la réserve américaine n’incite pas à aller au combat, le ministre du Travail Yigal Allon interpelle ses collègues : « Est-ce que quelqu’un ici pense véritablement qu’il nous faudrait laisser l’ennemi frapper en premier, dans le seul but de prouver que c’est lui qui a commencé la guerre ? » (p. 122), mais le vote qui s’ensuit aboutit à une égalité. La décision est finalement prise plus tard, à une large majorité, lorsque le nouveau ministre de la Défense Moshe Dayan convainc les autres de l’inutilité de toute nouvelle attente, promouvant la destruction de centaines d’avions égyptiens comme « notre seule chance de gagner, de mener cette guerre à notre manière », p. 157.
Israël attaque !
Lundi 5 juin 1967, 7h10. Fougas, Mystères, Mirages, Ouragans, Vautours – un total de près de 200 avions – prennent leur envol, se déplaçant à moins de quinze mètres d’altitude pour échapper aux radars et observant un strict silence radio, dans un ciel calme à la visibilité idéale. Une grande partie fait un détour par la Méditerranée pour frapper depuis l’ouest – ce qu’illustre l’une des nombreuses cartes apparaissant dans le livre. La cible n’est autre que l’aviation égyptienne, dont l’essentiel des appareils est au sol, après la fin de la patrouille de l’aube : la localisation de chacun d’eux est connue, ainsi que l’identité des pilotes, grâce à du renseignement électronique mais aussi humain. C’est l’opération Focus, préparée depuis cinq ans et répétée par de nombreux aviateurs israéliens d’expérience, mais tenue secrète même de certains ministres.
Cette préparation tranche avec la nonchalance, voire l’incompétence, de plusieurs acteurs des forces armées égyptiennes. Non seulement celles-ci font stationner leurs appareils en plein air, regroupés par modèles, mais elles ont changé leurs fréquences radio la veille sans en informer les Jordaniens, tandis que plusieurs hauts gradés sont encore endormis. S’y ajoutent des querelles internes à l’armée égyptienne, les uns ignorant les rapports en direct du renseignement militaire, tandis que les batteries anti-aériennes sont soumises à un ordre préalable du général et vice-président ‘Abd al-Hakin ‘Amer de ne pas ouvrir le feu, par crainte de viser par erreur des appareils égyptiens. La chaîne de commandement égyptienne s’avère confuse. Tahsin Zaki, pilote de MiG égyptien, résume : « Israël avait passé des années à préparer cette guerre, quand nous nous préparions pour des défilés », p. 177.
En cent minutes de combat, 286 avions égyptiens sont détruits, au-delà de toutes les espérances israéliennes. La force aérienne de Tsahal déplore, elle, à peine dix-neuf pertes. Dans ces conditions, Israël dispose le matin même d’une supériorité aérienne incontestable, et peut lancer ses divisions blindées et ses chars à travers le Sinaï, selon des ordres simples : « tout le monde attaque, tout le monde fait une percée, sans regarder sur le côté ou en arrière », p. 179. Là encore, le renseignement militaire égyptien a fait défaut, pensant que cette attaque n’était qu’une diversion. Au deuxième jour, l’armée égyptienne juge ne pas avoir de meilleure option que de battre en retraite, en désordre. Israël entretient le chaos en préférant laisser fuir les Égyptiens plutôt qu’en faisant des prisonniers. Dans ce climat de confusion, la deuxième ligne de défense égyptienne est vaincue à son tour, permettant la progression israélienne vers le canal de Suez (p. 250).
Le désordre règne également dans le champ informationnel. D’une part, la population égyptienne entend, à la radio, des discours de propagande parlant de grandes victoires de son aviation, mais Nasser lui-même n’est pas informé immédiatement par ses généraux, qui n’osent pas lui dire la vérité (p. 178).
Les dirigeants syrien, jordanien et irakien sont induits en erreur lorsqu’ils échangent avec leur homologue égyptien. Ainsi, au matin du 6 juin, après la réception d’un message du Caire parlant d’une progression égyptienne vers Tel-Aviv, la Syrie lance la mal nommée opération Victory, censée aboutir à la conquête du nord d’Israël. Elle consiste en une diversion dans la vallée de la Houla, suivi d’une véritable invasion près de la mer de Galilée. Face à la résistance tenace des Israéliens aux troupes chargées de la diversion, dont sept tanks sont détruits et vingt hommes sont abattus, et au vu de la méconnaissance du terrain, la réelle attaque syrienne n’est finalement même pas lancée.
Au-delà de la région, la situation n’apparaît pas claire non plus. Le premier jour, la Maison-Blanche est au courant du début des combats mais n’en sait guère plus, Israël et Égypte s’accusant mutuellement d’avoir tiré en premier, ce qui complique tout effort diplomatique. La population israélienne même n’apprend les succès de son armée qu’à 1 h du matin dans la nuit du 5 au 6 juin.
Au quatrième soir, le 8 juin, Israël paraît avoir remporté la victoire sur tous les fronts et envisager de respecter le cessez-le-feu décidé à l’ONU. Cependant, dans la nuit, Moshe Dayan reçoit des photos aériennes du Golan syrien, qui semble avoir été déserté par l’armée syrienne qui y était solidement implantée et d’où étaient partis des bombardements. Simultanément, est intercepté un télégramme de Nasser au président syrien Atassi, enjoignant ce dernier à accepter le cessez-le-feu parce que« C’est le seul moyen de sauver la vaillante armée syrienne. Nous avons perdu cette bataille », p. 279. Les armées syrienne et égyptienne s’effondrent, donc le Golan peut tomber. Moshe Dayan y voit, comme des membres des forces armées avant lui (p. 261), une opportunité historique, lui qui s’y refusait encore quelques heures plus tôt devant le « lobby des colons », p. 275. Israël repart de plus belle à l’offensive. Là où l’offensive contre l’Égypte montrait qu’Israël considère l’attaque comme la meilleure défense, celle contre le Golan relève purement de la conquête, d’où l’opposition de certains membres du gouvernement.
Côté israélien, une attitude jusqu’au-boutiste semble donc présider aux deux derniers jours de guerre. Le 10 juin, des parachutistes israéliens progressent dans le Golan sans trop savoir où ils se trouvent, avec pour seul ordre de continuer à avancer avant l’entrée en vigueur de tout cessez-le-feu, rendu nécessaire par la pression soviétique. De fait, l’auteur relève que Moshe Dayan rencontre Odd Bull, lieutenant général norvégien chargé de la surveillance des trêves pour l’ONU, dans l’après-midi, mais en déplaçant à la dernière minute le point de rendez-vous. La manœuvre permet de gagner du temps en retardant d’une heure la rencontre, qui se tient finalement à 15 h : un cessez-le-feu doit entrer en vigueur à 18 h, mais sans possibilité de supervision par des observateurs de l’ONU – son respect ne tient donc qu’à la parole israélienne. Ainsi, des unités du Commandement Nord de Tsahal l’ignorent, continuant à pousser leur avancée dans le Golan pendant quelques heures (p. 302-303).
Victoires, déboires et combats acharnés
La guerre des Six Jours n’est pas sans difficultés pour Tsahal. Si elle est victorieuse dans le Sinaï, c’est largement, rappelle Michael B. Oren, parce que ce front a toujours été jugé prioritaire par elle, qui consacre donc moins de moyens aux autres, quand elle ne les sous-estime pas. Le propos se distingue donc de tout triomphalisme, quand bien même la victoire finale d’Israël est totale.
Sous-estimant la propension des armées arabes à attaquer Jérusalem, Israël ne renforce pas, dans un premier temps, les soixante et onze hommes tenant sa partie de la ville et sont surpris lorsque, le 5 juin au matin, des sirènes y retentissent. Les forces jordaniennes y tirent 6000 obus et font feu à la mitrailleuse, entraînant avec elles les aviations syrienne et iraqienne contre des forces israéliennes dépassées : c’est là « le premier revers majeur pour les Israéliens dans la guerre », p. 187. Au deuxième jour, malgré l’arrivée de chars et de parachutistes en renforts, les troupes jordaniennes tiennent bon dans la Vieille Ville, où elles disposent d’un poste fortifié, Ammunition Hill. Jérusalem-Est tombe finalement entre les mains israéliennes au troisième jour au prix de plusieurs dizaines de vies israéliennes, dont au moins neuf par tir ami (p. 243). La prise de la Vieille Ville est un « fait accompli » (en français dans le texte, p. 232) devant lequel l’armée israélienne, commandée localement par le général Narkiss, met le gouvernement. Moshe Dayan s’était en effet opposé à toute occupation de cette zone, mais ne peut plus faire machine arrière une fois que ses militaires, Yitzhak Rabin en tête, se sont recueillis devant le Mur des Lamentations atteint par la force des armes, simultanément à l’avancée en Cisjordanie. Peut-être de telles situations, qui relèvent clairement de dysfonctionnements dans la relation entre responsables politiques et forces armées, auraient-elles mérité d’être davantage appréhendées comme telles par l’auteur.
Le Sinaï n’est pas en reste. Dès le 6 juin, l’essentiel des forces israéliennes déployées sont épuisées par les vingt-quatre heures de combat qu’elles ont menées et manquent de munitions et de carburant, quand plus de la moitié l’armée de Nasser est encore intacte (p. 213). Le lendemain, les forces aériennes égyptiennes réussissent quelques sorties qui stupéfient les Israéliens : « Les avions s’approchent, ils semblent plonger dans notre direction. Étrangement, nous nous montrons arrogants. On a le sentiment que, aujourd’hui, au troisième jour de la guerre, il ne peut tout simplement pas y avoir un seul avion égyptien qui soit resté intact ! Bref, cet avion ouvre le feu et un officier crie « MiG ! Dispersez-vous vite ! » Nous courons comme des dératés au milieu des dunes. » (p. 250), se rappelle un officier israélien. L’avancée de Tsahal a beau être implacable, elle n’est pas invulnérable face aux forces ennemies et, revers de la médaille, est emportée par sa propre hybris.
Cela s’observe également, enfin, sur le troisième front, celui du Golan. L’attaque israélienne au matin du 9 juin s’avère rapidement bien plus difficile que prévu, opposant des troupes blindées revenues en trombe du Sinaï à des forces armées syriennes protégées par un solide réseau de fortifications (barbelés, mines, bunkers…) sur un terrain escarpé. Si trois forts sont finalement tombés à la fin de la journée, c’est là une victoire « à la Pyrrhus » (p. 252) pour Israël, dont des dizaines de combattants sont morts ou blessés et dont seuls deux chars sur vingt-six restent utilisables. La prise de l’avant-poste de Tel Fakhr donne lieu à des taux de pertes jamais vus depuis le début de la guerre côté israélien : dix hommes hors de combat sur treize ayant attaqué par le flanc nord et onze sur les douze du flanc sud (p. 282-283). L’avancée israélienne, de treize kilomètres en une journée, est bien moindre que celles observées sur les autres fronts.
La plus grande erreur israélienne est toutefois autre. Le 8 juin en début d’après-midi, un navire non identifié est repéré au large de la ville d’Al-‘Arish. Pris pour un bâtiment égyptien, il est ciblé par Israël qui y envoie des torpilles et le bombarde depuis l’air. 34 morts et 171 blessés sont déplorés à bord par la marine… américaine : il s’agissait de l’USS Liberty, navire de renseignement électronique dont le pavillon n’aurait pas été visible et dont l’équipage pensait lui-même avoir affaire à une attaque égyptienne. Pareil incident est éclairant, concernant non seulement le brouillard de la guerre – l’incertitude des différents protagonistes d’un conflit quant aux événements et à l’ennemi –, mais aussi, à nouveau, sur les conséquences que peuvent entraîner « les communications dysfonctionnelles entre différentes branches de l’armée, l’épuisement des pilotes après quatre jours de combat ininterrompus et l’empressement de la marine de compenser ses précédents échecs dans la guerre », p. 270.
Ces conclusions sont celles de différents rapports rendus par la suite sur l’incident, dont la responsabilité ressort bien comme incombant à Tsahal.
Cette dernière déplore, à la fin des hostilités, environ 800 morts et 2500 blessés. Un nombre incomparablement inférieur à celui des pertes égyptiennes – 10 000 à 15 000 morts – et à peine plus élevé que celui des seules forces jordaniennes et des seules forces syriennes. Le ratio de pertes est de 25 pour 1 en faveur d’Israël, et leur taux assez bas au regard de l’histoire militaire, mais à rapporter à la population de l’État hébreu. Une proportion de morts équivalente, estime l’auteur, à 80 000 Américains (p. 305).
Une occasion manquée de paix durable au Proche-et-Moyen-Orient
La guerre des Six Jours n’étant pas un coup de tonnerre dans un ciel serein mais un nouvel affrontement armé s’inscrivant dans le cadre du conflit israélo-arabe débuté vingt ans plus tôt, son surgissement pouvait être perçu comme donnant l’opportunité de résoudre définitivement ce problème. Dès le 5 juin, Lyndon B. Johnson réfléchissait à l’après-guerre, percevant ces nouvelles hostilités comme susceptibles de « faciliter pareille avancée plutôt que de la vider de la substance », p. 197. C’est là penser que la clarification du rapport de forces engendrée par la guerre pourrait donner lieu à des négociations sur des bases nouvelles, autres que celles de l’armistice de 1949, qui ne satisfaisait personne. Yigal Allon y voit, au troisième jour, une « une opportunité historique de parvenir à un accord de paix global ou à des traités séparés », p. 253. Pour Walt Rostow, conseiller à la Sécurité nationale du Président des États-Unis, la guerre peut amener à la reconnaissance d’Israël par ses voisins du Proche-et-Moyen-Orient en échange d’une rétrocession de ses conquêtes. C’est le sens de la résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 22 novembre 1967.
Au sortir de la guerre, un nouveau contexte voit bien le jour, un contexte a priori favorable à de telles négociations – les conquêtes d’Israël représente une multiplication par plus de trois de sa surface. Le 19 juin, le président américain évoque « cinq principes reconnaissant le droit de chaque État de la région à l’existence, assurant l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tous les États et garantissant la liberté de navigation tout en prônant un contrôle des armements au Proche-et-Moyen-Orient et une solution au problème des réfugiés », p.324. Mais les États arabes y opposent une fin de non-recevoir, par les trois « non » : « pas de paix avec Israël, pas de survie pour l’influence de l’impérialisme et pas d’État sioniste existant sur notre terre » p. 317. Si plusieurs de ces États sont revenus par la suite sur cette prise de position intransigeante, on pourrait toutefois s’interroger sur le sens à donner au titre choisi par Michael B. Oren à la section où le sujet est évoqué : « Trois non ou trois oui ? » p. 317. De même, plutôt qu’une posture unilatérale, la formule agréée par les régimes arabes pourrait également se comprendre comme une manifestation de méfiance à l’égard d’un État hébreu qui a à plusieurs reprises cherché, unilatéralement, à retarder les cessez-le-feu et à conquérir le Golan et Jérusalem-Est, dont l’annexion par la suite va à l’encontre du principe « paix contre territoires ».
Néanmoins, il est vrai qu’aucun véritable travail d’introspection et d’autocritique sur la défaite collective de juin 1967 n’est accompli par les vaincus avant bien des années. Nasser, en particulier, engage une guerre d’usure de trois ans au Sinaï, le temps de se préparer à une nouvelle guerre ouverte. Uni comme jamais au début de la guerre, le monde arabe reste inflexible et focalisé sur la libération de territoires – mais celle des territoires perdus, plus celle de la Palestine (p. 322). Implicitement, les lignes ont donc bien commencé à bouger, mais pas vis-à-vis d’Israël.
Yasser Arafat, qui a participé à bien des raids de la branche armée du Fatah pendant la guerre des Six Jours, a donc désormais beaucoup à faire. La question du devenir des Palestiniens fait l’objet d’une page dans l’ouvrage de Michael B. Oren, qui souligne que ceux-là n’ont pas fait l’objet de « persécution systématique » (p. 307), au sortir de la guerre, tout en relevant de nombreux actes de pillage, de vandalisme et la destruction des villages de Yalu, Beit Nuba et Imwas.
Un fait majeur est toutefois passé sous silence : le conflit de juin 1967 est celui qui donne le coup d’envoi de l’occupation de territoires palestiniens. Certes, le propos central de l’ouvrage a trait à la guerre en elle-même, une guerre avant tout inter-étatique, et la question des Palestiniens au lendemain de celle-ci n’est pas au cœur de la thèse. Néanmoins, pareille omission, alors que la question des aspirants colons du Golan a été évoquée plus haut, traduit peut-être un parti pris de la part de l’auteur, devenu par la suite ministre délégué dans l’un des gouvernements de Benjamin Netanyahu.
La postface peut également contribuer à le laisser croire. Michael B. Oren s’y livre à une comparaison entre la politique de l’administration Johnson en 1967 et celle de l’administration Bush en 2002, au moment de l’écriture : pour lui, lorsque le républicain « a conseillé vivement à la Syrie de contenir ses alliés du Hezbollah et dit à l’Autorité palestinienne que son soutien au terrorisme était complètement inacceptable pour les Américains » (p. 330), tout en assurant Israël de son soutien, ces actions furent « précisément celles que Lyndon B. Johnson avait échoué à prendre en 1967, et en 2002 elles ont permis de contenir, sinon de désamorcer la crise », p. 330. Toute comparaison historique entre deux événements survenus dans deux contextes différents doit faire l’objet de précaution ; dans le cas présent, placer sur le même plan un péril d’origine étatique et un péril lié à des groupes armés terroristes est assez hasardeux, d’autant plus au vu du peu de recul, en 2002, sur les politiques de l’administration Bush encore au pouvoir. Qui plus est, écrire que l’un aurait réussi là où le second aurait échoué quant à la question de la protection d’un État tiers semble relever de la morale, ou de la politique, davantage que de l’histoire. De pareilles formules discutables sont toutefois loin d’invalider la totalité du propos de l’ouvrage.
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Passionnante histoire que celle de la guerre des Six Jours. À coup sûr, Michael B. Oren en rend compte remarquablement, donnant un sentiment d’immersion, parfois quasi cinématographique. Les nombreuses citations apparaissant dans l’ouvrage, issues de sources diverses par leurs origines et leur nature, y contribuent tout en assurant une certaine exactitude au propos, conjointement aux chiffres, photos et cartes. Un vaste travail, dont certains aspects apparaissent discutables ou insuffisamment problématisés, mais dont la substance générale, celle d’une narration scientificisée d’un grand moment de l’histoire militaire, est percutante. Elle donne à comprendre l’émergence d’Israël comme une puissance majeure, au regard, entre autres, de la qualité de sa planification, de son renseignement et de sa tactique largement offensive.
Autre enseignement de Six Days of War, bien qu’il ne soit pas la seule publication à le montrer : des processus au long cours peuvent culminer, se réaliser dans des temps brefs, à l’occasion d’événements décisifs.
De même, comme l’évoque l’auteur dans son entretien avec Fouad Ajami, si la guerre des Six Jours a changé le Proche-et-Moyen-Orient, c’est notamment sur le plan politique. Le panarabisme séculier, ennemi essentiel d’Israël en 1967, laisse progressivement la place à un islamisme radical, à un nationalisme palestinien et à une accélération de la course régionale aux armements. En face, si l’État d’Israël s’impose comme un partenaire majeur des États-Unis, il est également de plus en plus marqué par le judaïsme en lui-même, dans ses aspects religieux, avec l’émergence de groupes messianiques (p. 337) – particulièrement dans les colonies justement nées de cette guerre, pourrait-on préciser.
Entre montée en puissance militaire et mutation de la société dans un sens plus religieux, la guerre des Six Jours marque une rupture dans l’histoire d’Israël et, plus généralement, celle du monde juif, allant dans le sens d’une puissance armée plus forte et dissuasive, facteur de sécurité internationale, mais rendant plus incertain le chemin vers une véritable paix.