Israël perdu, retrouvé, perpétué

par Claire Daudin

La présence d’Edmond Fleg s’est éloignée : le message humaniste et réconciliateur qu’il s’est efforcé de proclamer nous parvient difficilement. C’est à peine si l’on se souvient qu’il fut, en son temps, une éminente personnalité au sein de la communauté juive de France, le guide spirituel du mouvement des Éclaireurs Israélites sous l’Occupation et l’un des fondateurs de l’Amitié judéo-chrétienne aux lendemains de la guerre. Son œuvre imposante de poète (mais aussi de traducteur, de dramaturge et d’essayiste) – semble oubliée.   
Cet oubli est sans doute injuste ; mais il est, en un sens, compréhensible : quand l’ouragan se déchaîne, quand la terre s’ébranle, la brise légère est inaudible. Peut-être est-ce parce que, dans un monde où retentissent les cris de haine et le fracas des bombes, la voix d’Israël, universaliste et inspirée, peine à se faire entendre.
Pourtant, l’existence même de cet écrivain n’a pas été épargnée par la violence de l’histoire. Les huées antisémites de l’affaire Dreyfus ont tiré le jeune intellectuel épris de culture française de son rêve éveillé. Il a traversé deux guerres, la première comme combattant, la deuxième comme résistant, et perdu deux fils. Ces tragédies ne sont pas parvenues à faire taire une parole d’espérance, nourrie de savoirs ancestraux et modernes, adressées non seulement à tous les Juifs, mais à tous les hommes.

Portrait photographique d’Edmond Fleg /Henri Manuel/Circa 1930

De Genève à Paris
Edmond Fleg, qu’on a pu considérer comme une figure du franco-judaïsme, n’a reçu la nationalité française … qu’en 1921, la quarantaine passée. Il était né en Suisse, à Genève, où sa famille s’était installée après l’annexion de l’Alsace par l’Empire allemand. Il grandit dans une famille bourgeoise – son père travaille dans l’industrie textile – qui a gardé peu de liens avec le judaïsme. Dans ses écrits autobiographiques, Edmond Fleg raconte que sa bonne catholique lui faisait dire ses prières en hébreu avant de s’endormir, et qu’elle veillait à ce que la nourriture préparée pour ses maîtres soit cachère. Mais le jeune garçon ne comprenait pas les paroles qu’il prononçait et la religion de ses pères lui demeurait fermée. Le respect formel des traditions finit d’ailleurs par se relâcher au sein de sa famille Flegenheimer. Pourtant, le jeune Edmond avait un tempérament religieux, qui trouva à s’épanouir au contact du christianisme. Son amitié pour un garçon protestant et la lecture des Évangiles le touchèrent profondément (texte n° 1).
Edmond Fleg arrive à Paris en 1892 pour préparer le concours de l’École normale supérieure ; il entre en khâgne au lycée Louis-le-Grand. C’est un jeune homme sensible, qui aime la musique et la littérature. Il a obtenu sans peine de sa famille le droit de cultiver ses talents intellectuels et artistiques, tandis que ses frères se préparent à reprendre l’affaire paternelle. Reçu en 1895, ce contemporain de Charles Péguy, dont il devait faire la connaissance plus tard, ne partage pas l’engagement socialiste de ce dernier et préfère au militantisme les délices de l’art pour l’art. Il se qualifie alors d’esthète, ne se mêlant pas de politique, si ce n’est pour entrer en discussion avec son meilleur ami rencontré à Louis-le-Grand, Lucien Moreau, fervent adepte de Charles Maurras. À ce moment-là, le nationalisme de l’un n’offusque pas l’autre, de même que l’ascendance juive de Fleg n’empêche pas l’affection que lui porte Moreau.
L’affaire Dreyfus marque un tournant dans la vie d’Edmond Fleg, comme dans celle de tous les Juifs de France. La catégorie des jeunes intellectuels assimilés, éloignés de la religion, fervents républicains épris d’humanisme, à laquelle il appartient, est d’abord incrédule face au regain de préjugé antisémite, puis au déferlement de haine causés par l’Affaire. Ce n’est que progressivement, comme on peut le voir dans sa correspondance, que Fleg prend conscience de la profondeur de la crise engendrée par l’erreur judiciaire dont le capitaine Dreyfus est victime. Il lui faut, malgré lui, se reconnaître juif dans le regard de l’autre. De cette assignation infamante, il fera son identité profonde et sa vocation, défendues tout au long de son existence.

(Re)devenir Juif

Dans un premier temps, la réponse sioniste à la fin brutale du mirage de l’assimilation le séduit. À la suite de Theodor Herzl et de Bernard-Lazare, il veut croire que le peuple juif est une nation. En 1899, Fleg se rend au troisième Congrès Sioniste de Bâle. C’est pour y éprouver un sentiment mélangé qui dominera désormais son cœur, ou plutôt le divisera. Car, au milieu de Juifs venus de tous les horizons, avec leurs costumes et leurs idiomes, Fleg se sent…très français ! Désormais, il sera « le Juif au deux cœurs » (texte n° 2), partagé entre sa volonté d’appartenance au peuple juif, et sa profonde adhésion à la culture française.
Un autre événement, d’ordre privé, va lui faire franchir un nouveau cap. En 1908, Edmond Fleg devient père. De ce jour, il cesse de lire L’Action française, le journal d’extrême-droite de Charles Maurras, rompant avec les séductions nationalistes dont la teneur antisémite lui devenait de plus en plus insupportable. Un an plus tard, il effectue son véritable retour au judaïsme, un judaïsme culturel et spirituel, qu’il va assimiler au cours d’une période de trois années entièrement consacrées à l’apprentissage de l’hébreu et à la lecture de textes anciens et modernes, bibliques et talmudiques, philosophiques et poétiques (texte n° 3). C’est en bon normalien qu’Edmond Fleg s’applique à la tâche, analysant puis synthétisant ce trésor légué par les âges, recherchant un fil conducteur dans les œuvres les plus diverses, une inspiration commune dans les traditions les plus éloignées. De ces trois années d’étude surgira une œuvre aux multiples facettes, tout entière tournée vers la transmission, sous forme d’essais, de pièces de théâtre, de roman, de biographies, de poèmes, de traductions… (texte n° 4).
L’auteur met à la disposition de tous la somme de connaissances acquise au cours de cette période de ressourcement dans une Anthologie juive, d’abord publiée en deux volumes aux Editions Crès en 1923. L’ouvrage se présente comme une compilation de textes religieux et profanes, présentés de façon chronologique depuis les temps bibliques jusqu’à la période contemporaine, en passant par les époque hellénistique, talmudique, rabbinique et moderne. Edmond Fleg est l’auteur du choix de ces textes, mais aussi le traducteur de nombre d’entre eux. Il s’agit là d’une contribution exceptionnelle à la mise en valeur du patrimoine juif.
En 1913, le premier volume d’Écoute Israël, « Légende des siècles juive », paraît dans la revue de son ancien condisciple Charles Péguy, Les Cahiers de la Quinzaine. La suite devait également être publiée par Péguy, mais la guerre et sa mort au combat interrompent cette collaboration placée sous le signe de l’amitié. Edmond Fleg poursuivra néanmoins son entreprise poétique. Suivant la même trame chronologique que dans son Anthologie et puisant aux mêmes sources, il fera paraître en un demi-siècle sept volumes de poèmes, jusqu’à l’édition intégrale et définitive d’Ecoute Israël en 1954 chez Flammarion. Personnages bibliques, interprétations talmudiques, recours aux grandes figures du judaïsme sont les éléments de cette épopée du peuple juif écrite en vers tantôt libres, tantôt rimés, qui emporte le lecteur dans son souffle.
Durant la Première Guerre mondiale, Edmond Fleg se bat pour la France dans la Légion étrangère. Il obtient la nationalité française sous son nom de plume en 1921. Il est plus que jamais décidé à vouer son existence et son œuvre à la diffusion d’un judaïsme universaliste en quête de l’Un, comme il l’exprime avec force dans sa profession de foi : « Pourquoi je suis juif » (texte n°5).

Filiation, transmission

La naissance de son fils Maurice a été suivie de celle de Daniel. La paternité est une dimension essentielle de l’existence d’Edmond Fleg. L’écrivain intériorise le devoir de transmission au point que dans ses essais il s’adresse à son « petit-fils qui n’est pas encore né ». La transmission qu’il souhaite réaliser se veut culturelle, éthique et mystique (texte n°3). La vie sera cruelle pour le couple Fleg, qui survivra à ses deux garçons et n’aura pas de descendance charnelle.
Mais Edmond Fleg saura se créer une filiation à travers le mouvement des Éclaireurs Israélites de France. Fondés en 1923 par le tout jeune Robert Gamzon, qui souhaite offrir à sa génération un mouvement de jeunesse comparable à celui des scouts protestants, les EIF se dotent d’un père spirituel en la personne d’Edmond Fleg, sollicité en 1934 par Gamzon pour présider le mouvement.

Edmond Fleg et Robert Gamzon/1941/À Beauvallon/Source Archives familiales

Ce rôle n’aura rien d’honorifique, mais sera pleinement assumé quand les EIF deviendront un lieu d’accueil pour les enfants Juifs chassés d’Europe centrale avec leur famille par le nazisme. Dès lors, il s’agit pour Gamzon et Fleg, de formuler un judaïsme ouvert, capable d’intégrer et de protéger des jeunes venus d’horizons différents. Tous les degrés de religiosité, toutes les traditions doivent se retrouver dans une identité commune, imposée de l’extérieur par la persécution antisémite qui ne fait pas de différences entre les Juifs, mais aussi, plus intérieure, recelée dans les textes sacrés et la mystique qui les anime.
Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, Fleg se lance dans une entreprise de sauvetage spirituel, en insufflant à la jeunesse juive la connaissance de ses origines et la grandeur de son destin. Alors que le mouvement des EIF met en place des maisons d’accueil en province, louvoyant avec la législation du régime de Vichy pour obtenir les autorisations nécessaires, puis passant à la clandestinité et cachant les enfants, Edmond Fleg anime des sessions de formation pour les chefs scouts. Il écrit des textes d’enseignement, ronéotypés et diffusés dans les différents centres, réunis et publiés à la Libération sous le titre Le Chant Nouveau, qui abordent tous les aspects de l’histoire juive, de ses courants religieux et de ses apports à l’humanité à travers les siècles (texte n°6). De cette tentative de maintien d’un sens et d’une espérance, on retient particulièrement le recours à la mystique juive, à travers l’évocation du hassidisme et du Zohar, qui permet à Fleg de conserver sa foi et de transmettre un élan vital à la jeunesse juive en cette période de désolation (texte n° 7).
Edmond Fleg et son épouse survivent à la guerre. Leurs deux fils sont morts dès les années 1939-1940. Plusieurs membres de leur famille ont été arrêtés, déportés et assassinés. Devant l’ampleur de la catastrophe, sous le poids des épreuves, Fleg ne fléchit pas. Il veut relever le judaïsme, assurer sa présence dans la société française, mais aussi renforcer son rôle civilisateur au service des nations. Pour Fleg, les Juifs sont chargés d’apporter au monde les valeurs de justice et de paix promues par la Bible. Ainsi est-il partie prenante de la réconciliation entre chrétiens et Juifs qui s’amorce avec la création de l’Amitié Judéo-chrétienne de France (AJCF) dès 1947. À l’origine de ce mouvement, se trouve la détermination de Jules Isaac – autre ami de jeunesse de Péguy –, à faire accepter aux chrétiens les origines juives de leur religion masquées par l’antijudaïsme de la doctrine de l’Eglise depuis le IVème siècle. Jules Isaac veut faire cesser « l’enseignement du mépris » qui inculque aux jeunes catholiques des préjugés antisémites en lesquels il voit les racines les plus profondes des persécutions subies par les Juifs, jusqu’aux camps d’extermination nazis où périrent sa femme et sa fille. Edmond Fleg, lui, met davantage l’accent sur l’aide fournie par certains Justes chrétiens.

Portrait d’Edmond Fleg/1915/Photographie de Henri Martinie

Le messianisme d’Edmond Fleg

On se souvient de l’attrait ressenti par Fleg à l’adolescence pour le Jésus des Évangiles. Loin de s’estomper, il fut une constante de sa pensée et de son œuvre, le prédisposant à s’engager dans le dialogue interreligieux. En 1920, il avait écrit une pièce de théâtre, La Maison du bon Dieu, mettant en scène trois aumôniers militaires, un Juif, un catholique et un protestant, rapprochés par la guerre et s’apercevant qu’ils servaient le même Dieu. L’Enfant prophète, roman paru en 1926, traitait de l’amour impossible entre un jeune Israélite et une pieuse catholique dans les jardins de Notre-Dame. La tentation de la conversion au christianisme y était surmontée de justesse par la prise de conscience de l’échec de l’Église à faire advenir le salut du monde, mais aussi par les réponses apportées au questionnement métaphysique du héros qui découvre, à travers les textes, sa propre tradition.
Si Jésus de Nazareth ne peut être le Messie pour les Juifs, leur espérance peut cependant s’allier à celle des chrétiens qui attendent le retour du Christ. Cette perspective eschatologique est au cœur des débats théologiques entre Edmond Fleg et le cardinal Daniélou dans l’Après-guerre : Juifs et chrétiens peuvent avancer ensemble dans une attente active, qui favorise l’avènement d’un règne de Justice et de Paix pour toutes les familles humaines.

Fleg « entre deux chaises » : la question sioniste

Pour préparer sa « vie de Jésus », Fleg se rend en Palestine. On est en 1931. C’est son premier voyage sur cette terre encore aux mains des Anglais, qui l’ont prise aux Turcs, mais où des Juifs du monde entier ont commencé à s’établir pour construire un pays qui soit le leur. Cette expédition inspire à Edmond Fleg un très beau texte, Ma Palestine (1932), repris dans Israël et moi (1936), – puis dans Vers le monde qui vient (1960) sous le titre Ma Terre d’Israël. De brefs chapitres écrits à la première personne rendent compte des étapes de son voyage et de la découverte, perturbante pour un habitant de l’Île de la Cité, de cette terre inhospitalière, en proie à la violence, à la misère qui fait ployer les paysans arabes sous son joug, où pourtant des Juifs d’un type nouveau font surgir des vergers du désert. Il veut croire à ce projet grandiose, mais pressent les difficultés à venir. Bien loin des théories selon lesquelles aucune cohabitation avec les Arabes ne serait envisageable, il dédie un chapitre à « Nos frères Arabes ». Et il fait un rêve…(texte n° 8). Tout au long du récit, on perçoit l’ambivalence du « Juif aux deux cœurs », qui s’éprouve plus que jamais Français et parisien, mais ne peut s’empêcher d’admirer l’effort entrepris pour réaliser un État hébreu.
Applaudissant à la création de l’État d’Israël, l’écrivain voit néanmoins dans cette grandiose aventure un risque pour les Juifs et pour le judaïsme : celui de verser dans la passion nationaliste dont ils ont si souvent été les victimes. Fleg s’inquiète du transfert vers un objectif temporel – la conquête d’une terre et l’établissement d’un État – de ce qui est avant tout pour lui un devoir spirituel. Comment la visée universelle du judaïsme telle qu’il la conçoit pourra-t-elle s’accommoder des vicissitudes d’une existence nationale ? Ses craintes, il les exprime d’abord en rappelant le rôle de la diaspora, qui ne doit pas s’éteindre avec la création de l’État d’Israël, mais au contraire continuer à œuvrer pour tisser des liens entre les hommes. Il rappelle que, de tout temps, les grandes pensées juives sont venues de l’extérieur, et souhaite que les Juifs appartenant aux nations continuent à remplir ce rôle d’inspirateurs. Telle est l’idée qu’il développe dans un discours prononcé en 1948 devant les Assises du Judaïsme Français : « Le Problème d’Aujourd’hui » (texte n° 9). Ce discours préfigure la création du Colloque des Intellectuels juifs de Langue Française, dont Fleg deviendra une figure éminente.  En 1951, après un nouveau séjour en Israël, Fleg ajoute à son Jésus raconté par le Juif errant un épilogue dans laquelle s’exprime son angoisse face au retour des armes sur « la terre que Dieu habite ». Alors qu’il s’était fixé dans le nouvel État, le Juif errant se trouve contraint à reprendre sa course pour rester fidèle à l’idéal de justice et de paix porté par le judaïsme, que l’écrivain profère en paraphrasant les Béatitudes, déchirant appel aux accents prophétiques (texte n° 10).
À sa mort, Edmond Fleg est honoré aussi bien en France qu’en Israël, où le Mouvement des Éclaireurs Israélites a planté une forêt qui lui est dédiée. Son message en faveur d’un judaïsme universaliste et mystique peut-il être encore entendu ? On ne peut que l’espérer.

Anthologie

Israël et moi

Israël et moi est un recueil composé de trois textes autobiographiques : Pourquoi je suis juif, d’abord publié en 1926, Ma Palestine, publié en 1932, et Dieu, en 1936. Edmond Fleg procède par réédition et enrichissement de ses écrits : en 1960, paraît Vers le monde qui vient, qui reprend le contenu d’Israël et moi en lui ajoutant de nouveaux chapitres.

  • Dans Pourquoi je suis juif, l’auteur revient sur sa trajectoire personnelle, depuis son enfance jusqu’à sa redécouverte du judaïsme, en trois chapitres intitulés « Israël perdu », « Israël retrouvé », « Israël perpétué ».

Texte n° 1 : La rencontre avec l’Évangile

« Mais moi, que nul n’avait su rendre curieux de l’Ancien Testament, je voulus connaître ce Jésus qu’on leur prêchait le dimanche. Je vois encore, sous les arbres de la vieille place, l’étalage du bouquiniste qui me vendit, pour quelques centimes, toutes les souffrances de cette révélation. J’entends encore, dans ma poitrine, mon cœur crier à la lecture furtive des pages éternelles. J’étais le berger près de la crèche, j’étais le pêcheur de Tibériade ; je marchais avec le paralytique, je revoyais le jour avec l’aveugle, je ressuscitais avec Lazare ; le Notre Père fut ma prière, le Sermon sur la montagne mon sermon, l’agonie sur la croix mon agonie. », p. 20-21.

Texte n°2 : Au Congrès de Bâle

« J’écoutais tant de talents, d’éloquence, de foi, mais surtout je regardais. Que de contrastes juifs, autour de moi : ce Polonais tout blême avec ses pommettes osseuses, cet Allemand à lunettes, ce Russe au regard d’ange, ce Persan barbu, ce glabre Américain, cet Egyptien coiffé du Fez, et là, ce fantôme noir, immense dans son immense caftan, avec son bonnet de fourrure, et les boucles pâles qui tombaient de ses tempes. Et, devant tous ces visages étrangers, il m’arriva ce qui devait m’arriver ; je me sentis juif, très juif, mais je me sentis aussi français, français de Genève, mais français. », p. ?

Texte n° 3 : Paternité et retour aux sources juives

« Je me mariai. J’eus un fils, celui dont tu seras le fils, mon petit. Et alors, une chose étrange se produisit. Le matin où naquit ce fils, par hasard je ne lus pas ce journal (L’Action Française). Et depuis, je ne l’ai jamais relu. Pourquoi la naissance de mon fils me libéra-t-elle de cette hantise ? Je l’ignorais. Mais, lorsqu’il eut un an, une autre chose, non moins surprenante, m’arriva. Je venais d’être joué avec quelque succès ; tout m’engager à persévérer. J’abandonnai tout, et, pendant trois années, sans relâche j’étudiai le judaïsme.

Je crois comprendre maintenant la force qui me poussa, et le moment qu’elle choisit pour s’exercer. Déjà, sans doute, j’obéissais à l’instinct qui me dicte aujourd’hui ce livre pour toi : je n’enseignerais pas à mes enfants la religion de mes pères, je voulais leur transmettre pourtant quelque chose d’Israël. » p. 43.

Texte n° 5 : « Pourquoi je suis juif »

« Je suis juif, parce que, né d’Israël, et l’ayant perdu, je l’ai senti revivre en moi plus vivant que moi-même.
Je suis juif, parce que, né d’Israël et l’ayant retrouvé, je veux qu’il vive après moi, plus vivant qu’en moi-même.
Je suis juif, parce que la foi d’Israël n’exige de mon esprit aucune abdication.
Je suis juif, parce que la foi d’Israël réclame de mon cœur toutes les abnégations.
Je suis juif, parce qu’en tous lieux où pleure une souffrance, le Juif pleure.
Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le Juif espère.
Je suis juif, parce que la parole d’Israël est la plus ancienne et la plus nouvelle.
Je suis juif, parce que la promesse d’Israël est la promesse universelle.
Je suis juif, parce que, pour Israël, le monde n’est pas achevé : les hommes l’achèvent.
Je suis juif, parce que, pour Israël, l’Homme n’est pas créé : les hommes le créent.
Je suis juif, parce qu’au-dessus des nations et d’Israël, Israël place l’Homme et son Unité.
Je suis juif, parce qu’au-dessus de l’Homme, image de la divine Unité, Israël place l’Unité divine, et sa divinité. » p. 70.

Ma Palestine est le récit du premier voyage effectué par Edmond Fleg au Moyen Orient, en 1931, alors qu’il a déjà dépassé la cinquantaine. Il s’y rend accompagné de sa femme Madeleine, en homme de lettres déjà célèbre. Il rencontre des artistes tels que le poète Bialik et le peintre Chagall, mais aussi des leaders sionistes comme Chaïm Weizmann. Il observe avec sympathie les réalisations des kibboutz, sans fermer les yeux sur la misère des paysans arabes. Le motif de son voyage est la préparation de son livre sur Jésus, mais il s’agit également pour Fleg d’une prise de contact avec le sionisme en actes. Se succèdent de brefs chapitres qui témoignent de sa capacité d’observation, de son discernement, et d’une réflexion parfois prophétique sur les destinées d’Israël.

Texte n° 4 : La solitude de l’homme de lettres
« Styliste, j’avais introduit dans un idiome latin tout ce qu’il peut accepter d’hébraïsme ; poète, je prolongeais le romantisme biblique, en l’enrichissant de fables empruntées au Talmud ; érudit, dans une Anthologie à l’usage du monde occidental, je compilais des textes connus du monde juif ; romancier, je décrivais avec douleur l’inquiétude de l’Israélite déjudaïsé ; dramaturge, je rapprochais l’Église de la Synagogue ; messianiste, j’exhortais au travail de la paix tous les Juifs citoyens de toutes les patries …
Alors cette solitude, vaguement perçue depuis le début de mon séjour, se fit brutale et cruelle ; tout-à-coup, je sentis en moi, tout entière, cette angoisse dont les premiers troubles m’avaient effleuré, quand je cherchais la place de mon œuvre, dans la Bibliothèque juive, à Jérusalem. Mais il s’agissait bien aujourd’hui de mon œuvre ! En quoi pouvais-je compter, moi, homme, pour ceux que je voyais ici ? Oui, j’étais un cas, un phénomène : un Français avait bien voulu se rappeler ses « origines juives », choisir le judaïsme pour thème littéraire, se soucier un peu de ce qui, dans le monde, est juif à moitié ! Mais que leur importait cet assembleur de phrases qui, prétendant parler pour Israël, à force de parler, les avait oubliés ? », p. 180.
Texte n° 5 : Un rêve
« – Cette nuit-là, je n’eus plus de cauchemar. Je voyais renaître, autour du Morïa, l’époque magique de la civilisation judéo-mauresque. Juda Halévi quittait l’Espagne et prenait, pour chanter, la voix de Bialik ; Maïmonide se collait la moustache d’Einstein, Chasdaï Ibn Chaprut, la barbiche de Sokolow ; Madame Persitz inondait de chimie, de biologie, de thérapeuthique et de mathématiques l’Arabie, la Transjordanie et la Mésopotamie ; les déserts se couvraient de charrues, d’usines, d’écoles, de mosquées, de synagogues ; et du Nil au Gange, du Gange au Danube, du Danube au Nil, les Juifs lançaient un triple pont d’amour, qui ne faisait qu’un, de trois continents ! », p. 175.

Le Chant Nouveau

Le Chant Nouveau est le titre, repris des Psaumes (notamment le Psaume 96), des enseignements donnés par Edmond Fleg aux Éclaireurs Israélites de France pendant la Deuxième Guerre mondiale, et réunis en volume à la Libération. Les extraits choisis témoignent de l’urgence du présent, qui intime à Fleg le devoir de sauver la jeunesse juive d’Europe, et de sa capacité à éclairer les ténèbres à la lumière de la mystique d’Israël. Fleg se montre ici à la hauteur des enjeux historiques et métaphysiques de son temps.


Texte n° 7 : Juifs ensemble
« Juif orthodoxe, Juif hassidique, Juif conservateur, Juif libéral, sioniste, déjudaïsé, entre tant de types divers du Juif, une entente véritable est-elle possible ?
Sur le plan des réalités quotidiennes, les Jeunes ont accompli ce petit miracle de les faire vivre côte à côte dans la paix de l’amitié. Mais les concessions mutuelles qu’un sentiment de fraternité peut obtenir de chacun, dans les rapprochements d’une familiarité commune, n’impliquent pas que les points de vue eux-mêmes se soient confondus.
Aussi bien n’est-ce peut-être pas à cette uniformisation que nous devons tendre ; elle ne semble aucunement nécessaire. On parle beaucoup aujourd’hui d’un pluralisme, indispensable à l’État lui-même, que peut et doit enrichir le voisinage de disciplines diverses, exprimant sous des formes diverses une même aspiration, une même idée : pourquoi n’y aurait-il pas aussi un pluralisme juif ?
Mais quel enrichissement aussi, pour Israël, si, de toutes les tendances qui s’opposent en lui, on pouvait dégager une tendance commune ; si l’on arrivait à saisir, dans sa profondeur, l’essence du judaïsme, au-delà de tous les aspects que nous venons d’énumérer.
La chose ne serait possible que si l’on parvenait à dégager ce Chant Nouveau, capable d’émouvoir également toutes les âmes juives.
Le passé nous a laissé un immense trésor de foi, de savoir et de faits, qui demeure ouvert devant nous. Dans ce trésor, essayons de découvrir, ce qui, traduit en langage d’aujourd’hui, peut parler efficacement à un Juif d’aujourd’hui, pour l’aider à reconstruire, en son âme, le judaïsme, et à collaborer, pour sa modeste part, à la résurrection de la patrie et de l’humanité.
Peut-être, alors, nous sera-t-il possible de chanter, pour nous et pour tous, le Chant Nouveau. », p. 21-22.

Texte n° 8 : le recours à la mystique juive en temps de désolation

« L’infraction à la Torah, loi tout à la fois physique et morale, semble donc, à nos mystiques, créer, dans le monde physique, comme dans le monde moral, un désordre, que le Juste répare. Mais ils vont plus loin. Ils ne craignent pas d’affirmer que la violation de la Torah peut créer comme une sorte de désordre au sein de la divinité même.

Malheureux, avait déjà dit le Talmud, le coupable qui force Dieu à user du châtiment.Berechite Rabba, 33.
En Dieu s’unissent en effet, et se confondent, tous les attributs que l’homme lui confère, et que, dans son inaccessible unité, il dépasse de toutes les distances de l’Infini. Parmi ces innombrables attributs, il en est deux qui se manifestent tout particulièrement sur la conduite de l’homme. On les appelle tour à tour A   mour et Justice, Pardon et Rigueur ; et ils portent les deux noms les plus sacrés de l’Éternel : celui qu’on ne prononce point, et celui qui se prononce Elohim.
Dans l’ineffable essence divine, ces deux noms sont confondus, n’en forment qu’un, inconnu des humains : l’Amour s’unit à la Justice, le Pardon n’est qu’un avec la Rigueur. Mais, comme tout ce qui est en bas se reflète et se répercute en haut, le péché de l’homme, en faisant une brèche dans le monde en bas, élargit cette brèche, de monde en monde, et l’ouvre jusqu’à Dieu, séparant en lui la Rigueur du Pardon, la Justice de l’Amour, et le contraignant à punir. Car si Dieu, alors, ne demeurait que Clémence, le péché du pécheur n’aurait plus de mesure, et l’Amour de Dieu pour le monde disparaîtrait du monde, avec le monde (note de l’auteur : Zohar, dans Anthologie juive, II, 65-75.)
Et de même que, pour nos mystiques, le pécheur rompt, par son péché, l’unité de Dieu comme celle du monde, de même, comme celle du monde, le Juste la recrée. La présence de Dieu qui est en lui y fait présente la clémence divine ; et, lorsqu’il intercède pour le pécheur, son intercession, qui est celle, en lui, de la clémence divine elle-même, réconciliant, en Dieu, la justice et l’amour, obtient le pardon. Car le Juste est si puissant auprès de Dieu qu’il paralyse, en quelque sorte, la vengeance divine.
Ainsi, dans la Bible, déjà Abraham intercède en faveur des Justes qui, selon lui, habitent peut-être Gomorrhe et Sodome. Ainsi, dans le midrach, pour que le châtiment de Dieu puisse s’exercer, il faut que Jérémie sorte de Jérusalem : la présence dans la ville de ce qui, chez le prophète, est divin, empêcherait Dieu de la détruire. Ainsi, dans le midrach encore, Dieu ayant fait vœu de punir, et désirant pardonner, c’est Moïse, l’homme de Dieu, l’homme en qui vit Dieu, qui relève Dieu de son vœu, pour lui permettre de remarier en lui l’Amour à la Justice, et d’effacer de la sorte le péché d’Israël.

*

Chez les Hassidim, le Tzaddik, comme autrefois le prophète, possède cette parcelle de la puissance divine. C’est pourquoi, comme le prophète, il lit à travers les fronts et les distances, il dévoile le passé et prédit l’avenir, il guérit les maux du corps et de l’âme.
Mais de toutes les forces divines qu’il détient – et il en était ainsi du prophète – la plus forte est la prière : car la divine prière de l’homme force Dieu lui-même, et lui arrache le miracle. Le combat mystérieux de l’Ange avec Jacob, combat qui valut à Jacob le nom d’Israël, vainqueur de Dieu, n’a peut-être pas d’autre signification. Le Zohar nous dépeint la montée vers Dieu de la divine prière humaine : elle monte, monte, recréant l’unité entre les mondes ; et, lorsqu’elle est parvenue devant le trône céleste, « elle commande, et Dieu obéit ». p. 166-169.
(…)
Selon ce que certains de nos Sages nous avaient dit, Dieu n’a pas besoin des hommes. Or, voici que, selon ce que nous disent nos Mystiques, Dieu a besoin d’eux ! Si, dans sa transcendante et immuable éternité, il plane au-dessus d’eux, comme au-dessus des mondes, par sa Présence, sa Schekina dans les mondes et dans les hommes, Dieu lui-même est dans le changement, dans le devenir. L’homme est un médiateur, par qui Dieu devient plus complètement Dieu dans le monde, un médiateur dont la mission est d’achever Dieu dans le monde, en accomplissant son règne par la venue de son Messie, et, cette mission, Israël s’est imposé de l’accomplir.

*

Nous revenons ainsi, par la voie mystique, à l’ineffable enseignement de la Torah. Mais de quelles lumières et de quelles ferveurs ce voyage aura enrichi l’ineffable leçon !
Ce qui nous frappe, dans cette mystique, c’est ce même caractère créateur, que nous avons déjà marqué dans l’activité, comme dans la spiritualité d’Israël.
Certes, la faiblesse de l’homme n’en est point absente, et, sans la grâce de Dieu, l’homme y demeure infime. Certes, il s’y trouve parfois comme passivement enveloppé par la divinité, jusqu’à cette extase où l’âme s’échappe du corps dans le baiser divin.
Mais quelle tension, par ailleurs, de tout son effort spirituel, dans la conquête de Dieu ! Quelle prodigieuse puissance sur Dieu ! Et quelle immense mais exaltante responsabilité une telle mystique fait peser sur nous, puisqu’elle nous enseigne que, selon que nous aurons choisi l’injuste ou le juste, nous contribuerons à détruire ou à créer le monde et Dieu !
Pour que le chant de cette mystique se mêle à votre Chant Nouveau, il n’est pas nécessaire que vous alliez scruter, dans les pages hermétiques de la Cabbale, les doctrines des Sephiroth ou du Zimzoum, ni que vous adoptiez servilement les coutumes des lointains Hassidim : il suffit que vous ayez senti leur esprit. Et la meilleure façon, peut-être, de vous pénétrer de cet esprit, c’est que vous essayiez de revivre en vous-mêmes, sur le plan mystique, la sainte histoire d’Israël.
Chacun de vous n’a-t-il pas entendu, comme Abraham, un appel qui lui commande de monter vers une contrée inconnue, à l’intérieur de lui-même ? Ne s’est-il pas juré, comme ses ancêtres au Sinaï, de demeurer fidèle à l’appel de cette voix ? Ne l’a-t-il pas trouvée une fois, mais plus souvent perdue, cette contrée intérieure de sa pureté et de son allégresse ? Ne rêve-t-il pas, de chute en chute, de la redécouvrir par son effort, de la réhabiliter pour toujours ? Ne cherche-t-il point, en soi-même, un Messie intérieur qui l’y conduise, et qui, avec lui, y conduise tous les hommes ?
Que chacun de vous accomplisse, en lui-même, le règne de Dieu, et, créateur à l’image de Dieu, il aidera Dieu à régner sur la terre. » p. 172-174.

Le Problème d’Aujourd’hui

Allocution prononcée aux « Assises du Judaïsme Français », le 28 Août 1948.
Dans ce discours, dont le texte fut édité en plaquette, Edmond Fleg exprime un point de vue mesuré sur la toute récente création de l’État d’Israël. Se présentant comme assis « entre la chaise sioniste et la chaise non-sioniste », il affirme « trouver dans cette posture peu confortable, un équilibre qui peut manquer encore à quelques-uns d’entre vous. », p. 5. Il défend la légitimité de la Dispersion et la primauté d’un judaïsme universaliste et messianique. Dressant deux parallèles, il souligne la supériorité de la religion juive sur le christianisme, et, sur le plan social, celle du kibboutz sur le modèle communiste.

Texte n° 9 : Le rôle de la la diaspora
« Ne l’oublions pas, si sacrée que soit la terre palestinienne, elle ne nous a pas tout donné. Abraham n’est pas né en Palestine. La Tora n’est pas née en Palestine. Moïse n’est pas né en Palestine : il n’y est même jamais entré.
Après la première dispersion de l’État juif, et le retour qui suivit la captivité de Babylone, ce furent Esdras et Néhémie qui vinrent, de l’exil, instruire et former la communauté juive, renaissante en Palestine. Puis, après les créations du Talmud de Jérusalem, ce furent encore nos Sages de Babylonie, puis ceux d’Espagne, de France, d’Allemagne, de Pologne, qui multiplièrent les lumières juridiques, philosophiques, haggadiques ou mystique de nos traditions.
Et le Sionisme, le Sionisme lui-même, qui allait sauver la Palestine, d’où est-il venu ? Le livre inoubliable de Herzl, L’État juif, n’a été ni écrit, ni conçu en Palestine : c’est Vienne, ou plutôt Paris, qui nous l’a donné. (…)
« Quiconque est miséricordieux, disent nos Rabbins, est fils d’Abraham. » Voilà qui élargit singulièrement la famille du patriarche ; en un sens toute l’humanité vertueuse y peut entrer. Un universalisme admirable, déjà présent dans nos Livres saints, s’affirme et se développe ainsi tout au long de notre tradition. Il suffit de l’en dégager, pour faire ou refaire du judaïsme la plus universelle des religions.
Or, au début, tout au moins, de l’ère nouvelle qui s’ouvre, se reconstruisant sur la vitalité accrue du sentiment national et sur l’existence d’un calendrier commun à la vie civile et à la vie religieuse, la religion des Juifs palestiniens pourrait aisément tendre vers un particularisme qui, évidemment, n’abandonnerait point, et finirait par rejoindre l’universalisme dont nous avons parlé. Il appartiendrait au judaïsme de la dispersion, et principalement au judaïsme de France, de remettre dès maintenant l’accent sur le judaïsme universaliste, qui, seul, répond aux exigences d’une religion dégagée de toute appartenance nationale, – et d’apporter ensuite au judaïsme palestinien lui-même, les fruits de cette expérience spirituelle. », p. 10-13.

Jésus raconté par le Juif errant

Edmond Fleg demeura, toute sa vie, animé d’une grande sympathie à l’égard de Jésus, auquel il consacre une biographie fictive :  Jésus raconté par le Juif errant (1933). Il s’agit d’un récit à la première personne, dont la narration est tantôt confiée à l’auteur, tantôt à un personnage qui prend les traits du héros médiéval condamné à marcher jusqu’au retour du Christ pour avoir refusé de l’aider à porter sa croix. Fleg s’empare de cette légende aux relents antisémites pour faire du Juif errant le paralytique guéri par Jésus, devenu son adepte, le suivant sur tous les chemins de sa vie terrestre, jusqu’à ce que lui soit révélées les souffrances à venir des Juifs dans la chrétienté.

Texte n° 10 : Malédictions et béatitudes pour aujourd’hui, épilogue de 1951. 
« Malheur à ceux qui bénissent les armes ! »…
Mais moi, je ne voulais pas. Je n’osais pas. Je disais : « Le monde n’est pas prêt ! »
Sois prêt : le monde sera prêt.
Je disais : « Si mon pays désarme seul, que feront-ils de mon pays… ? » Il n’écoutait pas, il criait :
Viens avec nous ! Crie avec nous : « Heureux ceux qui refuseront les armes : ils créeront la terre ! »
Je gémissais : « Si un Juif crie ce cri, que feront-ils aux Juifs ? Et Israël ? Que feront-ils d’Israël ? »
Il n’écoutait pas. Je suppliais : « Et, après mes fils, ma femme maintenant ? Que feront-ils de ma femme ? Et moi, que feront-ils de moi ? … »
Qu’importent tes fils ! Qu’importe ta femme ! Et toi, qu’importe ce qu’ils feront de toi !… Pour que le Messie vienne, crie d’abord avec nous :
« Heureux ceux qui jetteront les armes : ils enfanteront le Messie ! »…
Au fond de la vallée, mon bras s’est arraché du sien. Je fuyais. Mais lui, de son pas qui arpente l’univers, montait l’autre versant, vars la frontière, vers l’Arabe, vers le monde.
Je ne le voyais plus. Mais j’entendais, j’entends encore sa voix double, qui crie vers le monde :
« Heureux ceux qui mourront pour la paix : ils verront Dieu ! », p. 314.

Indications bibliographiques

Œuvres principales d’Edmond FLEG 

Poésie

Écoute Israël, Édition intégrale, Paris, Flammarion, 1954.

Anthologie

Anthologie juive, Des origines à nos jours, Édition enrichie, Paris, Sulliver, 1951.

Roman

L’Enfant prophète, Paris, Gallimard, 1926.

Essais

Israël et moi, Paris, Gallimard, 1936.
Comprend Pourquoi je suis Juif et Ma Palestine).

Le Chant nouveau, Paris, Préface d’André Neher, Paris, Albin Michel, 1972.

Vers le monde qui vient, Paris, Albin Michel, 1960.
Comprend : Israël et moi

Vies légendaires

Moïse raconté par les Sages, Paris, Albin Michel, 1956.
Jésus raconté par le Juif errant (1933), Nouvelle édition augmentée d’un épilogue et d’une préface de J. Eisenberg, Paris, Albin Michel, 1993, Coll. « Espaces libres ».

Traductions

Le Livre du commencement : Genèse, Traduit de l’hébreu par Edmond Fleg, Paris, Éditions du Chant nouveau, 1946.
Un violon sur le toit : Téviè le laitier, de Cholem Aleichem, Traduit du yiddish par Edmond Fleg, Paris, Albin Michel, 1990.

Correspondance

Correspondance d’Edmond Fleg pendant l’affaire Dreyfus (1894-1926) présentée, datée et annotée par A. E. Elbaz, Paris, Nizet, 1976.

Sur l’oeuvre d’Edmond Fleg 

  • Sylvie Altar, Edmond Fleg en héritage : Être juif avant Dreyfus et après la Shoah, Paris, Éditions Tirésias-Michel Reynaud, 2023.
    Présentation de l’éditeur : « À sa mort Edmond Fleg était de notoriété mondiale. Pourtant l’homme et son œuvre sont petit à petit tombés dans l’oubli. Romancier, essayiste, dramaturge, journaliste, critique littéraire, musicien et mélomane, il était une figure charismatique du judaïsme français. Il a été de tous les temps forts de ce XXe siècle, de l’affaire Dreyfus et son dénouement, Poilu de la Grande Guerre, intellectuel de l’entre-deux-guerres, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, penseur de l’après-guerre, fondateur de l’Amitié judéo-chrétienne et membre de l’Alliance israélite universelle etc. À travers la rencontre imaginaire nous replongeons dans cette époque progressiste et tourmentée de la fin du XIXe siècle à l’après-guerre. Nous rencontrons tout un monde d’intellectuels, de politiques et de religieux qui ont fait la France. Il était proche de Yehoudi Menuhin, de Haïm Weizmann, de Jules Isaac, Léon Askenazi, de Lévinas, d’André Chouraqui et de tant d’autres. De cet échange, est née une approche inédite des cheminements et des souffrances, des combats et des espérances des Juifs en France, plus largement en Europe« .
  • Haïm Korsia, Ma vie avec Edmond Fleg, Paris, Gallimard, 2024.
    Présentation de l’éditeur :  » Lève-toi comme un lion pour servir ton Créateur », tel est le commencement du grand code de la Loi juive. Edmond Fleg, écrivain et philosophe, né à Genève en 1874, avait emprunté une tout autre voie que celle de la foi jusqu’à ce que l’affaire Dreyfus le persuade du sens qu’il donnerait désormais à sa vie: l’exemple d’un homme pleinement juif et français. Haïm Korsia a été marqué tôt par la lecture d’Edmond Fleg. Il a reconnu dans l’engagement de son aîné un chemin fait de cette conviction que le judaïsme et la République partagent le même socle de pensée. Il suit ici l’itinéraire d’un homme qui s’est enrôlé dans la Légion étrangère pendant la Première Guerre mondiale et a été décoré de la Croix de guerre, et qui obtient bientôt la naturalisation française avant de publier son grand œuvre en 1927. Pourquoi je suis Juif est un appel au retour à l’étude de la pensée juive, qu’il ne va plus cesser d’approfondir de livre en livre. Il traduira également une partie de la Bible en français.
    Edmond Fleg a vécu à Paris, quai aux Fleurs, où Haïm Korsia est retourné et où une fois encore leurs destins se sont croisés
    « .
  • André Néher, Nous d’Edmond Fleg, Extrait du Bulletin de nos Communautés, jeudi 31 octobre 1963.
  • « Edmond Fleg, poète juif de la fidélité et de l’espérance », Contributions de J. Cuche, N. Malinovich, O. Rota, F. Raphaël, E. Schilt, R. Guerinel, M. Orjekh, P. Haddad, C. Coutel, J.-F. Bensahel, D. Delmaire, Revue Sens, n° 414, Septembre-Octobre 2017.