Note de lecture

Rédigée par Solange Livanis

Marcel NADJARY, Sonderkommando, Birkenau 1944 – Thessalonique 1947, Résurgence, Traduit du grec par L. Marcou, Gueures (76730), Artulis / Signes et balises, 2023.

         Marcel Nadjary (1917-1971), Juif grec originaire de Thessalonique, fit partie du Sonderkommando de Birkenau pendant huit mois. Début novembre 1944, pensant ne pas survivre, il adresse ses adieux à des êtres chers et narre dans l’urgence absolue ce dont il est témoin, sur douze feuillets. Il les enferme dans un thermos qu’il enroule dans une sacoche de cuir et enterre aux abords du Crématoire III.


Ils font partie des cinq « Rouleaux d’Auschwitz ». On a donné ce nom à des documents de différentes natures, réalisés par des membres du Sonderkommando, ou unité spéciale, un groupe de prisonniers principalement juifs, obligés de travailler dans les crématoriums d’Auschwitz-Birkenau.

L’objet est retrouvé fortuitement en 1980 et le texte déchiffré presque entièrement seulement en 2020 grâce à la technique de l’analyse spectrale. Néanmoins, l’intérêt de cet ouvrage dépasse la seule connaissance de ce testament-témoignage, traduit pour la première fois en français. En effet, il contient aussi la traduction d’un deuxième manuscrit d’une soixantaine de pages parfois illustrées de dessins – et qui a été écrit en 1947 par le survivant à son retour en Grèce, ce qui constitue un phénomène rarissime. Tous les feuillets des deux manuscrits sont reproduits dans le livre. En outre, le volume de presque 500 pages représente un travail impressionnant, car les deux témoignages et leurs traductions sont accompagnés de textes, de photos, de cartes, de plans qui les éclairent. Les contributions de S. Klarsfeld, des enfants Nadjary, de F. Ampatzoglou, de G. Didi-Hubermann, de T. Bruttmann, d’A. Kilian et de L. Marcou, le traducteur, font de ce livre un document de référence sur la Shoah, notamment celle vécue par la communauté juive de Grèce passée jusqu’à récemment presque sous silence.
Le premier manuscrit, clandestin, écrit face à la mort, est à la fois un acte judiciaire qui documente l’extermination des Juifs et un acte de résistance qui répond par l’inscription scripturaire à la volonté nazi d’effacer l’ampleur du crime. Il est aussi un tombeau pour ceux qui n’ont pas eu de sépulture. Les fac-similés de ces pages rescapées possèdent une force émotionnelle indéniable : l’écriture transparaît comme à travers des larmes.
Le second manuscrit a été écrit pendant la douloureuse Guerre Civile grecque. Dans son récit rétrospectif, présenté comme une chronique, le rescapé se remémore son parcours depuis sa mobilisation sur le front albanais fin 1940 jusqu’à son arrivée à Mauthausen après l’évacuation d’Auschwitz et les marches de la mort. Il revient en détail sur ses expériences de soldat, de résistant, de prisonnier, de déporté et de membre du Sonderkommando. Les écrits de Marcel Nadjary sont également le témoignage d’un Juif patriote qui se considère comme un vrai Grec et clame son attachement à sa patrie tout en gardant la foi de la religion de ses ancêtres, ce qui semble prouver la réussite de l’assimilation de la communauté juive de Thessalonique et l’existence d’une culture judéo-grecque.
« Mon seul désir est que vos mains reçoivent ce que je vous écris ». Soixante-dix huit ans plus tard, le souhait de Marcel Nadajary peut être exaucé auprès de lecteurs francophones.