MOSES MONTEFIORE (1784 – 1885)

Cecil ROTH

Traduit de l’anglais par Nadine Picard

in Noveck, Great Jewish Personalities in Modern Times, Sous l’égide du Bnai Brith Department of Adult Jewish Education, Colonial Press Inc, Clinton (Massachusset), 1960, p. 43-58.

Toute sa vie, et longtemps encore après sa mort, Moses Montefiore eut la réputation d’être le plus remarquable des Juifs, et même le plus remarquable des Anglais du XIXème siècle, réputation due à l’extraordinaire travail de philanthrope qu’il accomplit sur une période de trois quarts de siècle, et jusqu’à un âge très avancé. De nos jours, il reste le symbole même du Juif occidental émancipé dans sa plus pure expression. Enfant chéri et honoré de la Grande-Bretagne, inconditionnellement accepté par ses pairs et constant, parallèlement, dans son engagement en tant que Juif, il respectait scrupuleusement les commandements, accordait son soutien à la synagogue, prodiguait avec une grande compassion son aide pour assurer un mieux-être à ses coreligionnaires persécutés dans le monde entier, montrait une dévotion sans faille à l’idée de la renaissance d’un peuplement juif en Terre Sainte, et de la renaissance de la Terre Sainte grâce à un peuplement juif. Profondément anglais et fier de l’être, il faisait partie, d’une manière qui lui était propre, du monde juif dans son entièreté.

[Origines et éducation]

La famille Montefiore avait ses racines dans la petite ville de Montefiore, près d’Ancône, et appartenait à ces Juifs italiens de la première heure qui constituaient la plus ancienne colonie juive d’Europe, ni sépharade ni ashkénaze. Plus tard, les Montefiore s’établirent dans le port franc de Livourne, en Toscane, et se fondirent dans la vibrante communauté sépharade qui avait contribué à l’exceptionnelle prospérité de la ville. Par conséquent, il fut naturel pour les Montefiore, lorsqu’ ils arrivèrent à Londres au début du XVIIIème siècle, de rejoindre la communauté espagnole et portugaise qui s’était installée dans la capitale sous Cromwell, et de conclure des mariages avec l’une des familles les plus en vue, les Mocatta, à laquelle précisément appartenait la mère de Moses.

Il se trouva que, comme s’il avait voulu souligner son ascendance italienne, Moses naquit alors que ses parents étaient en visite à Livourne, en 1784. Éduqué essentiellement par des précepteurs privés, il bénéficia de l’enseignement classique tout à fait inadéquat prodigué aux Juifs anglais aisés du XVIIIème siècle. Ces derniers, à l’instar des Catholiques et des Protestants non-conformistes, n’étaient pas autorisés, à cette époque, à fréquenter les universités ou l’enseignement supérieur. À vingt-huit ans, il épousa – c’était exceptionnel pour un patricien sépharade anglais à l’époque – une jeune fille de la communauté ashkénaze, Judith Cohen, issue d’une famille dont, plus tard, de nombreux membres allaient devenir d’éminents dirigeants de la communauté juive anglaise, tandis que d’autres contribueraient de manière notable à la mise en place de la législation britannique. Ces précisions généalogiques sont indispensables pour comprendre la position que Montefiore occupait dans le monde : un Anglais jusqu’au bout des ongles, mais d’ascendance italienne, membre de la communauté sépharade, mais entretenant des liens serrés avec les ashkénazes, un homme du Nord, mais dont les racines s’ancraient sur les bords de la Méditerranée.

L’Univers Illustré du 8 août 1885/Dans la partie supérieure, portrait en buste, l’index sur la tempe ; dans la partie inférieure, vue extérieure dans Ramsgate, d’une grande maison avec tourelles, fronton et terrasses crenelées.

Il avait été élevé comme un véritable Anglais, dans une Angleterre où les Juifs (du moins ceux qui étaient anglicisés) étaient pour la plupart émancipés et où, comme cela avait déjà été le cas depuis le début de leur réinstallation au XVIIème siècle, ils n’étaient soumis à aucune restriction vexatoire. Mais, tout comme les Catholiques et les Dissidents (opposés à l’Église anglicane), ils n’avaient aucun droit dans le domaine politique. Montefiore faisait partie des douze « courtiers juifs » autorisés, (terme qui dénote bien le statut inférieur des Juifs), et ses premières tentatives dans les affaires se soldèrent par des échecs, pour ne pas dire des catastrophes. Il s’en remit néanmoins dignement pour devenir le premier associé de son beau-frère, le célèbre Nathan Meyer Rothschild, fondateur de la branche anglaise de la banque du même nom et, disait-on, le plus extraordinaire génie financier de son temps. C‘est en partie grâce à cette relation que Montefiore amassa une fortune, sinon énorme du moins considérable et, arrivé à l’âge mûr, il s’était rendu financièrement indépendant.

[Orientation religieuse]

Montefiore était grand, d’une beauté troublante, et il s’exprimait remarquablement bien – qualités qui lui seraient essentielles pour sa future carrière. Pour ce qui concerne sa vie privée, il demeura toujours un Juif pieux et pratiquant, respectant consciencieusement les commandements (du moins à la fin de sa vie), assistant souvent aux offices en semaine aussi bien que le Sabbat, et prenant part, comme il se doit, à tous les services laïques de la communauté espagnole et portugaise. Par conséquent, quand le Mouvement Réformé du judaïsme fit son apparition en Angleterre, Montefiore fut parmi ceux qui s’y opposèrent sans aucune concession, ce qui reflète bien ses positions générales en matière religieuse. Son opposition, associée aux tendances traditionalistes dans l’ensemble du pays, explique peut-être en partie le bien maigre écho que rencontra le Judaïsme Réformé en Angleterre au XIXème siècle, pour ne pas dire jusqu’à aujourd’hui.

En 1817, puis en 1838, et aussi à d’autres occasions, Montefiore et son épouse, toujours fidèle compagne et soutien dans tout ce qu’il entreprenait, se rendirent en Palestine, ce qui, à l’époque, constituait encore une petite aventure non dénuée de dangers. Il n’entreprit pas ce voyage avec l’état d’esprit du touriste anglais du XIXème siècle, mais plutôt avec celui du pèlerin juif italien du XVIIIème siècle qui se rendait à Jérusalem pour prier au Temple et sur les tombeaux des Patriarches. Ces voyages furent des épisodes déterminants dans sa carrière : ils lui permirent d’élargir sa perception hors des limites de l’Europe et vers des contrées que peu de Juifs européens occidentalisés de l’époque connaissaient intimement.

[Entrée dans la vie publique]

Peu après la première visite de Montefiore en Palestine en 1828-1829, l’émancipation des Catholiques et la levée des restrictions imposées aux non-conformistes modifièrent la position des Juifs en Angleterre. Auparavant, comme nous l’avons vu, ils étaient soumis aux mêmes restrictions que les autres « dissidents » de l’Église anglicane du pays ; à présent, ils devenaient la seule minorité religieuse – importante en nombre – interdite de tous droits politiques, ou presque. Un mouvement se dessina alors en faveur de l’émancipation des Juifs ; la Chambre des Communes avait approuvé en 1833 une loi qui accordait aux Juifs la totalité des droits politiques, mais une Chambre des Lords réactionnaire mit un coup d’arrêt à cette loi durant toute une génération. Cependant, pour ce qui concernait les questions civiles, cette opposition était quasi inexistante, ce qui était normal à l’époque de la Révolution Industrielle, quand la figure du marchand-financier représentait l’idéal d’une société éclairée. Un Juif, David Solomons, était déjà parvenu, grâce à son opiniâtreté, à devenir Shérif de la Cité de Londres en 1835. En 1845, en dépit d’une certaine opposition, il devint membre du conseil municipal de la Cité, puis Lord-maire en 1855.

En 1837, Montefiore qui, contrairement à Solomons, n’avait pas d’ambitions politiques démesurées, fut pressenti pour être également nommé Shérif. C’est pourquoi il fut ordonné chevalier – c’était là la routine – lorsque la jeune Reine Victoria se rendit pour la première fois en visite officielle au Guildhall (l’hôtel de ville), juste après son accession au trône. La communauté juive anglaise dans son ensemble considéra à juste titre que cet événement, non seulement rendait honneur à Montefiore, mais marquait aussi symboliquement l’amélioration de son propre statut. Cet anoblissement n’avait cependant pas qu’un caractère pittoresque, même s’il était quasiment sans précédent pour un Juif anglais de l’époque. (Il s’était passé bien plus d’un siècle depuis que le financier Solomon de Medina avait reçu, à titre de faveur, les mêmes honneurs de la part de William III en 1701, et cela ne s’était pas reproduit depuis cette date). Sir Moses Montefiore jouissait à présent, dans le monde du XIXème siècle, d’un statut auquel un simple Monsieur Montefiore n’aurait pu prétendre, et cela allait se révéler extrêmement important dans les années qui suivraient.

[La mission de Damas]

En février 1840, à la suite de la disparition à Damas du Père supérieur du couvent franciscain, qui se trouvait être un citoyen français, les Juifs de la très ancienne communauté de Damas furent accusés de meurtre rituel. Beaucoup de Juifs de la ville furent jetés en prison et violemment torturés, parfois à mort. À cette époque, les communications s’étaient améliorées, la nouvelle se répandit rapidement en Europe et en Amérique et attisa des sentiments anti-juifs en France où beaucoup croyaient que cette fausse accusation de meurtre rituel, qui avait été si souvent réprouvée par des intellectuels, et même condamnée par les papes, était en réalité fondée. L’accusation désignait évidemment le judaïsme, tout comme les individus directement concernés par cette affaire.

À cette époque, Sir Moses occupait le poste de président du Board of Deputies of British Jews, une organisation inter-synagogale née au milieu du XVIIIème siècle et qui, bien qu’inactive jusque-là, avait acquis une relative importance durant les années qui avaient précédé, suite au mouvement en faveur de l’émancipation des Juifs. Fort de ses nombreuses expériences de voyageur en Méditerranée, Montefiore proposa de se rendre au Levant pour voir s’il serait possible d’y intervenir auprès des autorités musulmanes en se faisant le représentant des accusés ; il était accompagné d’Adolphe Crémieux, dirigeant laïque de la communauté juive de France. Montefiore fut aidé dans sa tâche par l’adhésion et le soutien que lui apportèrent les représentants britanniques de toute la Méditerranée orientale qui obéissaient aux instructions de leur gouvernement. Grâce à leur intervention auprès du vice-roi d’Égypte, les deux envoyés juifs obtinrent la libération des Juifs emprisonnés. Ils se rendirent ensuite à Constantinople où le Sultan, fidèle à l’ancienne tradition turque de tolérance, leur accorda un firman, c’est-à-dire un décret royal qui condamnait en termes non équivoques l’accusation de meurtre rituel, et réaffirmait que les Juifs de l’Empire Ottoman bénéficiaient de la protection impériale.

Cette mission, dont l’issue fut entièrement couronnée de succès, constitua un événement marquant dans l’histoire des Juifs d’Europe. C’était la première fois que les Juifs occidentaux avaient pu exercer une véritable pression pour soutenir leurs coreligionnaires persécutés ailleurs. Cela avait pu se faire grâce à leurs organisations constituées et, détail de la plus haute importance, avec le soutien de leurs gouvernements. L’action de Montefiore avait ainsi créé un modèle et un précédent qui serviraient, un siècle plus tard, à l’American Jewish Committee et à d’autres institutions européennes du même type qui poursuivaient les mêmes activités.

La mission de Montefiore au Levant marqua, dans l’histoire juive, le début de l’ère « philanthropique » qui ne trouva d’égale qu’avec la montée du sionisme. Malgré certaines erreurs dans les prises de position et les méthodes, cette idéologie fut à l’origine de succès mémorables, et de remarquables personnalités juives s’en firent les défenseurs. C’était l’époque où les Juifs d’Europe occidentale et d’Amérique considéraient avec une certaine condescendance leurs frères persécutés ailleurs, mais se sacrifiaient au maximum pour les aider. Ils ouvraient leur bourse avec une grande générosité pour leur prodiguer assistance s’ils étaient frappés par une catastrophe. Ils utilisaient les moindres canaux d’influence pour assurer l’intervention, en leur faveur, des gouvernements éclairés. Ils avaient la conviction qu’au bout du compte de tels efforts seraient couronnés de succès et que les Juifs partout au monde finiraient par atteindre le comble du bonheur que connaissaient leurs coreligionnaires sous le règne de Victoria. Leur posture allait largement prévaloir jusqu’à la fin du siècle, quand le choc du sionisme politique de Théodore Herzl ferait vaciller leur arrogance.

[Ambassadeur des Juifs]

De ce jour, et pendant un demi-siècle, jusqu’à la fin de sa vie qui fut extraordinairement longue (il célébra son centième anniversaire avant de mourir, et fut actif pratiquement jusqu’à la fin), Montefiore fut considéré par le monde juif davantage comme une institution que comme une personnalité. Quel que soit le lieu, chaque fois que la situation des Juifs était menacée dans des pays « arriérés », le grand et beau Juif anglais, que la Reine avait eu le grand plaisir d’honorer, se rendait immédiatement sur place, toujours avec le soutien diplomatique et la bienveillance des Britanniques. Ce n’est pas tant ce qui fut accompli que l’esprit dans lequel il tâchait de l’accomplir qui était important. Il arrivait même qu’il mît à profit son expérience exceptionnelle pour venir en aide à des minorités chrétiennes opprimées dans des pays musulmans, comme ce fut le cas, par exemple, en Afrique du Nord.

En 1858, l’émancipation politique des Juifs anglais avait été parachevée, et Lionel de Rothschild avait été cette année-là, le premier Juif à obtenir un siège au Parlement. À présent, Sir Moses était une personnalité honorée, exerçant tous les droits du citoyen d’un pays qui était maintenant le plus respecté et le plus puissant du monde. Malgré le prestige personnel dont il jouissait sur la scène britannique, Montefiore ne craignit jamais de s’identifier, au sens le plus complet du terme, tout à la fois aux traditions religieuses de ses ancêtres et aux souffrances des Juifs à l’étranger – et ce n’était pas en dépit de cela, mais à cause de cela, que le monde entier le respectait et l’admirait. Son prestige en tant que représentant des intérêts humanitaires et non sectaires de la Grande-Bretagne était si grand qu’à son retour de Damas il fut autorisé par la Reine, comme marque de reconnaissance spéciale de la signification humanitaire de sa mission, à ajouter à son blason des animaux héraldiques portant un oriflamme sur lequel était inscrit le mot « Jérusalem » en hébreu.

Blason de la famille Montefiore

Au moment de la naissance de Montefiore, les Juifs anglais étaient peu nombreux, peut-être une dizaine de milliers. Lorsqu’il parvint à l’âge mûr, même avec l’immigration et la croissance naturelle, elle n’atteignait pas plus de 45 000 âmes, contre 250 000 à cette même époque aux États-Unis. Néanmoins, Montefiore, grâce à son dévouement, représenta aux yeux des communautés juives du monde entier et pendant de longues années l’archétype même du défenseur des droits des Juifs.

Pendant tout le XIXème siècle, la condition des Juifs de Russie était demeurée un problème persistant. Ce pays, qui avait annexé la plus grande partie de la Pologne, avait à présent sous sa coupe la grande majorité des Juifs du monde et, en particulier sous le tsar Nicolas Ier, « le Haman russe» (1825-1855), avait la ferme intention de mettre fin à l’existence des Juifs en tant que peuple. Tout un système oppressif de règlements privait les Juifs des droits humains fondamentaux, restreignait leurs possibilités de gagner leur vie, les excluait de vastes territoires de l’empire, et allait jusqu’à supprimer nombre de leurs institutions traditionnelles.

Le succès de la mission de Damas donna aux dirigeants juifs l’espoir qu’une opération du même genre, qui se conclurait par un même résultat positif, puisse être tentée en Russie. Et notre chevalier anglo-juif bien aguerri était l’homme tout désigné pour s’atteler à cette tâche. À plusieurs reprises, des délégations de Juifs russes supplièrent Montefiore d’intervenir. La situation atteignit son paroxysme en 1846, alors qu’un ordre d’expulser tous les Juifs de la zone frontière qui bordait l’Allemagne et l’Autriche était sur le point d’être exécuté. Il fallait agir, et agir vite.

[Il faut aider les Juifs de Russie]

À la fin du rude hiver d’Europe orientale, Montefiore se rendit en Russie, accompagné de son épouse. Comme toujours, il avait dans sa besace les recommandations diplomatiques nécessaires et le soutien absolu des représentants diplomatiques britanniques sur tout le territoire. Partout où il passait, les Juifs l’acclamaient comme s’il avait été un souverain, et il soulevait en chemin un enthousiasme populaire sans précédent. N’était-il pas le Mardochée d’aujourd’hui, le Juif que les rois se plaisaient à honorer et qui, même reçu à leur cour, restait inconditionnellement fidèle à ses traditions juives ? De même, dans toutes les assemblées, le noble gentleman anglais provoquait une impression des plus favorables.

Le Triomphe de Mardochée/gravure de Rembrandt /Circa 1641)/ Rijksmuseum Amsterdam.

Le redoutable tsar lui accorda une audience ; il s’entretint avec le ministre chargé des affaires juives, ainsi qu’avec d’autres membres influents du gouvernement. Et, en retour, il obtint toutes les autorisations officielles pour se rendre dans la Zone de résidence – ces fameux territoires que la loi, depuis très longtemps, assignait aux Juifs – afin d’y observer leurs conditions de vie. Il fut invité à écrire un compte-rendu avec ses propres recommandations destinées à améliorer la condition et le statut de la communauté juive de Russie.

Montefiore s’acquitta de la tâche avec la précision et l’attention aux détails qui le caractérisaient, mais aussi avec le respect de l’autorité. Les résultats apparents à l’époque semblaient très prometteurs. Le fameux ordre d’expulsion tant redouté fut abrogé, et les Juifs des régions frontalières furent autorisés à rester dans leurs foyers. Pendant une courte période, ce fut presque comme si un esprit bienveillant soufflait sur les milieux gouvernementaux russes. Il est vrai qu’après leur rencontre avec le fier gentleman, juif et anglais, il leur était difficile d’affirmer que les Juifs constituaient, pour leur nation, un groupe parasite et inassimilable.

Sur le chemin du retour, traversant l’Allemagne, Montefiore fut accueilli avec enthousiasme par les communautés juives. Peu de temps après son retour en Angleterre, la reine l’éleva au rang héréditaire de baronnet, « avec l’espoir que cela puisse servir vos efforts incontestablement généreux pour améliorer la condition sociale des Juifs d’autres pays en faisant appel, avec tous les égards, aux dirigeants de ces pays, à leurs sentiments de justice et d’humanité. »

Mais, avec le temps, la mission russe s’avéra avoir donné de faux espoirs. Le tsar Nicolas n’avait aucune intention d’améliorer le sort de ses sujets juifs tant qu’ils resteraient juifs, et il le fit savoir de façon on ne peut plus claire. Ses successeurs suivirent presque toujours son exemple, quoique parfois de façon moins brutale. Et c’est ainsi, alors que Montefiore arrivait au crépuscule de sa vie, que la situation des Juifs russes demeurait encore et toujours un problème crucial pour les Juifs du monde et, pour lui, un souci permanent. Il y eut un répit, malheureusement trop bref, après la mort de Nicolas Ier en 1855, quand son fils, Alexandre II, tenta manifestement d’instituer une ère plus libérale dans son empire et dispensa ses sujets juifs de certaines anciennes obligations particulièrement accablantes. Il ne fait pas de doute qu’il gardait en mémoire l’image de Montefiore, représentant potentiel du type de Juif qui émergerait si on lui accordait l’émancipation.

En 1872, le baronnet, parvenu à présent à son grand âge, retourna à Saint-Pétersbourg – pour, cette fois, apporter à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Pierre le Grand, un message de félicitations de la part du Board of Deputies des Juifs anglais de Londres. Cette fois encore, il fut reçu avec la plus grande courtoisie ; il put comparer la situation avec celle qu’il avait connue lors de sa première visite et, ainsi qu’il le raconta à son retour, il eut l’impression qu’une ère nouvelle se faisait jour dans la vie juive russe pour laquelle il avait œuvré avec tant de dévouement. Mais cette impression se révéla fallacieuse. À la suite de l’assassinat du tsar en mars 1881, le gouvernement russe se lança dans une politique réactionnaire des plus sombres, et dont les Juifs, à nouveau, furent les principales victimes. La vague de massacres qui se déclencha l’année suivante, et qui scella l’entrée du mot « pogrom » dans la langue anglaise, fit tragiquement date dans l’histoire juive. Le patriarche invincible, maintenant âgé de presque cent ans, offrit à nouveau ses services pour se rendre à Saint-Pétersbourg et y servir de médiateur. Il est bien peu probable qu’il eût réussi, mais, jusqu’à ce jour, l’héroïsme du personnage force l’admiration.

Entre temps, en 1867, il avait effectué une mission similaire en Roumanie – avec, en cette occasion, le soutien de toutes les grandes puissances, y compris de la Russie – pour protester contre le traitement inhumain auquel étaient soumis les Juifs de ce petit État nouvellement apparu. Lors de ce voyage, malgré la protection du gouvernement roumain, ses jours furent sérieusement menacés, à Bucarest, par une foule antisémite. Les chefs d’État le traitèrent avec respect, pour ne pas dire avec déférence, firent des vœux pieux en toute hypocrisie, et promirent d’engager des réformes. Mais, en réalité, cette mission fut la moins fructueuse de toutes celles de Montefiore. On ne fit rien et, en dépit des obligations énoncées dans les traités ainsi que des annonces les plus solennelles, la Roumanie allait rester le point sombre sur la carte du monde juif jusqu’à aujourd’hui.

[L’affaire Mortara]

À cette époque, les Juifs du royaume de Sardaigne – territoire qui au cours du XIXème siècle serait intégré au royaume d’Italie – avaient été intégralement émancipés. En revanche, les Juifs de Rome et des États de la Papauté subissaient encore les restrictions vexatoires et les humiliations qui avaient été imposées par le pape au moment de la Contre-Réforme au XVIème siècle. Leur plus grand cauchemar était la menace des conversions forcées. Bien que les papes aient toujours condamné le baptême imposé de force, tout enfant juif sur lequel l’Eglise pouvait démontrer la moindre autorité, pour une raison ou pour une autre, souvent les raisons les plus obscures, était susceptible d’être soustrait de force à son foyer et à sa famille pour être élevé en chrétien.

Image extraite du film de Marco Bellochio, L’enlèvement in L’hebdomadaire La vie

Un jour, à Bologne, en 1852, une nourrice sans instruction employée par une famille juive nommée Mortara, craignant que le bébé d’un an, Edgardo, dont elle avait la charge, ne soit sur le point de mourir, pratiqua sur lui, avec de l’eau non bénite, un semblant de cérémonie de baptême, ceci afin de sauver son âme. Six ans plus tard, elle en parla à son confesseur qui lui ordonna d’informer les autorités. Il s’ensuivit qu’une escouade de gardes papaux fut envoyée chez les Mortara pour se saisir de l’enfant. Celui-ci fut enlevé, conduit à Rome pour y être élevé dans la foi catholique et mis soigneusement à l’abri de toute influence familiale. À travers toute l’Europe se développa une réaction horrifiée qui, de loin, n’affecta pas que les Juifs, et rencontra des échos surprenants jusqu’en Amérique. À Paris, où les esprits étaient échauffés, l’épisode fournit la preuve de l’incompétence des organisations juives devant un événement qui exigeait une réaction urgente. C’est ainsi que fut créée l’Alliance Israélite Universelle (qui continue à ce jour d’effectuer un travail remarquable) sous les auspices d’Adolphe Crémieux, ancien collègue de Montefiore. Plus tard, elle allait servir en Allemagne de modèle à la Hilfverein der Deutschen Juden , aujourd’hui disparue et, en Angleterre, à l’Anglo-Jewish Association, toujours solidement établie.

Dans l’affaire Mortara, Montefiore agit comme il en avait l’habitude quand il y avait urgence. Il fit le voyage à Rome, muni de lettres d’introduction destinées aux figures les plus influentes et, comme d’habitude, bénéficia, lors de son voyage, d’expressions de soutien de la part des représentants de la diplomatie britannique. Cette fois, pourtant, il n’obtint rien. Contrairement à d’autres situations du passé, il s’agissait là d’un problème très particulier qu’on ne pouvait traiter par de vagues serments, par des marques de sympathie ou des promesses d’améliorations futures. Et, sur la question essentielle, les autorités papales restaient inflexibles : Edgardo Mortara poursuivit son éducation catholique, puis devint prêtre et enfin missionnaire.

Cependant, malgré cet échec, Montefiore occupait indubitablement dans le monde juif la place de représentant reconnu chaque fois qu’il y avait des tensions et chaque fois que des injustices contre les Juifs étaient commises, où que ce soit dans le monde. Il rencontra davantage de succès quelques années plus tard, en 1863, quand apparut un problème concernant un État musulman, le Maroc, où, à cette époque, l’influence des grandes puissances ne réussissait pas à s’imposer. Il pouvait donc s’appuyer sur des arguments exclusivement humanitaires. En cette occasion, sa mission ne s’exerçait pas seulement en faveur des Juifs opprimés. Ceux-ci, non seulement avaient été de longue date l’objet de toutes sortes d’interdictions humiliantes datant du Moyen-Âge, mais étaient aussi la cible de malversations administratives et également, à présent, d’accusations infondées qui auraient fort bien pu provoquer des persécutions massives. Quant à la population chrétienne autochtone, elle bénéficiait d’un traitement à peine plus favorable. Le sultan reçut Montefiore avec une munificence barbaresque. Cette visite fit manifestement grande impression dans le monde, et le consul américain jugea même qu’elle avait été suffisamment marquante pour mériter un rapport circonstancié à son gouvernement.

En 1872, âgé de 88 ans, Montefiore voulut se rendre en Perse, où la condition des Juifs, qui avait toujours été misérable, l’était devenue plus encore à la suite des famines et des troubles populaires. Et à nouveau, en 1877, pendant la guerre russo-turque, ce fut avec difficulté qu’on dissuada Sir Moses de faire route vers le cœur du conflit dans les Balkans, où il comptait que sa présence pourrait favoriser l’envoi d’aide auprès des civils en souffrance, en l’occurrence pour la plupart non-juifs.

[Vers la Palestine]

Pour Montefiore, la Palestine constituait un élément inhérent à la vie juive, une partie intégrante et naturelle de l’expérience d’un Juif, et il y fit en tout sept voyages. Lors du premier, il devait y avoir à peine en Palestine quelques dizaines de milliers de Juifs, dont la plupart vivaient dans les « villes saintes » – Jérusalem, Safed, Tibériade et Hébron. Tous étaient très pieux, mais on ne leur connaissait aucun moyen de subsistance et toute leur existence dépendait de la charité de leurs frères à l’étranger. Comme nous l’avons vu, la première visite de Montefiore s’était faite dans l’esprit d’un pèlerinage médiéval, mais, plus tard, il fut obsédé par l’idée de redonner vie au pays et à ses communautés juives. Contrairement à d’autres, il n’était pas seulement mû par un sentiment de charité. Ce Juif inconditionnel avait la vision de l’accomplissement du rêve messianique et du renouveau d’une communauté politique juive sur le sol ancestral. « Je n’attends pas, écrivait-il, des Israélites qu’ils quittent tous leur foyer dans les pays où ils vivent heureux, tout comme des Anglais vivent en Hongrie, en Allemagne, en Amérique ou au Japon. Mais la Palestine doit appartenir aux Juifs, et Jérusalem doit devenir le siège de l’Empire juif ».

Moulin de Montefiore/Jérusalem

Cependant, Montefiore ne pensait pas cette renaissance en termes exclusivement messianiques, car, malgré sa grande piété, il faisait preuve d’un esprit rigoureusement pratique. « Commencez par construire des maisons à Jérusalem », insistait-il. Quant à ses préoccupations, elles étaient loin d’être purement théoriques. Déjà, en 1838, à l’occasion de sa deuxième visite, il avait présenté à Méhémet Ali, gouverneur d’Égypte à cette époque, un plan détaillé pour l’installation de colonies agricoles juives, plan bien en avance sur son temps, car il associait solide organisation et idéalisme religieux. Peu de temps après, une modification des règlements rendit le projet irréalisable, malgré la très sérieuse attention qui y avait été portée. Néanmoins, jusqu’à la toute fin de sa vie, l’enthousiasme de Montefiore pour cette idée ne faiblit jamais, et il réussit à la mettre en pratique pour une large part. Au cours de chacun de ses séjours en Palestine, et jusqu’à un âge très avancé, il agissait pour faire progresser de nouvelles entreprises agricoles et industrielles afin d’améliorer le statut économique et moral du Yichouv, ou pour faire progresser les conditions du pays dans son ensemble. Certaines de ses réussites furent remarquables : il aida les Juifs pieux à quitter des villes surpeuplées pour s’installer à la campagne, il envoya des jeunes gens se former dans des usines textiles anglaises dans l’espoir qu’ils rapporteraient leur savoir-faire en Terre Sainte, il essaya d’améliorer l’approvisionnement en eau de Jérusalem, il incita la population juive trop dense de Jérusalem à construire de nouveaux quartiers hors des murs de la cité (créant ainsi le cœur de ce qui est actuellement la capitale de l’État d’Israël), et il apporta des améliorations, pour ceux qui comme lui allaient si souvent y prier, au site du mur occidental du Temple, le Mur des Lamentations.

Que ce soit en Angleterre, ou dans toute l’Europe, Montefiore occupait une place centrale dans diverses organisations qui se consacraient à améliorer le sort des Juifs de Palestine, et plus d’une fois il essaya, en vain, de faire pression sur le Board of Deputies à Londres, une instance plutôt apathique, pour que soient entreprises des actions cohérentes et pratiques. Quand le philanthrope américain de la Nouvelle Orléans, Judah Touro, mourut en 1854, il avait, très logiquement dans son testament, désigné Montefiore, qu’il n’avait pourtant jamais rencontré, pour administrer les sommes considérables qu’il donnait pour le développement de la vie juive en Terre Sainte.

Portrait de Judah Touro (1775-1854)

Et, en effet, la quatrième visite de Montefiore en Palestine, en 1855, fut essentiellement consacrée à décider de l’utilisation de l’héritage de Touro.

Sir Moses s’inscrivait ainsi dans la tradition de Joseph Nasi, duc de Naxos, qui très tôt, dès le XVIème siècle, avait tenté l’expérience de créer à Tibériade et dans ses alentours une colonie juive auto-suffisante. Dans le même temps, Montefiore traçait également la route pour Théodore Herzl, le fondateur du sionisme politique dans son sens moderne. Il fut, en outre, le père du Yichouv agricole, un des instruments les plus importants dans la recréation d’un État juif en Palestine de nos jours. À l’âge de quatre-vingt-dix ans, le vieux baronnet, lors de sa dernière visite dans ce pays, écrivit dans son journal : « Attelez-vous immédiatement à cette tâche sacrée, et Celui qui chérit Sion rendra tangible le fruit du travail de vos mains ».

[Le philanthrope]

Dans le domaine privé, Montefiore parvint avec un certain succès à concilier la vie d’un Juif traditionnaliste avec celle d’un gentilhomme anglais campagnard. Il avait acquis une grande demeure sur un vaste domaine à la périphérie de Ramsgate, une ville du bord de mer située dans le Kent, assez proche de Londres. Comme tout membre de la noblesse, il y recevait ses voisins et sa famille, parfois de manière somptueuse. La petite princesse Victoria eut l’occasion de visiter le domaine avant de devenir reine en 1837, et elle garda longtemps le souvenir de cette grande gentillesse. En 1846, Montefiore fut nommé High Sheriff du comté de Kent, un honneur réservé aux gentilhommes campagnards les plus estimés.

Le carrosse de Montefiore (réplique)/Source Wikipedia

En 1833, en souvenir de la visite mémorable qu’il avait effectuée en Terre Sainte pour la première fois, il avait fait construire près de son manoir une petite synagogue pour les occupants de sa maison et les quelques Juifs du voisinage. C’est l’un de ses employés, en réalité son aumônier privé, qui y dirigeait les offices selon la tradition sépharade dans laquelle Montefiore avait grandi, et quand le baronnet se fit trop vieux pour s’y rendre à pied, c’est en chaise à porteurs, une des dernières en usage en Angleterre, qu’on l’y amenait.

Toute la population de Ramsgate et du Kent portait à Montefiore une très grande affection, et le jour de son centième anniversaire fut célébré comme une fête chômée, et il en fut ainsi dans les communautés juives de par le monde.

Synagogue Montefiore/Ramsgate dans le Kent

Ses actes de bienfaisance n’étaient certes régis par aucune méthode, mais ils n’en étaient pas moins d’une grande largesse. Il rapporte qu’en une seule soirée il avait examiné les demandes d’aide de soixante veuves. Le Chabat, il avait sur lui des bons de nourriture pour ne pas avoir à porter d’argent. Lors de ses derniers voyages, il se faisait accompagner de son cho’hète personnel (boucher et abatteur rituel) afin d’avoir en tout lieu une provision de nourriture autorisée par la religion. Montefiore entretenait, en Europe orientale, un scribe occupé à plein temps à écrire un rouleau de la Torah – il en écrivait un par an – dont il faisait don aux communautés juives, proches ou lointaines, auxquelles il apportait son soutien financier.

Sir Moses savait lire l’hébreu de son livre de prières et des passages liturgiques de la Bible, mais, semble-t-il, guère plus. Et il nous faut admettre que, dans ce domaine, il incarnait bien l’ignorance des communautés juives du monde anglophone des deux côtés de l’Atlantique, que ce soit à son époque ou à la nôtre.

En revanche, Sir Moses montrait pour les études juives le penchant favorable typique du vieux Juif italien. Il prit comme secrétaire un orientaliste de renom, Louis Loewe, qui l’accompagnait dans ses voyages, lui servait d’interprète quand il le fallait, et prenait en charge le courrier en hébreu, toujours plus abondant, qu’il recevait de tous les coins du monde. Bien souvent, le patriarche ajoutait sa signature au bas des lettres écrites en son nom, de cette écriture hébraïque majuscule de plus en plus maladroite avec laquelle il rédigea aussi son testament. Il prêta aussi son nom prestigieux à des sociétés savantes juives, comme la Mekitze Nirdamime, célèbre à l’époque, qui publierait et distribuerait nombre de textes hébraïques qui n’avaient jamais été publiés jusqu’alors.

À la mémoire de son épouse Judith, morte en 1866, Montefiore instaura près de sa demeure à Ramsgate une yeshiva d’obédience sépharade ou italienne, un établissement bien entretenu où les résidents pouvaient en permanence étudier la tradition religieuse juive. Cette institution, qui existe toujours à Ramsgate, s’est modernisée et a changé plusieurs fois de destination. Récemment, elle est devenue un établissement de formation pour des jeunes venus d’Afrique du Nord qui se destinent au rabbinat, pour certains en Israël, une aspiration qui aurait sans aucun doute réjoui le cœur de son pieux fondateur.

[L’héritage]

Au cours de sa très longue vie, Sir Moses Montefiore devint une institution. Ce n’était pas un Juif craintif, mais un Juif au cœur généreux et charitable, auquel importaient toutes les adversités auxquelles faisaient face ses frères du monde entier. Ce qu’il accomplit, après ses premiers succès éclatants au Levant en 1840, ne fut peut-être pas de la même importance en termes politiques. Mais son esprit resta pour toujours un exemple et une institution. Preuve en est le fait que son nom fut si souvent utilisé pour des institutions juives partout, de son vivant et longtemps après sa mort.

Mausolée Monrefiore à l’imitation de la tombe de la matriarche Rachel/Ramsgate dans le Kent

Montefiore joua un rôle incontesté dans la vie publique britannique, mais, en même temps, cela était bien connu, il demeura totalement fidèle à ses pratiques religieuses. Les Juifs du monde entier, où qu’ils fussent, quelles que fussent leurs orientations religieuses, étaient ses frères. Ses origines, tout comme sa vie et ce qu’il accomplit, sont le symbole d’une unité qui transcende les différences entre l’Est et l’Ouest, entre Sépharades et Ashkénazes.

Les Juifs anglais étaient parvenus à l’émancipation, mais, selon Montefiore, ce privilège ne devait pas leur être réservé. Il avait la conviction qu’il était du devoir d’un Juif émancipé d’œuvrer en faveur de celui qui ne l’était pas, où qu’il fût, et de faire de sa propre émancipation un outil pour lutter de façon plus efficace dans ce sens. En outre, la Palestine et la renaissance de celle-ci constituaient pour lui un idéal concret, qui avait peu à voir avec une espérance religieuse ou une charité de convention, mais devait être traduit et réinterprété à la lumière de ce qu’avait apporté le XIXème siècle.

Le vieil esprit juif de compassion, la  רחמנות /ra ‘hmanoute qui, jadis, ne s’appliquait qu’à un territoire restreint, s’étendait à présent, dans la conjoncture du XIXème siècle, au monde entier. Le beau visage encadré de favoris de Sir Moses Montefiore reste le symbole de cet idéal et de l’esprit généreux et ardent, empreint de sacrifice de soi, qui l’inspira.