Le Talmud

ou
L’Enseignement

par Ernest Gugenheim

Article mis en ligne et à la libre disposition de chacun par les bons soins de la Bibliothèque Numérique de l’Alliance Israélite Universelle ; il a été publié initialement dans la revue Évidences n°14, Novembre 1950, p.39-43. La présentation, les sous-titres, les illustrations ainsi que divers liens ont été ajoutés par Sifriaténou.

PRÉSENTATION
Le Grand Rabbin Ernst Gugenheim présente le Talmud dans la revue Évidences (Numéro 14, Novembre 1950). Cet article n’est pas destiné à des spécialistes ou des experts en études juives mais s’adresse à un public intéressé par le devenir du judaïsme au sortir de la Seconde Guerre Mondiale ; il écrit pour des lecteurs cultivés, exigeants intellectuellement sans doute mais aussi passablement ignorants de ce qu’est la réalité du Talmud. Il présente avec une pédagogie douce et une science sûre – mais aussi avec une certaine verve et une indéniable ferveur – ce « livre » (dont il souligne qu’il n’est pas vraiment un livre…) et qui, à ses yeux, est l’élément nourricier du peuple juif, le garant de sa pérennité.
Si ce texte d’introduction ou d’initiation a sa nécessité, c’est que les Juifs, citoyens des nations modernes ont, dans l’ensemble, déserté – et ce, bien avant la Shoah – la loi Orale. Le Rabbin Gugenheim déplore cet abandon sans se faire accusateur. Sans non plus chercher à flatter ou à aguicher, il se borne à rappeler que la science talmudique ne s’acquiert qu’à force de travail et que la jouissance qu’on en a est proportionnelle à cet effort. Un Rabbin est d’abord – et essentiellement – un enseignant qui ouvre les Portes de la Loi.

TEXTE

C’est le Talmud qui a fait Israël. C’est lui qui a permis au judaïsme de se maintenir, hors de son pays, sur toute la surface de la terre. Mais, en même temps, rien, au cours des âges, n’a été livré davantage à la calomnie, aux outrages, à tout ce que l’ignorance et la méchanceté ont pu inventer. Objet d’injures ou de vénération, c’est grâce à lui qu’Israël a pu surmonter les persécutions et les souffrances qui ont fait la trame de sa vie dans ses deux mille ans d’exil, et résister aux sollicitations des peuples environnants. Bien plus qu’un simple code de religion ou de juridiction, bien plus qu’un recueil de sentences morales, souvent incomparables, ou de science profonde, le Talmud était pour les Juifs un véritable monde dans lequel ils pouvaient se réfugier et vivre, comme une patrie spirituelle.

Talmud de Babylone

Un je ne sais-quoi de péjoratif

Les études scientifiques, objectives et sereines du siècle dernier ont cependant permis, jusqu’à un certain point, de réhabiliter cette œuvre, à la fois si connue et si méconnue, de l’esprit juif, « un des plus bizarres et des plus stupéfiants produits du génie humain ». Il n’est vraisemblablement plus d’homme cultivé qui, à l’heure actuelle, comme tel moine du Moyen-âge, introduirait une citation par les mots : « ut narrat rabbinus Talmud »/comme le dit le Rabbin Talmud. Et pourtant infiniment nombreux sont ceux pour qui ce nom évoque je ne sais quoi de vague, de mystérieux, mais surtout de péjoratif, sous l’impression que leur ont laissée des ouvrages consacrés moins à le faire connaître qu’à le dénigrer.

Une « chose du passé »?

Mais il est un fait bien plus troublant : c’est que si le Talmud a été étudié et vécu pratiquement par le peuple tout entier pendant des siècles, si le judaïsme a existé et subsiste grâce à lui, car « le judaïsme vivait par sa culture et c’est par elle qu’il se définissait toujours » (…), il n’en est plus de même aujourd’hui. Les Juifs modernes ont rejeté leurs traditions ancestrales. L’horizon du Talmud, pourtant immense, leur paraissait trop borné, étriqué. Ainsi l’étude du Talmud est devenue l’apanage d’une élite qui lui consacre sa vie ou d’un cercle légèrement plus étendu, mais très restreint cependant, qui lui voue quelques moments de son existence. De sorte qu’on est sérieusement tenté de se demander, parfois, si son rôle n’est pas terminé, si la vie qu’il pouvait insuffler n’est pas près de s’épuiser, s’il peut avoir tout au plus un intérêt littéraire, documentaire ou historique.

C’est parce que nous ne croyons pas que le Talmud a fait son temps, mais que nous sommes persuadés, au contraire, qu’il contient encore des trésors spirituels, une force indéfiniment renouvelée, capable d’inspirer, de vivifier l’âme juive, de la développer dans le présent et de la conserver dans l’avenir, que nous pensons qu’il n’est pas indifférent, une fois de plus, de faire le point. « Une œuvre n’a de vitalité dans le temps que si elle se formule dans la terminologie de ce temps ». Ce que le judaïsme peut apporter d’essentiel au monde, il en trouvera toujours la source et l’aliment dans les monuments importants de sa culture, Bible et Talmud l’un ne va pas sans l’autre. Cette culture l’a maintenu en son unité ; par conséquent « soustraire le Talmud au trésor humain, c’est lui soustraire un de ses joyaux, et non le moins précieux ».

Étude du Talmud dans la synagogue de Sanaa/Photo d’Hermann-Burchardt/1907

Ce qu’est vraiment le Talmud

Il n’est pas dans notre propos de donner une description détaillée du Talmud, de son histoire, de la littérature talmudique. Il existe suffisamment d’ouvrages auxquels le lecteur peut se référer. Nous en esquisserons à peine une ébauche ; mais il nous semble intéressant au premier chef de dire ce que cette œuvre est réellement dans ses profondeurs et montrer par là-même comment le peuple juif a été formé par elle et le sera toujours, car il lui est lié intimement par toutes ses fibres.

Le Talmud commence avec … Moïse

Le personnage caractéristique de la période du premier Temple est le Prophète et son œuvre la Bible : celui du deuxième Temple est le Rabbi, le Sage, et son monument littéraire le Talmud. « Du jour où fut détruit le Temple, la Prophétie fut, enlevée aux Prophètes et donnée aux Sages ». L’histoire du Talmud, pour autant, ne commence pas avec Ezra, mais avec Moïse, non pas après la Captivité de Babylone, mais au Mont Sinaï. Par la chaîne des Prophètes, les Maîtres du Talmud s’assoient sur le Trône de Moïse.

Une profonde angoisse s’empara d’Israël le jour où sa Bible fut traduite en langue étrangère : le Livre d’Israël était devenu celui de l’Humanité. Son trésor propre ne lui appartenait plus : qui l’empêcherait désormais de se fondre au milieu des Nations ?

Veiller sur la Loi orale

Avec un zèle jaloux, Israël veilla dès lors sur la Loi orale. N’est-ce pas par la parole que la Torah avait été donnée ? Si une partie en avait été consignée par écrit, la plus grande en était toujours restée orale. Transmise de bouche en bouche, de maître à élève, elle était commentaire et explication, conservation et développement, elle était la clef de L’Écrit. Interdiction absolue de la transcrire. Toute oreille même ne fut pas jugée digne d’être dépositaire des mystères de la Torah.

Mais la main du Romain s’abat sur la Judée ; la Terre Sainte est dévastée et brûlé le Temple. Les Maîtres d’Israël, porteurs de sa Loi, assurent, au prix de leur vie, la continuité de la Tradition : dans les cavernes, ils prodiguent leur enseignement ; dans des retraites cachées, ils ordonnent les meilleurs de leurs disciples. Cependant la Tradition vivante, malgré tous ces efforts, semble condamnée à disparaître. Alors se lève Rabbi Juda le Saint, prince en Israël, grand, même à Rome : « Mieux vaut transgresser un ordre de la Torah, lorsqu’il s’agit de préserver toute la Torah de l’oubli ». Les traditions orales sont recueillies et classées, les noms des Maîtres soigneusement notés, les divergences d’opinions fidèlement conservées. En six sections, en six Ordres, toute la Loi orale est codifiée. Elle embrasse l’ensemble de l’activité humaine, les devoirs qui lient l’homme à son Créateur, encadrent ceux qui la contraignent envers son semblable : aucun domaine de la vie ne saurait être étranger à la Loi de vie. Ainsi naît au deuxième siècle la Michna, « l’Enseignement » par récitation répétée, ou encore « la deuxième Loi », à côté de la Torah, la première.

Une source jaillissante

Mais déjà de nouvelles discussions s’élèvent. En Judée, en Galilée, en Perse et en Babylonie, des écoles se créent, des maîtres se forment et groupent autour d’eux de nombreux disciples. C’est le devoir et le privilège de tout homme, du plus élevé au plus humble de s’adonner passionnément à l’étude et à la méditation de la loi divine. Des problèmes nouveaux se posent : à la lumière de la Michna ou des compilations indépendantes qui avaient un peu moins d’autorité – comme la Tosephta, ou les Beraïtote – parce qu’elles n’avaient pas eu la sanction du Maître, ils sont examinés et reçoivent de nouvelles solutions. Des questions sont soulevées et toutes les connaissances traditionnelles qui s’étaient accumulées deviennent matière d’étude et de controverse. C’est la Guemara, complément de la Michna. C’est la pensée juive en perpétuel devenir, une source jaillissante, toujours prête à se creuser d’autres voies.

Les années passent et les siècles, la science amassée devient immense.

Mais une fois de plus, les persécutions fondent sur les demeures d’Israël et sa force s’amoindrit. Si l’on ne veut pas que ce vaste savoir se perde, il faut se résigner à le confier à l’écriture. Les Écoles de Palestine sont atteintes les premières. Déjà au troisième siècle, Rabbi Yo’hanane jette les fondements écrits de ce qui sera le Talmud de Jérusalem. Deux cents ans plus tard environ, Rab Achi fait de même en Babylonie. Par deux fois, il parcourt la Michna tout entière, avec ses commentaires et les traditions qui s’y rapportent. Les générations suivantes continuent son œuvre, y introduisent quelques additions ; ainsi se crée ce livre prestigieux, réunissant Michna et Guemara, nommé le Talmud de Babylone.

La première page du Talmud

Le Talmud n’est pas un livre

En réalité, le mot est faux : le Talmud n’est pas vraiment un livre. Un livre a un début et une fin ; le Talmud n’a point de commencement et n’a point de fin. Il n’y a jamais eu une clôture du Talmud, jamais un point final n’y fut apposé, Il est comme un océan, que le regard ne saurait embrasser d’un coup, encore moins dominer. Un livre a un plan. Ici, au, contraire, l’absence de système accroche, frappe : tout y est étrange, la forme et le contenu, la langue et la méthode. Rédaction, transcription, sans doute, mais dont 1a lettre garde la fraîcheur de la parole vivante. « Talmud veut dire enseignement, c’est-tout-dire : enseignement vivant, vigoureux, vivifiant, qui rend actives toutes les puissances de l’âme, les excite, les presse, afin qu’elles s’élèvent, se développent, s’éprouvent, et se conservent » in Jellinek. Le lecteur est transporté véritablement dans les Écoles, il participe aux joutes oratoires des Maîtres et se sent littéralement associé à eux dans la création de la Halakha, de la loi.

Aggada, Halakha

Son contenu : HalakhaHaggada, intimement mêlées. La Halakha – voie à suivre, règle de vie -, partie législative du Talmud, est l’expression de la Volonté divine prescrivant à Israël comment agir à chaque moment de son existence, comment réaliser ses exigences. Depuis toujours, Israël sait que l’idéal qui ne s’incarnait pas dans l’action ne grave pas son sceau dans la vie de l’homme et ne pénètre pas sa chair et son sang. Le sentiment qui n’a point le ferme support de l’acte est une ombre fugitive et n’acquiert de solidité que s’il s’est traduit en geste. Le corps doit participer à la mitsva /commandement religieux. D’où la construction minutieuse de l’échafaudage de la Halakha, par laquelle l’homme implantera Dieu dans sa vie quotidienne.
Mais cette même Halakha ne saurait d’aucune façon être isolée de la Haggada, et du Midrache, qui en est l’âme. Elle est histoire, science, anecdotes, légendes, éthique, bref, tout ce qui n’est pas Halakha ; elle 1’entoure, l’imprègne, l’éclaire. Toutes deux se complètent l’une l’autre, issues de la même source, tendant au même but. « Si tu désires connaître Dieu, étudie la Haggada, mais cette dernière est grande seulement parce qu’elle conduit à la Halakha ». Une dialectique acérée, une discussion des plus acharnées et des plus abstruses s’épanouissent soudain dans la féerie d’une légende, d’une poésie exquise ou une imagination fantastique.

Pour rendre compte de la vie qui y tressaille, il faudrait sans nul doute en traduire une page : Mais comment traduire sans déformer ni défigurer ? On ne peut traduire littéralement la vie. Et d’ailleurs c’est dans sa langue que le Talmud demande à être connu. La culture juive, veut qu’on n’épargne ni peine ni efforts pour l’acquérir. La connaissance du judaïsme est assez ardue, et les voies qui y mènent sont semées d’obstacles. Mais la difficulté même de cette conquête lui confère une part de son originalité, de sa beauté.

Faire entendre la voix du Sinaï

Si une œuvre est immortelle par l’influence qu’elle exerce sur les générations, si sa pérennité est due à l’intérêt historique et littéraire qu’elle présente et plus encore aux valeurs morales et religieuses qu’elle exprime, le Talmud incontestablement a une place de choix dans de telles œuvres. Il a servi de nourriture spirituelle presque exclusive au judaïsme en exil ; réalité plus vraie pour ses adeptes que la nature et les hommes qui les entouraient, que les événements qui les éprouvaient. École de foi d’amour de Dieu, mais aussi d’esprit critique, il l’a préservé de l’engourdissement, il a animé son imagination et son cœur formé son caractère. Il a marqué de son empreinte sa réflexion, les démarches de sa logique, sa mentalité. Ceux mêmes d’entre ses fils qui se sont détachés de sa pensée religieuse en sont souvent encore les témoins. C’est assez dire son importance, car si la langue d’un peuple est l’habit dont son âme se revêt, sa manière de penser est l’expression de son essence.

Il nous découvre huit siècles de l’existence du peuple juif, reflétée dans ses lettres et ses mots. Vie de tous les jours, dans les villes et les villages, celle des commerçants et des cultivateurs, des artisans et des hommes d’affaires. Voici les étudiants qui pendant la journée gagnent leur vie comme ouvriers agricoles et consacrent les heures de la nuit à l’étude de la Torah. Deux fois par an, ils se réunissent par milliers autour de leurs maîtres. Souvent ces derniers, humbles artisans, se dévouent à leur sacerdoce au prix des plus grandes privations matérielles. Leur génie, leur foi et leur modestie sont édifiants. Dans le Talmud nous découvrons la joie exubérante, qui animait, les jours de fête, les rues de Jérusalem, pleines d’un peuple en liesse. Et soudain cette joie fait place au silence lourd qui recouvre les ruines de la Ville sainte et les décombres du Temple où le Romain a porté le tison en flammes après une lutte sans merci. Ainsi, mœurs et luttes, toute une vie riche et colorée, un monde multiple et changeant tour à tour s’y révèlent.

Document unique, si nous songeons à l’œuvre littéraire. Sans doute, ses auteurs n’ont jamais songé à « faire de l’art » et pourtant, à chaque pas, des beautés nous arrêtent. Tous les genres s’y rencontrent et s’y mêlent. La sécheresse du cours de Droit est tempérée par la poésie du Midrache. Le pathétique y côtoie la comédie et la fine ironie. Louanges sans cesse répétées de la Torah, de sa perfection absolue, prières qui sont des chefs-d’œuvre dans leur sobriété. Dialogues parfois touchants, parfois poignants, entre Dieu et Israël : sentences frappantes dans leur concision lapidaire.

Le Talmud descend en ligne droite de la Bible, les Rabbins sont les héritiers directs des Prophètes : les richesses morales et religieuses qui constituent l’enseignement prophétique se retrouveront ici. Avec cette différence que les Rabbins ont élargi et approfondi les paroles des Prophètes, que ce qui n’était que simple indication est repris par eux et simplifié à l’infini. Si, en définitive, la Torah culmine dans l’amour de Dieu et du prochain, ce sera, là aussi, le commencement et la fin du Talmud. La lecture du Chema, l’acceptation du joug divin ouvre son étude, et son dernier mot sera une « bénédiction de paix », afin de montrer que là réside le bien, le but suprême auquel doit tendre l’homme: paix avec Dieu, paix avec tous les hommes pour l’amour et la justice.

Tout cela suffirait déjà à expliquer non seulement l’action du Talmud dans le passé, mais aussi ce qu’il peut représenter aujourd’hui et demain de « valeurs permanentes ». Pourtant ceux pour qui cette étude n’est pas lettre morte et qui lui reconnaissent une saveur spéciale, unique, y recherchent bien davantage. Cette saveur n’est nullement, comme on a essayé de le dire, l’ivresse que peut procurer une dialectique poussée jusqu’à ses plus hauts sommets : le Talmud n’est ni un livre de lois, ni un livre de science, ni un manuel de logique formelle. C’est le moyen pour Israël de faire entendre la Voix qui a retenti au Sinaï, c’est la poursuite incessante de cette première Parole.

En d’autres termes, le Talmud est foncièrement la suite de la Bible ; le même problème se pose dans l’une et l’autre, celui de la Révélation, de l’Inspiration, le problème de l’interférence du divin et de l’humain. Il faut noter cependant une différence d’une importance extrême : la Bible est la trace récrite de cette révélation, l’écrit peut sans crainte, sans risque de se perdre, d’être relégué dans un coin – scripta manent, verba volant/les écrits restent, les paroles s’envolent – mais la parole exige une vigilance constante, un renouvellement journalier. Sinon elle s’oublie, se dissipe et disparaît : elle est vivante ou elle n’est pas. Or cette garde perpétuelle, par son étude quotidienne, le peuple d’Israël, porteur par là-même de la Parole divine, la lui assura. En retour, la parole ne cessa jamais d’insuffler une vie nouvelle à son dépositaire.

Le miracle fut que, malgré cristallisation écrite, le Talmud resta Loi orale : seule la parole est capable d’y faire pénétrer le souffle vivant. Il lui fallait conserver cette spécificité : restant ainsi éminemment souple, mouvante, la loi fut apte à englober les aspects toujours changeants d’une nature constamment en évolution. Grâce à cette loi orale, la Torah écrite ne se pétrifia jamais, maintint son caractère vivant, jusqu’en ses parties s’appliquant à un monde apparemment révolu. Israël garda ainsi, un lien étroit avec la Terre dont il était exilé, avec l’État qu’il avait perdu et le Temple de Jérusalem, malgré ses ruines, resta réalité vivante au cœur du peuple juif.

Peut-être comprendra-t-on maintenant l’acception très spéciale de la notion de tradition orale dans le judaïsme. Il est d’autant plus difficile d’en rendre compte que l’on ne rencontre nulle part ailleurs d’analogie. Si le souvenir, en général, est un miroir de l’histoire, dont les contours, à certains moments, peuvent prendre plus de force et de couleur, il s’agit ici d’un élément bien différent : le souvenir devient substance du peuple, s’inscrit dans sa chair, et les enfants ressentiront littéralement ce qui est arrivé à leurs ancêtres. Non pas retour sentimental vers le passé, mais intégration totale du passé dans le présent. […] Israël se fie autant à ses Traditions orales qu’au texte écrit mieux encore, ne dit-il pas que « par elles, à cause d’elles, Dieu a conclu son alliance avec Israël ».

Yechivah à Williamsburg/ New York/Photographie de Leonard Freed/Circa 1950- 1954

« Parole de Moïse du Sinaï », pensée juive en perpétuel mouvement, rencontre du divin et de l’humain, chant d’Israël plein de son Dieu, tel nous apparaît le Talmud dans sa diversité. La Torah et les prophètes ont pour ainsi dire créé le cadre dans lequel se meut la vie du peuple. Le Talmud en sera l’image même, la représentation fidèle. Les Rabbins, maîtres du Talmud, en firent l’armure qui permit à Israël d’affronter la dure mission qui l’attendait dans l’avenir. Elle permettra à la religion juive de maintenir sa vitalité, jusqu’aux temps où, comme le dit si bien un Chrétien qui s’est donné la peine d’approfondir le Talmud, le Pasteur R.Travers Herferd, qui a remarquablement réussi à pénétrer son essence, « le Christianisme ayant réalisé tout ce qui est en son pouvoir…, il se trouvera un judaïsme, capable d’offrir et prêt à donner, à un monde qui ne le dédaignera plus, son impérissable trésor… : Et finalement, les deux grandes religions… s’uniront au service de Dieu et elles feront entendre ses prières et ses louanges… » ,  in Les Pharisiens.

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