Note de lecture
Rédigée par Patrick Sultan
Isaac Bashevis SINGER, « Retour rue Krochmalna », Titre original : « The visitors », Traduit de l’anglais par M.-P. Bay et N. Castelnau-Bay, Paris, Stock, Collection « La cosmopolite ».
La rue Krochmalna fut, avant la Shoah, une simple rue animée du quartier juif de Varsovie… mais quand I.-B Singer, qui y a passé une partie de son enfance, en fait le lieu de ses récits et y revient sans cesse, ce n’est plus une rue, c’est tout un monde !
Un univers bien juif, peuplé de … toutes sortes de Juifs : humbles artisans et hommes d’affaires avisés, modestes porte-faix et truands sans cœur, naïfs étudiants de la Torah et maquereaux madrés, servantes au grand cœur et anarchistes prêts à faire sauter le monde … On est donc prévenu : les personnages dont s’empare l’imagination romanesque de Singer ne sont pas des parangons de vertu. Même si tous sont marqués, voire imprégnés par l’éducation de Torah qu’ils ont reçue ou, du moins, par les bribes qu’ils en ont conservées, ce ne sont pas des saints ; et certains sont même vraiment peu recommandables… I. B. Singer est un conteur ; il ne fait pas profession de bons sentiments…
Retour rue Krochmalna se situe au début du siècle, vers 1905. Max Shpindler qui a fait fortune à Buenos Aires retrouve, après plusieurs d’années d’absence, « sa » Varsovie, « son monde » : ses amis Leah Grande Gueule et Meïr Crème Aigre, ses copains truands, les acteurs du Théâtre Yiddish … C’est le retour au pays, à ses saveurs, à ses couleurs, à sa langue (le yiddish bien sûr !) ! Une promesse de bonheur et triomphe pour ce parvenu qui a a fait fortune en Argentine dans le commerce des sacs (et l’exploitation d’un bordel…).
Mais très rapidement, tout déraille et tout tourne au vinaigre. Car si ce Max raisonne beaucoup et sur toutes choses – trop même ! – il n’est pas du tout raisonnable et, dans sa frénésie d’autodestruction, il parvient à se fourrer lui-même dans un guêpier dont seul Dieu – qu’il invoque toujours sans toutefois jamais y croire – pourrait l’extraire… Aucun miracle ne le sauve du désastre qu’il a suscité dans sa vie et dans celle de ses proches !
I. B. Singer réussit le tour de force d’écrire sur ce thème sombre, sinon tragique, un récit comique, divertissant, amusant même.
Paru en feuilletons (dans les numéros d’avril à août 1972 du quotidien yiddish Forverts), ce roman n’avait été jamais été publié en volume… Il parvient ainsi comme une découverte aux lecteurs du XXIème, comme une bonne surprise que nous aurait réservée ce diable d’I. B. Singer !
Merci Patrick! Ça donne envie de lire ce roman. Présentation alléchante
Oui, les récits de Singer sont toujours pleins d’esprit et de verve… Ils ont su capter et exprimer un secret de l »humour juif (selon moi) : ne rien prendre au tragique mais rien non plus à la légère ou avec indifférence…