Note de lecture

Rédigée par Claire Leibovich

Jacqueline KAHANOFF, Passover in Egypt/Pessa’h en Égypte, in Mongrels or Marvels : The Levantine Writings of Jacqueline Shohet Kahanoff, Stanford University Press, 2011.

Dans une nouvelle intitulée « Pessa’h en Égypte », Kahanoff met en scène une enfant juive égyptienne qui prend part à son premier Seder pascal. Le point de vue ingénu de la jeune protagoniste permet de souligner le caractère singulier, presque saugrenu de la fête pour les Juifs égyptiens, qui se retrouvent à célébrer leur libération d’Égypte. Comment concilier un sentiment d’appartenance nationale à l’Égypte et l’identité juive ? Les adultes sont bien incapables d’offrir une réponse satisfaisante à la petite fille anxieuse…

Jacqueline Kahanoff

Jacqueline Shohet Kahanoff naît au Caire en 1917 dans une famille juive bourgeoise d’origine irakienne et tunisienne. La romancière, journaliste et nouvelliste appartient à une génération qui peine à trouver sa place, tiraillée entre le monde traditionnel, oriental et religieux de ses grands-parents, et son éducation occidentale ; entre ses sentiments nationalistes égyptiens, et la conscience de la distance qui sépare sa classe aisée et cosmopolite de la population autochtone musulmane. En Israël où elle immigre en 1954, Kahanoff dénonce la discrimination des Juifs séfarades et mizra’him dans une société dominée par les Juifs ashkénazes ; elle redéfinit le concept de Levantinisme qui désignait une société hybride et donc « impure », pour le revendiquer comme un modèle social de pluralisme pour le bassin méditerranéen.

L’oeuvre de Kahanoff se démarque avant tout par sa pensée politique et sociale, dans laquelle la Torah joue toutefois un rôle central. En effet, la juxtaposition d’histoire contemporaine et récits bibliques dans ses écrits reflète le poids de la croyance aveugle en ce qu’elle appelle « les mythes » dans la culture politique du monde arabe. Elle expose le cloisennement idéologique des différents groupes ethniques et religieux, qui rend particulièrement difficile l’enclenchement de processus de paix au Moyen-Orient. C’est pourquoi il est vital, selon elle, de réinterpréter les textes abrahamiques du passé afin de leur donner « une fin heureuse » dans le présent. Dans cet effort de réécriture, la femme a sa place autant que l’homme, et y serait même plus habile. Suivant un portrait traditionnel de la féminité, Kahanoff met en avant la capacité d’empathie de la femme, son inclination au dialogue, et ses qualités spirituelles.

Ainsi, dans Pessa’h en Égypte, la jeune protagoniste réinvente l’histoire de l’Exode. La fille de Pharaon organise une réunion entre son père et Joseph (qui remplace Moïse, jugé moins sage par la petite fille !), et ils convainquent Pharaon de laisser les Hébreux partir en paix pour leur Terre promise : les Juifs et les Égyptiens, deux peuples libres, pourront vivre dans le respect et la bonne entente. Au-delà du cas particulier des Juifs égyptiens cependant, Kahanoff veut redéfinir la relation entre Juifs et Arabes musulmans : finalement, contre la fraternité ennemie d’Israël et d’Ismaël, elle propose une nouvelle alliance, un pacte d’amitié entre leurs mères respectives, Sarah et Agar.

Le dernier texte de Kahanoff, qu’elle écrira avant son décès d’un cancer en 1979, célèbre la venue du président égyptien Anouar Sadate en Israël en 1978. Cette visite marque le début de relations apaisées entre les deux pays. Cependant, à ce jour, la place d’Israël n’est toujours pas acquise au Moyen-Orient, où minorités ethniques et religieuses vivent sous la menace constante des persécutions. Dans ce contexte d’hostilité et de peur, les écrits de Kahanoff, et son appel à réécrire les mythes fondateurs, résonnent avec une actualité poignante. 

Claire Leibovich