NOTE DE LECTURE

Rédigée par Marie-Laure Rebora

Rav David FOHRMAN, La Reine que vous pensiez connaître, Traduit de l’hébreu par R. Katz et J. Reich, Paris, Éditions Calligraphy, 2011.

La figure de la reine Esther constitue pour nous une figure bien connue, trop connue peut-être, personnage central, avec Mardochée, du Livre (ou de la Meguila) qui porte son nom. Or, ce Livre, pour reprendre les termes de l’auteur, passe aisément pour un « conte d’enfants » mettant en scène une jeune reine qui, telle Peau d’Âne, cache son identité (Esther), un roi de Perse naïf qui semble tout droit issu des Mille et Une Nuits (Assuérus), un cousin et père adoptif ingénieux (Mardochée) et un méchant pas si éloigné du grand vizir Jafar, aux visées exterminatrices (Haman), le tout dans une atmosphère faisant miroiter les richesses proverbiales de la Perse antique. Comme dans un grand nombre de contes, tout est bien qui finit bien, d’autant plus que le récit se conclut quasiment sur l’évocation de l’instauration de la fête de Pourim (Esther : 9, 20-28) qui se veut de nos jours, par sa joie débordante, ses déguisements et ses nombreuses autres traditions, une sorte de carnaval festif où les enfants sont rois.

Le Banquet de Esther par Jan VICTORS/1640

Mais est-ce uniquement cela Pourim ? N’existe-t-il pas une autre histoire de Pourim, à lire non plus avec nos yeux d’enfants ayant grandi au rythme des lectures annuelles de l’histoire d’Esther et de Mardochée, mais avec un regard d’adulte cette fois, un regard averti qui sait décrypter les sens cachés derrière l’apparente transparence des versets connus par cœur ?
Dévoiler les secrets de ce récit biblique où, précisément, le secret est omniprésent, scellé jusque dans le nom de la reine : tel est l’objectif que se fixe, encore une fois, le Rav David Fohrman, commentateur et spécialiste de l’exégèse biblique unanimement reconnu, enseignant, entre autres, à la Fondation Hoffberger pour l’Étude de la Torah et au Kollel Gruss de la Yeshiva University à Jérusalem et professeur adjoint à l’Université Johns Hopkins, tout comme dans son étude remarquable et stimulante des premiers récits de la Genèse (Adam et Eve, Caïn et Abel, 2012).

Pour ce faire, le Rav Fohrman nous propose de nous attacher à rendre étranger ce qui nous semble connu, évident, acquis, afin d’interroger les incongruités du texte :

– À qui d’entre le roi et Haman, Esther destine-t-elle son banquet, dans sa première invitation ?

– Le discours de Haman au roi à propos de l’homme que le roi veut honorer le sert-il véritablement ?

– Pourquoi le récit de la Meguila ne s’achève-t-il pas après la pendaison de Haman ?

– Pourquoi Esther demande-t-elle à ce que soient pendus les dix fils d’Haman alors qu’ils sont déjà morts ?

– Pourquoi avoir choisi de nommer la fête « Pourim », du nom de l’instrument de hasard choisi par le persécuteur des Juifs ? …

Toutes ces questions nous invitent, en déchiffrant des versets parallèles, à remonter dans le texte biblique, pour retrouver les liens qui unissent l’histoire d’Esther aux personnages fondateurs de l’histoire juive que sont Jacob, Joseph, Juda, Benjamin et même, plus tard, le roi Saül.
À la lumière de cette véritable enquête qui puise dans la tradition juive pour en extraire un regard neuf, la Meguila revêt un tout autre visage que nous n’avions sans doute pas soupçonné lors des premières lectures du texte, en apparence si simple, et la fête de Pourim, « que vous pensiez connaître », ne sera plus jamais la même pour nous !