Note de lecture

Rédigée par Véronique Riffard

Rosetta LOY, Madame Della Seta aussi est juive, Titre original : La parola ebreo (2018), Traduit de l’italien par F. Brun, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2019.

On se doute bien que le titre de ce roman nous introduit dans un monde sombre. L’on ne se trompera pas : La parola ebreo/Le mot juif n’est pas un récit joyeux ou serein. La traduction française du titre le suggère bien également : les relations tissées entre le mot, la parole, et le silence, ce silence qui enferme les Juifs italiens dans la mort.
Rosetta Loy définit son livre comme un « mémoire autobiographique » et attachons-nous à ces deux termes, en effet, en commençant par l’aspect autobiographique. L’histoire se déroule pendant la période mussolinienne, avant et pendant la guerre, racontée par une enfant qui devient une adolescente (elle est née en 1931). Une enfant raconte comment le mot « juif » est entré dans sa vie. C’est sa Fräulein qui commente la fête donnée dans l’appartement d’en face : ce n’est pas un baptême mais une circoncision. Et c’est ainsi que commence de s’insinuer l’idée que même si « les petites filles [ont] des nœuds sur la tête semblables au mien », « que des dames avec des perles autour du cou [sont] moulées dans des robes de jersey moelleux comme celles de maman », ce mot « Juif » marque la différence.
Apparaissent ensuite dans le récit de la fillette, les voisins : Madame Della Seta et les Levi, dont nous suivrons le destin jusqu’à leur fin tragique.

La petite narratrice raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent : « J’adore Madame Della Seta, même si elle est juive. » « Même si… » : cette marque de la concession, sous-tendue par une certaine idée de supériorité, comme elle pourrait être retournée dans le sens de la sympathie, si l’on se souvenait de ce que Proust a écrit sur les « quoique » qui ne sont que des « parce que » méconnus.
Et justement, nous voyons ce « même si » devenir envie lorsque la narratrice est fascinée par l’étoile de David, qui brille au cou d’une autre petite fille : « […] je suis fascinée par cette étoile qui se balance au soleil et envoie des étincelles. […] A présent, cette étoile est pleine de mystère. J’envie la petite fille qui la porte, à la place de ma médaille insipide ».
Nous verrons donc grandir cette enfant, se poser des questions, vivre tant bien que mal la période de la guerre, et nous la voyons également à travers ses yeux d’adulte.
La mémoire prend racine dans ce récit et l’adulte prend la place de l’enfant pour commenter, expliquer et relater les faits historiques : nous sommes entraînés au coeur des événements, ainsi apprenons-nous comment Mussolini a agi envers les Juifs, en copiant la politique nazie et, surtout, puisque nous sommes à Rome et au Vatican, quel rôle ont joué les deux papes, Pie XI et Pie XII. Pie XI paraît, aux yeux de l’auteur, le plus engagé, celui qui a causé des contrariétés à Hitler et Mussolini, même s’il n’est pas toujours entendu ni suivi par une grande partie du Sacré Collège. Mais un pape qui dit à la Radio catholique belge devant un groupe de pèlerins : « Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme… Nous sommes spirituellement des Sémites. », alors que l’Église apostolique et romaine continue de clamer « encore bien haut que le peuple juif tout entier a demandé la crucifixion du Rédempteur », voilà qui souligne la complexité de cette période, selon Rosetta Loy.
Le livre s’achève dans une ombre silencieuse : le pape Pie XI est parti « comme englouti par les eaux », le souvenir de Madame Della Seta, qui a quitté l’immeuble sans bruit, se perd « dans le grand silence qui l’entoure ». Le silence est omniprésent, qu’il soit celui des victimes ou celui du Vatican qui se tait après les rafles de Paris ou de Rome. Pourquoi, mais pourquoi ?

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