Note de lecture
Rédigée par Jean-Yves Carfantan
Ruth ZYLBERMAN, 209 rue Saint Maur Paris Xe : Autobiographie d’un immeuble, Éditions du Seuil & Arte éditions, Paris, 2020.
Il y a d’abord eu un documentaire diffusé sur la chaîne Arte (Les enfants du 209 rue Saint Maur, 2017). Fruit d’une enquête de plusieurs années, ce long -métrage raconte l’histoire d’un immeuble de l’est parisien des années 1930 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1936 (dernier recensement avant l’Occupation) vivaient au 209 quelque 300 personnes, dont plusieurs familles juives venues d’Europe centrale qui avaient cru en la France des Lumières et des Droits de l’Homme. A partir de 1941, cinquante-deux Juifs de l’immeuble seront déportés (dont 9 enfants). D’autres locataires seront protégés et cachés par des voisins, la concierge ou des habitants du quartier.
Ruth Zylberman revient sur l’histoire du lieu, sur la vie de ses habitants avant puis après 1940. Il constitue pourtant une œuvre en soi. Il échappe aux redondances : l’œuvre cinéma-topographique imposait des contraintes matérielles de temps, de sélection d’images et de personnages. L’écriture offre la liberté nécessaire pour évoquer dans le détail la trajectoire des disparus, des rescapés, des héros qui ont sauvé des enfants et, aussi, des délateurs.
Elle permet aussi de dévoiler les clés d’une enquête archivistique, d’un travail patient de détective. Cette investigation a ainsi permis de retrouver, près de New York, Henry Osman, unique survivant d’une famille juive réfugiée au 209 avant la guerre. A la veille d’être arrêtée puis déportée, sa mère confie son fils âgé de cinq ans à la concierge de l’immeuble. Le gamin est ensuite pris en charge par le Comité Amelot (une organisation juive clandestine qui a sauvé de nombreux enfants), puis récupéré après la guerre par un oncle vivant aux États-Unis.
Une succession de hasards, de découvertes d’archives, de témoignages aboutit à redonner vie à toute « la société du 209« , avant, pendant et après les heures sombres de l’Occupation.
Ruth Zylberman ne prétend pas accomplir un « devoir de mémoire », une expression qui la hérisse. Elle cherche à former un lien entre ceux qui nous ont précédés et ont vécu le pire et ceux qui vont nous suivre. Ce récit, sobre et souvent poignant, permet au lecteur de rencontrer ces familles juives et leurs enfants, eux qui avaient cru trouver un refuge au 209 rue Saint Maur, y ont souvent été piégées, y ont parfois été sauvées.
A l’occasion du passage à l’an 2000, j’ai réuni chez moi à Paris ma famille survivante dispersée sur la planète. Ce fut sans doute le moment le plus émouvant de ma vie. Henry Osman est maintenant décédé tout comme Victor mon frère. Merci à Ruth d’avoir réalisé ce film et écrit ce livre.
Joseph Osman
Merci M. Osman pour ce magnifique témoignage. Récemment notre ami Jean-Yves Carfantan m’a signalé l’existence du récit complémentaire, si l’on peut dire, de l’oeuvre de R. Zylbermann : Anszel, le sourd de la rue Mila.
Rendre hommage à ceux dont nous sommes issus, explorer leur passé, c’est assurément la seule manière de célébrer le présent et faire oeuvre (humaine) de reconnaissance.