À la fondation de New-York

par Jean-Yves Carfantan

Daniela LEVY, De Recife para Manhattan: Os Judeus na formação de Nova York/ De Recife à Manhattan : Les Juifs dans la formation de New York, São Paulo, Éditions Planeta, 2018.

En 1654, quand la cité, qui ne s’appelait pas encore New York, n’était qu’un modeste comptoir commercial hollandais, elle ne comptait que quelques familles juives résidant sur l’île de Manhattan. Ces émigrés venaient du Brésil, alors colonie portugaise ; plus précisément d’une ville portuaire du Nord-Est de ce vaste territoire : Recife.
Daniela Levy, historienne travaillant à l’Université de São Paulo dans le sillage ouvert par Anita Novitski, retrace l’histoire de ces Juifs pionniers, rescapés de l’Inquisition. Elle a suivi leurs infortunes et leurs succès, depuis leur départ contraint d’Europe à leur établissement difficile en Amérique du Nord au XVIIème siècle, dans De Recife para Manhattan : Os Judeus na formação de Nova York/De Recife à Manhattan : Les Juifs dans la formation de New York.

 Fuir l’Inquisition

Depuis l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, l’Inquisition, devenue très puissante dans le royaume de Castille, s’installe et progresse dans le pays voisin. À partir de 1497, pour les séfarades portugais ou venus d’Espagne, sauf à accepter la conversion au catholicisme, quitter la péninsule est une question de vie ou de mort.
Très tôt, des Juifs de la péninsule Ibérique avaient acquis de solides connaissances en matière de navigation au long court. Dès le début du XVIème siècle, les équipages de caravelles portugaises en partance pour l’Orient et vers l’Ouest intègrent des techniciens de navigation qui sont arabes ou juifs, des experts familiarisés avec l’astronomie et les mathématiques, connaissances indispensables pour garantir le succès d’expéditions maritimes. Ces grands voyages qui ouvrent de nouvelles routes commerciales, leur fournissent l’opportunité d’échapper aux persécutions.
Un bon nombre d’entre eux fuient également en Hollande, un pays où ils ne seront plus menacés. En effet, L’Union d’Utrecht (1579), le traité qui a permis d’unifier sept provinces et de créer l’État de Hollande, a instauré un principe de liberté religieuse et ce nouveau pays s’est rallié à la réforme calviniste.
Ce petit territoire d’Europe du Nord devrait garantir aux Juifs en fuite la paix à laquelle ils aspirent.

Étapes des exodes séfarades à travers l’Atlantique (XVIème et XVIIème siècles)/ Carte établie par Jean-Yves Carfantan

   Le bon accueil des Néerlandais n’est pas sans calcul : ils savent que plusieurs familles séfarades immigrées pratiquent le commerce et disposent de capitaux. Installées à Amsterdam, elles contribueront à la plus grande entreprise que lance le nouveau pays : la constitution, à partir de fonds privés, de sociétés qui investiront dans le commerce transocéanique… Ainsi, quand à partir de 1621, La Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, créée afin de développer les échanges avec l’Inde et le reste de l’Asie, détient, le monopole du commerce à destination de l’ouest, c’est-à-dire de l’Afrique et de l’Amérique, nombre de Juifs y voient l’opportunité de s’éloigner de l’Europe.

Jusqu’au Brésil, la traque se poursuit

Quant aux Juifs restés au Portugal et convertis au catholicisme, le statut de « nouveaux-chrétiens » qu’ils ont acquis ne les protège guère de l’Inquisition et de ses persécutions. Ils cherchent donc, à leur tour, à quitter le pays de leurs malheurs.
Sur le continent américain, les Portugais occupent depuis peu un vaste territoire convoité également par d’autres puissances européennes : le Brésil. La Couronne de Lisbonne encourage d’ailleurs l’exil vers cette contrée des « nouveaux-chrétiens ». Elle offre même des terres à ceux d’entre eux qui acceptent de peupler le Nord-Est de la nouvelle colonie des Amériques. La monarchie espère ainsi garantir le contrôle effectif d’une partie de l’immense territoire qu’elle s’est approprié.
Une fois au Brésil, ces « nouveaux-chrétiens » continuent souvent clandestinement à respecter la loi juive, à pratiquer les rites et à maintenir les traditions : ils deviennent des « crypto-juifs », soumis à une discipline rigoureuse de discrétion, de dissimulation, de ruse. La vie juive est réservée à l’espace privé, familial et cette intimité est dissimulée car l’Inquisition étend ses tentacules jusque dans les colonies portugaises.
Mais même sous les Tropiques, ses sbires continuent la traque des Juifs ; simple soupçon, dénonciation, conflits personnels, etc., tous les prétextes leur sont bons pour livrer régulièrement des « nouveaux-chrétiens » au Tribunal du Saint Office, qui siège à Lisbonne. Les accusés sont torturés, condamnés à la prison et souvent assassinés. Qu’ils soient négociants, grands propriétaires, médecins, simples artisans ou petits commerçants, les « nouveaux-chrétiens » sont donc en permanence sur leurs gardes, contraints à la plus extrême prudence.
Quelques cent-trente ans après la découverte du territoire par les premiers explorateurs portugais, les choses vont pourtant changer au moins dans le Nord-Est de la colonie.

La brève parenthèse néerlandaise

   Le 14 février 1630, une armada formée de soixante-sept navires hollandais transportant sept mille hommes en armes, apparaît au large de Recife, la principale cité portuaire du Pernambouc, une province déjà réputée pour sa production sucrière. La Hollande veut contrôler le commerce de cette denrée très prisée en Europe. Rapidement, la troupe prend le contrôle de la région et des territoires voisins. Les nouveaux occupants sont accompagnés par des centaines de Juifs réfugiés aux Pays-Bas et qui connaissent la production de la canne et du sucre (ils ont acquis cette expertise dès le XVème siècle en travaillant sur des territoires portugais d’outre-mer) et parlent évidemment le portugais, la langue du pays qu’ils ont fui quelques décennies plus tôt.
Cette invasion néerlandaise est bien accueillie par une majorité de la population locale : la liberté de conscience règne, le joug pesant de l’Église s’allège.

Représentation de la cité portuaire de Recife d’après les cartes de l’époque de l’occupation hollandaise/Exposiition « Recife à travers le temps » réalisée par Terciano Torres

 Les « nouveaux-chrétiens » du Pernambouc peuvent assumer librement et publiquement un judaïsme jusqu’alors clandestin. Avec le soutien et la participation des Juifs néerlandais récemment débarqués, une vie communautaire apparaît pour la première fois dans le Nouveau Monde.
C’est même à Recife que sera fondée en 1636 la première synagogue des Amériques. Elle prend le nom de Kahal Tsour Israël/Communauté du rocher d’Israël. Le dynamisme de la communauté se manifeste aussi hors de la sphère religieuse.
De 1637 à 1643, la nouvelle colonie néerlandaise du Brésil est dirigée par Maurice de Nassau. Humaniste, ce militaire veut faire de Recife la capitale des Amériques. Il investit dans de grands travaux, multiplie les infrastructures et transforme la ville en un pôle cosmopolite. Les Juifs sont encouragés à y exercer tous leurs talents dans le commerce, l’artisanat, l’architecture, l’agriculture, la construction navale et les sciences (médecine, botanique). Ils prennent un rôle majeur dans la construction de nouveaux édifices. Ils sont souvent actifs au sein de la Compagnie des Indes Occidentales, qui gère l’économie du territoire, et notamment la filière du sucre.
Mais le répit pour les Juifs est de courte durée… L’occupation néerlandaise du Nord-Est brésilien ne dure pas. Au début de 1654, soit vingt-quatre ans après l’invasion hollandaise, le Portugal reprend le contrôle du Pernambouc. C’est le retour  de La Couronne de Lisbonne, du clergé et de l’Inquisition et ceux-ci n’ont pas l’intention de tolérer plus longtemps la présence d’une communauté juive importante et très impliquée dans la vie locale (à l’époque, la ville de Recife compte près de dix mille habitants, dont mille quatre-cents Juifs).

Nouvel exode

Le nouveau gouverneur portugais, qui a remplacé l’autorité hollandaise, lance d’ailleurs un ultimatum aux Juifs, aux calvinistes et à tous les habitants qui ne sont pas catholiques : ils disposent de trois mois pour quitter la colonie. Passé ce délai, ils auront affaire à l’Inquisition. Magnanime, ce gouverneur met cependant des navires à la disposition des candidats au départ. Des milliers de Juifs, de Protestants et de fidèles d’autres cultes cherchent à partir et encombrent le port.
Dans la ville, les persécutions commencent dès que l’ultimatum est publié. Des centaines de Juifs sont assassinés, d’autres périssent par la famine. Les plus chanceux sont exposés à des humiliations répétées. De nombreuses familles parviennent à échapper aux persécutions et fuient à l’intérieur du Nord-Est brésilien.
La majorité décide cependant de fuir par la mer. Un des bateaux, la frégate Saint-Charles, parvient, tant bien que mal, jusqu’à la Nouvelle-Amsterdam le 7 septembre 1654. Ce comptoir commercial que la Hollande a installé depuis 1624 sur la vallée du fleuve Hudson, à proximité de l’île de Manhattan, en Amérique du Nord n’est qu’une grosse bourgade insignifiante, presque déserte et dirigée par un calviniste fanatique et un fieffé antisémite : Peter Stuyvesant.

Gezicht op Nieuw Amsterdam/ Représentation de la Nouvelle-Amsterdam /Johannes Vingboons/1664 /The Koninklijke Bibliotheek/Bibliothèque Nationale des Pays Bas

Six familles juives sont autorisés finalement, non sans peine, à débarquer dans ce lieu inamical où ils seront plus tolérés qu’acceptés . De « nouveaux-chrétiens », un temps été détenus par l’Inquisition en Jamaïque, les rejoignent. Un autre navire venu directement de Recife et transportant une dizaine de Juifs accoste sur l’île de Manhattan en 1655. D’autres coreligionnaires, venus de Recife ou d’Amsterdam, débarquent encore à l’embouchure de l’Hudson entre 1656 et 1670. La Compagnie des Indes leur permet de s’installer. Un embryon de communauté juive se forme.

Installation difficile, début modeste

Les débuts sont difficiles. Les familles juives doivent subir durant les premières années, des contraintes et restrictions limitant leur vie économique et religieuse. Ainsi, plusieurs professions (boulanger, menuisier, potier, etc.) leur sont inaccessibles : ils doivent borner leurs activités commerciales à la vente au détail de produits de première nécessité pour la communauté et ne peuvent pas participer au négoce de la peau de castor destinée à la fourrure, premier grand produit commercial en Amérique du Nord au XVIIème siècle.
Il faudra attendre 1655 pour que le gouverneur accepte officiellement que ces Juifs s’installent à Manhattan. La petite communauté parvient alors à s’organiser sur le plan religieux. Elle fonde une modeste congrégation, qui porte le nom bien à propos de Shearith Israël /les survivants d’Israël. Pendant la période qui va de la fin de la colonisation hollandaise au début de l’occupation britannique de la région, cultures et rencontres ont lieu chez les fidèles ou dans des locaux d’emprunt. Elle devra cependant attendre soixante quinze ans pour pouvoir célébrer des offices, organiser des rencontres, des cycles d’études et des rites au sein d’une synagogue qu’elle fera construire sur un terrain qui lui appartient.
Les rescapés de la frégate Saint Charles et leurs coreligionnaires sont obligés de payer des taxes auxquelles ne sont pas soumis les autres groupes d’habitants. L’accès à la propriété foncière est très difficile, voire impossible. Cherchant à retrouver des libertés dont elle jouissait jadis à Recife ou aux Pays-Bas, la communauté juive en formation lutte contre ces restrictions et ces discriminations. En 1656, la jeune Congrégation parvient ainsi à installer un cimetière sur un terrain offert.
Peter Stuyvesant redouble alors d’ardeur dans sa politique xénophobe mais il doit composer avec les représentants locaux de la Compagnie des Indes occidentales qui savent que l’implication de commerçants juifs dans l’essor de la colonie peut être essentiel face aux pressions du Royaume-Uni qui entend régenter toute l’Amérique du Nord. Peu à peu, les Juifs parviennent donc à s’imposer, et conquérir des droits essentiels. Et sans doute, cet activisme revendicatif deviendra-t-il, ultérieurement, un trait caractéristique de la communauté juive américaine tout entière.

Pugnacité et esprit d’initiative : la figure d’Asser Levy

La figure d’Asser Levy incarne cette pugnacité. Arrivé jeune et pauvre à la Nouvelle-Amsterdam à bord de la frégate Saint Charles, il exerce d’abord la fonction d’abatteur rituel/cho’hète et de boucher – seule activité artisanale autorisée aux Juifs- sur la colonie des bords de l’Hudson.
Devenu, en peu de temps, un homme d’affaires de premier plan, il transgresse les interdictions imposées aux Juifs et s’engage dans le commerce de peaux, développant même une activité d’import-export. Il acquiert des terrains dès que les Juifs ont le droit d’acheter du foncier. C’est sur une de ces parcelles que sera construite plus tard la première synagogue.
Enrichi par ces diverses activités, il prête de l’argent aux autorités hollandaises pour ériger des murs qui vont protéger la ville contre les incursions des Indiens. Respecté par les notables calvinistes, il se lie avec les autres groupes chrétiens (presbytériens, luthériens). Il consent des prêts à ces minorités pour qu’elles puissent édifier leurs temples.
En 1672, parce qu’il jouit d’un grand crédit au sein de la colonie, le gouverneur le nomme conservateur du patrimoine public de la Nouvelle Amsterdam. Leader de la jeune communauté juive, Asser Levy participe aussi au combat de toutes les minorités discriminées en faveur des droits civils : il traîne en justice des notables calvinistes pour obtenir que tous les habitants de la colonie soient traités sur un pied d’égalité. ; son action contribue à faire progresser les droits des Juifs de la Nouvelle-Amsterdam.
Grâce à cet engagement, à mesure que Manhattan s’urbanise, la minorité juive finit par acquérir, au prix d’énormes efforts, le droit d’exercer toutes les professions recensées sur le territoire.
Elle parvient à construire et à faire fonctionner son propre abattoir rituel, à acquérir un terrain pour installer le premier cimetière juif d’Amérique du Nord. Cette lutte et les résultats obtenus incitent d’autres familles juives en butte à l’Inquisition à s’installer, à leur tour, à la Nouvelle-Amsterdam.

Médaillon représentant Asser Levy par Alex Shagin / Jewish American Hall of Fame.

En 1660, la colonie passe sous le contrôle de la Couronne britannique et quatre ans plus tard, la colonie prend le nom de New-York. Néanmoins, le mode de gouvernement ne change guère : les calvinistes hollandais qui servaient leur pays d’origine restent au pouvoir, mais ils sont désormais les auxiliaires des Britanniques. Les acquis obtenus par les Juifs sont maintenus, mais les droits politiques (participation à la vie politique et égalité des droits devant la Justice) leur sont encore refusés. Si les Britanniques tolèrent l’installation de nouveaux colons juifs et garantissent la liberté de culte, ils interdisent toujours l’accès des Juifs à la plupart des charges et fonctions publiques. Cependant, les commerçants séfarades installés à Manhattan ne tardent pourtant pas à devenir les principaux acteurs du commerce du sucre avec les îles de la Caraïbe (également colonisées par Londres). À la faveur d’alliances familiale, ils resserrent les liens économiques et politiques avec la communauté juive de la capitale britannique.
En 1730, la Congrégation Shearith Israël obtient l’autorisation de construire sa première synagogue. L’édifice est érigé dans le Lower Manhattan, au sud de l’île. Le bâtiment permet l’accès à une source voisine permettant les bains rituels. À partir du XVIIIème siècle, c’est à partir de cette première synagogue d’Amérique du Nord que la Congrégation va gérer toutes les activités communautaires traditionnelles.
La création et le fonctionnement de cette organisme témoignent du souci de perpétuer la vie juive mais aussi de la renouveler.

Le bâtiment actuel de la synagogue Shearit Israël datant de 1821

 Les leaders spirituels appuyés par les membres de la congrégation participent aussi activement à la lutte contre l’oppression britannique et pour l’indépendance, déclarée en 1776. Durant tout le XVIIIe siècle, des immigrants juifs ou crypto-juifs d’Espagne et du Portugal, des Antilles et d’Europe centrale rejoignent la communauté. À la faveur de la révolution américaine pour laquelle ils ont combattu, quelques personnalités juives ont même pu se hisser à des postes de responsabilité.
Après la Guerre d’Indépendance enfin, les descendants des réfugiés de Recife et des premiers Juifs de la Nouvelle Amsterdam obtiennent la pleine citoyenneté américaine.
Pourtant, à la fin du XVIIIe siècle, il n’y avait pas plus de 2500 Juifs dans le nouveau pays, sur une population d’environ quatre millions de personnes. 

La mémoire des pionniers  

La ville de New York, dès les années 1950, a entretenu la mémoire reconnaissante de ces Juifs pionniers, les Lucena, Andrade, Costa, Gomes et Ferreira venus du Brésil et d’Amsterdam.
La mémoire des descendants de Juifs arrivés de Recife au XVIIème siècle est même évoquée sur le plus important symbole de la ville : la statue de la Liberté. Une poétesse américaine célèbre, Emma Lazarus participe efficacement à recherche de financement pour l’édification et l’installation de ce monument, en offrant aux enchères un poème The New Colossus /Le Nouveau Colosse .
Fille de Lazarus Moses Lazarus et Esther Nathan descendant de Juifs séfarades portugais, traductrice réputée de la poésie hébraïque andalouse, cette jeune femme milite pour le sionisme plusieurs années avant l’émergence de Théodore Herzl. Elle s’illustrera aussi dans la défense des émigrés juifs d’Europe centrale qui arrivent en masse aux États-Unis à la fin du XIXème siècle pour fuir la misère, les pogroms et l’antisémitisme. 

La poétesse américaine Emma Lazarus, descendante des séfarades venus du Brésil

Ce poème inspiré par l’histoire de ses lointains ancêtres séfarades et brésiliens sera apposé au pied de la statue.
La conclusion en donne le sens profond et sonne comme un appel à tous les migrants qui voudraient reconstruire leur vie sur l’estuaire de l’Hudson :
Keep, ancient lands, your storied pomp! » cries she
With silent lips. « Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore,
Send these, the homeless, tempest-tossed to me,
I lift my lamp beside the golden door! » /

« Garde, Vieux Monde, tes fastes d’un autre âge ! proclame-t-elle
De ses lèvres closes. Donne-moi tes pauvres, tes exténués,
Tes masses innombrables aspirant à vivre libres,
Le rebus de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
Je dresse ma lumière au-dessus de la porte d’or ! ».

***

L’arrivée à partir de 1836 de Juifs allemands modifiera la physionomie du New-York restée jusque-là largement séfarade. Puis c’est l’arrivée des Juifs d’Europe de l’Est, qui culmine entre 1892 et 1924. Ce chapitre de l’histoire juive en Amérique du Nord est mieux connu. Le grand mérite de De Recife para Manhattan : Os Judeus na formação de Nova York est de remonter à une période antérieure, souvent ignorée, rappelant la mémoire des pionniers séfarades, leurs tribulations, les brimades qu’ils ont subies et les obstacles qu’ils ont dû surmonter ; ces émigrés arrivés du Brésil au XVIIe siècle, actifs dans la formation de New York, ont préparé, voire rendu possible, l’essor d’une des plus grandes communautés juives dans le monde.

Références bibliographiques

Françoise Ouzan, Histoire des Juifs américains : de la marge à l’influence, Préface de S. Della Pergola, Bruxelles, Éditions André Versaille, 2008, Collection Histoire.

Présentation de l’éditeur : « Comment les immigrants juifs ont-ils façonné cette Amérique qui n’a d’abord pas voulu d’eux ? A partir de quelles dynamiques les valeurs américaines que nous aimons ou détestons ont-elles été définies par la culture qu’ils ont engendrée ? Ils s’appelaient Levi Strauss, Warner ou Fox et bien d’autres ont suivi leur lancée. Ils ont laissé leurs marques sur la culture populaire de ce pays rêvé. Le premier a commencé comme petit colporteur en Californie auprès des chercheurs d’or et sur ses traces, le  » jean denim  » s’est imposé à la planète entière. Les seconds ont fondé un empire en commençant par gager la montre de leur père pour obtenir une poignée de dollars… Fox, Warner, Paramount, Metro Goldwyn-Mayer, Universal… autant de noms qui s’égrènent sur les échelons de la success story américaine, suivis par de nombreux autres, non moins célèbres, et qui seront traînés dans la boue par l’hystérie maccarthyste et les relents d’antisémitisme récurrents. Dans la culture, le droit, la politique, la finance, les Juifs aux Etats-Unis sont-ils vraiment passés de la marge à l’influence ? On imagine souvent un lobby juif puissant tirant les ficelles de l’Amérique… Son pouvoir est-il bien réel ? Evaluée à seulement deux pour cent de la population américaine, la communauté juive est-elle menacée de disparition entre 2050 et 2075, comme l’affirment d’éminents sociologues américains ? Au fil des siècles, Françoise Ouzan offre une réflexion originale, centrée sur les points de rencontre entre identité juive américaine et identité nationale. »