Note de lecture

Rédigée par Iris Lévy

Ariyeh KAPLAN, La méditation et la Bible, Titre original : Meditation and the Bible (1988), Traduit de l’anglais par Z. Bianu, Paris, Éditions Albin Michel, 2018, Collection «Spiritualités vivantes».

Sifriaténou a contribue régulièrement à enrichir le sommaire de la revue L’Arche en proposant des ouvrages de pensée juive à ses lecteurs. Iris Lévy a présenté brièvement cet ouvrage, dans l’Arche (n°688 Septembre/Octobre 2021).

Les heureuses retrouvailles de la méditation et de la Bible

Méditation et judaïsme? – une telle association sonne exotique ! Elle surprend, voire semble antinomique.
La méditation hébraïque fut, jusqu’à une période récente, largement ignorée ou perçue comme importée d’autres cultures. On doit aux travaux d’historiens comme Gerschom Scholem et Moshe Idel d’avoir mis en lumière l’existence et l’histoire de la méditation biblique, dont le représentant le plus connu était Abraham Aboulafia, maître kabbaliste du XIIIème siècle. Mais c’est à Aryeh Kaplan (1934-1983) que revient le mérite d’avoir révélé au grand public, dans les années 1970, les racines bibliques de la pratique méditative.

Pour ce rabbin et physicien américain, c’est bien la méditation qui offre la clef du «mystère prophétique» et des méthodes utilisées par les prophètes en vue d’atteindre leurs états de conscience inouïs.
À travers une analyse philologique serrée, l’auteur donne les outils lexicaux permettant de retrouver dans le texte biblique les fondements de la méditation. Progressivement, comme le souligne, dans la préface, Marc-Alain Ouaknin, «se met en place un ensemble de constellations sémantiques, où les mots s’éclairent les uns les autres».

La première partie de l’ouvrage s’attache à éclairer le vocable traditionnellement employé pour évoquer la méditation biblique : hitbodédoute/התבודדות, littéralement, «isolement».
Fréquemment thématisée dans la littérature kabbalistique, la « hitbodédoute » renvoie à un isolement de soi, une mise à distance du monde physique, prélude à l’expérience prophétique. Elle fut longuement décrite par le rabbi Abraham Maïmonide (1186-1237) : la mise au repos des pensées, la contemplation de la nature, l’usage de différents types de musiques ou de chants, orientent l’homme vers un état méditatif proche du divin.
L’objectif de la méditation, telle que la décrivent les maîtres kabbalistes, est l’accès à l’illumination, au roua’h haqodèche/רוח הקודש/ « Souffle-Saint », au terme d’une patiente élévation et purification mettant en jeu tous les niveaux de l’âme humaine. Ce parcours initiatique serait lui-même une voie d’accès à la prophétie.

La seconde partie porte plus spécifiquement sur les différentes méthodes et expériences prophétiques. Plus que des « porte-paroles », les prophètes furent, rappelle Kaplan, parmi les plus grands mystiques de tous les temps, détenteurs d’un pouvoir spirituel. La vision d’Ézéchiel (Ézéchiel, 1 : 1-28), de « l’œuvre du Char » (Ma’assé merkava/מַעֲשֵׂה מֶרְכָּבָה), rare description de l’expérience prophétique, fait l’objet d’une analyse minutieuse.
Avec finesse et précision, Kaplan explicite ensuite diverses méthodes prophétiques : usage de la musique et des mélodies répétitives proches des mantras ; de postures physiques particulières ; des noms divins et de la méditation pour atteindre la quiétude mentale.

Enfin, la troisième partie, plus spéculative, tente de décrire les différents états mystiques et méditatifs : distraction flottante ; direction de l’être ; émotions explosives ; ravissement aveugle ; contemplation. L’auteur insiste enfin sur l’importance des Psaumes pour favoriser l’éveil.
Reste alors une question en suspens : alors que de nombreux commentateurs, jusqu’au XVIIIe siècle, s’intéressent à la méditation, pourquoi une telle tradition est-elle restée confidentielle ?
Aryeh Kaplan apporte une double réponse à cette énigme. L’une est liée à l’histoire : après la destruction du Temple de Salomon et l’exil babylonien, les écoles prophétiques perdirent leur influence, et c’est la Loi Orale qui devient le centre du judaïsme.
Surtout, la « désoccultation » de la prophétie avait encouragé la sorcellerie et l’idolâtrie. Pour prévenir de telles dérives, les enseignements mystiques furent gardés secrets et réservés à un nombre restreint d’individus spirituellement avancés.

Rabbin Aryeh Kaplan (1934-1984)

Réjouissons-nous que l’ouvrage désormais classique de Kaplan contribue à lever ce mystère… et à éclairer la Bible d’un sens nouveau.

Iris Lévy

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