Vies singulières et grande histoire 

par Julie Saada


Philippe SANDS, Retour à Lemberg, Titre original : East West Street. On the Origins of Genocide and Crimes Against Humanity (2016), Traduit de l’anglais par A. von Busekist, Paris, Albin Michel, 2017.

Publié sous le titre : « Écrire le droit, écrire les sciences sociales », dans la revue : Droit et société , n° 102, 2019, p. 433-446.
Cet article fait l’objet, pour sa re-publication adaptée au site Sifriaténou de modifications, surtout formelles (mise en page, suppression des notes infrapaginales, ajout d’intertitres, nouveau titre). Les ouvrages mentionnés se trouvent dans les références en fin de l’article. Nous remercions la revue Droit et société d’avoir accepté que ce texte soit re-publié.



« [C]e qui nous hante apparemment, ce ne sont pas seulement les morts, ou les vides que laissent en nous les secrets des autres, ce sont aussi leurs histoires », p. 525.

En dépit de son titre qui pourrait faire croire à un simple récit autobiographique centré sur un lieu, Philippe Sands a écrit, avec Retour à Lemberg, un livre d’un genre inédit. Cet ouvrage, publié après six ans d’enquête, mêle la grande histoire, celle de l’extermination des Juifs d’Europe, l’histoire politique, l’histoire des Juifs de Galicie, celle du droit et de la justice pénale internationale, mais aussi la micro-histoire ou l’histoire vécue par des acteurs singuliers.
Par un travail d’archéologie historique, juridique et mémorielle, P. Sands fouille ainsi ces terres de sang où se sont abattues les terreurs hitlériennes et staliniennes et où sont tant de morts sans sépulture.

Ce que nous faisons des crimes

Si Retour à Lemberg est une œuvre majeure et inclassable, marquant bien au-delà des cercles du lectorat académique, l’ouvrage interroge aussi notre rapport à la mémoire et la manière dont celle-ci façonne nos choix. Car si l’on a soutenu (F. Azouvi) que le silence sur la Shoah avait été un mythe, il n’en reste pas moins que ceux qui ont échappé à l’extermination se sont souvent entourés d’un silence opaque – nourrissant la volonté chez P. Sands de comprendre « l’étendue de la dévastation dans laquelle [ils ont] vécu jusqu’au terme de [leur] vie, à la fin du XXème siècle », p. 91.
Parce qu’il interroge aussi son histoire familiale et ce qui l’a obscurément conduit à consacrer sa vie aux droits de l’homme, P. Sands a composé un récit d’affiliation, mené depuis la troisième génération.
Il l’a réalisé à la fois à partir d’un intérêt collectif (pour penser ce que nous faisons de ces crimes et de la réponse pénale que nous avons élaborée), et d’un intérêt personnel (pour connaître le passé de sa propre famille) – c’est la découverte par P. Sands de ce qu’il savait sans le savoir et de ce qui, deux générations après les crimes, reste de la mémoire si intime de crimes que nous n’avons pas vécus.

L’origine Lemberg

On tient généralement pour dit que la justice pénale internationale est née à Nuremberg lors des procès tenus entre le 20 novembre 1945 et le 1er octobre 1946. P. Sands montre qu’il en est autrement. C’est sur la ligne de faille qui sépare l’Est et l’Ouest de l’Europe, à Lemberg – ville « aux frontières imprécises » selon Joseph Roth, aujourd’hui Lviv en Ukraine mais qui s’appela jadis Lemberg, Lwów ou Lvov, selon qu’elle était autrichienne, polonaise ou russe – que sont nées les catégories de crimes contre l’humanité et de génocide.


Parce que la recherche est aussi faite de hasards qui nous détournent de nos travaux scientifiques planifiés, rappelons le commencement de l’enquête de P. Sands : une coïncidence. N’est-il pas remarquable, observe-t-il, qu’en préparant un séjour à Lviv où il avait été invité à l’automne 2010 pour y parler des origines du droit international, il apprenne que la ville elle-même était intimement liée à ses origines ?
Car si personne ne semblait avoir remarqué que les deux hommes à l’origine des notions centrales du droit pénal international – Hersch Lauterpacht (1897-1960) pour les crimes contre l’humanité et Raphael Lemkin (1900-1959) pour le crime de génocide – venaient de la même ville, étaient tous les deux des Juifs ayant fui le continent avant et durant la guerre, ayant perdu une grande partie de leur famille pendant qu’eux-mêmes œuvraient à la formulation et à l’adoption des catégories juridiques qu’ils avaient forgées, seul P. Sands pouvait voir l’autre coïncidence : celle que lui, professeur de droit à l’University College de Londres et avocat dans plusieurs affaires de génocide et crimes contre l’humanité, y avait aussi ses origines à travers son grand-père maternel Léon Buchholz (1904-1997).
La ville offre ainsi le cadre de formulation des catégories majeures du droit pénal international, mais aussi une cartographie intime, celle des liens de P. Sands avec son histoire familiale et ses motivations à entreprendre une carrière juridique.
L’ouvrage retrace une histoire familiale reconstituée à partir de traces laissées dans deux valises – passeports, photos, télégrammes, journaux, papier plié contenant une adresse – en même temps qu’il montre à quel point les individus dépendent du droit ou de son absence.

Personnages en quête de droit
Une série de personnages dépend en effet directement du droit, tandis qu’une autre produit du droit tout en essayant de ne pas subir le droit en vigueur.
Parmi les premiers, figurent le grand-père Léon, sa fille et sa femme, des personnages imprévus (un amant, un « homme au nœud papillon »…), dont P. Sands retrace minutieusement le parcours depuis la Galicie jusqu’à Paris, à l’image de ces Juifs en errance décrits par Joseph Roth ; il décrit les aides qu’ils ont reçues (Miss Tilney, qui a sauvé des Juifs au risque de sa vie avec l’espoir ambigu qu’ils se convertissent), l’intervention de personnages dont l’existence était jusque-là insoupçonnée.
Parmi les seconds, figurent Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, mais aussi Hans Frank (1900-1946) : avocat favori d’Hitler, il a contribué au droit nazi et a été gouverneur général de la Pologne occupée. P. Sands montre l’ascension du personnage qui, à son arrivée à Lemberg, prononce un discours où il annonce l’extermination des Juifs de la ville et livrera plus tard au tribunal de Nuremberg 42 volumes d’un journal détaillé où il explique notamment comment exterminer 3, 5 millions de Juifs (p. 306). On peut ainsi être protecteur des arts, être décrit dans un raffinement extrême par Curzio Malaparte dans Kaputt (1944) et, dans le même temps, défendre triomphalement l’idée de communauté nationale prévalant sur les droits individuels et protégée de toute ingérence des États étrangers, mettre en place des dispositions relatives à la « prophylaxie eugénique » (p. 269) afin de mieux appliquer les idées exprimées à la Conférence de Berlin de 1935, être « le boucher de Cracovie », puis, à la fin, pleurer durant son procès, être condamné à la pendaison et chercher le salut dans le catholicisme – dans un désir de rédemption et d’innocence porté par son fils jusqu’à aujourd’hui. – Quant aux amitiés singulières que P. Sands a nouées lors de son enquête avec les fils des bourreaux – Niklas Frank et Horst von Wächter – et à la question de savoir ce qu’un fils de criminel fait de la mémoire de son père, on pourra visionner le documentaire What our Fathers Did : A Nazi Legacy,  réalisé par P. Sands lui-même pour la BBC.
Lauterpacht et R. Lemkin subissent les effets d’un droit qui ne protège ni les groupes ni les individus, mais produisent un droit qui vise à protéger les uns et les autres, car « malgré leurs origines communes et leur souci partagé de pragmatisme, [ils] étaient profondément divisés sur les réponses qu’ils donnaient à la grande question : comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse ? En protégeant l’individu, répond Lauterpacht ; en protégeant les groupes, répond Lemkin », p. 346.
Or, le « non-droit international » ne permettait pas de contraindre les États à protéger leurs populations. Quittant Lemberg – pour Vienne puis l’Angleterre en 1923 en ce qui concerne H. Lauterpacht (en raison de l’interdiction faite aux Juifs d’accéder à l’université), pour les États-Unis en ce qui concerne R. Lemkin (lors de l’invasion de la Pologne, dans un long périple qui le conduit en Suède, URSS, Japon, puis en Amérique qu’il traverse d’Ouest en Est) –, les deux juristes inventent alors, durant la guerre, des concepts pour introduire dans le droit international des obligations et des règles de responsabilité pénale.
L’ouvrage est ainsi en partie construit sur l’opposition entre la considération pour l’individu et celle portée au groupe – cette opposition si typiquement propre à la modernité juive.

Hersch Lauterpacht et la protection des individus

P. Sands retrace la formation de H. Lauterpacht, depuis son premier cours de droit international à Lemberg, « dans une université où la discrimination était répandue et où les professeurs pouvaient librement décider d’exclure les étudiants juifs et ukrainiens de leurs cours », p. 108, jusqu’à Vienne avec Kelsen et, en philosophie, Martin Buber.

Sir Lauterpacht (1928-2017)/Téhéran /1954

H. Lauterpacht a produit avant-guerre des ouvrages de droit international. Mais c’est à partir de 1942, avec l’établissement d’une Commission des crimes de guerre et l’autorisation de Churchill d’enquêter sur les crimes de guerre allemands, qu’il se consacre entièrement à ce qui constitue désormais l’un des buts de la guerre : la poursuite des criminels. S’il n’ignore pas la nécessité pour les groupes de se protéger lorsque l’État est défaillant, l’échec du traité sur les minorités de Pologne à protéger celles-ci et la crainte du nationalisme, y compris juif, poussent H. Lauterpacht à promouvoir la protection des individus par le droit international, « contre la cruauté et la barbarie de leur propre État », p. 399.
Dans le double sillage du projet kelsenien d’instituer une cour constitutionnelle et de la création après le traité de Versailles de la première cour de justice internationale, H. Lauterpacht soutient que le droit interne peut influencer le droit international pour en combler les lacunes et limiter le pouvoir de l’État en lui imposant des obligations internationales. P. Sands retrace ainsi la genèse dans la guerre des travaux de H. Lauterpacht consacrés aux droits humains et à la justice pénale qui seront publiés après la guerre, comme An International Bill of the Rights of Man (1945), Recognition in International Law (1947), International Law and Human Rights (1950), The Development of International Law by the International Court (1958).
Mais le récit de P. Sands porte aussi sur le cadre dramatique de cette élaboration intellectuelle – car au moment où H. Lauterpacht esquisse sa charte internationale des droits et définit les crimes contre l’humanité en vue d’un procès qui sanctionnerait les responsables nazis, Hans Frank met en œuvre la solution finale en Galicie, dévastant la famille de H. Lauterpacht.
L’une des raisons de l’adoption à Nuremberg de la catégorie de crimes contre l’humanité plutôt que de celle de génocide, explique P. Sands, tient au fait que les premiers sont plus faciles à établir : les individus sont des réalités plus aisément discernables que les groupes. Même l’État comme entité collective est remise en cause à Nuremberg. Ainsi, le procureur anglais Shawcross s’est inspiré de H. Lauterpacht lorsqu’il a relevé que les individus (tels Hermann Göring, Albert Speer et Hans Frank) qui agissent au nom des États sont directement coupables parce que « l’État n’est pas une entité abstraite » et que ses responsables ne doivent pas « pouvoir prétendre à l’immunité en s’abritant derrière l’intangibilité de l’État » (p. 348), affirmant ainsi l’idée de responsabilité individuelle en plaçant les droits et devoirs fondamentaux au cœur du nouveau système international.
En outre, les crimes contre l’humanité sont plus rapides à établir : à Nuremberg, observe P. Sands, il fallait juger vite, or, prouver l’intention, le dol de tuer un groupe, prend du temps – c’est pourquoi, dans sa fuite, R. Lemkin avait emporté, entassés dans plusieurs grosses valises en cuir, des décrets et des notes personnelles pour prouver le « complot coordonné », p. 215. D’autres arguments s’opposent à la prise en compte des groupes par le droit : P. Sands observe que considérer un groupe en tant que tel comme victime risque de créer une concurrence entre les groupes, d’affaiblir l’idée que tuer un individu est déjà un crime, de rendre impensables les cas où un groupe en massacre un autre et, en définitive, d’introduire dans le droit le tribalisme ou une pensée biologisante – celle-là même qui a conduit au nazisme.
Raphaël Lemkin et la protection des groupes
Mais à se contenter de qualifier des crimes sur la base d’actes individuels visant des individus, comment qualifier le fait que ces actes se répètent un million, six millions de fois ? Parce qu’ils se focalisent sur les actes individuels et les crimes commis contre des individus, les crimes contre l’humanité ne permettent pas de saisir le caractère répétitif et systématique des crimes qui, dans toute leur ampleur, visaient la destruction systématique, où qu’ils se trouvent, de tous les Juifs et des Tziganes.
Ce qui manque en effet à la compréhension des massacres, soutient R. Lemkin dans Axis Rule in Occupied Europe, c’est à la fois leur aspect concerté, le fait que les individus sont visés en tant que membres d’un groupe et le large spectre d’actions collectives dans lequel les massacres s’inscrivent et qui leur donne des dimensions politique (la destruction des institutions du groupe, l’imposition d’une administration calquée sur le modèle allemand), sociale (l’attaque des structures familiales, de l’intelligentsia), culturelle (la destruction des institutions et des activités culturelles, le remplacement de l’enseignement des arts libéraux par une formation technique), économique (le transfert des richesses aux Allemands, l’interdiction d’exercer des métiers), biologique (Juifs, Polonais, Slovènes, Russes sont affamés et exterminés), religieuse (en intervenant dans ce domaine) et morale (en créant une atmosphère de bassesse morale).

Raphael Lemkin (1900-1959)

Comme le souligne Olivier Beauvallet (auquel on pourra se reporter pour une description plus fine de la genèse du crime de génocide chez R. Lemkin), le génocide ne se réduit pas à la destruction immédiate d’une nation. Il inclut plus largement la mise en œuvre de différentes actions coordonnées qui visent la destruction des fondements de la vie du groupe, en vue de son anéantissement.
C’est du moins ce que R. Lemkin avait commencé à entrevoir lors du massacre des Arméniens en 1915 et des procès de Tehlirian (1921) et de Schwartzbard (1926). Membre à partir de 1927 de la Commission polonaise pour la législation criminelle et de l’Association internationale de droit pénal, R. Lemkin commence à chercher un nom pour « un crime sans nom » tout en le distinguant du terrorisme – car non défini en droit international et pouvant aussi recouvrir une résistance à l’oppression et à la destruction d’un groupe.
Mais R. Lemkin n’est entendu ni des juristes ; ni des instances politiques polonaises, ni même des Juifs qui pourtant connaissent les pogroms. Sa définition du génocide est réduite dans le Memorandum qu’il adresse à l’Organisation des Nations unies en 1946 et davantage encore dans la Convention de 1948 : en précisant l’infraction, la définition permet la prévention et la répression du génocide.
Mais à Nuremberg, le mot est à peine prononcé. P. Sands expose, dans les deux derniers chapitres de son livre, la façon dont se sont opposées les conceptions respectives de H. Lauterpacht, membre de la délégation britannique, et de R. Lemkin, venu sans invitation officielle, lorsqu’il s’est agi de juger Hans Frank et 23 autres nazis. 
La notion de crime contre l’humanité l’a emporté sur celle de génocide – et encore leur examen a-t-il été limité aux actes commis pendant la guerre en raison d’« une virgule infâme » ajoutée en août 1945 au paragraphe 6 (c) de la Charte (p. 157-158), empêchant ainsi de juger les actes commis en Allemagne et en Autriche avant 1939.
Si l’on attendait de l’ouvrage qu’il mentionne le fait que la spécificité et l’ampleur des crimes commis contre les Juifs n’ont pas été pleinement établies à Nuremberg, l’apport scientifique de Retour à Lemberg est ainsi non seulement de nous conduire à déplacer le moment de la naissance des catégories pénales internationales majeures et d’inclure le rôle joué par les acteurs du droit, mais aussi d’apporter un très grand nombre de sources et de connaissances historiques précises, comme d’évoquer en fin d’ouvrage les développements de ces catégories juridiques dans les juridictions pénales internationales ultérieures à Nuremberg.
Plus largement, il invite à une réflexion sur l’articulation du droit et des sciences sociales et sur leur mise en forme narrative.

Droit, sciences sociales et narration

Historicité des catégories juridiques : l’importance du contexte

Parce qu’il montre en effet, même sans jamais soutenir de thèse, que les concepts sont enracinés dans des contextes empiriques, qu’ils sont formulés dans des systèmes leur donnant sens, qu’ils demeurent incompréhensibles sans prise en compte des réalités mouvantes dont ils émanent et qu’ils peuvent modifier lorsque des acteurs sociaux s’emparent d’eux, l’ouvrage de P. Sands parle aux philosophes du droit. En restituant une historicité et un contexte aux concepts juridiques, il fait apparaître l’historicité de ce qui existe avant les concepts : celle d’un temps où les concepts étaient nécessaires sans exister, celle d’un monde avec des crimes mais dépourvu de notions pour les nommer. P. Sands montre comment les catégories juridiques sont tissées d’histoires, comment elles sont façonnées dans des controverses, et comment les textes juridiques portent la trace de celles-ci.
L’ouvrage de P. Sands parle aussi aux sociologues du droit. Car l’une des singularités du livre est que les procès de Nuremberg arrivent à la fin de l’ouvrage, plutôt qu’ils ne constituent le point de départ de l’histoire de la justice pénale internationale, comme le font la plupart des travaux consacrés à cette institution. Tout l’intérêt du découpage temporel singulier fait par P. Sands est qu’il prend à rebours l’historiographie classique et ne fait pas tant l’histoire des institutions que celle des acteurs du droit saisis dans leur expérience sociale. C’est en ce sens aussi un livre de sciences sociales qui dessine une histoire d’acteurs sociaux mobilisés, en lutte contre des événements, se battant pour en faire advenir d’autres, tentant d’infléchir des institutions et d’institutionnaliser des normes.
Retour à Lemberg montre comment les catégories juridiques sont façonnées dans des contextes qu’elles contribuent à modifier et, lorsque les forces sociales changent, produisent des effets bien au-delà de leur cadre social d’émergence. Aussi l’ouvrage offre-t-il une façon de concevoir la complexité des rapports entre le droit et la société : ces derniers ne constituent pas deux sphères distinctes dont on pourrait penser les logiques internes de façon séparée et, entre ces sphères, des influences ou des causalités. Au contraire, droit et société doivent être saisis dans leur façonnement mutuel.
L’importance accordée au contexte interroge aussi d’une autre façon le rapport entre droit et sciences sociales.
Jacques Sémelin distingue le langage du droit, qui mobilise les expressions de crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, et le travail en sciences sociales : alors que le premier recouvre des enjeux moraux et politiques (faire reconnaître des massacres, poursuivre en justice des responsables de violences de masse et de massacres), le chercheur en sciences sociales conduit des enquêtes de terrain, recueille des données, élabore des outils d’analyse pour interpréter ce que l’on nomme « génocide » et tenter de comprendre les processus de bascule dans les pratiques de violence extrême et la transformation de massacres en génocides.
Si J. Sémelin décline plusieurs formes de massacres (de proximité, bilatéraux, de masse), il observe que se centrer sur l’acte de donner la mort risque d’oblitérer les actions et les violences qui précèdent cet acte. D’autres chercheurs écartent aussi la terminologie juridique pour ouvrir la réflexion aux sciences sociales : ainsi Mark Osiel reprend-t-il à Hannah Arendt l’expression de « crimes de masse » ou « massacre administratif » tandis que Michael Walzer parle de « guerre contre les civils » lorsque les massacres sont utilisés pour hâter la capitulation de l’ennemi.

« Génocide », un mot nouveau pour un mal ancien

Or c’est précisément sur les processus précédant les massacres que R. Lemkin voulait attirer l’attention dès les années 1930. Lui aussi, du reste, disposait de plusieurs termes pour qualifier ces crimes : ainsi, populicide (employé par Babeuf), Massenmord ou Volkermord – utilisé dans l’empire allemand à propos des Hereros, des Namas et des Arméniens pour caractériser le meurtre d’une nation entière. Mais parce qu’il voulait décrire la totalité des violences qui conduisent à l’acte de donner la mort, parce que les termes de barbarie et de vandalisme ne décrivent pas non plus l’ensemble d’un processus d’extermination, il a créé le mot de génocide – un mot nouveau pour un mal ancien, « aussi ancien que l’histoire de l’humanité », écrit-il dans History of Genocide.
Avec R. Lemkin, par conséquent, le génocide est déjà à l’interface des sciences sociales et du droit, dès lors qu’il s’agit bien de décrire non pas seulement les massacres mais aussi, pour reprendre les termes de J. Sémelin, les processus organisés, sociaux et politiques, de destruction des civils, dont les massacres ne sont que la forme la plus spectaculaire et tragique. L’interface est d’autant plus visible que R. Lemkin passe en revue les sciences qui pourraient contribuer à la compréhension et à la prévention du génocide pour inclure l’anthropologie culturelle ou comparative, l’anthropologie physique, la statistique et la démographie, la criminologie et la sociologie – le recours aux sciences humaines visant aussi la reconnaissance du génocide culturel, qui forme l’une des trois dimensions de sa première définition du concept.
R. Lemkin a en outre été le premier à comprendre, observe A. Becker dans Messagers du désastre (p.39), que le génocide était une nouvelle technique d’occupation qui vise à sortir vainqueur de la guerre même si la guerre elle-même est perdue . C’est pourquoi il rejetait l’expression « meurtre de masse », laquelle n’inclut pas le motif du crime. Car la spécificité du génocide comme concept de sciences sociales n’est pas qu’il nomme un massacre à grande échelle, mais qu’il décrit une dynamique spécifique de violence visant à faire disparaître un peuple de la terre, où qu’il se trouve.
Parce que l’effort s’est concentré sur le point de savoir comment nommer les phénomènes de destruction des populations civiles, comment décrire et qualifier un ensemble de faits dont on cherche à délimiter les contours, la nature et les effets sociaux, la notion de génocide a quasiment été construite par R. Lemkin comme une notion de sciences sociales.
Mais à la différence des notions de sciences sociales, il s’agissait pour R. Lemkin, comme au même moment pour Jan Karski, pour Vassili Grossman revenant de Treblinka comme pour d’autres, de faire savoir. Et sur ce point, le récit de P. Sands a aussi cette singularité tragique de nous faire nous demander, à chaque événement de la vie des personnages qu’il décrit, ce qu’ils savaient de l’extermination en train de se produire.

Subjectivité et objectivité en sciences sociales

Retour à Lemberg est un ouvrage de sciences sociales pour une autre raison. En montrant une enquête plutôt qu’un récit rétrospectif, P. Sands n’écrit pas une ego-histoire au sens de Pierre Nora, mais il s’inscrit dans une série d’ouvrages qui font entrer en force la subjectivité de l’auteur dans l’objet d’étude, pour reprendre les termes de Stéphane Audouin-Rouzeau, interrogeant la limite d’un tel exercice et les conséquences possibles d’une telle rupture épistémologique : jusqu’où peut-on réduire la distance entre subjectivation et objectivation en sciences sociales sans cesser de faire des sciences sociales ?
Faire entrer la subjectivité de l’auteur dans l’objet étudié, parler à la première personne et écrire l’histoire en racontant des histoires : le tournant au sein des sciences sociales mobilise aussi la littérature qui permet d’introduire le « je » dans la démarche scientifique, comme un « je » méthodologique à l’opposé, comme le souligne Ivan Jablonka, du « narrateur omniscient et caché qui déroule son récit comme si l’histoire coulait de source », p. 23. C’est pourquoi, contre une littérature sans méthode et une méthode sans littérature, il est possible de « pratiquer une méthode dans une littérature, un raisonnement-enquête, un texte-recherche, la recherche portant indissociablement sur les faits à établir, les sources qui en attestent et la forme par laquelle on les rapporte », p. II.
Or, cette démarche décrit assez bien le travail de P. Sands, à condition de distinguer récit et fiction. Car Retour à Lemberg narre l’enquête menée par P. Sands, sans recherche de forme esthétique mais entrecroisant des motifs qui ne sont jamais présents dans les ouvrages d’histoire du droit – la généalogie familiale, les vies intimes, les contextes vécus, l’enquête sur les sources historiques, le retour aux lieux décrits, les traces infimes du passé dont certaines s’offrent comme des énigmes à résoudre : une photo anonyme, une adresse mystérieuse, une fausse carte d’identité, un bulletin imprimé grossièrement, un nom dans un ancien répertoire, une photo élimée, une adresse illisible qu’accompagne un « au revoir » sur un bout de papier, un silence obstiné sont autant d’indices permettant de reconstruire les contours d’un monde disparu. 
De même qu’avec Un roman d’Allemagne, Régine Robin poursuit les traces du passé qui affleure encore dans Berlin, P. Sands piste, comme un « avocat qui flaire la preuve » (p. 40), les indices des vies qui, depuis Lemberg, ont voulu échapper à la destruction qui leur était promise. Le soin apporté à l’élucidation des indices est encore une manière de résister au génocide, qui anéantit les vies et les traces de ces vies.

Avec P. Sands, raconter son enquête devient un geste à la fois scientifique et littéraire, ce qui implique, comme le rappelle I. Jablonka, de ne plus définir l’histoire par les faits et la littérature par la fiction. (…) L’histoire écrite par P. Sands fait du « je » un outil heuristique, puisque l’auteur dit ses motivations subjectives qui président à l’enquête et se trouve impliqué dans celle-ci, tout en évitant la prétendue objectivité du savoir qui résulte de l’enquête ou le scientisme de surplomb du spectateur quasi divin que critiquait Bourdieu, contribuant à l’inverse à introduire la littérature dans les sciences sociales et dans le droit. Le choix de P. Sands de faire varier les points de vue – ainsi, dans les pages consacrées à Nuremberg – donne aussi une représentation plus juste de l’histoire collective, dont on peut d’autant mieux faire le récit qu’elle restitue les logiques singulières déployées à partir de points de vue incarnés. Enfin, l’introduction de la subjectivité de l’auteur est aussi une façon de dire la limite de l’enquête et du savoir produit : associer le « je » au raisonnement montre la façon dont l’objectivité spécifique aux sciences sociales est produite, tout en impliquant d’avoir conscience des limites épistémologiques, sociologiques et temporelles de ce raisonnement.

Le risque de brouillage

On pourra reprocher à cette forme littéraire d’histoire juridique, comme au projet d’une histoire qui se fait littérature, la difficulté pour le lecteur de distinguer les éléments de véridicité et les éléments fictifs.
Tel est ainsi le trouble que jette un roman-récit comme La disparition de Josef Mengele, paru au moment de la traduction française du livre de P. Sands.

Ironie du roman récompensé par le prix Renaudot, Olivier Guez y montre la fuite d’un de ceux qui a échappé à Nuremberg et à toutes les tentatives d’arrestations ultérieures : Josef Mengele y est décrit dans son quotidien, ayant fui en Argentine par les ratlines, caché sous plusieurs pseudonymes, vivant de nouvelles heures glorieuses avant d’être traqué et de fuir au Paraguay, errant de planque en planque. Si O. Guez indique ses sources et assortit le récit d’une solide bibliographie scientifique, le lecteur peut découvrir certains faits historiques – ainsi, la fascination de Perón pour Mussolini – mais il peut aussi se demander quels sont les passages du récit qui relèvent de la reconstruction purement fictionnelle tissée par l’auteur précisément lorsque la connaissance historique lui fait défaut. 
Donnons un autre exemple.
L’ordre du jour construit également une narration mi-historique mi-littéraire dans laquelle Éric Vuillard montre « les ourlets crasseux de l’histoire » : des banquiers et des industriels (mesquins, serviles, révérencieux, pleutres, sortes de valets de chambre du Reich) finançant le régime, l’Anschluss sous un jour ridicule avec embouteillage de panzers et pannes de moteur, le chancelier autrichien Kurt Schuschnigg en lâche – comme si le nazisme n’avait été qu’une entreprise de voyous minables, de « pantins hideux et terribles [qui] s’agitent à l’horizon du monde où roule un soleil noir », p. 49.

Comment se saisir d’une telle description, qui s’adresse certainement à notre propre perception du nazisme mais ne nous permet pas de trancher entre ce qui relève du point de vue singulier du narrateur ou bien d’un raisonnement appuyé sur des faits établis ? Il n’en reste pas moins que, dans les deux cas, la forme littéraire apporte une intelligence de l’histoire.
Celui-là nous permet de mieux nous représenter la vie odieusement heureuse puis traquée de Joseph Mengele, mais aussi d’Adolf Eichmann, de Karl Klingenfuss (ancien diplomate de haut rang du département juif du ministère des Affaires étrangères), de Ludolf von Alvensleben (ex-adjudant en chef de Heinrich Himmler), de Konstantin von Neurath (fils d’un ancien ministre des affaires étrangères d’Adolf Hitler), d’Eberhard Fritsch, de Willem Sassen et de tous les membres de ce qui formait le cercle Dürer, la « nazi society de Buenos Aires », p. 46.
Celui-ci nous offre un récit au ton sardonique – parfois insupportable – du soutien apporté au nazisme par les banquiers et industriels ou encore de l’Anschluss tel que le grand public ne l’avait jamais vu.
L’un comme l’autre nous renvoient aussi à ce que nous faisons de ces échelles de responsabilités, constituées non seulement par les plus hauts responsables du nazisme, mais aussi par ceux qui ont financé, soutenu, normalisé le régime – si bien que la question de la responsabilité collective doit être formulée de façon plus précise (en incluant des réseaux de complicités, des rôles et des interactions des différents acteurs) qu’elle ne l’a été dans la grande controverse sur la responsabilité allemande qui a opposé les historiens du nazisme à la parution du livre de Daniel Jonah Goldhagen en 1996.
Cela ne signifie pas que la finalité des romans soit historiographique, mais que l’on peut opposer à une narration-fiction qui ferait obstacle à la véridicité historique, l’idée d’une reconstitution narrative offrant au lecteur une plus grande intelligence du passé et ce faisant, une meilleure façon de se l’approprier.
Après tout, une narration comme celle de Johann Chapoutot dans Le meurtre de Weimar, qui reconstitue – notamment par l’arrêt de la cour qui a jugé l’affaire – dans une forme littéraire l’assassinat de l’ouvrier communiste Konrad Pietzuc par un groupe de SA le 9 août 1932, renoue aussi d’une certaine façon avec l’histoire comme genre littéraire, avec l’histoire d’avant son adieu à la littérature.

La narrativité, qu’elle ait pour projet le livre d’histoire ou l’œuvre littéraire, permet aussi d’introduire des questions (comme celle de la responsabilité collective – morale, politique) que l’exigence moderne d’objectivité et de neutralité historiographique ne permet pas de formuler. Elle permet de décrire des acteurs, de faire une microhistoire pour mieux éclairer la grande histoire.
Ajoutons que l’articulation du récit et de la connaissance historique nous donne à mieux voir et à mieux comprendre le tissu du passé, car c’est l’ordinaire qui est difficile à décrire, les infimes transformations sociales – par exemple, comment une société se nazifie en rendant les crimes ordinaires (Le meurtre de Weimar) ou en s’insinuant dans l’ordinaire des gens (on pourra penser au splendide texte d’Anna Seghers, L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus).

Plaidons ainsi, avec I. Jablonka, pour des textes intermédiaires, entre littérature et histoire, capables de décrire des « vies singulières prises dans des moments d’histoire ». Car telle est finalement la façon dont on peut saisir Retour à Lemberg : ce que permet la forme littéraire n’est pas tant la connaissance des faits historiques que les liens que nous entretenons avec ces derniers, le dévoilement des « lacunes laissées en nous par les secrets des autres », leurs histoires qui se tissent à la nôtre.


Indications bibliographiques

Stéphane Audoin-Rouzeau, Séminaire « L’arsenal du juriste » (Florence Bellivier et Rainer Maria Kiesow), EHESS, 26 mars 2018.
François Azouvi, Le mythe du grand silence : Auschwitz, les Français, la mémoire, Paris, Fayard, 2012.
Olivier Beauvallet, Lemkin : Face au génocide, Paris, Michalon, 2011, Collection « Le bien commun ».
Annette Becker, Messagers du désastre : Raphael Lemkin, Jan Karski et les génocides, Paris, Fayard, 2018, Collection : «Fayard Histoire ».
Gary J. Bass, Stay the Hand of Vengeance. The Politics of War Crimes Tribunals, Princeton: Princeton University Press, 2000.
Donald Bloxham, Genocide on Trial: War Crimes Trials and the Formation of Holocaust History and Memory, Oxford: Oxford University Press, 2001.
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité. Cours du Collège de France, 2000-2001, Paris, Raisons d’agir, 2001.
Johann Chapoutot, Le meurtre de Weimar, Paris, Presses Universitaires de France, 2015.
Daniel Jonah Goldhagen, Les bourreaux volontaires de Hitler : les Allemands ordinaires et l’Holocauste, Traduit de l’anglais par P. Martin, Paris, Seuil, 1997.
Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele, Paris, Grasset, 2017.
Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Seuil, 2017.
Yannick Jaffré « “Dire l’histoire” : Entretien avec Ivan Jablonka », Corps, 11, 2013, p. 19-27.
Hersch Lauterpach :
Private Law Sources and Analogies of International Law, Londres: Longmans, Green and Co, 1927. 
The Function of Law in the International Community, Oxford, Clarendon Press, 1933. 
Raphael Lemkin :
Qu’est-ce qu’un génocide ?, Traduit de l’anglais par A. Spiess, Paris, Éditions du Rocher, 2008.
Ce volume contient la traduction de neuf chapitres de Axis Rule in Occupied Europe, Washington: Carnegie Endowment, 1944, Collection « Carnegie Endowment for International Peace, Division of International Law ».
Totally Unofficial. The Autobiography of Raphael Lemkin, New Haven: Yale University Press, 2013.
Curzio Malaparte, Kaputt, Traduit de l’italien par J. Bertrand, Paris, Gallimard, 2017.
Pierre Nora (Sous la direction de), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard, 1987.
Mark Osiel, Juger les crimes de masse : La mémoire collective et le droit, Traduit par J.-L. Fidel, Paris, Seuil, 2006.
Robert Paxton, « The Reich in Medias Res », The New York Review of Books, LXV (19), 2018.
Régine Robin, Un roman d’Allemagne, Paris, Stock, 2016.
Joseph Roth, « Voyage en Galicie », in  Croquis de voyage : Récits, Paris, Seuil 1994
Philip Sands, What our Fathers Did: A Nazi Legacy
Judith N. Shklar,  Legalism: Law, Morals, and Political Trials, [1964], Cambridge, Harvard University Press, 1986.
Anna Seghers, L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus [1948], Titre original : Der Ausflug der toten Mädchen, Traduit de l’allemand par J. Lefebvre, Toulouse, Éditions des Ombres, 1993, Collection « Petite bibliothèque des ombres».
Jacques Sémelin : 
– « Du massacre au processus génocidaire », Revue internationale des sciences sociales, 174, 2002, p. 483-492.
Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005, p. 371-389. 
Éric Vuillard, L’ordre du jour, Paris, Actes Sud, 2017.
Annette Wieviorka :
Les procès de Nuremberg et de Tokyo, Bruxelles, Éditions Complexe, 1996.
Le procès de Nuremberg, Paris, Liana Levi, 2017.
L’Ère du témoin, Paris, Hachette, 1998.
Michaël Walzer, Guerres justes et injustes : Argumentation morale avec exemples historiques, Traduit de l’anglais par S. Chambon et A. Wicke, Paris, Belin, 1999.

Quelques recensions de Retour à Lemberg

Constance Pâris de Bollardière, De Lemberg à Nuremberg, La vie des idées, le 28 septembre 2017. 

Steven Erlangen, Finding His Place, Reluctantly, in the Tribe of Judaism, NYT, 16 septembre 2016.

Richard Evans, East West Street by Philippe Sands and A Passing Fury by AT Williams review, The Guardian, 6 juillet 2016.

Bernard-Henri Lévy, East West Street by Philippe SandsNew York Times, 23 mai, 2016

Jean-Yves Potel, Retour à Lemberg, Mémoires en jeu, 17 octobre 2018.

Thibault de Ravel d’Esclapon, Philippe Sands : Retour à Lemberg, Dalloz actualité, 10 octobre 2017.

Lionel Richard, Enquête sur un meurtre de masse, dans Historia mensuel, n°849, Septembre 2017.

Stéphanie de Saint-Marc, De Lviv à Lemberg, En attendant Nadeau,  23 janvier 2018.

Danny Trom, Retour à Lemberg, retour de Lvouv : Un autre récit, Cités 2019/1 (N° 77), p. 131 à 149

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