Saga de Shanghaï

par Frédéric Viey

Rubrique estivale 2024/D’après Noam Urbach, Shanghaï, p.356-362, in Edith BRUDER (sous la direction de), Juifs d’ailleurs : Diasporas oubliées, identités singulières, Traduction des contributions en anglais par J. Darmon, Paris, Albin Michel, 2020.

Shanghaï la bagdadienne/1
Au début du XIXème siècle, Shanghaï n’était qu’un petit village de pêcheurs. Avec la signature du Traité de Nankin en 1841 stipulant l’ouverture de cinq ports internationaux, elle se développe très rapidement. Grâce à l’ouverture vers l’Occident, Shanghaï, située dans la partie Est du delta du Changjinag, au bord de la mer de Chine orientale, s’ouvre au commerce international et à la convoitise des grandes puissances. Dès le début du XXème siècle cette ville, la plus cosmopolite des cités internationales, fut appelée « Paris de l’Orient« .

Vue de Shanghaï /Circa 1940

Ce lieu, accueillant des légations internationales, à partir de 1930, permit à des milliers de Juifs venus d’Allemagne et d’Autriche via le Canal de Suez d’entrer sur son territoire sans visa.
Dès 1842, Shanghaï s’ouvrit au commerce étranger alors que les Français ne prirent pied dans cette ville que le 6 avril 1849. Les Sassoon furent les premiers des quinze commerçants britanniques qui s’installèrent définitivement sur le continent chinois.
Le premier embryon d’une communauté juive fut donc formé par les employés même de la D. Sassoon Company. Commence alors la saga des grandes familles juives bagdadiennes, installées en Inde, qui a fait l’histoire de cette métropole cosmopolite. Parmi elles, on retient les Sassoon, les Rothschild de l’Orient.  

David Sassoon (assis) avec ses fils

« Vérité et Confiance » telle fut la devise de cette famille.  Le fondateur de cette dynastie fut Cheikh Sassoon ben Salah (1750-1830), Président de la Communauté Juive de Bagdad durant presque quarante ans et responsable des finances des pachas ottomans de Bagdad.
Son fils, David Sassoon (1792-864), qui avait une connaissance de l’hébreu, de l’arabe, du persan, du turc et de l’hindoustani, quitta Bagdad pour Bombay où il fonda la « David Sassoon and C° »’ avec des succursales à Calcutta, Shanghaï, Canton et Hong-Kong.
Shanghai, asile de nuit/2
En 1933, les lois raciales en Allemagne obligent les Juifs du IIIème Reich à fuir le régime nazi. ‘’L’Univers Israélite’’ fait part à la Communauté Juive française des prises de position des leaders chinois vis-à-vis des persécutions contre les Juifs d’Allemagne : Mme Sun Yat Sen, la veuve du grand réformateur chinois, transmet au Consul Général d’Allemagne à Shanghai, une résolution protestant contre les persécutions juives.
Devant le péril de l’extermination par les nazis, quelques communautés Juives de l’Europe centrale et Orientale ont pu fuir et se réfugier en Chine. On peut distinguer deux axes de passage et deux périodes différentes :
– Par le Canal de Suez pour les Juifs allemands et autrichiens- Par Vladivostok pour les Juifs polonais, lithuaniens et russes.
Vers 1933, devant le danger que représentait le Nazisme, les Juifs allemands comprirent qu’il fallait quitter le pays. La seule ville qui pouvait les recevoir sans exiger de visa était alors Shanghaï. Compte tenu de ses légations étrangères, cette ville cosmopolite fut la seule grande ville dans le monde où un visa n’était pas obligatoire pour y rentrer.
Les autorités allemandes laissèrent partir un grand nombre de juifs sur des bateaux italiens pour la Chine via le Canal de Suez. Le Dr Feng Shan Ho, ce brillant consul général de Chine à Vienne, en Autriche, de 1938 à 1940, a été l’un des premiers diplomates à sauver des Juifs (autrichiens) en leur délivrant des visas pour quitter l’Europe. Pour cet acte héroïque, il a reçu la Médaille des Justes parmi les Nations.

Dr Feng Shan Ho et son épouse

En 1940, le Consul japonais de Kaunas, Chiune Sugihara délivra plus 2.139 visas permettant à plus de 6.000 juifs de quitter la Lithuanie pour se rendre en Extrême-Orient.

Chiune Sugihara

C’est par cette route que transita la Yéchiva de Mir. Dans un premier temps, les juifs furent dirigés sur Kobé et après Pearl Harbour, ils furent expulsés vers Shanghaï. A Shanghaï, une grande partie de cette population fut parquée dans le Ghetto de Hongkew mais jamais les autorités japonaises n’acceptèrent les thèses de la solution finale de leurs alliés allemands.
Dès les années trente, cette ville chinoise ne fut seulement un asile de nuit mais un refuge pour des milliers de réfugiés de toutes confessions et de toutes nationalités. 
Une autre raison était que dans l’Empire du Milieu, la société chinoise n’a jamais été antisémite, bien au contraire.  Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale que se développa malheureusement l’antisémitisme en Chine propagé en premier lieu par les Européens.
Le Ghetto d’Hongkew/3
En juillet 1942, Joseph Messinger, ‘’Le Boucher de Varsovie’’ débarque à Shanghaï. Pressé par Himmler pour faire adopter la politique d’extermination des Juifs par les autorités japonaises, il fait le siège de Tsutomu Kutoba, directeur des ‘’Affaires Juives’’.  Or, le Gouvernement japonais refuse toute solution finale ; ils acceptent même de placer les réfugiés juifs dans une zone restreinte : Hongkew.

Ghetto de Shanghaï/Circa 1940

La dernière vague de réfugiés, provenant de Pologne et de Lithuanie, arrive entre l’été 1940 et décembre 1941. Ils parviennent à Shanghaï après être passés par la Russie soviétique, la Manchourie ou le Japon. Or, devant l’arrivée massive de ces nouveaux immigrants, les responsables des Communautés Juives séfarades et aschkénazes demandent aux autorités japonaises de créer un ghetto dans ce quartier Hongkew. Ce quartier était déjà connu comme un asile pour les réfugiés d’Allemagne, d’Autriche, de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Lithuanie.

Yechivah Ketana/École talmudique pour enfants/Shanghaï/Circa 1930

La création du Ghetto d’Hongkew, sur le territoire de Pudong, fut proclamée officiellement par les autorités japonaises, le 18 février 1943. Un décret fut publié dans la presse, diffusé sur les ondes radiophoniques et placardé sur tous les murs de la ville. C’est ainsi que naquit le Ghetto de Hongkew, en effet, le 18 février 1943, les forces d’occupation japonaise ordonnèrent que tous les réfugiés arrivés dernièrement à Shanghaï, s’installassent dans un quartier spécial avant le 18 mai 1943.
Ce ghetto fut dirigé par des officiers japonais.
Les portes du ghetto étaient gardées par des Juifs et par des sentinelles japonaises. Ceux-ci appartenaient à la Pao Chia, police étrangère auxiliaire, créé en septembre 1942 par les Japonais. Des laissez-passer étaient délivrés par Ghoya et Okura, assistants de Kubota au bureau des réfugiés apatrides. Les permis étaient donnés selon le bon vouloir de ces deux hommes.
Ils portaient la mention « Passage autorisé » : un permis bleu était valide pour trois mois, un rouge de un à cinq jours.  Ghoya, par ses airs de Matamore, de petit caporal, fut brocardé par les réfugiés du ghetto. L’un d’eux le caricatura sous le titre de « Ghoya, Roi des Juifs ». Il délivrait des laissez-passer mensuels ou trimestriels à ceux qui pouvaient justifier d’un travail.  À la fin de la guerre, ce triste personnage fut assassiné par deux résidents juifs du ghetto.

Scène de la rue dans le ghetto de Shanghaï/Circa 1940

Aujourd’hui de nombreux voyageurs viennent visiter le site du Ghetto d’Hongkew, ils se promènent dans le jardin de la Synagogue Ohel Moishé, visitent le Musée, rendent hommage au mémorial et aux deux Justes japonais et chinois (Dr Feng Shan Ho, Chiune Sugihara) puis se rendent dans le Parc où une stèle commémorative en chinois, en anglais et en hébreu rappelle l’établissement de ce ghetto.