Primo LEVI, Moi qui vous parle : Conversation avec Giovanni Tesio, Traduit de l’italien par M.-P. Duverne, Paris, Tallandier/Pocket, 2017.

Giovanni Tesio souhaitait écrire une « biographie autorisée » de Primo Levi alors au sommet de sa carrière d’écrivain. Et celui-ci avait accepté que cet universitaire et critique littéraire l’interrogeât sur sa vie et sur son œuvre… Ces entretiens, menés entre le 12 janvier et le 8 février 1987, devaient être approfondis et complétés par d’autres conversations, et surtout par un travail d’écriture consistant…


Ce projet demeura inachevé : la mort de Primo Levi survint le 11 avril 1987 et le fruit de ces échanges préparatoires interrompus resta longtemps inédit… Et de fait, on pouvait légitimement douter de l’intérêt que pourraient représenter ces échanges rapides, incomplets (la période de déportation n’est pas même évoquée !) et à peine esquissés. D’autant que l’œuvre même du grand écrivain italien est largement autobiographique..
Pourtant, malgré le caractère d’ébauche que revêt cette « ultime interview », on ne peut qu’être sensible au ton sans artifice de la conversation familière. On est finalement touché par ces confidences d’un homme pudique si proche de l’heure de sa mort et qui se souvient des membres de sa famille, de ses professeurs, de ses camarades de classe, de lycée puis d’université… Les réponses laconiques, lacunaires et parfois évasives de Primo Levi sont souvent plus brèves que les questions qui lui sont adressées mais partout y brillent l’intelligence et le cœur d’un écrivain qui n’a aucun des habituels travers des « hommes de Lettres ». Aucune vanité, aucune fausse modestie, aucune complaisance à soi… Sa modestie, fruit sans nul doute d’un intense travail de réflexion sur soi, rayonne.
Dans ce trop bref recueil, aussi, on s’enchante de trouver, comme jetée par hasard, une formulation suggestive et d’une grande profondeur. Ainsi, son interlocuteur l’interroge sans grande nuance sur son rapport au judaïsme :

« – Vu que nous parlons de ton père : je crois savoir que tu n’as pas été élevé dans le judaïsme », Primo répond, résumant toute la complexité de sa situation : « Plus ou moins » …
La nuance et la distinction importent beaucoup à cet esprit raffiné et subtil.
Plus loin, répondant à cette même question, il ajoute au sujet de son père : « Il n’en parlait pas. Je me souviens du jour – je devais avoir quatre ans – où il me dit : « Nous sommes juifs ». Je lui demandai ce que cela signifiait, et il m’a fait un long discours dont je n’ai rien compris. J’ai lié le mot « juifs » au mot « livres », et encore maintenant, il y a pour moi un lien faussement étymologique entre « livre » et « juif » (…).
– Oui, mais il y a une assonance (« ebreo » et « libro »).
Une assonance qui n’a rien de fortuit, car le peuple juif est le peuple du livre. Ce dont je n’avais pas pris conscience à l’époque. Mon père non plus peut-être».