L’âme humaine en huit chapitres

Note de lecture

Rédigée par Iris Lévy

Moïse MAÏMONIDE, Traité des Huit Chapitres, Titre original : שמונה פראקים/Chmoné prakime, Traduction et commentaires d’A. Toledano, Éditions In Press, 2021.

Sifriaténou a contribué régulièrement à enrichir le sommaire de la revue L’Arche en proposant des ouvrages de pensée juive à ses lecteurs. Iris Lévy a présenté brièvement cet ouvrage dans l’Arche n°691 (Mars-avril 2022).

Si la Torah et ses commandements ont bien valeur d’obligation, la Loi ne condamne nullement celui qui s’y soumet à un idéal de vie triste. Porter le joug de la Loi n’est pas incompatible avec une « vie bonne ». Bien au contraire ! C’est ce dont on se persuadera en lisant Le Traité des Huit Chapitres (שמונה פראקים/Chmoné prakime).

Cet ouvrage occupe une place singulière dans l’œuvre du grand ordonnateur de la Torah que fut Maïmonide : rédigé en arabe en 1168, il sert de préface au commentaire qu’il a entrepris de donner du Traité des Pères (פרקי אבות/Pirké Avote), ce grand précis d’éthique juive ; il traite des fondements de la vie intérieure, à la lumière du Talmud et de la Torah bien évidemment, mais aussi de la philosophie et de la médecine.
Les huit chapitres abordent différents aspects de la condition humaine, des vertus intellectuelles et morales, dépeints dans le but d’aboutir à une connaissance véritable du projet divin pour l’homme, ultime et seul horizon valable de l’existence.
Maïmonide analyse ainsi les différentes facultés de l’âme humaine, dont la connaissance est essentielle à l’homme pour parfaire ses vertus : tout comme le médecin doit connaître les différentes parties du corps, celui qui souhaite soigner son âme doit en maîtriser les ressorts.
Le traitement des maladies de l’âme, auquel est consacré le quatrième chapitre, repose sur la recherche de la voie médiane (midah beynonite/מידה ביינונית), concept central de la pensée maïmonidienne. Pour Maïmonide, la voie de la sagesse est celle du « juste milieu », à entendre non comme une placide médiocrité de bon sens mais comme une tension entre des extrêmes, comme un effort.  Il appartient en effet à l’homme de réévaluer sans cesse son tempérament, ses pulsions, pour se rapprocher de cette ligne médiane. Le courage apparaît ainsi comme une voie médiane entre la lâcheté et la témérité. L’individu dont l’attitude pencherait vers l’une ou l’autre de ces deux extrémités doit, pour se corriger, tendre un temps vers l’ extrême inverse, pour aboutir in fine, à la vertu souhaitée. Un exercice spirituel d’équilibriste, en somme.
Ariel Toledano voit dans ces précieux conseils l’esquisse, avant l’heure, d’une forme de psychothérapie à visée rééducative. Aux antipodes d’une logique ascétique, la « Torah et les mitsvote » invitent l’homme à tendre vers cette voie médiane – qui n’est certes pas synonyme de perfection réalisée – car « Il n’est pas d’homme juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir », Ecclésiaste 7 : 20.
Le dernier chapitre du Traité développe une dimension, essentielle à la pensée de Maïmonide et qui sert de fondement à tout l’édifice : l’irréductible libre arbitre de l’homme. Si tout individu peut être prédisposé à certaines qualités, ou défauts, il reste résolument libre de ses choix et actions. Le Rambam détaille son propos, à la lumière des textes et de la tradition – ainsi, quel sens donner à l’accomplissement des commandements, ainsi qu’au système de rétribution si l’homme n’est pas libre ? –, et s’attache à commenter et interpréter certains extraits de la Torah pouvant accréditer la thèse d’un déterminisme absolu.
Cette affirmation du libre-arbitre humain est porteuse d’espoir : il ne dépend, finalement, que de l’homme d’être vertueux ou mauvais, et de placer sa vie sous la conduite de l’éthique.
Encore doit-il s’y consacrer rationnellement et s’y employer activement…
Le Traité des Huit Chapitres offre, pour accomplir ce travail sur soi, un guide lumineux. La nouvelle traduction et les commentaires d’Ariel Toledano, lui-même aussi médecin et talmudiste, ont le grand mérite de proposer une version accessible et contemporaine de ce texte, parfois décrit comme le premier traité hébraïque de psychologie ; il donne en tout cas un accès royal à la découverte de l’éthique juive (moussar/מוסר) enracinée dans la pratique de la Loi.

IRIS LÉVY