Notes de lecture/1
Rédigée par Roger Mehl.
Lazare Landau, De l’Aversion à l’Estime : Juifs et Catholiques en France de 1919 à 1939, Paris, Le Centurion, 1980.
Note de lecture 1/Article initialement publié dans la Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, Année 1981, 61-2, p. 199-200. Mis gracieusement à la disposition du public par le site Persée.
L’antisémitisme a connu en France un regain de vitalité de 1919 à 1939, alors même que les persécutions des Juifs en Pologne, en Autriche, en Allemagne auraient dû faire comprendre qu’il n’y a pas d’antisémitisme inoffensif. C’est cette histoire douloureuse que L. Landau retrace dans un livre bien documenté, d’une belle objectivité.
Il s’est borné à l’antisémitisme en milieu catholique, sans pour autant imputer à l’Église catholique la responsabilité de ce courant. Il a même tendance à penser que les antisémites catholiques étaient, à de rares exceptions près (R. Brasillach par exemple) des catholiques purement sociologiques, voire d’authentiques mécréants qui, dans le sillage de Maurras, défendaient non point l’Évangile, mais l’institution romaine, gardienne de l’ordre social. Nous serions, pour notre part, moins catégorique : un Claudel, si profondément chrétien, n’a jamais surmonté un antisémitisme viscéral et un Bernanos, que Landau classe trop généreusement aux côtés de Maritain et de Mounier, n’a pas non plus vaincu son antisémitisme, même s’il dénonça la méthode hitlérienne pour résoudre la question juive et se contenta de réclamer pour les Juifs un statut d’étrangers.
Comme l’auteur le souligne à juste raison, toute crise politique et surtout économique provoque entre les deux guerres des poussées d’antisémitisme. Durement touchée par la crise économique, la bourgeoisie a cherché un bouc émissaire et elle l’a trouvé dans le Juif, considéré à la fois comme maître du capitalisme international et comme agitateur révolutionnaire : Xavier Vallat expliquera qu’il n’y a là aucune contradiction, que capitalisme international et révolution communiste ne sont que les deux faces d’une même entreprise de subversion dirigée par les Juifs.
Landau parle d’un antisémitisme structural : entendons par là qu’il fait partie des structures inconscientes et qu’il trouve ses arguments n’importe où. En fait, l’antisémitisme français n’a pas renouvelé ses « idées » depuis l’affaire Dreyfus. Il véhicule toujours l’image d’un Juif étranger, apatride, prêt à toutes les trahisons. C’est manifestement Maurras et l’Action française qui constituent le noyau de tout ce mouvement et qui inspirent les Ligues (malgré quelques réticences chez les Croix-de-feu), les hebdomadaires comme Candide, Je Suis Partout, Gringoire. Ce nationalisme antisémite a effectivement suivi avec sympathie et un manque total de lucidité la montée de l’hitlérisme. Landau reconnaît que, malgré la condamnation par Rome de l’Action française, beaucoup de catholiques ont été séduits par la doctrine de Maurras et lui sont plus ou moins ouvertement restés fidèles.
L’antisémitisme a gagné d’autres couches de la population que les seuls milieux bourgeois, petits bourgeois et conservateurs, c’est ce qui explique combien les premières mesures antisémites de Vichy ont suscité peu d’émotion en France.
L’une des originalités du livre de L. Landau c’est qu’il a étudié les réactions de la communauté juive face à l’antisémitisme. Jacques Madaule qui préface le livre estime que l’auteur a été bien sévère pour les siens. En effet, celui-ci note essentiellement deux types de réaction : d’une part les Juifs, établis de longue date en France et complètement assimilés au point que leur judaïcité avait été souvent estompée n’ont pas vu d’un bon œil les Juifs immigrés venus d’Europe centrale et orientale et beaucoup d’entre eux n’ont pas hésité à faire chorus avec les antisémites ; d’autre part les autorités religieuses du judaïsme, souvent trop timorées, n’ont pas su faire front contre l’assaut antisémite. L’Alliance israélite universelle voyait dans la complète assimilation le vrai remède à l’antisémitisme. La création tardive du Congrès mondial juif ne supplantera l’Alliance que difficilement.
Mais des hommes comme André Spire et surtout Edmond Fleg contribuèrent puissamment à rendre aux Juifs français la conscience de leur singularité religieuse et favorisèrent à l’approche de la Deuxième Guerre mondiale la naissance d’un judaïsme spirituel tout neuf, au moment même où se dessinait dans le catholicisme une approche elle aussi neuve du judaïsme.
La renaissance des études bibliques renvoie bien des catholiques à la lecture de l’Ancien Testament, tandis qu’apparaissent des vies de Jésus au sein du judaïsme spirituel. Une mutuelle estime commence, timidement, à naître. Elle va être fortifiée par l’épreuve de 1939-1945.
L. Landau estime que l’assimilation complète, idéal de la bourgeoisie juive, a été un échec. Elle n’a pas fait reculer l’antisémitisme ; elle a été pour Israël un véritable suicide. Sans se départir de son objectivité d’historien, l’auteur ne cache pas ses préférences pour une fidélité renouvelée à la foi traditionnelle. Nous le suivrons volontiers sur cette voie, source d’un véritable œcuménisme judéo-chrétien.
Mais il n’aborde pas le problème du sionisme. On peut le regretter, car le sionisme complique certainement le problème, dans la mesure où il revalorise, comme un élément important de la foi juive, l’attachement à un pays et à une patrie.
Note de lecture/ 2
Rédigée par Yves Chevalier.
Mise gracieusement à la disposition du public par la revue Persée. Cet article a été publié dans les
Archives de Sciences Sociales des Religions, Année 1981 51-2 , p. 253-254.
L’Entre-deux-guerres est, dans l’histoire d’une France épuisée par les démentes hécatombes de 14-18 où tant hommes jeunes étaient tombés, une sombre époque. À la recherche d’un équilibre démographique économique et social confronté aux conséquences de la grande crise mondiale de 29, le pays n’arrivera pas avant septembre 1939 à accomplir le redressement nécessaire. Or, c’est sur cette toile de fond faite la fois d’espoirs et de désillusions que les relations entre Juifs et chrétiens ont connu une évolution assez particulière : d’une part, une croissance de l’antisémitisme qui aboutit finalement au trop fameux statut des Juifs de Vichy, élaboration purement française mais, d’autre part, la naissance d’une amitié judéo-chrétienne véritable avec les efforts de quelques pionniers pour présenter un autre visage plus conforme du judaïsme.
Tout le livre de Lazare Laudau est là, dans l’étude de ce contraste, de ses raisons et de ses évolutions. 1918 avait été l’étiage de l’antisémitisme : au front tout le monde était français et Maurice Barrés lui-même reconnaissait dans Les diverses familles spirituelles de la France (1917) que les Juifs étaient pas différents des autres Français qui défendaient « l’honneur de l’Europe ».
Bien vite cependant la situation allait changer : c’est en 1920 que La Libre Parole de Drumont d’une part, La Vieille France d’Urbain Gohier d’autre part publièrent une traduction des Protocoles des Sages de Sion qui, selon Darquier dit de Pellepoix restera la bible des antisémites. En fait Lazare Landau montre qu’il plusieurs courants antisémites qui, s’ils relèvent tous plus ou moins de la droite ou de extrême-droite, n’ en sont pas pour cela confondus. Entre le courant catholique conservateur de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes de Mgr Jouin, celui de Je Suis Partout avec Rebatet, Drieu La Rochelle L.-F Céline et Brasillach et celui de Charles Maurras et son Action Française, des différences existent qui ne sont pas seulement de degré.
Reste que le portrait que l’antisémite – et en particulier les écrivains antisémites français de l’Entre-deux-guerres – trace du Juif (p.70-140), d’un Juif imaginaire et cependant extrêmement réaliste : comploteur, corrupteur, révolutionnaire et capitaliste à la fois, aura, sur le public, un impact certain, d’ autant plus que la période et ses difficultés générales se prêtent admirablement une interprétation policière de l’histoire, pour reprendre ici une expression utilisée par Poliakov dans son dernier ouvrage (La causalité diabolique, Paris Calmann-Levy, 1980). Landau en analyse longuement dans le chapitre intitulé Chaîne et trame de antisémitisme en France (p.141-202) la fois les éléments structurels qui rattachent antisémitisme de l’Entre-deux-guerres et celui de la période précédente (c’ est-à-dire celle de l’Affaire) et les éléments conjoncturels dont la grande peur du Front Populaire que ressentent en 1936 tous les conservateurs.
Face à cet antisémitisme de plus en plus sûr de lui, Landau étudie les deux autres partenaires de la même pièce : d’une part le nouveau visage de la France (p.203-266) que donnent un certain nombre de chrétiens qui s’engagent aux côtés des Juifs en enracinant leur démarche sur une réflexion profonde de la signification du christianisme et de ses rapports avec le judaïsme et en cherchant mettre en œuvre une action méthodique, malheureusement à l’époque inopérante.
Il faudra en fait le drame d’Auschwitz pour réveiller la conscience chrétienne. Et d’autre part la réponse juive (p.267-337) faite à la fois de peur, de solutions partielles dont la solution sioniste qui reste cependant très marginalisée par la communauté juive de France et l’espoir, espoir de jours meilleurs et d’un judaïsme retrouvé. D’aucuns pourront trouver que l’historien brosse un tableau trop noir qui donne de la France de l’Entre-deux-guerres une image déformée En fait, il n’en est rien et cet ouvrage révèle un visage mal connu de notre pays, peut- être parce qu’on a trop souvent insisté sur certaines figures de proue, celle un Jacques Maritain, d’ un Marc Sangnier ou celle d’un Emmanuel Mounier, en oubliant que durant la même époque beaucoup de Français ne tiennent pas les Juifs pour des « frères authentiques ». (…)
Le travail de Lazare Landau constitue une monographie rigoureusement documentée, matériau indispensable pour tous ceux qui cherchent à comprendre ce qu’est l’antisémitisme et le pourquoi de son évolution en France.
Vous m’avez donné envie de lire l’essai de Monsieur Landau. Merci