Note de lecture
Rédigée par Marie-Laure Rebora
Elie Wiesel, Rashi, Paris, Grasset, 2010.

« Il est la première référence. Le premier secours. Grâce à une étincelle venant de lui comme un sourire, tout s’éclaire. » C’est ainsi qu’Elie Wiesel, rassemblant ses souvenirs d’enfant né dans une famille hassidique et marqué par son éducation religieuse, ouvre son portrait de Chlomo ben Yitzhak, rabbin de Troyes du XIème siècle et commentateur par excellence du Tanakh (Bible hébraïque) et du Talmud, l’un des rares à faire l’unanimité et à être étudié au sein de l’ensemble des communautés juives, plus connu sous son acronyme Rachi.
Avec son talent incomparable de conteur allié à des qualités d’exégète formé dès le plus jeune âge, il introduit à l’univers de Rachi, entre histoire et légende, évoquant ses parents, sa naissance et ses premières années, sa formation auprès de son propre père, lui-même un grand érudit auquel Rachi ne manque pas de faire référence à certains endroits de ses commentaires, et auprès des disciples des plus grands sages de son temps, Rabbi Gerchom Meor HaGolah et Rabbi Yaakov ben Yakar. Sont également rappelées ses trois filles, Yocheved, Miriam et Rachel, à qui il conféra une éducation soignée, de sorte qu’elles étaient parfois consultées sur des questions de pratique religieuse ; Yokheved donnera elle-même naissance à d’éminents exégètes bibliques et talmudiques et autorités rabbiniques reconnues (tossafistes), tels que Rachbam et Rabbénou Tam.
L’écrivain juif américain n’omet pas non plus des éléments de contextualisation historique à propos de la Champagne et de Troyes, lieu de vie de Rachi et centre intellectuel majeur de l’époque, des relations compliquées entre Juifs et non Juifs, même si les échanges n’étaient pas rares, si bien que les enseignements de Rachi étaient aussi appréciés de certains chrétiens qu’il influença, et enfin des Croisades qui assombrirent sa fin de vie par les pogroms qu’elles suscitèrent tout le long de l’itinéraire des croisés, notamment en Rhénanie où les communautés juives, bien connues de Rachi, furent victimes de massacres de masse. Selon Elie Wiesel, ces violences et hostilités chrétiennes contemporaines ont pu influencer l’interprétation très dure, aussi héritée du Midrach, du personnage biblique d’Esaü, associé en grande partie au monde chrétien.
Car les dernières parties du court essai sont émaillées de commentaires, brefs et éclairants, de Rachi sur la Création, Ismaël, la ligature d’Isaac, Esaü, Jacob et Rachel et aussi le lien indéfectible du peuple juif à la Terre d’Israël… autant de sujets chers au Sage de Troyes dont Elie Wiesel invite à prolonger l’exploration par la lecture des autres commentaires de Rachi…
Une lecture qui ouvre donc sur d’autres (re)lectures…