Note de lecture
Rédigée par Marie-Laure Rebora
Dora BREITMAN, Demain, j’ai rendez-vous avec Bob Dylan, Paris, Éditions Maurice Nadeau, 2012.
Montmartre a Amélie Poulain, serveuse aux Deux-Moulins, 15 rue Lepic, le Marais a Juliette Spiegelman, présidente intérimaire du Pitchipoy, restaurant associatif, 7 rue des Écouffes. C’est avec la même légèreté humoristique et décalée présente dans le film de Jean-Pierre Jeunet que Dora Breitman pose un regard attendri et drôle sur ce petit monde qui évolue au quotidien autour et à travers les yeux de Juliette, la narratrice, qui, récemment divorcée, aspire à une nouvelle vie.
Tout un monde où se côtoient Lilli, l’amie du lycée en couple avec « Moumoute », un Autrichien (au grand dam de Juliette !) ; Sergueï, Dragana la Serbe et Fadila l’Algérienne, les employés du Pitchipoy ; Éléonore de La Fougeraie, bobo au style très snob, la terrible rivale de Juliette au Pitchipoy ; Bijou, la Juive polonaise laïque qui ne cesse de poser des questions sur Dieu ; Simon, le voisin séf’ taquin avec ses « La’hziza »/ma princesse à tue-tête, homme d’affaires au grand cœur ; James Boutbol, le Séf’ israélien, ami de Simon ; les Blum, les hôtes du Sabbat, et tant d’autres, sans compter ces êtres qui, chacun à sa manière, animent la rue des Rosiers, figures bien connues, qu’ils soient de simples passants ou les habitants des lieux : ces Juifs, éloignés du judaïsme, qui viennent y chercher une proximité, un sens de la communauté ; ces Juifs partis sur les traces de leurs grands-parents, résidents d’avant la guerre ; ces Loubavitch et Juifs pratiquants stationnant par petits groupes dans la rue et ces visiteurs « goyim » qui aiment à s’y sentir comme « un étranger à Jérusalem ».
Sans oublier, sur une note plus tragique, les « absents », ceux qui, « dans la précipitation et dans l’effroi de la Rafle, n’eurent pas le temps de jeter sur cette rue un dernier regard ».
L’auteur fait revivre tout un univers qu’elle connaît elle-même fort bien et dont, à l’image de Juliette, elle est l’héritière : celui des Juifs ashkénazes, et plus spécifiquement polonais, installés dans le « Plätzel » (ou Pletzl), dont on croit même entendre retentir, à chaque page, la langue mâtinée de vocables hérités du yiddish, comme « Katzele », « Kein eyn orè » et surtout Pitchipoy, cette expression méprisante qui, nous dit l’auteur, désigne un « trou paumé », un endroit situé nulle part.
C’est précisément à partir de ce « nulle part » du « Pitchi » que, comme Amélie, Juliette construit de toutes pièces son propre monde au centre duquel elle place Bob Dylan, l’Américain, si proche et si lointain à la fois, dont les photos et les textes tapissent un panneau entier du restaurant. Car elle l’admire et souhaite le rencontrer…
Une pépite d’humour juif, tout en musique !