Note de lecture
Rédigée par Laurence Chemla
Françoise OUZAN, Ces Juifs dont l’Amérique ne voulait pas 1945-1950, Préface d’André Kaspi, Éditions Complexe, 1995, Collection « Questions du XXème siècle ».
Ce petit ouvrage au titre accrocheur, précis, dense et extrêmement bien documenté, traite de l’attitude qu’ont adoptée les États-Unis envers les populations qualifiées de « personnes déplacées » à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier des Juifs.
Françoise Ouzan explique comment et pourquoi un grand nombre de ces DP (suivant l’abréviation américaine) a littéralement végété dans des camps d’internement jusqu’en 1950. L’appellation de « personnes déplacées » concernait tous les déportés des camps de concentration (Juifs et opposants au nazisme), les personnes qui avaient fui l’Allemagne nazie ou d’autres régimes fascistes, les civils ayant fui les combats et les bombardements alliés, les populations transférées du fait des bouleversements des frontières en 1945 (annexions soviétiques), les Baltes et les Volksdeutsche (« Allemands ethniques »).
Les Juifs rescapés de la Shoah représentaient donc 20% de ces personnes déplacées. Il ne s’agissait pas seulement des Juifs libérés des camps de concentration, mais encore des Juifs qui ne pouvaient plus vivre en Pologne à la suite des terribles pogroms de 1946, dont celui de Kielce.
L’historienne montre comment les premiers centres de rassemblement de personnes déplacées de la zone américaine furent les anciens camps de concentration eux-mêmes où les conditions de vie n’étaient guère meilleures qu’avant leur libération, sauf que le processus d’extermination avait cessé…
Les camps, entourés de barbelés, étaient gardés par des militaires armés qui les traitaient « comme des esclaves ». Les DP juifs souffraient de malnutrition – voire de dénutrition – et le manque de vêtements les obligeait soit à garder leur uniforme de prisonniers, soit à porter ceux des officiers nazis. S’ajoutaient à cela le manque d’installations sanitaires et le surpeuplement qui créait une promiscuité favorisant les épidémies, dont la tuberculose : des milliers de Juifs moururent ainsi après la Libération.
De plus, les Juifs devaient cohabiter avec les Volksdeutsche et surtout les Baltes, anciens collaborateurs des nazis, responsables d’ un pesant climat d’antisémitisme et de violence : « Comment regrouper sous les mêmes initiales les profiteurs et leurs victimes, les oppresseurs et les opprimés ? ».
Suite au rapport Harrison du 24 août 1945 qui constata la gravité de la situation, on tenta de regrouper les Juifs dans des camps de rassemblement, mais tous ne furent pas aussi bien lotis. Si certains centres de rassemblement devinrent au fil du temps de véritables petites cités, d’autres, en revanche, restèrent de véritables centres d’internement.
Dans un article de juin 1946, le juge américain Rivkine écrivit : « Quand je les vis partager leurs maigres rations avec les nouveaux arrivants, donnant leurs vêtements en haillons à ceux qui sont moins bien lotis, faisant de la place dans leurs lits à ceux qui n’en ont pas, le concept de charité juive acquit à mes yeux un sens nouveau ». L’UNRA – fondé en 1943 auquel succéda l’IRO en 1946 – organisme de secours aux réfugiés des Nations Unies, était débordé, d’autant plus que toujours plus de personnes fuyant les régimes communistes venaient s’ajouter aux personnes déplacées. Un rapport des services secrets de l’Armée, en date de mai 1949, révéla : « des centaines, sinon des milliers de collaborateurs nazis se trouvent dans les camps de personnes déplacées ».
Seule l’émigration pouvait mettre fin à cette situation. Les Juifs voulaient surtout partir soit en Palestine, soit aux États-Unis.
L’historienne souligne combien le président Truman était sincèrement sensible à la situation des DP juifs, peut-être grâce à son ancien associé de la chemiserie qu’il dirigeait dans sa jeunesse, Eddie Jacobson. Aux États-Unis, le président se heurtait au Congrès qui, d’une part, tenait à maintenir la Loi des Quotas de 1924, et d’autre part était extrêmement réticent à l’immigration juive, considérant celle-ci comme un vecteur de l’idéologie communiste.
Ainsi, jusqu’en 1950, non seulement la date retenue pour l’obtention du statut de DP fut le 22 décembre 1945, excluant ainsi les Juifs ayant fui les pogroms polonais de 1946, mais en plus de nombreux parlementaires américains préférèrent favoriser l’immigration des Volksdeutsche et des Baltes : pour eux, la priorité n’était pas d’accueillir les rescapés de la Shoah, mais de favoriser la doctrine d’endiguement du communisme à travers l’immigration des personnes fuyant le communisme.
« Lorsqu’émigrer aux États-Unis devient impossible, atteindre la Terre promise demeure le seul espoir ». Ainsi, le président américain insista aussi auprès du Premier ministre britannique – Attlee, afin que celui-ci ouvre grand les portes de la Palestine aux Juifs. Mais, jusqu’à la fin du mandat britannique, Attlee persista à appliquer – obstinément – la politique du Livre blanc de Chamberlain de 1939 pour ménager les populations arabes. La plupart des bateaux illégaux furent interceptés, l’épisode le plus marquant restant celui de l’Exodus en juillet 1947, avec des « passagers contraints de descendre sous les coups de matraques des Anglais tandis que les civils allemands observaient ébahis ».
Beaucoup de Juifs modérés de Palestine s’unirent alors aux membres de l’Irgoun pour lutter contre le mandat britannique. Malgré tout, de 1945 jusqu’à la création de l’État d’Israël, 115 000 immigrants furent amenés en Palestine après de longues périodes d’internement (environ 800 trouvèrent la mort, sur la terre d’Israël, au cours de la Guerre d’Indépendance).
Il s’agit d’un livre vraiment essentiel qui dépeint le point de vue de la société américaine sur les rescapés juifs voulant fuir l’Europe où leurs familles, leur passé et leurs biens avaient été engloutis.
Merci beaucoup pour cette note qui m’a décidé à posséder cet ouvrage le plus vite possible
Un bel article, nécessaire au devoir de mémoire. Le meilleur ami de mon père s’est suicidé à la suite de cet épisode. Il s’appelait David. Mon fils aussi. N’oublions rien