Note de lecture
Rédigée par Cécile Dunouhaud.
Israël ZANGWILL, Le Roi des Schnorrers, Traduit de l’anglais par I. di Natale et M.-B. Spire, Postface de M.-B. Spire, Paris, Éditions Autrement, 1994, Collection « Littératures ».
Considéré comme le Dickens juif, Israël Zangwill publie en 1894 un court roman devenu depuis un des classiques de l’humour juif : Le Roi des Schnorrers.
Figure présente dans de nombreux witz, le Schnorrer est la figure stéréotypée du pauvre et du paria par excellence, le mendiant de profession, le parasite redouté et décrié par la littérature sociale mais aussi, paradoxalement, encensé par l’ordre religieux. Devenu essentiel à la vie sociale, cet « exclu » n’en est pas moins recherché car il donne à chacun l’occasion d’obéir aux commandements divins, de pratiquer la Tsedaka/la charité et de satisfaire à la tradition d’avoir un pauvre à sa table le jour du Sabbat.
Inspiré par la vie menée dans le ghetto juif de l’East End de Londres et le fameux quartier de Whitechapel marqué par la violence, la pauvreté extrême mais aussi une religion pratiquée de manière rigoriste parfois jusqu’à l’absurde, Zangwill a créé le personnage de Manasseh da Silva, Schnorrer, fin connaisseur de la religion et des hommes, qui embrasse totalement son statut de paria. Car Schnorrer, comme le souligne ironiquement Zangwill par l’intermédiaire de Manasseh, c’est aussi un métier … qui rapporte et « la seule occupation qui ne connaît pas de morte saison » !
Ce roman illustre la capacité juive à l’autodérision, à souligner ce qui unit et divise les individus, les travers moraux des uns et des autres et les limites de la pratique religieuse avec le rabbin Hareng du Remord, réputé pour sa pingrerie, et Joseph Grobstock. Ce dernier, trésorier de la Grande synagogue, philantrophe dont l’orgueil se nourrit des aumônes qu’il prodigue aux mendiants, est pris à son propre jeu par Manasseh qui finit par le dépouiller rapidement de ses habits neufs et d’un appétissant saumon. Massaneh finit par renverser les rôles. « Nous devons à notre rang de permettre aux classes aisées de faire la charité du fond de leur cœur, nous n’avons pas le droit de les négliger » souligne-t-il dans une forme de cynisme social universel.
Les différentes communautés juives, qui évoluent dans une Angleterre qui refuse « tout droit civique à ses Juifs, sauf celui de payer des impôts », ne sont pas épargnées. Manasseh est un sépharade issu de la communauté juive hispano-portugaise, qui en dépit de sa hauteur et de son intelligence, demeure réticent à voir sa fille épouser Yankelé un Juif polonais qu’il met à l’épreuve, quitte à affronter le Ma’amad qui lui demande des comptes sur cette union jugée inacceptable. C’est dans ce cadre que Manasseh gagne son titre de Roi des Schnorrers.
Tout en abordant la question de la permanence de l’héritage et de l’identité culturels et des contradictions qui en résultent, avec humour, Zangwill interroge le lecteur sur la difficulté à concilier liberté, tolérance mutuelle et maintien de l’héritage culturel des individus, réflexion profondément contemporaine.
Merci pour cette mise en appétit.