Terre des Justes
par Laurence Walbrou
Patrick CABANEL, Philippe JOUTARD, Jacques SÉMELIN, Annette WIEVIORKA, « La montagne refuge : Accueil et sauvetage des juifs autour du Chambon sur Lignon » Albin Michel, 2013.
Le Chambon-sur-Lignon… Ce nom est synonyme de refuge et havre de paix, un symbole d’hospitalité mais aussi de résistance. Situé sur le Plateau Vivarais-Lignon, au cœur de la Haute Loire et aux confins des Cévennes, ce lieu a caché, accueilli et sauvé des Juifs de France et d’Europe pourchassés et plus généralement tous ceux qui tentaient d’échapper à la persécution nazie. Consacré par Yad Vashem, « le Chambon » est devenu, aux yeux du monde entier, la « Terre des Justes » aux temps tragiques de l’Occupation.
Mais qui sont donc au juste les hommes et les femmes qui ont accompli ce qui ne leur semblait alors « que » leur devoir ? d’où leur sont venus la force morale, le tenace courage et l’esprit d’organisation qui ont fait le succès de l’entreprise de sauvetage à grande échelle qu’ils ont mené?
Si la mémoire de ce lieu a été entretenue par de nombreux témoignages et si la transmission perdure, les derniers témoins oculaires disparaissent. Aussi devient-il impérieux que la mémoire passe le relai à l’histoire. C’est à quoi s’est employé un collectif d’historiens dans un ouvrage richement illustré et fort bien documenté : « La montagne refuge : Accueil et sauvetage des juifs autour du Chambon sur Lignon ».
Terroir Protestant entre Haute-Loire et Haute-Ardèche, situé à équidistance de Lyon, Clermont-Ferrand et Nîmes, on vécut longtemps au Chambon en totale autarcie et coupé du monde jusqu’à ce qu’un petit train – surnommé bien plus tard CFD (« ça file doucement ») par les élèves du Collège Cévenol- ne vienne désenclaver ce lieu isolé et ses alentours.
La Montagne-refuge
Le Plateau, radieux à la belle saison avec ses forêts et ses prés couverts de jonquilles et de genêts, perché à mille mètres d’altitude, se fige sous des hivers rigoureux et interminables.
Les habitants, descendants des Camisards, ont gardé le souvenir des années de « désert » et des sanglantes dragonnades, conséquences de la Révocation de l’Édit de Nantes, qui fit des Réformés des parias promis à la mort ou forcés à la conversion – que peu acceptèrent. Aussi, riches de ce passé enfoui dans la mémoire collective et individuelle, affichant avec simplicité et clarté leur foi chrétienne profondément enracinée dans tous les actes de la vie, les gens de la Montagne portent-ils en eux une véritable culture de la résistance à l’oppresseur et au persécuteur. À travers la coexistence subtile de la lutte par les armes réelles et par celles de l’Esprit, qui se complètent plus qu’elles ne s’opposent, jointe à une parfaite connaissance de l’Ancien Testament, ils partagent avec le peuple juif de profondes « affinités mémorielles« , selon l’expression heureuse de P. Joutard (p.189-197).
Le Chambon s’était ouvert au monde dès la fin du XIXème siècle, avec « l’Œuvre des Enfants à la Montagne », créée et développée en 1893 par le pasteur Louis Comte (p.39-62), grande figure du christianisme social. Bouleversé par la misère des enfants du bassin minier stéphanois qui vivent dans d’épouvantables conditions d’insalubrité et de malnutrition, le pasteur Comte avait organisé le départ de centaines d’enfants de toutes confessions vers les fermes où plus de six cents familles d’accueil leur permirent de se refaire des forces vives deux mois durant en pleine nature tout en recevant une nourriture saine. L’œuvre du pasteur, épris de justice et animé par l’idéal socialiste des origines, se poursuit encore de nos jours. À la même époque, et plus fortement après la Première Guerre Mondiale, la région, réputée pour son air particulièrement sain, devient un lieu de villégiature pour touristes protestants aisés et fortunés. Une important réseau hôtelier se développe et fait du Chambon et ses alentours des lieux de villégiature, bien loin de l’enfermement et l’autarcie agricole. Ces infrastructures touristiques préexistantes formeront, plus tard, un asile sûr pour les nombreux réfugiés que la guerre va jeter sur les routes.
Résistance civile
Résister ne nécessite pas forcément le recours aux armes ni l’engagement politique ; P. Cabanel n’hésite pas à user du concept de « résistance spirituelle » (p.171-187). C’est avec les « armes de l’Esprit » que la lutte s’est développée ici, contre l’occupant et les lois de Vichy entre 1942 et 1944, et pour sauver le plus grand nombre possible de vies. En créant d’abord du lien social entre communautés, il s’est agi de mettre à l’abri ceux que les lois iniques signées de la main de Pétain avaient désignés comme « indésirables » au point de les déchoir de tout ce qui faisait leur vie, qu’ils soient juifs étrangers, récemment naturalisés ou français depuis des générations. La stratégie consisterait à les faire sortir des camps de rétention pour les disperser en milieu non-juif dans des familles, des écoles non confessionnelles ou des institutions chrétiennes, dans l’attente de l’exfiltration vers l’Espagne ou la Suisse.
Le Plateau avait acquis une solide expérience en matière de sauvetage des réfugiés : depuis la fin des années 1930, il avait vu affluer des Républicains espagnols, des Allemands et Autrichiens opposants au nazisme, puis des Hollandais et Français du Nord refluant sous l’avancée des troupes allemandes. En 1942, les communes du Chambon, de Tence, de Saint Agrève et du Mazet Saint Voy, disposant déjà de toute une infrastructure d’accueil étaient prêtes à recevoir des familles juives en fuite. C’est ainsi que les nombreux hôtels, homes d’enfants, pensions de familles, ainsi que l’École Nouvelle Cévenole, tout récemment créée, ouvrirent grandes leurs portes aux réfugiés venus par le petit train à vapeur aux rudes banquettes de bois, reliant l’Ardèche à la Haute Loire. Jusqu’à vingt-cinq nationalités différentes cohabitèrent dans la région entre 1940 et 1944, prises en charge par des organismes juifs et non juifs, collaborant étroitement et efficacement. Mais c’est sous l’impulsion de ses pasteurs et de leurs épouses, et derrière son maire, ses enseignants, son médecin, que s’engagea toute la population.
« Sans crainte, sans orgueil et sans haine »
André Trocmé et son épouse Magda arrivent au Chambon en 1934. Fervents pacifistes et militants pour l’objection de conscience, engagés dans le Mouvement International pour la Réconciliation qui prône l’amitié avec les ennemis d’hier, ils sont accueillis avec méfiance, leurs engagements étant désapprouvés par les hautes instances de l’Église Réformée. Issus de la très haute bourgeoisie, ils ont opté pour un engagement intégral auprès des plus pauvres, faisant leurs premières armes dans des paroisses du Nord de la France, logeant dans des presbytères insalubres parmi une population minée par l’alcoolisme et la misère. Après un temps d’adaptation et un accueil mitigé, le couple est séduit par la région et ses habitants et se fit rapidement apprécier. Restent quelques grincheux qui s’offusquent de voir la femme du pasteur se baigner dans le Lignon !
Le 23 juin 1940, André Trocmé, accompagné de son pasteur-assistant Édouard Théis, prononce au temple un prêche resté fameux. Alors que Charles Guillon, maire du Chambon, pasteur lui aussi, vient de démissionner du conseil municipal pour ne pas avoir à appliquer les lois de Vichy, les pasteurs affirment clairement leur opposition au nouveau maître de la France assujetti aux forces d’occupation et collaborant volontiers avec elles. Aucun membre de la communauté n’accepte de fermer les yeux sur le rejet de l’étranger et la mise à l’index des Juifs, alors que trente mille d’entre eux, étrangers ou devenus apatrides, sont déjà retenus captifs dans les camps du sud du pays.
« …Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience les armes de l’Esprit. Nous résisterons, lorsque nos adversaires voudront exiger de nous des soumissions contraires à l’Évangile. Nous le ferons sans crainte, comme aussi sans orgueil et sans haine. Ne renonçons pas à la liberté sous prétexte d’humilité, pour devenir des esclaves, pour plier lâchement devant les idéologies nouvelles (…) Cette doctrine, ceux qui ont vaincu notre pays vont tenter de nous y soumettre par la force et, ce qui encore bien plus dangereux, d’en imprégner la société française (…) Si l’on ne parvient pas tout de suite à soumettre nos âmes, on voudra soumettre au moins nos corps. Nous faisons appel à tous nos frères en Christ pour qu’aucun n’accepte de collaborer à cette violence ! », p.171.
Dans l’approbation générale, chacun se prépare à faire sa part sans se préoccuper de ce que fera le voisin, afin de garantir sa sécurité. Les mois suivants, des dizaines, puis des centaines de familles ou d’enfants seuls, munis d’un maigre bagage, arrivent dans la petite gare. « Je viens de recevoir un Ancien Testament », disait le pasteur. « Je le prends chez moi ! », répondait qui le pouvait.
Mais il fallait des fonds et des appuis sûrs.
La logistique de l’accueil
Dès l’hiver 1940, André Trocmé entre en relation avec Burns Chalmers, représentant américain des Quakers, qui négocie la libération des Juifs internés dans les camps du sud et cherche pour eux un lieu d’hébergement sûr : le Chambon et sa région sont l’endroit idéal, enclavé dans la France libre. La Croix Rouge suisse, les Quakers, le gouvernement de Suède, des organismes américains et même la famille Rockfeller, chez qui André fut naguère précepteur, s’engagent à fournir les fonds nécessaires. L’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants), agence juive de protection de l’enfance et la CIMADE (Comité Inter-Mouvements Auprès Des Évacués), groupe féminin protestant mené par Madeleine Barot, vont convoyer les enfants jusqu’à destination, et plus tard, organiseront les filières d’évasion vers la Suisse.
La vie s’organise, et cette population pourtant éprise de droiture et de vérité se lance dans la fabrication de faux papiers et falsifie ses registres : Roger Darcissac, le directeur du Collège Cévenol, installe un studio photo pour créer de fausses cartes d’identité. Ni lui, ni Edouard Théis, co-fondateur du collège, ne répertorient sur leurs registres le moindre élève ou professeur juif comme l’exige le nouveau maître de la France. Les douze pensions du Chambon, « la Guespy », « Faidoli », « Chez Tante Soly »… résonnent bientôt des rires et jeux d’enfants presque comme les autres.
« Personne ne demandait qui était juif et qui ne l’était pas. Personne ne demandait d’où vous veniez. Personne ne demandait qui était votre père ou si vous pouviez payer. Ils nous acceptaient simplement tous d’un accueil chaleureux, protégeant les enfants, souvent non accompagnés par leurs parents…Des enfants qui pleuraient la nuit à cause de cauchemars. », témoigne Elizabeth Koening-Kaufman, ancienne enfant réfugiée au Chambon.
Les enfants assistent régulièrement aux offices religieux protestants où seule sera lue la Bible hébraïque par respect pour leur foi, et rejoignent les mouvements scouts dont ils portent l’uniforme et l’insigne. Mais à aucun moment quiconque ne tentera de les convertir à la foi chrétienne. Au contraire, André Trocmé encourage le culte juif au sein même de son temple, où des hommes en « talite »/châles de prière feront des années durant résonner les mots de la Torah.
Au reste, nombre de grands intellectuels juifs (p. 155-167) appelés après la guerre à jouer un rôle majeur dans la reconstruction du judaïsme français ont séjourné au Chambon et, sans nul doute, y ont puisé force et inspiration : André Chouraqui, Jacob Gordin, Jules Isaac, Léon Poliakov, Georges Vajda.
Quelques-uns des « résidents » juifs du Chambon
Enfants juifs réfugiés du Chambon
Eté 1942 : le tournant
La nouvelle de la rafle du Vel d’Hiv’, survenue le 16 juillet, provoque une émotion et une consternation sans égales parmi les réfugiés et la population locale. Si le culte du chef de l’État est ici rejeté en bloc, que son portrait n’a jamais figuré dans aucun logis ni lieu officiel, que nul chant n’a été entonné à sa gloire ni cloches sonnées en son honneur, le Chambon ne peut se dérober à la visite du ministre de la Jeunesse, Georges Lamirand, admirateur éperdu de son mentor. Sidéré par la foule silencieuse, les rues non pavoisées, le « banquet » lugubre et frugal composé de rations réglementaires, il finit par abréger son discours à la gloire de la jeunesse de France, prunelle des yeux du Maréchal. Au temple, les pasteurs Trocmé et Théis ayant refusé de mener le culte, un pasteur suisse s’en charge. C’est au moment de son départ, alors que la voiture officielle est déjà avancée que l’attend le coup de grâce. Un groupe d’élèves du Collège Cévenol s’avance et lui tend une lettre qu’il lit sur le champ :
« Monsieur le ministre, nous avons appris les scènes d’épouvante qui se sont déroulées il y a trois semaines à Paris, où la police française, aux ordres de la puissance occupante, a arrêté dans leurs domiciles toutes les familles juives de Paris pour les parquer au Vel d’Hiv (….). Nous craignons que les mesures de déportation des Juifs soient bientôt appliquées dans la zone sud. Nous tenons à vous faire savoir qu’il y a parmi nous un certain nombre de Juifs. Or, nous ne faisons pas de différence entre juifs et non-juifs. C’est contraire à l’enseignement évangélique. Si nos camarades, dont la seule faute est d’être nés dans une autre religion, recevaient l’ordre de se laisser déporter ou même recenser, ils désobéiront aux ordres reçus et nous nous efforcerions de les cacher de notre mieux. », p. 122.
La voiture de Lamirand démarre en trombe. Le Préfet Robert Bach, qui pourtant subit de fortes pressions gouvernementales (p.115-123), prévient André Trocmé : dans quelques jours, les Juifs du Chambon seront recensés. Celui-ci répond : « Nous ignorons ce qu’est un juif. Nous ne connaissons que des hommes » in Magda et André Trocmé, figures de Résistance, p. 149.
La zone libre envahie
À compter de cet instant, les réfugiés cessent d’être en sécurité. Les 25 et 26 août, averti d’une rafle imminente, André Trocmé met à l’abri in extremis quarante-deux réfugiés juifs dans les fermes les plus reculées. Les brigades de gendarmerie locales abandonnent vite les recherches. Le cabinet du préfet Bach et la gendarmerie regardent ailleurs ou préviennent de leur venue. En novembre, l’Allemagne envahit la zone sud et le maquis s’organise. Jeunes Juifs de la région de Marseille et réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire instauré à partir de février 1943) s’engagent dans la lutte armée. Dans les villages, des « pères tranquilles » exercent leur métier le jour et participent à des opérations la nuit.
Mais le 13 février 1943 la police française vient arrêter André Trocmé, Edouard Théis et Roger Darcissac. C’est la consternation au Chambon, même si ce n’est une surprise pour personne. Ils resteront captifs vingt-huit jours dans un camp près de Limoge et relâchés, certainement après intervention du préfet. Mais les pasteurs refusent obstinément de signer un acte d’allégeance à Pétain.
Le 29 juin 1943, la police allemande jugeant ses homologues français inefficaces, secondée par les miliciens et délateurs locaux, vient arrêter avec une grande violence dix-neuf jeunes étudiants étrangers de la Maison des Roches, juifs ou réfugiés politiques. Un seul survivra.
Daniel Trocmé, leur responsable et neveu du pasteur partagera leur sort : il ne reviendra jamais du camp de Maïdanek.
Comme lui, des Justes ont donné leurs vies au nom de leur idéal et de leur foi : Roger le Forestier, médecin du Chambon, dévoué à tous et pourvoyeur de faux papiers, est arrêté et fusillé en 1944. Dorcas Robert, l’épicière, dont le bar servait de « boîte à lettres » et de lieu de réunions clandestines, Dora Rivière, l’une des premières femmes médecin d’avant-guerre, qui coordonnait l’accueil des réfugiés et les filières d’évasion vers la Suisse sont arrêtées ensemble et partent pour Ravensbruck. Dorcas n’y survivra pas.
« Les armes de l’esprit »
Tourné en 1982 par Pierre Sauvage, lui-même enfant caché du Chambon, et sous-titré « Une conspiration pour le Bien », ce documentaire inégalé recueille les témoignages inestimables de témoins majeurs du sauvetage : pasteurs, juifs réfugiés, paysans protestants, tous aujourd’hui disparus. La modestie et la simplicité pudique de leurs propos se passe de commentaires.
En voici quelques extraits :
« Ça s’est fait naturellement. On ne comprend pas qu’on fasse tant d’histoires autour. Ça s’est fait, tout simplement (…) J’ai aidé, parce qu’ils avaient besoin d’être aidés (…) Dans la Bible, il est écrit de donner à manger à celui qui a faim, de visiter celui qui est malade. C’est une chose normale. », Georgette Barraud, institutrice alsacienne devenue propriétaire de la pension « Beau Soleil » au Chambon.
« Un dimanche où nous nous trouvions au culte à Tence, le pasteur est venu taper à la porte et il a dit : « trois Anciens Testaments sont arrivés » Et un vieux frère s’est levé et a dit ; « je les prends » (…) Votre foi est vaine si vous n’avez pas des œuvres qui suivent. Si tu ne donnes rien à ton frère, tu es un pauvre malheureux. », Marie Brotte, protestante Darbyste, Fay-sur-Lignon.
« On parlait de la vie avec ceux qui croyaient, ceux qui ne croyaient pas. Ils parlaient de leurs malheurs, de leurs craintes, de leurs espérances. Et puis alors, le soir, on avait le culte ensemble. C’était difficile parce qu’il y avait presque une majorité d’israélites ! Alors moi, comme pasteur protestant, j’essayais de ne choquer personne. Alors on lisait des textes de l’Ancien Testament, on chantait les Psaumes. », Pasteur Marc Donadille, pensionnaire au Coteau Fleuri, foyer de la CIMADE au Chambon.
« On ne demandait pas des explications. Personne ne demandait rien. Les gens qui venaient, si on pouvait leur rendre service (…) Il avait des affaires à cacher, il m’a demandé s’il se trouvait pas quelque coin. Fallait pas les laisser trainer là, les Allemands étaient au Chambon… Nous pensions que c’était quelque chose de normal. D’ailleurs je pense que tous les paysans du Chambon vous diront la même chose (…) A mesure qu’une difficulté se présentait, chacun, dans son coin, faisait ce qu’il croyait (…) C’était un consensus général », Magda Trocmé.
Ensemble
Les époux Trocmé, fortement éprouvés par la mort accidentelle d’un de leurs fils en 1944, quittent le Chambon en 1948.
Ils consacreront leur vie à la paix, parcourant les lieux de conflits du monde entier, proposant toujours l’option du dialogue à l’escalade de la violence. André apprend sa nomination en tant que Juste parmi les nations, quelques mois avant sa mort, en 1971. Il s’exclame : « Pourquoi moi, et pas la foule des paysans de Haute Loire, qui ont fait plus que moi ? Pourquoi pas ma femme, dont la conduite fut exemplaire et qui a été plus héroïque que la mienne ? Pourquoi pas mon collègue Edouard Théis, avec lequel j’ai tout partagé en fait de responsabilités ? Je ne puis accepter la médaille de Juste qu’au nom de tous ceux qui se sont mouillés pour nos frères et nos sœurs persécutés injustement jusqu’à la mort. Malgré tout, je me sens encore coupable de ce qui n’a pas été fait. » in Le Plateau, terre d’accueil et de refuge, p. 115.
Magda reçut, seule, la médaille qui les honorait tous deux, André étant décédé quelques jours seulement avant la cérémonie. En 1981, Édouard Théis et son épouse Mildred étaient décorés à leur tour, suivis de Roger Darcissac et Charles Guillon. Quatre-vingt-dix médailles individuelles suivirent. A jamais marqués, les enfants sauvés de naguère, devenus adultes, revinrent sur les lieux de leur salut et gardèrent souvent un lien indéfectible avec ces gens du Plateau Vivarais qui leur avaient ouvert la porte au mépris des risques encourus. C’est en 1990 que Yad Vashem décerna un diplôme d’honneur exceptionnel à l’ensemble des habitants du Chambon sur Lignon et des communes voisines : ainsi étaient comblés les vœux d’André. –
Sur son fronton austère, le temple du Chambon offre à la vue des visiteurs ces mots : « Aimez-vous les uns les autres » …
Ici, ces paroles de l’Évangile de Jean ne restèrent pas lettre morte.
Références bibliographiques
- Souvenirs d’une vie d’engagement : Mémoires de Magda Trocmé, Presses Universitaires de Strasbourg, 2021.
- Magda et André Trocmé : figures de Résistance, Textes choisis et présentés par P. Boismorand, Paris, Cerf, 2008.
- Le Plateau, terre d’accueil et de refuge, Préface de P. Cabanel, éditions Dalmazon, 2013.
- Laurence Walbrou, Quelques justes parmi les hommes, Paris, Éditions Salvador, 2020.