L’accueil des indésirables : 
Aux origines de la communauté juive brésilienne

par Jean-Yves Carfantan 

Jeffrey LESSER, Welcoming the Undesirables : Brazil and the Jewish question/Accueillir les indésirables : le Brésil et la question juive, Berkeley, University of California Press, 1995.

On signalait bien dans les manuels d’histoire, même si c’était briévement, la première présence de Juifs au Brésil, arrivés au XVIIème siècle avec les troupes hollandaises. Mais le récit national a longtemps méconnu, voire ignoré, un autre moment constitutif de l’histoire du Brésil : celui de la difficile immigration de familles juives venues d’Europe et du Proche-Orient, entre 1885 et 1945.
L’historien américain Jeffrey Lesser a mis fin à cette occultation avec Welcoming the Undesirables : Brazil and the Jewish question in. Par cet ouvrage – qui a suscité un vif intérêt à sa parution en 1995 au Brésil même-, ce spécialiste de l’identité brésilienne et de sa construction, restituait un chapitre peu exploré de la diaspora juive en Amérique du Sud. et retraçait, en s’appuyant sur une impressionnante documentation brésilienne et internationale, l’histoire d’un grand mouvement de masse qui aboutira à la création de la troisième communauté juive du continent américain (120 000 membres aujourd’hui).

Quelques milliers parmi des millions

Entre la fin du XIXème siècle et l’après Seconde Guerre mondiale, le Brésil a reçu une forte immigration européenne. Moteur d’une économie alors en plein essor, l’État de São Paulo devient la destination principale des migrants, d’abord Italiens, Portugais et Espagnols. A partir de 1885, aux Européens du Sud s’ajoutent des migrants polonais, russes, ukrainiens et roumains. Le flux s’amplifie sur les premières décennies du XXème siècle. Les étrangers arrivent encore d’Europe mais aussi de l’ancien Empire Ottoman après la fin de la Première Guerre mondiale. Plus tard, à compter de 1933, s’ajoutent des réfugiés fuyant l’Allemagne nazie. 
Au total, entre 1881 et 1947, le Brésil a accueilli 4, 275 millions de migrants qui vont contribuer au peuplement de ce continent immense (16 fois la France). En 1890, on recensait 14,3 millions d’habitants. Ils seront 30,6 millions en 1920 et 41,2 millions vingt ans plus tard.

Carte du Brésil

Près de 73 000 Juifs ont participé à ce mouvement migratoire. Arrivés autour de 1893, les premiers migrants juifs viennent de Bessarabie et sont installés sur des colonies agricoles au sud du pays. Ils bénéficient du soutien de la Jewish Colonization Association (JCA), une œuvre créée en 1891 par le baron philanthrope Maurice de Hirsch. L’objectif de la JCA est d’aider les Juifs d’Europe de l’Est et des Balkans vivant dans une grande pauvreté à établir des colonies agricoles sur le continent américain. L’Association installe ses premiers migrants sur l’État le plus méridional du Brésil. 
L’installation de plusieurs centaines de familles dans  l’État du Rio Grande do Sul sera la première étape d’une émigration régulière et organisée des Juifs vers le Brésil à partir des premières décennies du XXème siècle. Aux Bessarabiens se joindront bientôt d’autres ressortissants de l’empire russe, puis des Polonais, des Roumains et des Allemands. Bientôt naturalisées, les générations successives de migrants juifs s’établissent principalement à São Paulo et à Rio de Janeiro.

Office de Roch Hachana/São Paulo/1940

Au Brésil comme ailleurs dans le Nouveau Monde, l’afflux d’émigrants concentré sur quelques décennies suscite des réactions xénophobes. Le gouvernement brésilien réagit de façon plus discrète que les autres États du continent : il n’introduit pas de quotas d’immigration. Il va préférer des méthodes de contrôle des flux migratoires moins affichées, jamais clairement revendiquées mais tout aussi efficaces. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, un dispositif de dissuasion est mis en œuvre à l’égard des migrants juifs. Il se durcira au cours des années trente puis à partir de 1940. Pourtant, cette politique discriminatoire n’empêchera jamais complètement l’entrée légale d’émigrés puis de réfugiés juifs sur le territoire brésilien.

La « question juive » au coeur des débats

Sur les sept décennies de mouvement migratoire qui intéressent Jeffrey Lesser, les Juifs représentent une minorité. Ce poids relatif très faible suffit pourtant à susciter un débat récurrent au sein du monde politique et de milieux intellectuels brésiliens. Au cours de la première moitié du siècle dernier, les débats parlementaires et la presse nationale accordent une place énorme à ce qui est appelé alors la « question juive ». Jusqu’au début des années 1930, soumis à la pression de groupes politiques nationalistes et antisémites, les gouvernements successifs vont chercher à réduire le nombre de Juifs candidats à une émigration vers le Brésil.
En 1930, lorsqu’il prend le pouvoir, le caudillo populiste Getúlio Vargas est entouré et accompagné par ces forces politiques nationalistes et xénophobes. Il offre à leurs dirigeants des postes-clés au sein du gouvernement fédéral. A partir de 1937, Vargas et ses alliés instaurent un régime dictatorial (dénommé l’Estado Novo) qui durera jusqu’en 1945. Proche de l’Allemagne nazie puis allié du Reich au début de la Seconde Guerre mondiale, ce régime n’adopte pas officiellement un antisémitisme visant les Juifs déjà installés depuis des décennies et souvent naturalisés. Il ne proclamera jamais qu’il refuse d’accueillir des Juifs candidats à l’immigration ou en quête d’un asile politique. Ce qu’on pourrait nommer le pétainisme brésilien n’a pas d’effet à l’intérieur du pays. Il est l’arme idéologique de la bureaucratie en charge de la fermeture des frontières. Il cherche à freiner au maximum l’arrivée de  populations « d’origine sémitique » (selon l’expression utilisée dans la sphère gouvernementale à l’époque).

Un antisémitisme alimenté à diverses sources 

Les élites politiques et économiques nationales ont été pendant des siècles nourries d’un catholicisme traditionnel. Cependant, les origines de l’antisémitisme qui va inspirer la politique migratoire pendant plusieurs décennies sont diverses. À la fin du XIXéme siècle, l’histoire du Brésil s’accélère. Le régime monarchique est remplacé en 1889 par une République fédérale. L’abolition de l’esclavage a été officiellement proclamé un an plus tôt. Le pays s’urbanise. Il reçoit une immigration de peuplement de plus en plus importante. Ces bouleversements inquiètent une partie de l’élite dirigeanted’origine européenne qui considère que le système social qu’elle domine est menacé. Il s’effondrera, pensent-ils, si les millions de Noirs auxquels on vient d’accorder la liberté parviennent à accéder à une pleine citoyenneté. Les secteurs les plus nationalistes et conservateurs de la classe politique et du monde de l’entreprise vont importer d’Europe une philosophie sociale qui légitime le maintien du statu quo politique et social. Arthur Gobineau, un « philosophe » français partisan d’un darwinisme social sera l’inspirateur idéologique de ces Brésiliens de l’élite qui s’inquiètent de l’avenir de la structure sociale qu’ils contrôlent. Avec son ouvrage Sur l’inégalité des races humaines (1853), Gobineau devient une référence dans plusieurs salons de Rio de Janeiro, la capitale. 
Des leaders politiques issus de l’extrême-droite et de la gauche radicale vont adopter ce biologisme pseudo-scientifique et l’ajouter à leur culture catholique traditionnelle. Ils forment une force parlementaire qui va se présenter comme défenseur ardent d’une identité nationale brésilienne menacée par les populations étrangères qui affluent. Selon ces « pétainistes des tropiques« , le Brésil ne pourra se développer économiquement qu’en pérennisant et consolidant le pouvoir que détient son élite d’origine européenne et chrétienne. Il doit se protéger de l’influence de cultures extérieures à l’Occident chrétien qui viendraient corrompre son identité profonde. 
Dans cet univers mental, l’accueil de migrants destinés à devenir brésilien n’est acceptable que si les postulants sont chrétiens, européens et disposés à accepter l’ordre social existant. En ce qui concerne les Juifs, les forces politiques nationalistes mobilisent évidemment tous les mythes et clichés produits par des siècles d’antijudaïsme chrétien. Elles ajoutent aussi les représentations que propagera l’antisémitisme européen au XIXème siècle. Ces populations d’origine « sémitique » sont indésirables au Brésil parce qu’elles ne sont pas européennes. Elles ne sont évidemment pas adeptes d’un catholicisme conservateur. Dénoncés à la fois comme les agents du communisme international et d’un capitalisme apatride, aux yeux des nationalistes xénophobes brésiliens, les Juifs ont tous les attributs qui en font des individus totalement inadaptés à la société qu’ils veulent intégrer. Ils sont indésirables…

Ne pas désobliger les États-Unis

Les forces politiques qui revendiquent ce nationalisme xénophobe ne veulent pas seulement consolider un système social. Elles veulent aussi faire du Brésil l’autre puissance économique du continent américain, capable de faire jeu égal avec les États-Unis. Le grand voisin est une référence. Il est aussi le principal créancier du Brésil déjà très endetté, qui a besoin de capitaux, d’investissements pour décoller. Pour prendre son essor, le « pays du futur » (c’est un qualificatif cher aux nationalistes) devra compter sur l’appui des États-Unis. Ce pays investit à tour de bras, devient une puissance industrielle, va supplanter l’Europe. Il attire les capitaux du monde entier. Les banques américaines sont les principales institutions à détenir des créances sur le Brésil. Pour que le pays se développe, il doit donc maintenir de bonnes relations avec ces créanciers. L’alliance avec les États-Unis est essentielle.

Vargas en compagnie de Franklin D. Roosevelt à Rio de Janeiro/1936

Dans la vision conspiratoire de ces xénophobes brésiliens, la finance américaine est évidemment aux mains des Juifs. Il n’est donc pas possible de conduire une politique migratoire qui discriminerait explicitement les Juifs et qui revendiquerait un caractère antisémite. Un tel aveu susciterait l’irritation de Washington, incommoderait un précieux allié et fermerait sans doute l’accès à……ses banques.

Une dissuasion bureaucratique

Entre le début du XXème siècle et les années 1930, ces élites ultra-conservatrices ne sont pas encore au pouvoir à Rio de Janeiro. Ils manœuvrent au Congrès et dans les ministères pour influencer la politique d’accueil des migrants. Le Brésil joue alors un double jeu, verse dans l’hypocrisie.
D’un côté, il se présente comme une terre d’accueil ouverte aux migrants de toutes origines qui veulent construire une nouvelle vie sous les tropiques et souhaitent participer au projet d’un pays neuf à construire. Ce discours lénifiant est destiné à rassurer les alliés et les investisseurs.
De l’autre, les gouvernements successifs vont construire un appareil de règlements, de décrets, de clauses et d’exceptions qui sont présentées comme des instruments neutres de gestion des flux d’entrée. Plus on s’approche des années trente, plus ces instruments sont affinés, complexes. Ils enrichissent au fil du temps un code de l’immigration élaboré pour freiner puis interdire l’arrivée des « indésirables », l’installation des Juifs. 
Le soin de mettre en œuvre cette réglementation sophistiquée est confiée aux représentations consulaires installées dans les capitales européennes. Ces missions diplomatiques sont bombardées de circulaires qui ne font jamais référence explicitement à une politique discriminatoire concernant les Juifs. Dans la plupart des cas, les diplomates destinataires partagent l’idéologie des nationalistes. Ils appliquent donc avec rigueur les directives qui ne cessent d’arriver de Rio de Janeiro. La ligne directrice est simple : décourager les candidats dès les premières démarches. 
Il faut d’abord dissuader les familles juives de solliciter des visas. Première méthode : les précieux sésames ne sont délivrés que par des chancelleries très éloignées des régions du vieux continent où vivent des communautés juives. On sait que les nombreux candidats à l’immigration sont souvent pauvres. Ils ne risqueront donc pas de gaspiller leurs maigres économies dans un long voyage dont les résultats sont très aléatoires.
Second procédé : seules sont examinées les demandes qui sont accompagnées d’une foule de pièces administratives que les Juifs pauvres de Russie, de Roumanie ou de Pologne parviennent difficilement à fournir.
Un troisième filtre sera bientôt ajouté : l’octroi de visas est réservé aux seuls demandeurs appuyés par des organisations caritatives juives connues qui auront dû au préalable déposer une forte somme sur un compte ouvert dans une banque brésilienne. Les requérants doivent de toute façon prouver qu’ils disposent d’un pécule suffisant pour vivre au Brésil tant qu’ils n’auront pas trouvé de travail. Lorsqu’ils sont parvenus à contourner tous les obstacles bureaucratiques, on leur fournit des visas qui ne valent que pour un embarquement sur des ports européens très éloignés de leurs régions d’origine. Souvent, les visas en question ont une durée de validité qui couvre à peine le temps du voyage. 

Mobilisation juive

Les organisations juives de soutien aux migrants vont se battre pour contourner ces obstacles et contraindre la diplomatie brésilienne à assouplir ce dispositif discriminatoire. Elles s’appuient d’abord sur les communautés américaines et européennes qui sont chargées de communiquer à la presse toutes les circulaires et directives envoyées aux diplomates brésiliens et que Rio de Janeiro ne parvient pas toujours à garder secrètes. Peu à peu, Washington réagit. L’ambassadeur du Brésil dans la capitale américaine est convoqué et chargé de transmettre un message désagréable à son gouvernement. La poursuite de la politique migratoire qui pénalise les Juifs pourrait affaiblir et compliquer les relations diplomatiques existantes entre les deux pays. A Rio de Janeiro, on réagit en louvoyant, en alternant rigueur « bureaucratique » et assouplissement temporaire. A Berlin, à Varsovie ou à Bucarest, des candidats à qui l’on avait prédit les pires difficultés sont étonnés de recevoir rapidement des visas d’entrée. Ces concessions épisodiques font l’objet à Rio de Janeiro d’une communication gouvernementale bien orchestrée afin de rassurer les diplomates de pays amis. 
Les associations comme la JCA vont aussi chercher à s’assurer des soutiens à l’intérieur du Brésil. Dans la capitale du pays, ses représentants approchent tous les parlementaires et membres du pouvoir exécutif qui contribuent à l’élaboration de la législation sur l’immigration discriminant les Juifs. Ils négocient des clauses dérogatoires, des exceptions. Ils se lient d’amitié avec des coreligionnaires déjà naturalisés qui les aident à nouer des liens avec les élus locaux. Ils plaident ainsi la cause des candidats à l’immigration auprès de gouverneurs d’Etats fédérés qui savent que leur région a besoin de main d’œuvre et ne partagent pas les préjugés et l’idéologie xénophobe qui inspirent la politique fédérale. Les membres de la JCA reviennent régulièrement à la charge. Ils s’appuient encore sur des hommes d’affaires européens qui ont émigrés au Brésil, investissent, développent le pays et ne goûtent guère le nationalisme xénophobe qui inspire la politique fédérale. 

Les ultra-réactionnaires brésiliens au pouvoir 

Toutes ces initiatives vont contraindre le Brésil à accueillir jusqu’au milieu des années trente un nombre significatif « d’indésirables »… Avec l’arrivée au pouvoir de Vargas, les forces nationalistes et xénophobes sont désormais directement responsables de la politique migratoire. Elles assument des portefeuilles ministériels et peuplent les cabinets.
Une fois au pouvoir les ultra-réactionnaires brésiliens ne mettront cependant pas en œuvre une politique répressive et discriminatoire à l’égard des Juifs naturalisés. Il n’y aura pas de statut des Juifs brésiliens. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vargas s’allie aux forces de l’Axe et va donner des gages à l’Allemagne nazie. Avec l’aide d’agents de la Gestapo présents sur le territoire brésilien, il chasse et expulse les réfugiés Juifs qui sont arrivés avec de simples visas touristiques. Il livre aussi directement à ses alliés des militants juifs anti-nazis qui avaient cru trouver un asile sous les tropiques. 
À partir de 1937, les consuls brésiliens rebelles qui continuent à octroyer des visas à des européens ou orientaux dont les certificats de baptême n’ont pas été vérifiés sont discrètement mais efficacement mis au pas et sanctionnés. Les rares familles juives qui parviennent encore à sortir du grand Reich ou des pays occupés et rejoignent des consulats brésiliens trouvent, sauf exceptions, les portes fermées. Le gouvernement de Rio de Janeiro fait preuve parfois d’un peu d’humanité. Il cherche à protéger son image et à éviter une rupture complète des relations avec les États-Unis. Il répond ainsi favorablement aux demandes de visas appuyées par des personnalités influentes comme Albert Einstein. En 1938, grâce à ses contacts étroits avec des scientifiques brésiliens, le grand physicien parvient ainsi à arracher quelques visas d’entrée au ministre des Affaires étrangères de Vargas, un certain Oswaldo Aranha. De façon générale, la majorité des Juifs qui fuient le nazisme seront refoulés ou ignorés par les réseaux diplomatiques brésiliens.

Oswaldo Aranha, Ministre des Affaires Étrangères dans le gouvernement de Gétulio Vargas

Les tribulations du Cabos de Hornos

Jeffrey évoque à ce propos l’histoire du navire espagnol Cabos de Hornos. En octobre 1941, le bâtiment est en route vers le port de Rio. À bord, on compte 86 juifs polonais et tchécoslovaques qui espèrent trouver un asile au Brésil. Ces passagers sont porteurs de visas délivrés en 1940 par l’ambassadeur brésilien auprès du gouvernement de Vichy, Luis Martins de Souza Dantas. Ils ont mis des mois pour attendre le port de Cadix, au sud de l’Espagne. Lorsqu’ils sont prêts à embarquer sur le Cabos de Hornos, la durée de validité des visas va expirer. Dantas ordonne au consul à Cadix de les renouveler. Les passagers ne savent pas que l’ambassadeur brésilien à Vichy est en très mauvais termes avec son gouvernement depuis que ce dernier a découvert qu’il avait délivré un millier de visas à des personnes persécutées par les nazis, y compris quelques centaines de Juifs. Lorsque le Cabos de Hornos accoste à Rio de Janeiro, les passagers ne sont pas autorisés à débarquer. Le commandant décide de poursuivre le voyage jusqu’en Argentine.

 Pendant ce temps, l’American Jewish Joint Distribution Committee (le Joint) alerte l’ambassade américaine au Brésil. Avec d’autres diplomates, le repré-sentant de Washington multiplie les pressions sur Oswaldo Aranha et demande au ministre qu’il autorise un débarquement des 86 passagers. Le cardinal de Rio, ami personnel du Président Vargas, plaide aussi la cause des réfugiés qui envisagent de se suicider si l’accueil ne leur est pas accordé. Le Paraguay annonce qu’il est prêt à recevoir ces Polonais et Tchèques si le Brésil leur concède un simple visa de transit pour rejoindre Asuncion depuis Rio. Au début de novembre 1941, le navire est de retour au large de la capitale brésilienne. Les visas paraguayens tardent à arriver. Le commandant du bateau est disposé à attendre. Les autorités portuaires refusent que les passagers débarquent. Vargas décide que le Ministère des Affaires étrangères ne peut pas reconnaître des visas émis en Espagne par un diplomate qui refuse de se conformer aux règlements.

Le Cabos de Hornos poursuivra son voyage vers le nord et sera finalement autorisé à débarquer ses passagers dix jours plus tard sur le port de Curaçao, une colonie néerlandaise de la Caraïbe. 

Épilogue 

Au milieu de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement Vargas rompt avec l’Allemagne nazie et rejoint le camp des alliés. La politique de discrimination à l’égard des réfugiés juifs ne sera pourtant abandonnée qu’à la fin de l’Estado Novo en 1945, avec le retour du Brésil à la démocratie.
Le 25 septembre 1947, l’Assemblée générale extraordinaire des Nations-Unies s’est réunie pour décider du partage de la Palestine. Elle élit alors comme Président un diplomate et homme politique brésilien : l’ancien ministre de Vargas, Oswaldo Aranha. Ce dernier va activement soutenir la résolution qui prévoit la création de l’État d’Israël. Il parvient à convaincre de nombreux pays membres de voter le texte. Des pays qui formeront une majorité le 29 novembre 1947, lorsque le texte est adopté. Six mois plus tard, date à laquelle prend fin le mandat britannique, Ben Gourion et les fondateurs d’Israël déclarent l’indépendance de l’État du nouvel Etat. Ils ne retiennent de la trajectoire du diplomate brésilien que sa précieuse contribution au vote de 1947. Aranha est reconnu comme un ami d’Israël, du sionisme et de tous les Juifs. Dans les années cinquante, une rue du centre de Tel Aviv prend le nom d’Oswaldo Aranha. Un peu plus tard, un square Oswaldo Aranha est ouvert à Jérusalem. 
Les historiens comme Jeffrey Lesser n’avaient alors pas encore commencé à fouiller toutes les archives. Lorsqu’ils l’auront fait, ils souligneront la trajectoire tortueuse d’Oswaldo Aranha. Ils révèleront aussi le rôle et l’engagement de l’ambassadeur Luis Martins de Souza Dantas qui recevra le titre de Juste parmi les Nations en 2003.

Souza Dantas/ Photo Fundação Alexandre de Gusmão

***

L’ouvrage de Jeffrey Lesser ne permet pas seulement d’éclairer une période de l’histoire du Brésil. Si l’auteur a centré son travail sur une politique migratoire inspirée par l’antisémitisme de milieux dirigeants, il souligne régulièrement que cette idéologie n’a jamais rencontré un appui populaire significatif. C’est aussi cela qui a contraint le gouvernement à accepter de temps en temps d’accueillir les « indésirables ». Le travail de Lesser fournit aux familles juives brésiliennes d’aujourd’hui une précieuse connaissance de la trajectoire de leurs ancêtres. A ce titre, il contribue à l’histoire du peuple juif tout entier.

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