CECIL ROTH :
« La religion des Marranes »

Traduit de l’anglais 
par Dominique Macabies

Extrait de Cecil ROTH, A History of the Marranos, New York/Philadelphie, Jewish Publication Society, 1932.

Cette traduction a donné lieu à plusieurs relectures, dont celle, méticuleuse, de Daphné Cousin-Martin, doctorante et enseignante à l’Université de Rouen. Nous la remercions vivement.

Présentation

La survie du peuple juif ne laisse pas d’intriguer. Elle apparaît comme un mystère pour les uns, ou comme une anomalie rationnellement explicable pour les autres… Mais au moins, dans tous les cas, peut-on essayer de trouver la clé de cette pérennité dans la Torah, dans ses enseignements, dans les institutions communautaires qui ont structuré la société juive, dans les rites et les coutumes d’Israël.
La persistance des Juifs marranes, dans toute la Péninsule ibérique et au-delà, présente pour l’esprit un problème analogue mais plus épineux encore, exacerbé, si l’on peut dire, jusqu’à l’énigme. 
Ces Juifs voués à l’extermination ont survécu tout en tentant de préserver leur identité. Durant environ quatre siècles (de 1391 au XVIIIème siècle) ni la conversion forcée à laquelle ils devaient se plier sous peine de mort, ni la constante surveillance de l’Inquisition – cette implacable et suspicieuse machine conçue pour traquer les hérétiques – n’ont eu raison de leur fidélité. Ils ont tout enduré mais ils ont perduré.
Pourtant, ces conversos, très rapidement, ont cessé de pouvoir disposer d’aucun texte de référence proprement juif ; l’hébreu s’était effacé de leur mémoire ; leur existence dispersée ne se soutenait d’aucune institution et les rites qu’ils étaient en mesure d’accomplir sans se trahir étaient plus que limités.
Le secret était leur lot, l’ombre leur domaine  ; et malgré cela, ils se sont maintenus.
L’historien britannique Cecil Roth a consacré à ces Juifs clandestins dont la survie étonne, un ouvrage classique : The History of Marranos
Cet ouvrage est ancien, certes. De nombreux et décisifs travaux ont, depuis sa parution en 1932, permis de mieux connaître l’histoire de ceux qu’on appelle désormais plus volontiers des crypto-Juifs. Citons, parmi une cohorte de chercheurs, le nom des historiens les plus fameux qui ont « restitué » dans toute son ampleur ce judaïsme occulté  :  ceux de Yosef Yerushalmi, de I. S. Revah, de Nathan Wachtel. Ils en ont exhumé les traces :  en fouillant dans les archives de l’Inquisition, en collectant des témoignages, en enquêtant dans toute l’Europe et jusqu’en Amérique latine. On connaît ainsi désormais avec plus de précision et de finesse les mécanismes élaborés de cette survie ; on peut suivre dans le détail l’itinéraire individuel de hautes et admirables figures de ce marranisme trop longtemps considéré à tort comme une simple hérésie chrétienne. Cependant, l’ouvrage pionnier de Cecil Roth garde tout son intérêt, non pas tant pas la richesse des sources documentaires qu’il exploite mais par les questions qu’il pose, par la pertinence de sa curiosité. Cet encyclopédiste à qui rien d’Israël n’était étranger a eu l’intuition féconde (qui s’est vu confirmée) que le marranisme n’a pas été un îlot résiduel et marginal dans l’histoire des Juifs mais bien une de ses parties constitutives. 
Dès lors, son travail n’a pas perdu de son intérêt pour qui veut découvrir ce chapitre non négligeable de l’histoire européenne. Notamment, le chapitre intitulé « La religion des Marranes » pourra bien sûr être complété, précisé et même nuancé mais il adopte un point de vue toujours pertinent et susceptible de nourrir encore une réflexion actuelle sur le phénomène marrane.
Car on peut bien parler d’une véritable « religion marrane » comme le fait Cecil Roth avec quelque hardiesse. Il rompt à bon droit avec une mythologie selon laquelle le culte pratiqué par les Marranes serait resté intact, aurait conservé en leur totalité les pratiques juives. Si, pour lui, ceux parmi les convertis qui sont restés fidèles à la foi ancestrale demeurent des modèles d’intégrité, leur judaïsme n’est pas demeuré dans son intégralité. Ils pratiquent bien une religion, maintenue assurément ; mais qui, aussi, est limitée par contrainte ; partant, altérée, voire adultérée ou détériorée si l’on préfère.
Comment aurait-il pu en être autrement quand ce culte empêché, privé de ses textes-sources, dépossédé de sa langue sacrée, isolé socialement, reposait, pour reprendre la formule à dessein polysémique de Nathan Wachtel, sur la seule « foi du souvenir » ?
Le climat de terreur et de soupçon qui régnait a retranché du culte ses célébrations les plus joyeuses. Il l’a incliné vers le deuil et la tristesse en privilégiant jeûnes et contritions. Le lourd secret auquel il obligeait ses adeptes a pesé sur eux négativement : en les contraignant à une perpétuelle dissimulation, l’oppression a éteint la joie de ces enfants d’Israël … Coupés du mouvement perpétuel de la Loi juive et de son renouvellement par l’étude, ils ont fini par être désorientés et comme ankystés dans une pratique devenu parfois incompréhensible.
Et malgré tout, la flamme s’est transmise ;  des pratiques et des croyances essentiels, des gestes tout au moins, ont été sauvegardés. Il a fallu aux héritiers – et sur une très  longue durée – , faire preuve d’une constance et d’une détermination qui forcent le respect. Pour « maintenir » – avec quelle courageuse fidélité -, les « simples Marranes« ,  comme les nomme Cecil Roth, ont dû recourir à maints stratagèmes et faire preuve même d’une certaine inventivité créatrice dans leur persévérance obstinée.
On comprend pourquoi dans la « théologie marrane », à côté des nombreux martyrs brûlés vif sur les bûchers de l’Inquisition, la reine Esther a toujours occupé une place de choix. L’héroïne juive, même si elle prie dans le langage catholique de la Vulgate, dit, par anticipation, les paroles susceptibles d’apaiser la douleur marrane :
« Tu sais la contrainte où je suis, que j’ai du dégoût pour l’orgueilleux emblème qui est sur ma tête aux jours où je parais en public. Il m’inspire du dégoût comme un linge souillé, et je ne le porte pas les jours où je me repose. Ta servante n’a pas mangé à la table d’Amane, ni honoré les banquets du roi, ni bu le vin des libations. Ta servante n’a pas connu la joie depuis le jour de son élévation, si ce n’est auprès de toi, Seigneur, Dieu d’Abraham. Ô Dieu, qui as pouvoir sur tous, écoute la voix des désespérés, délivre-nous de la main des méchants, et délivre-moi de ma peur ! », Esther, 4 : 17 .



« La religion des Marranes »

de Cecil Roth

Traduction inédite de Dominique Macabies

Ce texte forme le chapitre VII : «The religion of Marranos», in The History of Marranos (1932), p.168-194.

Un portrait des  Marranes ne saurait être complet sans une tentative de décrire, non seulement les vicissitudes qu’ils ont traversées mais aussi la réalité des pratiques et des croyances réelles qu’ils chérissaient : ce qui leur est arrivé, mais aussi ce qu’ils étaient.

Une inévitable déperdition

La vision populaire d’un judaïsme souterrain, entièrement coupé du monde extérieur, mais s’accrochant en secret et avec la plus grande fidélité à chaque iota des rites et cérémonies ancestraux, est manifestement fausse. Privés de toute directive des autorités juives, isolés, coupés du monde extérieur et même privés de l’assistance de documentation écrite, il leur était impossible de préserver les traditions du judaïsme, qui plus est dans leur intégralité.
Les premières générations n’avaient en effet pas rencontré ces difficultés. Jusqu’au milieu du XVIème siècle, tant en Espagne qu’au Portugal, l’influence du judaïsme était restée forte et, si la peur entravait les observances, elles n’étaient pas faussées par l’ignorance. Les Marranes de cette période conservaient une certaine connaissance de la langue hébraïque. Ils continuaient à posséder des livres en hébreu. Ils observaient les lois alimentaires dans leur intégralité, dans la mesure du possible. Les synagogues privées avaient été maintenues ; les services pouvaient même être assurés par d’anciens rabbins. Le Sabbat et les fêtes se tenaient avec toute la rigueur possible. Ils faisaient tout leur possible pour être enterrés près de leurs pères non convertis et suivaient les rites funéraires juifs.
Au cours du XVIème siècle, l’accès à la pratique rituelle est devenue exceptionnel. Une nouvelle génération a grandi sans la connaissance de première main du judaïsme officiel, ou de la langue traditionnelle des prières, et sans documentation écrite. Elle n’avait à sa disposition que la tradition orale et l’autorité des Écritures juives, qui lui restaient accessibles dans leur version latine.
Peut-être pourrait-on aussi ajouter à cela les édits et fulminations de l’Inquisition qui, dans certaines circonstances, ne servaient manifestement qu’à indiquer à ceux dont la foi était vacillante ce qu’ils devaient faire plutôt que les pratiques à éviter.
C’est nécessairement à partir de cette époque que la « religion » des Marranes (car elle n’était guère moins) dut commencer ; et à partir de là, on peut suivre la trace d’une tradition ininterrompue.
Impossible de s’attendre à une totale uniformité, bien sûr. Isolés les uns des autres, sans l’influence fédératrice des livres, il était inévitable que varient le degré et la nature du respect des règles, d’une génération à l’autre, de lieu en lieu, et même de famille en famille. De même, on ne peut guère se fier tacitement aux informations trouvées sur le sujet dans les sources contemporaines. La nature des soupçons inquisitoriaux, largement fondés sur des réminiscences bibliques, a naturellement influencé accusations d’une part, et aveux forcés d’autre part, de sorte que dans de nombreux cas, ces derniers ne sont pas à prendre pour argent comptant. 

S’isoler pour prier/Marranes dans les champs/Photographie de F. Brenner

On pourrait toutefois discerner certaines tendances principales utiles pour dresser un tableau cohérent, à appliquer avec plus ou moins de fidélité à la période tout entière.

Une théologie marrane?

La nouvelle religion ne manquait pas de ce qu’on pourrait peut-être appeler sa propre « théologie ». Dans le dernier chapitre du Livre apocryphe de Baruch, intitulé L’Épître de Jérémie, 6 : 6 , se trouve un passage dans lequel le prophète exhorte ses frères de l’exil babylonien : « Quand vous verrez devant vous et derrière vous une multitude se prosterner, vous direz dans vos cœurs, ‘Toi seul es digne de louange, Seigneur’ ».
Nous sommes informés par un érudit contemporain que les Marranes de sa génération appliquaient les mots : « se prosterner », aux Juifs et non à leurs ennemis babyloniens parce qu’ils interprétaient ce passage comme une licence divine d’adorer des dieux étrangers en cas de nécessité, tant que c’est le Dieu du Ciel qui se trouve dans leur cœur.
Tout aussi instructif est le sermon prêché par Antonio Homem, le Praeceptor Infelix, lors du culte secret durant lequel il officia à Coimbra le jour des Expiations/Yom Kippour en 1615, comme le rapporte un espion qui y assistait. Il enseigna, semble-t-il, que la différence essentielle entre judaïsme et christianisme tient aux deux questions suivantes : observance du Sabbat et culte des images. Mais aussi il professait aussi qu’en temps de persécution, il était suffisant d’avoir l’intention d’appliquer les préceptes de Loi qu’il était impossible d’observer en toute sécurité.

Un judaïsme sous influence

La doctrine du Marrane ordinaire était cependant bien plus simple que cela. Elle tenait en une phrase : le salut n’est possible que par la Loi de Moïse, et non par la Loi du Christ. Cette expression revient souvent dans les dossiers de l’Inquisition et se répète avec une insistance impossible à ignorer. C’est d’une tristesse incroyable! Conçue comme une profession de foi juive, elle utilisait néanmoins le langage et les concepts de la théologie catholique. Observer sa religion dans le seul but de s’assurer un salut inaccessible aux adeptes d’une autre est une conception intolérante, totalement étrangère à l’esprit juif traditionnel.
Sur divers autres points d’une importance considérable, les Marranes étaient profondément influencés par leur environnement.
Les victimes de l’Inquisition étaient vénérées comme des martyrs. En l’honneur de certaines figures marquantes, des confréries religieuses se sont formées, alors que certains saints chrétiens étaient remis en question. « Saint Raphaël », « Sainte Esther » et « Saint Tobit » (ce dernier considéré comme patron des voyages) se sont à vrai dire fait une place dans la liturgie marrane.
La coutume catholique du jeûne « au bénéfice des vivants et des morts » était également source d’inspiration.
Et plus encore, celle de payer une tierce personne, ou même de céder un héritage, pour obtenir une guérison en faveur d’autrui, comme cela se faisait parfois. Nous avons même lu qu’une femme mexicaine se présentant comme une jeûneuse professionnelle se faisait payer une piastre à chaque prestation.

Maintenir

Néanmoins, la doctrine juive n’a jamais été totalement engloutie.
Si la persécution a pu aigrir certains au point de les pousser au sacrilège et au blasphème, d’autres ont réussi à conserver la tolérance traditionnelle des Juifs à l’égard des opinions d’autrui, en dépit de toutes les vicissitudes de leur vie. « Un homme sera sauvé par ses œuvres, quelle que soit sa croyance », affirmait une simple marrane.
Un prêtre zélé dénonça Antonio Fernando Carvajal, fondateur du judaïsme anglais, pour cette déclaration hérétique : « Don Mathias, bien que je sois juif, nous nous rencontrerons au ciel ». On pourrait multiplier les citations de cas similaires. 
L’idée messianique ne se limitait pas à la simple négation des allégations de Jésus.
La restauration de la « Terre promise » continuait d’occuper une place importante dans les espoirs et prières du Marrane. Les premières générations de Marranes, comme nous l’avons vu, avaient leur pseudo-Messie, Luis Dias de Setubal, et leur prophétesse, la servante d’Herrera, pour n’en citer que deux.
Aussi tardivement qu’au milieu du XVIIème siècle, les récits qui se répandirent dans la péninsule de Sabbataï Tsvi, prétendant turc qui enflamma tout le Levant, suffirent à attirer une foule d’adeptes.
Une garde spéciale fut postée dans tous les ports maritimes pour arrêter ceux qui voulaient le rejoindre ; un muletier de Tolède fut sévèrement puni pour avoir fait sortir clandestinement du pays, des Judaïsants présumés.
Quelques années plus tard, la famille Mogadouro, dont sept membres périrent lors des vagues successives de persécutions à Lisbonne, fut confortée dans son judaïsme par la nouvelle suivante : les astrologues de Hollande avaient affirmé l’existence de terres encore inconnues où des Juifs entretenaient l’espérance de la venue imminente du Messie.
Au Mexique, on attendait avec confiance la venue du Messie, prévue pour 1642 ou 1643 ; et des espoirs extravagants se portaient sur la personne de Gaspar Vaez Sevilla, descendant connu de la tribu de Levi, qui y était né en 1624 de parents pieux.

Garder les gestes de la vie juive

Nécessairement, le judaïsme, même le moins traditionnel, est dans une large mesure une façon de vivre plutôt qu’une simple croyance. Il en a toujours été ainsi du marranisme.
Les enfants d’abord
S’impose donc une enquête préliminaire sur la nature de l’initiation à ses pratiques. Les enfants étaient fréquemment élevés en pieux catholiques et autorisés par leurs parents à être initiés, de manière fortuite, par des influences extérieures aux secrets de leur foi. Ainsi, les différents membres de certaines familles présumaient que tous les autres étaient judaïsants, autrement dit des « Portugais », mais ne s’aventuraient jamais à communiquer entre eux sur le sujet. Parfois, l’appétence pour la rationalité inhérente aux Juifs semble avoir suffi à susciter des doutes, qui ont finalement conduit automatiquement à un retour à la foi ancestrale (…).
Lors de sa comparution devant l’Inquisition, un homme à moitié Nouveau Chrétien avoua carrément que « par son sang du côté de sa mère, il avait été incité à entretenir des doutes en matière de foi, et que, si on l’avait informé de l’existence d’une loi de Moïse, il n’aurait pas manqué de la suivre ». 
Certaines personnes bravaient tous les périls pour faire du prosélytisme auprès de ceux qu’ils savaient être Juifs de souche. Enfin, les violentes diatribes de l’Inquisition elle-même, combinées à une compassion naturelle pour les persécutés, finirent par susciter parfois une attention bienveillante à l’égard même de ces croyances et pratiques censées être réprimées ; c’était là autant le fait des Vieux Chrétiens que des Nouveaux.
Les parents devaient manifestement être réticents à risquer que leurs enfants subissent la damnation éternelle (dont ils avaient leur propre conception) en laissant cette question au hasard. Pourtant, où qu’ils se tournent, ils étaient en danger. Si l’on initiait à ces secrets la nouvelle génération dès son plus jeune âge, les bavardages d’enfants risquaient de compromettre la vie de toute la famille. S’ils attendaient la maturité de leurs enfants, le catholicisme risquait de leur avoir été si profondément inculqué que toute divulgation serait aussi dangereuse qu’inutile.
En effet, le zèle religieux n’avait que faire de considérations aussi triviales que les liens familiaux : que des enfants accusent leurs parents, ou des maris leur femme, n’avait rien de rare. Face à une telle alternative, le compromis évident était d’attendre l’adolescence, période où, d’une part, l’autorité parentale est encore forte et où, d’autre part, les enfants sont en âge d’exercer leur discernement. À cette fin, le jour de l’ancien rite juif de la Bar Mitsvah, durant lequel un garçon terminant sa treizième année devient religieusement responsable, s’imposait naturellement. 
Il semble très probable qu’à cet âge l’initiation traditionnelle à la pleine connaissance des préceptes de la loi se transformait en initiation aux rites et mystères secrets du marranisme.
Ainsi, au Mexique, Gabriel de Grenade, inculpé en 1642-1643 pour judaïsme, déclara spécifiquement que « lorsqu’il avait treize ans, sa mère, Dona Maria de Rivera, l’avait convoqué et, qu’une fois seule avec lui dans leur maison d’Alcayceria, elle lui avait expliqué que la loi de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il suivait, n’était ni bonne, ni vraie, et qu’il devait s’attacher à celle de Moïse… car c’est la seule loi vraie, bonne et nécessaire à son salut… ».
Antonio Roiz de Castello, martyrisé à Lisbonne en 1647, fut, entre autres, accusé d’enseigner aux enfants les pratiques juives dès leur treizième année. On peut supposer que c’était là une pratique commune, voire la règle.
La religion à laquelle on initiait ainsi un enfant était nécessairement loin d’un judaïsme complet. Le rite fondamental de la circoncision était évidemment hors de question. En effet, sa découverte équivalait à une condamnation à mort. Si un néophyte particulièrement zélé pouvait donc décider de s’opérer lui-même, si certains jeunes audacieux allaient se faire initier à l’étranger, ou si des groupes isolés aux confins du pays pouvaient montrer une plus grande hardiesse, ce rite était généralement exclu. De fait, ils en trouvaient une certaine justification dans la Bible. Dieu ne considérait pas comme un péché le fait que les enfants d’Israël nés dans le désert n’eussent pas été circoncis avant d’avoir atteint la Terre Promise, en raison des difficultés liées à leurs circonstances particulières. Assurément, si c’est contre leur gré qu’ils ne s’y étaient pas conformés, ils seraient jugés avec la même indulgence.
Femmes vaillantes
Les femmes était aussi fermes dans leur observance que l’étaient les hommes, si ce n’est plus. Dès le début de l’Inquisition en Espagne, on sait que les femmes représentaient la grande majorité des rares personnes conservaient leur judaïsme jusqu’à la fin. Plusieurs d’entre elles moururent donc en véritables martyrs. Il est significatif que les femmes aient pris une part importante à l’initiation au judaïsme, qu’elles aient montré une connaissance poussée des prières, et qu’elles aient été, dans certains cas, d’une observance particulièrement scrupuleuse. Au Mexique, dans la première moitié du XVIIème siècle, c’était les mères et les épouses qui présidaient et inspiraient les cercles marranes.
Il devint finalement courant de voir une femme assumer le rôle de chef spirituel des groupes de Marranes. C’est une manifestation frappante de la position cruciale occupée par la femme au sein de la vie des communautés juives.

Oubli et effacement de la tradition textuelle 

Toute connaissance de l’hébreu, langue traditionnelle de la prière, était presque hors de question.
Il est vrai que, dans la période antérieure, on relève des condamnations pour possession de livres en hébreu et même pour l’utilisation de la langue hébraïque ; on rapporte, par ailleurs, le cas d’un homme condamné sur la seule accusation de n’avoir su signer son nom qu’en hébreu ! Cependant, à la génération suivante, toute connaissance de cette langue devait être exceptionnelle, sauf dans ce groupe non négligeable qui s’efforçait de dissimuler son manque de foi catholique en entrant dans les ordres. Même la possession d’œuvres juives traduites aurait exposé son propriétaire à la persécution ; et de fait, dans la vaste littérature de l’Inquisition, il est à peine fait mention de la saisie d’écrits judaïques après le XVIème siècle.
La version latine de la Bible avait désormais pris la place de la volumineuse littérature ancienne et sacrée. Le Nouveau Testament était bien sûr négligé ; mais la tradition juive avait été oubliée à un point tel que les apocryphes semblent avoir été traités avec le même respect que l’Ancien Testament. C’était de la seule Bible, fortifiée par leurs traditions incomplètes, que les Marranes tiraient encouragement et conseils. L’observance se basait presque exclusivement sur son interprétation littérale, même sur les points où elle s’inscrivait en faux par rapport à l’enseignement catholique des juifs.

Prier à l’écart/Photographie de F. Brenner


De l’hébreu, seuls les fragments les plus rares ont été préservés dans la tradition orale. La dénomination de Dieu resta « Adon-aï » ; une unique expression complète où figure ce nom fut retenue, bien que sous une forme mutilée. Ces menues exceptions mises à part – qui avaient d’ailleurs perdu depuis longtemps leur pleine signification – les prières des Marranes se disaient en langue vernaculaire. Par nécessité, elles devaient être transmises de bouche à oreille. Lors des cultes, aucun livre n’était utilisé : les deux ou trois manuscrits de la liturgie à avoir été conservés sont tardifs et très exceptionnels. Parfois, les prières étaient originales, surtout celles composées en vers. On peut supposer qu’il s’agit des plus récentes.
Cependant, de nombreux textes, surtout ceux en prose, semblent être provenus de souvenirs des textes hébraïques anciens.
Il n’existait qu’un corpus de prières très restreint. Dans l’état de nos connaissances actuelles, la compilation complète de la liturgie des Marranes ne remplit pas plus de quarante pages imprimées. Parfois, le bagage spirituel d’un néophyte ne semblait être constitué que d’une seule prière mémorisée. Une nouvelle prière prenait des allures de trésor, et si une personne en apprenait une, elle s’empressait de la communiquer à ceux qui partageaient sa foi.
Lors d’occasions spéciales, semble-t-il, il fallait répéter tout le répertoire, à maintes reprises, avec une monotonie pathétique. Néanmoins, les Psaumes de David, accessibles à tous dans la version de la Vulgate, étaient une source perpétuelle de réconfort spirituel. Cependant, l’Inquisition restait aux aguets pour châtier quiconque serait pris en flagrant délit à les répéter sans les clore par le gloria patri (partie de la prière catholique qui loue la Trinité). Lors des assemblées secrètes de Coimbra, la cérémonie du Kippour consistait en grande partie en la récitation des Psaumes. Les versions vernaculaires, en prose et en vers, constituent une part considérable de la liturgie du Marrane de la période la plus récente, et elles inspirent la majorité du reste.
Au lieu de la formule de conclusion christologique répétée par leurs voisins, les Marranes avaient pour habitude de réciter une expression similaire, bien que moins répréhensible : « Au nom d’Adon-aï, notre Seigneur, amen ! ».
Une autre façon de compenser cette indigence liturgique consistait à réciter des prières familières de l’Église, mais avec les omissions nécessaires : ainsi nous parle-t-on d’un certain jeune adepte des Nouveaux Chrétiens qui avoua se placer entre les mains de Dieu en utilisant les « oraisons » des chrétiens. Le Notre Père, dans sa simplicité primitive, avait obtenu une place bien définie dans l’usage liturgique. Les réunions de prière étaient généralement informelles. Cependant, on apprend parfois l’existence de synagogues ou de réunions secrètes, au cours desquelles des cérémonies étaient célébrées à intervalles plus ou moins réguliers.

Pratiques résiduelles

Durant les célébrations, pratiques juives et chrétiennes étaient mêlées. Au tout début, il était d’usage de se couvrir la tête, coutume vite tombée en désuétude. Le lavage préliminaire des mains, qui, dans le judaïsme prélude aux actes de piété, restait largement pratiqué. En effet, ce rite fut pendant quelques temps considéré comme un indice de judaïsme.
Se tourner vers l’orient était une autre pratique persistante.
La tradition de se couvrir la tête avec un tissu blanc pendant la prière, pour imiter le traditionnel talite/châle de prière, parvint à survivre, localement du moins, jusqu’à une période très récente. En revanche, se mettre à genoux pendant l’office, contrairement à l’usage juif, devint si répandu qu’une mention spécifique en fut faite dans la liturgie. Les prières n’étaient pas chantées, comme le veut la tradition, mais récitées car, évidemment, les vieux airs sombraient dans l’oubli d’une part, et d’autre part, les Marranes craignaient d’attirer l’attention sur eux.
Le respect fidèle de la bénédiction des enfants, pour laquelle le père leur passait les mains sur le visage à la fin du culte, était un de leurs points distinctifs.

Rembrandt/Jakob segnet Ephraim und Manasse/1656/ Exposé au Museum Schloss Wilhelmshöhe/Cassel

Les rites cérémoniels juifs les plus caractéristiques sont ceux liés à la nourriture. Là encore, certains Marranes de la première génération étaient très scrupuleux. On trouvait parfois un Cho’hète, ou abatteur rituel, qui poursuivait ses activités bien qu’étant baptisé. À une période ultérieure, la stricte observance d’une pratique si voyante aurait équivalu au suicide. La chair des bêtes impures mentionnées dans le code mosaïque pouvait être exclue de l’alimentation sans trop difficultés. C’est pourquoi l’Inquisition était d’une telle vigilance quant à ceux qui s’abstenaient de manger du porc, du lapin, et du poisson sans écailles. Cédant aux circonstances, les Marranes furent obligés de renoncer à se procurer de la nourriture cachère.
Une ou deux choses restaient possibles. Dans la Bible, les Marranes lisaient (en Genèse 32 : 33) que les enfants d’Israël ne consomment pas le tendon de la cuisse. Il était donc d’usage, chaque fois qu’il était possible de le faire sans éveiller les soupçons, de le prélever du gigot avant de le préparer pour le repas.
De plus, lorsqu’un poulet était tué à la maison, on lui tranchait le cou au lieu de le lui tordre – application approximative des règles rituelles. Avant de tuer des animaux pour se nourrir, il fallait même réciter une prière.
Par un scrupule plus que méticuleux, de se conformer aux ordres du  Lévitique, les Marranes refusaient de toucher de la graisse animale. Ils étaient donc obligés de n’utiliser que de l’huile pour cuisiner, ce qui finit par être reconnu comme l’une des pratiques courantes du judaïsme. La viande était régulièrement lavée afin d’éliminer toute trace de sang. 
Les Marranes des générations précédentes essayaient de s’abstenir de porc, allant jusqu’à détruire tout plat entré en contact avec cette viande par inadvertance. Ils racontaient à leurs enfants que ceux qui en mangeaient seraient transformés en cochons. L’intense suspicion attachée à cette pratique, associée au fait que dans une grande partie de la péninsule la chair du porc sous une forme ou une autre est l’aliment de base de la majorité de la population, a finalement rendu impossible une observance rigide à cet égard.
Pour autant, la réglementation la concernant ne disparut pas totalement. Bien que contraints de se souiller au contact de nourriture « impure » pendant la majeure partie de l’année, les Marranes s’interdisaient d’en consommer lors d’évènements à caractère sacré. Ainsi, il devint habituel pour eux de s’abstenir de porc au moins pendant le Sabbat et lors des périodes précédant la Pâque et Yom Kippour, tout en évitant de manger de la viande pendant les sept jours de deuil suivant le décès d’un parent et immédiatement avant ou après tout jeûne. L’origine de cette coutume finit par être si bien oubliée qu’elle en est venue à être considérée comme une forme d’observance fondamentaliste du judaïsme. Les jours où un individu se pliait à un jeûne mineur, il devait se contenter de poissons et de légumes, tandis que le reste de sa famille, qui ne jeûnait pas, n’avait aucun scrupule à consommer de la viande.

Garder le Sabbat

Selon la doctrine d’Antonio Homem, la différence entre judaïsme et christianisme tenait principalement à ces deux questions : culte des images et observance du Sabbat.
Ce jour est longtemps resté l’une des principales préoccupations de l’Inquisition. S’abstenir de toute activité ordinaire le samedi revenait à se désigner coupable. Néanmoins, la nourriture était préparée autant que possible la veille ; les femmes marranes restaient inactives devant leur rouet, ne se remettant au travail que lorsqu’un étranger se présentait. Mettre un point d’honneur à changer les draps le vendredi soir était habituel, même si telle imprudence pouvait conduire au bûcher. C’est d’ailleurs l’un des principaux chefs d’accusation qui coûta la vie à l’illustre Antonio Jose da Silva.
En de telles circonstances, l’observance devint de plus en plus difficile. On s’y accrochait, néanmoins, avec une émouvante ardeur. Angela Nuñez Marques, Marrane fervente de Pastrana, jugée à Tolède en 1680, admit que, malgré tous ses efforts, elle n’avait pas pu observer le Sabbat plus de quinze fois en vingt ans. Les réunions régulières pour la prière du samedi étaient manifestement dangereuses. Elles avaient cependant lieu, dans la mesure du possible, pendant les mois précédant la Pâque et Yom Kippour.
La plus persistante de toutes les traditions relatives à l’observance de ce jour était l’allumage des lumières du Sabbat le vendredi soir. Aux yeux de l’Inquisition, il s’agissait de la preuve la plus accablante de judaïsme. Le juif pratiquant n’éteignait jamais une lumière une fois le Sabbat commencé. Commandement d’une rigueur impossible à respecter en temps d’oppression!

Allumage des bougies de Chabate à Belmonte/Photographie de F.Brenner

Néanmoins, les Marranes n’assimilaient pas ce qu’ils considéraient comme une transgression à l’accomplissement d’une action religieuse. C’est pourquoi, pendant le Sabbat, on laissait la bougie s’éteindre d’elle-même. Bien après que l’origine de la pratique eut été oubliée, cette dernière continua à être perçue comme essentielle. La vénération de la lumière du Sabbat était si forte (comme l’indique son nom, « la bougie du Seigneur ») qu’il devint habituel de préparer les mèches en récitant des prières spéciales, comme s’il s’agissait d’un rite religieux. Naturellement, on ne pouvait l’allumer qu’avec de l’huile d’olive pure, et non de la graisse animale. Pour la cacher des regards indiscrets, il était d’usage, localement, d’allumer la lumière dans une cave ou de la placer dans un pichet. Cela aussi devint une observance essentielle.

Une temporalité rituelle perturbée

On ne pouvait s’attendre à ce que les Marranes, préoccupés par le salut de leur âme tout en étant soumis à des telles conditions, embrassent le judaïsme dans son ensemble.
Les interdictions prenaient plus de place dans leur vie que les pratiques positives. Ils attachaient plus d’importance au jeûne qu’aux festins. À une exception près, ces fêtes semblaient donc être tombées en quasi-désuétude. Même le Nouvel An, malgré sa traditionnelle solennité, semble avoir été complètement négligé, sans doute en grande partie en raison de son manque de visibilité relative dans la Bible. Les seules célébrations annuelles à avoir conservé leur importance étaient la Pâque et Yom Kippour. 
À ce stade se pose un problème évident. Comment calculer les dates de ces rituels ? Le calendrier juif, et sa minutieuse combinaison des systèmes solaire et lunaire au moyen d’une méthode fondée sur des mois intercalaires sporadiques, était beaucoup trop compliqué pour être perpétué oralement. Si l’on avait compté douze mois lunaires chaque année, le maintien de cette comptabilité aurait été difficile. En tout cas le cycle des saisons aurait eu tôt fait de devenir d’une inexactitude ridicule. Il y a un indice pour trouver la solution à ce mystère. Dans les dossiers de l’Inquisition, il est systématiquement indiqué que Yom Kippour se célébrait dix jours après la Nouvelle Lune de septembre ; la Pâque coïncidant avec la Pleine Lune de mars.
Voici ce qui semble s’être passé : les Marranes se seraient basés sur le calendrier solaire actuel pour faire leur calcul lunaire. Ainsi célébraient-ils le Jour de l’Expiation (Yom Kippour) le dixième jour suivant la Nouvelle Lune, qui tombait au mois de septembre, et la Pâque le quatorzième jour après la Nouvelle Lune de mars.
Dans la plupart des cas, ce calcul était exact, à un jour ou deux près, mais il devait parfois y avoir un écart de presque un mois. Par conséquent, en 1606, alors que Yom Kippour tombait en réalité le 12 octobre, il fut célébré à Coimbra à une date comprise entre le dix et le quinze du mois précédent. Et en 1618, la Pâque fut fêtée courant mars alors qu’elle tombait le 10 avril. Au Mexique, il y eut une fois une grande controverse au sein de la communauté marrane quant à la date d’une célébration à venir : un groupe minoritaire voulait la célébrer dix jours avant les autres.
Finalement, une complication de plus fut introduite. En la période des célébrations les plus solennelles de l’année juive, l’Inquisition et ses sbires se firent plus vigilants. Pour se soustraire à leur surveillance, on eut coutume d’attendre un jour ou deux, jusqu’à ce que leur vigilance faiblisse. Les rites habituels pouvaient alors être pratiqués dans une relative impunité.
Le Jour de l’Expiation fut donc maintenu le onzième jour après la Nouvelle Lune de septembre, au lieu du dixième, et les cérémonies principales de la Pâque eurent lieu après expiration des deux premiers jours, le soir du seizième jour du mois lunaire au lieu du quatorzième. Son origine oubliée, cette curieuse perversion finit par devenir obligatoire. Pour fixer les dates, on s’en tenait à l’autorité d’une personne particulièrement pieuse ou érudite.
Ainsi raconte-t-on que les Nouveaux Chrétiens de Guadalajara (Nouvelle Galice) qui voulaient savoir s’ils devaient jeûner tel ou tel jour surveillaient la maison de Violante Juarez (par la suite réconciliée lors de l’auto de Mexico en 1648). Si la porte était fermée et qu’ils ne voyaient plus d’activité dans la maisonnée, ils savaient qu’une certaine fête religieuse était célébrée ce jour-là. 
Le Jour de l’Expiation, en particulier, conservait toute sa solennité auprès des Marranes, qui bravaient tous les périls afin de la célébrer ensemble. La veille, ils prenaient un bain, comme le veut la pratique traditionnelle. Le soir, un grand nombre de bougies étaient allumées et disposées sur des nappes d’un blanc immaculé « pour les vivants et les morts ». On passait toute la journée ensemble, dans l’abstention complète de toute nourriture. Pendant ce temps, on répétait toutes les prières connues ou on discutait des prophéties messianiques de la Bible. Parmi les anciennes traditions préservées de cette journée, il y avait celle selon laquelle quatre cérémonies étaient célébrées entre le lever et le coucher du soleil au lieu des trois habituelles.
La pratique de ne pas porter de chaussures avait beau être appliquée, elle n’était pas considérée comme l’une des privations traditionnelles : c’était plutôt un hommage à la sainteté du lieu de prière. On en trouve un précédent biblique avec le comportement de Moïse devant le Buisson Ardent (Exode, 3 : 5).

Office de Kippour à Belmonte/Photographie de F. Brenner

Ce jour s’appelait Dia Pura ou « Jour de Pureté », déformation évidente du mot hébreu : « Kippour » donnant néanmoins une idée du caractère spécial que revêtait ce jour à leurs yeux. La représentation juive traditionnelle du Jour du Grand Pardon (accordé par le Ciel) semble avoir été quelque peu mal interprétée. En effet, l’une des caractéristiques remarquables de la célébration était le pardon formel et réciproque des offenses reçues.  Ainsi, lors de la réunion de prière à Coimbra en 1616, tous les membres de  la congrégation furent encouragés à se pardonner mutuellement : « car c’était le Jour du Grand Pardon ».
Naturellement, les dates des diverses célébrations de l’année suivante étaient publiquement annoncées à l’occasion de l’assemblée générale. Avant et après le jeûne, comme cela a été indiqué précédemment, la coutume était de consommer un repas fait de poissons et légumes. Pas de viande car on ne disposait pas de morceaux préparés de manière rituelle. 
L’autre grande célébration biblique était la fête de Pâque/Pessa’h. Son observance, du moins localement, était visiblement dictée par de vagues souvenirs de la Bible. On préparait un repas dont le plat principal était un agneau cuit entier. Ceux qui y prenaient part se tenaient là, chaussés de bottes, un bâton à la main, en une reproduction littérale du précepte biblique : des pratiques abandonnées depuis longtemps dans le judaïsme. Au Mexique, les gens allaient jusqu’à peindre les chambranles avec le sang du sacrifice. Trois gâteaux traditionnels de pain azyme étaient consommés avec l’agneau. Avec le temps, un rituel spécial se développa quant à la préparation de ce « pain de Proposition », comme il était appelé.
Un fragment de ce pain, symbole de l’ancien sacrifice (Nombres,15 :17-21), était jeté au feu : survivance d’une pratique religieuse juive régulière qui avait suscité, dès le début, de grandes inquiétudes durant l’Inquisition et qui avait survécu de façon sporadique dans sa forme ancienne jusqu’à la fin du XVIIème siècle. Pour échapper à la vigilance de l’Inquisition, il devint coutumier de faire cuire du pain azyme au four avec deux jours de retard, le seize du mois, donc il n’y avait pas de pain, azyme ou non, durant les deux premiers jours du festin. Cette cérémonie prit finalement l’importance de la fête traditionnelle du Sédère/Repas pascal, le premier soir de la fête. Une observance d’une telle complexité n’était cependant possible que lorsqu’on pouvait jouir de conditions de sécurité exceptionnelles. 
On n’entend pratiquement pas parler de l’observance des autres festins bibliques. La fête des Cabanes/Soukkote est mentionnée de temps en temps mais sans détails particuliers.
La Pentecôte/Chavouote disparut entièrement ou presque. La célébration mineure de ‘Hanoukah semble avoir été conservée (bien qu’aucun détail ne soit donné), sous le nom de Fête des Lumières.
Ces maigres réminiscences mises à part, le cycle des fêtes, qui joue un rôle si important dans la vie traditionnelle juive, fut complètement submergé.

Esther, reine marrane

En dépit de cette perte généralisée, l’une des fêtes de l’année juive fut investie d’une importance accrue aux yeux des Marranes. Bien que la joyeuse fête – mineure – de Pourim eût été totalement oubliée, ce qu’on appelle le Jeûne d’Esther/Ta’anite Esther (observé la veille, comme une sorte d’antidote) attira leur attention à un degré remarquable ; l’importance qu’elle acquit finalement égala même celle de Yom Kippour. Pas besoin de chercher loin pour en trouver la raison : Esther n’était-elle pas obligée de « ne révéler ni sa race ni sa naissance », tout en restant fidèle à la religion de ses pères, dans un milieu étranger presque identique au leur ?

« Tu sais la contrainte où je suis« 
Rembrandt/Détail/Le Festin d’Esther avec Aman et Assuérus/Circa 1660-1665/Musée Pouchkine à Moscou.

De plus, l’émouvante prière qu’on lui attribue dans les textes deutérocanoniques (auxquels les Marranes accordent le même caractère sacré qu’à la Bible elle-même) leur semblait correspondre exactement à leurs propres besoins. Tant d’importance y était attachée que, peut-on lire, l’une des filles de Francisco Rodriguez Mattos, « dogmatiste et Rabbin de la secte juive » qui mourut en effigie sur le bûcher au Mexique en 1592, pouvait effectivement la réciter à l’envers. Le style caractéristique du passage explique la popularité dont elle jouissait : « Mon Seigneur, notre Roi, tu es l’Unique ; viens me secourir, car je suis seule, je n’ai pas d’autre secours que toi, et je vais risquer ma vie. Depuis ma naissance, j’entends dire, dans la tribu de mes pères, que toi, Seigneur, tu as choisi Israël parmi toutes les nations, et que parmi tous leurs ancêtres tu as choisi nos pères, pour en faire à jamais ton héritage ; tu as fait pour eux tout ce que tu avais promis. Et maintenant, nous avons péché contre toi, tu nous as livrés aux mains de nos ennemis, parce que nous avons honoré leurs dieux : tu es juste, Seigneur. Et maintenant, notre dur esclavage ne leur suffit plus. Ils ont fait un pacte avec leurs idoles, pour abolir ce que ta bouche a promis, faire disparaître ton héritage, fermer la bouche de ceux qui te célèbrent, éteindre la gloire de ta maison et les feux de ton autel, pour que s’ouvre la bouche des nations, que soient célébrés les mérites des faux dieux et qu’à jamais soit magnifié un roi de chair. Ne livre pas ton sceptre, Seigneur, à ceux qui n’existent pas. Que nos ennemis ne se moquent pas de notre chute ; retourne contre eux leurs projets. Du premier de nos adversaires, fais un exemple. Souviens-toi, Seigneur ! Fais-toi connaître au jour de notre détresse ; donne-moi du courage, toi, le Roi des dieux, qui domines toute autorité. Mets sur mes lèvres un langage harmonieux quand je serai en présence de ce lion, et change son cœur : qu’il se mette à détester celui qui nous combat, qu’il le détruise avec tous ses partisans. Délivre-nous par ta main, viens me secourir car je suis seule, et je n’ai que toi, Seigneur. Tu connais tout et tu sais que je hais la gloire des impies, que je n’ai que dégoût pour la couche des incirconcis et celle de tout étranger. Tu sais la contrainte où je suis, que j’ai du dégoût pour l’orgueilleux emblème qui est sur ma tête aux jours où je parais en public. Il m’inspire du dégoût comme un linge souillé, et je ne le porte pas les jours où je me repose. Ta servante n’a pas mangé à la table d’Aman, ni honoré les banquets du roi, ni bu le vin des libations. Ta servante n’a pas connu la joie depuis le jour de son élévation, si ce n’est auprès de toi, Seigneur, Dieu d’Abraham. Ô Dieu, qui as pouvoir sur tous, écoute la voix des désespérés, délivre-nous de la main des méchants, et délivre-moi de ma peur ! », Esther, 4 : 17 (L à Z).
Le jeûne associé au nom d’Esther eut donc un attrait tout particulier pour les Marranes ; dans les dossiers de l’Inquisition, il a une importance supérieure à tout autre jour du calendrier marrane. Il avait généralement lieu lors de la Pleine Lune de février, précisément un mois avant la Pâque juive. Selon le récit biblique, Esther elle-même jeûna trois jours consécutifs. En vérité, elle ne le fit pas durant le mois d’Adar, au moment de la commémoration, mais quelque trois mois plus tard. Le parallèle avec leurs propres afflictions était si fort qu’au moins certains d’entre eux suivirent son exemple en faisant un jeûne court de trois jours, avec une rigueur jamais vue au sein du Judaïsme traditionnel. On nous parle ainsi d’une jeune femme de bonne famille qui est morte des suites de ce jeûne de trois jours.

Succès du jeûne expiatoire

En l’absence d’autorité biblique, en des temps anciens, certains piétistes avaient coutume de jeûner deux fois par semaine, le lundi et jeudi, en expiation de leurs péchés supposés.
Il n’y avait évidemment pas de plus grand péché que l’apostasie. Certains des premiers convertis de force semblent, par suite, s’être conformés à l’observation de ces jeûnes bihebdomadaires qui, bien que reconnus comme étant volontaires, sont devenus une institution chez les Marranes. Ils sont mentionnés à plusieurs reprises dans les archives de l’Inquisition, et même des Judaïsants, peu fervents, dans le lointain Mexique en appliquaient plusieurs sur des périodes de conformisme, en comparaison relativement brèves. Ces jeûnes étaient observés « au bénéfice des vivants et des morts » — en expiation des péchés d’un parent défunt ou pour le bien-être d’une personne prise entre les griffes de l’Inquisition. D’autres jeûnes de ce type étaient observés, localement au moins : celui du Premier-né à la veille de la Pâque (transformé, par rigorisme excessif, en une célébration générale) et celle de Guedaliah, le lendemain du Nouvel an.
Certains piétistes s’infligeaient des sacrifices supplémentaires en ne mangeant qu’un jour sur trois, en plus de passer deux nuits par semaine absorbés dans la prière. Tous ces jeûnes étaient pratiqués avec la même rigueur caractéristique, d’un coucher du soleil à l’autre.
On recourait à de nombreux expédients pour dissimuler l’observance d’un jeûne mineur. Le plus simple était de partir à la campagne ou bien de feindre un mal de tête. Dans d’autres cas, on envoyait les domestiques loin de la maison, au prétexte d’une commission sans intérêt, et assiettes et couverts étaient soigneusement graissés en leur absence, pour faire croire que les maîtres avaient mangé. Le stratagème le plus convaincant et compliqué était de simuler une querelle familiale juste avant l’heure du repas. Une personne se précipitait hors de la maison en feignant une crise de rage et les autres membres partaient à sa suite pour soi-disant l’apaiser. 

Le moment de vérité

Même si les Marranes devaient être enterrés selon les rites catholiques, ils faisaient tout leur possible pour être enterrés en terre vierge ou parmi les leurs. Sur le lit de mort, les pratiques juives avaient la primeur. L’Inquisition se souciait surtout de ceux qui tournaient leur visage vers le mur pendant leurs derniers instants, alors qu’il semblerait que cela découlait plutôt de la Bible.
Quand tout était terminé, un morceau d’or ou un bijou était placé dans la bouche du défunt, péage dû pour le passage du Jourdain — survivance de la mythologie classique, et non hébraïque, d’une étrangeté extraordinaire. Toute eau stagnante dans la maison était alors vidée. La coutume du traditionnel Taharah/lavage rituel du corps était habituel. Les étrangers, dont le prêtre évidemment, étaient alors sans aucun doute priés de sortir en vitesse de la chambre du défunt avant son dernier soupir, afin que le mourant puisse au moins terminer sa vie dans une atmosphère de sincérité. 
C’est peut-être là l’origine de la légende ridicule, répandue parmi les Portugais, voulant qu’on accélère la fin par suffocation. 
Après l’enterrement, certains des rites de la semaine juive de deuil traditionnelle étaient respectés. Le premier repas du deuil se composait d’œufs durs — il était servi aux membres de la famille par un étranger, à leur retour à la maison, comme prescrit par la pratique orthodoxe. Ils restaient confinés à la maison pendant toute une semaine sans consommer de viande pour éviter une infraction flagrante des lois alimentaires de l’époque. On faisait preuve d’une grande charité. Le dernier des sept jours, un jeûne était observé. D’autres jeûnes « pour les morts » se succédaient à intervalles réguliers, soit par les endeuillés eux-mêmes, soit par une autre personne, rémunérée pour sa peine. Une somme d’argent était parfois réservée à cet effet.

Autres aspects de la vie juive

Il fallait nécessairement se conformer aux coutumes matrimoniales du pays. Cependant, au début, certains Nouveaux Chrétiens se rendaient coupables de polygamie car elle était autorisée (mais plutôt rarement pratiquée) par les Juifs d’Espagne. Cette pratique en vint à être considérée comme un indice de judaïsation.
Et même plus tard, on fit peu de cas des lois matrimoniales catholiques ; des mariages avaient parfois lieu entre membres d’une famille « selon la Loi de Moïse ». Les jeunes mariés avaient coutume de jeûner. La cérémonie se déroulait inévitablement dans l’Église catholique, mais était complétée par une cérémonie familiale en toute simplicité. Néanmoins, on gardait toujours en tête l’idée que le mariage serait confirmé, à la première occasion, au sein de leur propre communauté selon les rites juifs les plus complets. Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, il arrivait souvent que des couples « venus du Portugal » se marient une seconde fois, à l’étranger, dans les grands centres Marranes. En général, ils s’efforçaient de se marier entre eux.
Il existe des histoires amusantes portant sur les efforts mobilisés afin de savoir si un futur mari potentiel était secrètement Juif ; d’autres évoquent les moyens auxquels on recourait pour se débarrasser de lui s’il s’avérait qu’il ne l’était pas. D’autres encore font allusion aux difficultés rencontrées pour trouver un époux convenable à une jeune Marrane ignorante des pratiques traditionnelles ou encore à la colère des parents face à un mariage mixte. On apprend comment, un jour, un jeune homme apathique tombé amoureux d’une jeune Marrane de famille très pratiquante fut conduit à l’église principale de la ville : le sambenito de son grand-père lui fit mis sous le nez pour l’inciter à se judaïser. Manuel Alvarez d’Arellano, aumônier de la communauté secrète au Mexique, jouait aussi le rôle de medianero ou agent matrimonial, afin de conclure des mariages entre les diverses familles de Nouveaux Chrétiens. 
Il n’y a pas de vie juive sans charité. Même les Marranes ne pouvaient s’en exonérer. En conséquence, ils s’occupaient tout particulièrement de leurs pauvres « Nouveaux chrétiens ». Ces derniers passaient en priorité et recevaient plus lors de toutes les occasions particulières. C’était si important qu’une prière spéciale, à réciter au moment de faire l’aumône, avait été imposée.
Pendant très longtemps, les Marranes transmirent de père en fils le secret de leur ancien nom de famille (généralement d’origine hébraïque ou arabe), même si les étrangers les connaissaient sous leur patronyme gothique, obtenu grâce à un noble parrain lors de leur baptême. Quand ils fuyaient vers la liberté, ils s’empressaient de reprendre leur nom d’origine (d’où les familles Abendana, Abrabanel, Musaphia et Usque, pour n’en citer que quelques-unes). Plus tard, une fois la tradition hidalgo plus profondément ancrée dans la culture, certaines familles combinèrent les deux origines, avec les Aboab da Fonseca par exemple. Finalement, la tradition hébraïque disparut de la Péninsule. Certains enthousiastes se mirent alors à s’inventer de nouveaux noms typiquement juifs car sinon ils ne pouvaient plus que compter sur les renseignements donnés par de vieux barbons ayant connu leur famille. C’est ainsi que, lorsqu’il atteignit Safed à la fin du XVIème siècle, on assura à un jeune bien-né du nom d’Oliveira, neveu de Mestre Pedro, le médecin de la Reine, que son véritable nom de famille devrait être Guedaliah. Les moins chanceux devaient se contenter de noms de famille espagnols ou portugais récemment acquis, noms considérés comme caractéristiques des Marranes dans le nord de l’Europe.
Il fallut cependant bien des années avant que les noms traditionnels des maisons de Levi ou d’Aaron ne s’éteignent. Nous avons vu la façon dont Villareal s’enorgueillissait de son ascendance semi-sacerdotale ; et à l’extérieur de la Péninsule, se répandirent des juxtapositions incongrues de noms israélites et gothiques, tels que Levi Ximenes ou Cohen Herrera. 
Quant aux prénoms, ceux d’origine biblique (généralement patriarcaux) étaient apparemment adoptés dans le secret au moment du baptême.  L’histoire d’un jeune Marrane à qui l’on demanda de dire son nom était très répandue. Celui-ci s’enquit naïvement s’il devait donner le nom sous lequel il était connu par les étrangers ou celui utilisé à la maison. C’est ainsi que plus d’un martyr de l’Inquisition fut pleuré à l’étranger sous un nom différent de celui sous lequel il avait enduré le supplice du bûcher. 
Il était bien sûr indispensable d’aller occasionnellement à l’église. Certes, on s’en tenait au minimum. À l’heure de la messe, les parents appelaient leurs enfants à grands cris, pour être entendus des voisins. Ils sortaient alors tous ensemble dans la rue mais employaient en fait ce temps pour se promener ou rendre visite à un ami. Il était donc possible, et c’est un cas avéré, qu’un  enfant atteigne l’âge de quatorze sans avoir assisté à une messe catholique plus d’une fois. Cependant, il s’agissait sans doute d’une exception. Il n’y avait rien de surprenant à ce que, contraints d’entrer dans une église, ils aient eu une formule péjorative à réciter, pour insister sur le fait qu’ils ne se prosternaient non pas devant des images mais devant le Dieu du Ciel. On avait recours à de curieux expédients pour éviter toute participation active à la messe. Ainsi, lors de l’Élévation, ils éprouvaient comme par hasard le besoin de s’essuyer les yeux, ce qui les empêchait donc de la voir au moment de faire la génuflexion de rigueur. 

***

Qu’on se garde de penser, en lisant ce qui a été écrit jusqu’ici, que la religion des Marranes était insignifiante et qu’elle se contentait de renier quelques doctrines catholiques tout en observant un certain nombre de survivances dénuées d’intérêt et de sens. Il est vrai qu’ils menaient une vie inévitablement limitée, fragilisée. Dans quelques cas, peut-être que la conception du judaïsme la plus courante à l’époque confinait à une société secrète mystique et qu’y adhérer impliquait, au-delà des périls encourus, des avantages non négligeables sur terre comme au ciel.
D’une part, la religion des Marranes, même au plus loin du judaïsme traditionnel, avait un côté positif. Malgré la disparition progressive de la doctrine et de la pratique, les conceptions juives fondamentales gardaient leur importance.
Au péril constant de leur vie, les Marranes conservaient rigoureusement l’unicité de Dieu, dans un pays où le culte des images avait occulté l’essentiel du monothéisme.
Ils concevaient le service divin comme quelque chose à mettre en œuvre non pas dans la seule prière, mais en actes au quotidien.
Ils entretenaient une conscience aiguë de la fraternité d’Israël et de leur propre identification à la grande masse des membres du peuple juif, où qu’ils se trouvent.
Ils attendaient avec impatience la Délivrance finale, qu’ils associaient au souvenir de l’ancien centre national en Terre Promise.
Ainsi, malgré l’oppression, tous les traits caractéristiques du judaïsme traditionnel furent préservés ; et l’appellation de « Juifs », utilisée par les Inquisiteurs pour désigner avec mépris les Marranes, peut effectivement être revendiquée par ces derniers car elle leur revient de droit. 


Indications bibliographiques

  • Yosef Hayim Yerushalmi, Frédéric Brenner, Marranes : Exilés de l’exil, Texte et photographies de F. Brenner suivi de Y. H. Yerushalmi : «  Les derniers marranes : le temps, la peur, la mémoire »; Contient un choix de prières présentées par Inácio Steinhardt et des témoignages rassemblés par Nicole Zand et extraits du film « Marranes » de F. Brenner et S. Neuman, Paris, Éditions de la Différence, 1992.
    En 1988, les Marranes de Belmonte au Portugal consentent à se confier et à se laisser filmer. Des visages et des confidences d’une rare intensité.
  • Claude Stuczynski : Le marranisme : de l’histoire à la métaphore.
    Cours en six séances, consacré à l’histoire et aux interprétations du judaïsme marrane. dans le cadre de l’
    Université Populaire du Judaïsme-Matanel / Octobre-Novembre 2017.
    Voici la présentation sur le site Akadem de ce cours, magistral à tous égards  : La conversion en masse et souvent forcée des Juifs d’Espagne et du Portugal à la fin du Moyen Age créa le phénomène marrane ou converso. Ce phénomène historique de longue durée vit des chrétiens d’origine juive judaïser en secret ou soupçonnés de rester juifs dans la clandestinité. L’époque contemporaine a vu des relectures et des réinterprétations positives de la figure marrane à l’instar de Jacques Derrida ou d’Edgar Morin, qui y ont vu la naissance, positive, d’une identité non « communautaire ». Nous nous proposons d’expliquer les enjeux de ce débat en proposant une contextualisation historique adéquate à une meilleure compréhension du phénomène marrane et de son importance « généalogique » pour les identités juives actuelles.

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