« Le Tour des Juifs »

par Jean-Marc Datcharry

Albert LONDRES,  Le juif errant est arrivé  (1930), Suivi de témoignages et d’une bibliographie établie par F. Lacassin, Paris, UGE, 1975, Collection 10/18, Série « L’appel de la vie ».

Sur quel sujet brûlant de son époque, Albert Londres, ce prince des journalistes, n’a-t-il pas enquêté? Il a visité le bagne de Cayenne, s’est rendu au pays des Soviets et au Congo ; il a interrogé des pêcheurs de perles à Djibouti ; il a remonté la filière de la traite des blanches à Buenos-Aires. Il a même suivi … le Tour de France qu’il a qualifié de « tour de la souffrance »!
Quand en 1929, ce père des reporters modernes se rend dans la capitale anglaise, ce n’est point par goût facétieux du calembour mais pour y commencer un autre tour de la souffrance … le « Tour des Juifs ». Une enquête menée en Europe et en Palestine, des ghettos de la Transylvanie aux rues de Tel Aviv, depuis les bords de la Tamise jusqu’à ceux du Jourdain… et cela, en une série de vingt-sept articles, publiés en 1929 dans le quotidien « Le Petit Parisien »  sous le titre de : « Le drame de la race juive : des ghettos d’Europe à la Terre Promise ». L‘année suivante, le tout paraît en recueil sous le le titre de  : « Le Juif errant est arrivé ». Il raconte à ses lecteurs français, juifs ou non juifs, sa découverte du monde juif d’Europe orientale, encore bien vivant à l’époque…

Un monde juif fracturé ?

Ceux qui n’ont qu’une connaissance superficielle du monde juif peuvent le voir comme un bloc uniforme. Mais une simple visite de notre journaliste au quartier de Whitechapel dans l’Est de Londres fait d’emblée le lit de cette erreur : le monde juif est d’une variété quasi infinie.
La première des fractures qu’il y découvre est celle qui sépare les juifs « assimilés » des  pays européens occidentaux et les juifs d’Europe de l’Est. « Le Juif, là-bas, est toujours un Juif … ce n’est ni un Roumain, ni un Polonais», lui dit un vieux bijoutier de Whitechapel venu de Lituanie quarante ans plutôt, qui conclut : « je suis (désormais) un fidèle sujet anglais ». Un rabbin polonais de passage semble lui faire écho, même si c’est sur le mode de la réprobation : « Ils (les Juifs occidentaux) se croient Anglais, Français. L’esprit les a quittés… Pour nous, ils ne sont plus des Juifs… », p. 28. Et en effet, bien des choses séparent ces deux mondes juifs, outre l’éloignement géographique : la situation économique, les pratiques religieuses, le rapport avec la société non-juive, les modalités de la vie quotidienne. Et l’ignorance mutuelle s’installe : « On voit bien qu’ils ne savent rien de ce qui se passe chez nous », déplore un Juif polonais à propos des « Israélites » de France et d’Angleterre.

Mais il existe une autre faille au sein du monde juif, et non moins profonde : celle qui sépare les sionistes des non-sionistes. C’est pour l’auteur l’occasion de brosser un stupéfiant portrait-éloge du père du sionisme : Théodore Herzl, cette sorte de prophète laïc d’un État pour les Juifs (chapitre 4, p. 37-45). Il  aurait ainsi lui-même résumé cette ambition : « il n’y a pour nous autres Juifs qu’un moyen de former une nation respectée, c’est de nous installer en Palestine ». Mais, curieusement, ce projet exaltant est loin de faire l’unanimité parmi les intéressés.

Portrait de Theodor Herzl/ « Il fut plus qu’un roi. Il eut plus qu’un sceptre ; il eut des ailes. Sa mission fut plus grande que celle de régner sur un pays. À sa voix, les frontières se lézardèrent. Son souffle courut le monde. Il réveilla un peuple endormi depuis dix-neuf siècles.», p.37.

Ben, qui sert de guide à Albert Londres pour la partie européenne de son périple, propose une typologie toute personnelle des Juifs. Il distingue : «Les Juifs de chez vous », « Les Juifs d’ici », « Les Juifs de Palestine »,  et « Les Juifs comme moi », p.161 ;  autrement dit, pour lui, et de son point de vue  : les « assimilés » (les Juifs qui ont coupé avec leurs origines), « les emprisonnés » (les Juifs coincés, par leur fidélité à la Torah, dans des régions où ils sont victimes de pogroms et d’humiliation), « les illuminés » (Les Juifs sionistes qui partent, par pur idéal,  s’installer dans les terres arides de la Palestine), les cosmopolites pragmatiques (ceux qui s’adaptent à la situation et sont prêts à tout, même à se rendre en Israël… ).

Une réalité à fuir ?

Quoi qu’il en soit, à partir de l’idée d’un Foyer National Juif (Déclaration Balfour, 2 novembre 1917), naît celle que la « randonnée des Juifs » (p. 47)  pourrait un jour prendre fin.
Mais, au fond, pourquoi les Juifs de la fin des années 1920 quitteraient-ils leurs pays européens ? Et au profit de quelle réalité palestinienne ? 
Albert Londres part à l’Est, en quête de réponses. 

Et ce qu’il découvre est un autre continent : « Je quitte le monde civilisé et je descends au pays des ghettos », p.59. C’est un véritable archipel juif où chacune des îles qui le compose a ses particularités. Ce qui les réunit toutes, c’est l’observance de la Loi ; qui les isole du reste de la société aussi sûrement que la mer le fait d’une île, les préservant ainsi de la contagion européenne. Il en dresse un tableau aussi terrifiant qu’attachant.
Le journaliste n’évite pas l’aspect pittoresque et folklorique, puisqu’il sait bien que c’est ainsi qu’il captera l’attention de ses lecteurs. C’est donc avec un œil amusé et fraternel qu’il décrit les barbes, les caftans, les papillotes et les strictes tenues noires qui tranchent sur le blanc de la neige. Il sourit de ces jeunes Juifs de Mukacevo qui viennent à lui avec curiosité mais « s’envolent » comme des moineaux dès qu’il est question de les photographier, car il ne faut pas faire d’images taillées « de tout ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur terre », p. 60.
Fort d’une solide culture biblique et d’une empathie qui n’est pas exempte d’une légère ironie, le Français pénètre au coeur du monde orthodoxe.
Comme souvent chez Albert Londres, le sourire amical ne tarde pas à se figer en un triste rictus. Car un des « ghettos » qu’il présente sidère le nouveau venu : c’est un « ghetto rural », un village juif  ! « La région des grandes forêts des Carpathes », les Marmaroches, aux confins de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie. C’est une contrée reculée dans l’espace, mais aussi dans le temps : « Moralement parlant » cette contrée est « beaucoup plus loin » ; elle n’est pas « dans le XXème siècle. Tout juste vient- elle de passer à l’âge de la Genèse ; nous sommes à la deuxième période du monde, au temps de l’Exode », p. 69. Le village n’est qu’un rassemblement de cabanes lamentables. Surtout, ce qui frappe le lecteur en plein cœur, c’est l’incroyable misère de ce peuple, isolé dans un hiver glacé qui semble sans fin.
Le journaliste-enquêteur demande à voir le rabbin, on lui répond qu’il est parti mendier en Roumanie. Une femme gémit près de lui. Elle dit avoir « le mal de faim », lui traduit-on du yiddish. Il entre dans les tristes masures : pas de mobilier ni de cheminées, il y fait plus froid encore qu’à l’extérieur. Il voit une femme moribonde sur un gravas. On le croit médecin, on bénit le ciel. Mais un reporter n’est pas un docteur. «Faites semblant, lui demande Ben, ce sera charitable », p. 75.

Il accueille ensuite dans son automobile un homme à l’allure de vagabond qui vivote de la vente des quelques bougies qu’il détient dans sa poche. Il se figure ce colporteur vivant d’expédients comme l’incarnation du « Juif Errant ». Mais ce Juif là n’ « arrivera » jamais. Il se rend simplement chez un tsadik (un rabbin miraculeux) pour Yom Kippour, et non en Terre Promise. La Palestine, il n’en est même pas question. Pour lui et ses semblables, la misère n’est pas une raison suffisante pour fuir et se rendre à Jérusalem.

Colporteur/Photographie prise par A. Londres/ «J’ai rencontré le Juif errant. Il marchait dans les Carpathes, peu après le village de Volchovetz. Ses bottes étaient trouées ; on voyait que ses chaussettes l’étaient aussi. Un caftan bien pris à la taille l’habillait du cou aux chevilles. Sur sa chevelure noire, un chapeau large et plat d’où s’échappaient deux papillotes soignées achevait la silhouette légendaire», p.77.

A Cernauti, ville de Roumanie qui compte 80 000 juifs sur 140 000 habitants, le Français rencontre toutefois des attitudes plus diverses à l’égard du sionisme. Le portrait de Herzl trône dans nombre d’échoppes. Il y a ceux qui reviennent de Tel-Aviv, déçus. Ceux qui ne veulent s’y rendre en raison de leur âge avancé : « J’ai mis soixante-treize ans à charmer les Européens ; à d’autres de charmer les Arabes ! ». Ceux aussi qui refusent pour des raisons théologiques : il n’y a aucun signe, le rassemblement d’Israël n’a pas sonné. Ainsi, le reporter a confié sa montre mais il a la malencontreuse idée de lui proposer généreusement d’emmener son fils qui «  a la tête tournée par le sionisme », jusqu’en Palestine. Non, non, et non, son fils n’ira jamais là-bas. A. Londres s’inquiète : « Certainement, il sabotera ma montre »… Ce ton débonnaire, plaisant, ironique, toujours léger fait tout le charme de ce reportage, de ses saynètes émouvantes et drôles, qui semble écrit au gré des rencontres.

Puis vient la description des ghettos urbains ! Celui de Lvov, dont la pauvreté crasse est aussi exécrable que celle des « Juifs sauvages » des Marmaroches, avec ses familles logées dans un souterrain de la rue du Soleil, bien mal nommée : le tout-à-l’égout le traverse. Les femmes en guenille présentent leurs enfants sales et faméliques dans l’obscurité d’une atmosphère empestée. Elles réclament l’aumône. « Il faudrait des trains de zloty pour abreuver cette détresse…Ne donnez rien… rien » (p.122), lui intime son guide. De toute part, ce n’est que détresse et noire misère. 

Devanture de « magasin »-cave/Vilna/1930/«Le Juif veut se garder indépendant.. Dans ce but, il choisit le métier de commerçant : il vend!», p.123.

Enfin, comme par contraste, Varsovie, bien sûr, la somptueuse « reine juive d’Europe », présente au globe-trotter son immense quartier de 360 000 Juifs. La diversité y est insondable. On y trouve même des «assimilés » à faux-col, comme en Occident. Il faudrait des talents d’explorateur pour la découvrir de manière exhaustive et le génie épique d’un Victor Hugo pour en dépeindre l’ampleur : « On s’y perd ». Mais le vendredi soir, le rideau du Sabbat tombe sur Nalewki, comme sur une seule et simple maison de prière. Là, comme sur toutes les îles de l’archipel juif, le rituel unit tous les fils d’Israël. 

Varsovie /Rue Nalewki/Années 1930/ «Si Saûl, David, Salomon, Roboam, Nabaddab avaient un successeur, le roi des Juifs aurait son trône à Varsovie», p.126.

Et l’antisémitisme ?

La description de la haine anti-juive n’est pas l’objet du  Juif errant est arrivé . Mais comment rendre compte de la condition juive, surtout à l’Est, sans évoquer l’antisémitisme ? Évidemment, Albert Londres n’évite pas cet aspect, qu’il considère comme une profonde injustice et qu’il rapporte avec horreur. La description qu’il fait des pogromes russes, polonais ou roumains glace le sang et terrifie. Le pogrome, ce « spectre » qui menace tous les juifs d’Europe de l’Est…
Il souligne également l’antisémitisme juridique, tel qu’il se manifeste en Pologne, et structure par défaut la vie des Juifs en leur interdisant tout emploi dans l’administration, l’armée, l’Université, les Chemins de Fer, la Poste, etc. Plus original, la description de l’antisémitisme fiscal, qui fait payer par les 10% juifs de la population polonaise 40% du budget national. Sous quel prétexte ? Aucun, en fait. Le gouvernement cède tout simplement à la haine viscérale des Polonais à l’égard des Juifs…
Elle se manifeste, bien sûr, aussi dans les actes quotidiens, comme notre reporter a pu le vivre lui-même. Dans une rue de Lvov, un Polonais bouscule volontairement le Français en criant : « Przecz z drogi psie przcklenty ». Interloqué, ce dernier veut exiger des excuses. Ses guides juifs l’en empêchent.
« – Ce n’est rien… Il vous  a pris pour un Juif.
– Qu’a-t-il dit ?
-F… le camp de ma route, chien maudit ! », p. 123.

Cette hostilité permanente constituerait d’évidence un motif suffisant pour rejoindre en masse et sans délai le Foyer national juif. Or, tel n’est pas le cas ; ce qui oblige à chercher les raisons d’une si incompréhensible réticence. 
Albert Londres la voit dans l’attachement viscéral à la Torah, qui cimente l’unité de l’archipel juif, et qui, lié à un farouche esprit d’indépendance pousse à refuser les concessions qu’imposent l’assimilation. Elle les isole volontairement des Gentils, autant que l’antisémitisme lui-même. « Alors, (la conséquence) c’est le ghetto, tout simplement… Cette tragique misère, les Juifs l’ont un peu voulue » (p. 123), semble-t-il vouloir dire aux Juifs, comme on parle franchement à un ami. 
Il s’ensuit que le ghetto devient un refuge de l’authentique,  auquel le visiteur comprend que ses habitants tiennent.
S’y ajoute une forme de fatalisme qui mène certains à s’en remettre à la volonté de Dieu, plutôt qu’aux initiatives des hommes, voire à refuser ce qui, à leurs yeux, ne correspond pas à une injonction divine.
De sorte que la dureté des ghettos paraît plus douce, même sous la menace des pogroms, même sous le joug des persécutions, même en proie à la misère la plus noire, que les risques d’une émigration laïque vers une autre terre, fût-elle promise.

Une Terre Promise ?

Voici A. Londres en Eretz Israël : « Voilà le soleil! J’ai quitté, à Varsovie, l’année 5690. J’entre dans l’an X », p. 167. Il est à « Tel-Aviv, La seule ville au monde comptant cent pour cent de Juifs. », p. 170.  Il y observe, ébahi, l’aspect profondément différent de ce monde juif-là. Les hommes y vont tête nue, rasés, le col ouvert, la poitrine à l’air et sous le soleil ardent de Palestine. Les épines dorsales sont redressées, on marche au milieu du trottoir sans craindre d’être bousculé par un antisémite.
C’est un tout autre lieu : « clair, large, ensoleillé, tout blanc. C’est gai. On y sent la volonté acharnée d’oublier le ghetto», p.172. L’urbanisme est la réussite de cette ville-champignon passée en vingt ans, de rien à cinq mille maisons, et tous les équipements modernes. C’est le fruit du travail de tous ces Juifs, souvent jeunes, arrivés « le feu à l’âme », et que « la foi … transportait, non dans le divin, mais dans le terrestre », p.180 . 
Alors, les réticences des habitants des ghettos sont-elles donc infondées ? Non, certes. Il y a les échecs, ceux qui ne peuvent se faire à cette nouvelle vie très exigeante (travail acharné, changement de profession, malaria, …) pour peu de profit matériel. Les « sans idéal » crurent tout perdu. Ils perdirent la foi laïque du sionisme. Il y eut un « exode en sens contraire ». Mais les autres se cramponnent,  avec l’aide financière venue d’ailleurs. 

Construire à Tel-Aviv/Années 1930/ «Juif errant, comment vas-tu? Eh bien, il ne va pas trop mal. On aurait pu penser le retrouver en plus mauvais état, après la saignée…. Surtout – et c’était là dans toute la vie du Juif errant, le fait nouveau sensationnel- il n’avait pas à courber le dos », p.224.

Est-ce tout ? 
Non, évidemment. Car si le blason de Tel Aviv est : « Tu seras construite », du « jour de sa première pierre, l’Arabe a répondu : tu seras détruite » , p. 174 . Et il en est de même pour le reste des réalisations juives de Palestine. L’installation des Juifs menace les privilèges des chefs arabes. Le 23 août 1929, « jour anniversaire de la Saint-Barthélémy », une foule arabe massacre au couteau des Juifs, à Jérusalem, Hébron, Safed, et ailleurs, devant des forces de l’ordre britanniques passives. On hurle « Mort aux Juifs ! ». 
Albert Londres donne la parole aux arabes, musulmans et chrétiens. Leur message est simple : que la Déclaration Balfour soit abrogée. Et si rien n’est réglé au départ des Anglais, les sept cent mille Arabes tueront les cent cinquante mille Juifs de Palestine. On leur répond que cela prendra bien du temps. « Mais non !… Deux jours ! », dit une voix douce.
Ce sort est-il plus enviable que celui des Juifs du ghetto de Lvov, ou des villages isolés de Ruthénie ? Oui, au moins sans doute aux yeux d’Albert Londres. Il interroge des paysans juifs attaqués par des Arabes et leur demande s’ils n’ont pas voulu céder. La réponse est laconique : « non ». Ici, les massacres de Juif n’intimident plus les Juifs. Si les Arabes tuent des Juifs, les Juifs tueront des Arabes. Les Juifs peuvent désormais vivre en Juifs, dans une nation et sur un sol qui sont les leurs. Ils ont cessé de se désoler. « De massacre en massacre… » (p.), ils vivent, ils survivent, durement, mais ils vivent. Le malheur juif s’est changé en un certain bonheur : celui d’avoir un pays.
Cette histoire-là ne fait, en 1929, que commencer. Mais le Juif errant est, peut-être, arrivé.

Parvenu au terme du voyage, on peut relever des lacunes dans ce « tour des Juifs ». Londres y parle finalement peu des « Juifs assimilés » d’Europe de l’Ouest. Probablement, les pense-t-il déjà bien connus. Il évoque encore moins ceux d’Amérique, d’Afrique du Nord ou d’ailleurs, sans doute pour des raisons pratiques compréhensibles.
Plus singulier, il fait totalement l’impasse sur les Juifs d’Allemagne et d’Europe du Sud, dont il n’évoque pas l’existence, alors qu’il aurait pu aisément les inclure dans son périple. On peut aussi estimer qu’il n’approfondit pas la question de l’antisémitisme pourtant en plein essor, et d’une manière générale, la vision que les non-Juifs ont des Juifs, ce qui lui aurait peut-être permis d’entrevoir le drame de la Shoah, comme il a pressenti celui de la création d’un État juif.

***

Mais il ne fait guère de doute que la qualité et le style du reportage ont dû captiver les lecteurs curieux et humanistes du « Petit Parisien ». Albert Londres a réalisé ce feuilleton avec un souci d’investigation sans faille, une acuité prodigieuse à percevoir de l’intérieur l’essence des choses et des êtres, reposant sur une solide culture historique (notamment biblique). D’une plume narquoise de conteur trempée dans l’encre de la compassion, il évoque sans détour les souffrances les plus aigües sans pathos facile. Pratiquant un journalisme empreint d’un humanisme curieux, exigeant et amical, il  exclut de facto tout parti-pris idéologique, toute sorte de concession aux clichés. C’est un journalisme lettré qui ne cède jamais aux facilités du sensationnalisme.
Pour les lecteurs d’aujourd’hui,  Londres livre un témoignage poignant, percutant, précis et peut-être unique, sur un monde juif – celui de l’Est européen – à qui il reste peu d’années avant d’être englouti. Il préfigure aussi l’histoire du peuplement du futur État d’Israël et les combats qu’il aura à mener. À ces deux titres au moins, il s’agit d’une lecture indispensable.


Indications bibliographiques

  • Albert Londres, Oeuvres complètes, Présentation par P. Assouline, Paris, Arléa, 2007.
    Contient : Au bagne ; Dante n’avait rien vu ; Chez les fous ; La Chine en folie ; Marseille, porte du Sud , Le chemin de Buenos-Aires ; L’homme qui s’évada ; Terre d’ébène ; Le Juif errant est arrivé ; Pêcheurs de perles ; Les comitadjis.
    Les reportages d’Albert Londres sont rassemblés en un seul volume.
  • Pierre Assouline, Albert Londres : Vie et mort d’un grand reporter, 1884-1932, Paris, Balland, 1988.
    La plus complète biographie en français à ce jour.
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